Œuvres de Pierre Curie/61

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Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 594-603).

sur un appareil
pour la
détermination des constantes magnétiques

En commun avec C. chéneveau.[1]

Bulletin des séances de la Société française de Physique, séance du 3 avril 1903 et Journal de Physique, 4e série, t. II, 1903, p. 796,


Cet appareil est destiné à mesurer les coefficients d’aimantation spécifique des corps faiblement magnétique et diamagnétiques[2].


I. — PRINCIPE ET DESCRIPTION.


On mesure à l’aide d’une balance de torsion la force qui s’exerce sur un corps lorsqu’il est placé dans un champ magnétique non uniforme créé par un aimant permanent. La force est maximum pour une certaine position du corps par rapport à l’aimant : c’est cette position que l’on utilise dans les mesures. Le champ est créé par un aimant permanent , de forme annulaire, à pièces polaires biseautées et à entrefer assez étroit (fig. 1 et 2). Le corps est placé dans un tube de verre fixé à l’une des extrémités d’une tige légère , en aluminium, suspendue en à un fil de platine. À l’autre extrémité

Fig. 1


de la tige, se trouve placé un micromètre sur lequel est braqué un microscope . Ce dispositif permet de suivre et de mesurer les déplacements de la balance de torsion.

Le tube contenant le corps est placé dans le plan de symétrie normal à la ligne des pôles, et il est attiré ou repoussé (fig. 2) suivant la direction normale à la ligne des pôles[3].

L’aimant est mobile ; on peut le déplacer par translation [dans la direction indiquée par la flèche (fig. 2)]. L’aimant étant d’abord éloigné du corps, si on

Fig. 2


l’approche de celui-ci, il se produit une attraction quand le corps est paramagnétique, une répulsion quand le corps est diamagnétique, et le mouvement du micromètre indique le sens de l’effet produit.

Quel que soit l’effet initial observé, en approchant l’aimant d’une façon continue, on constate que le déplacement du micromètre va d’abord en augmentant, passe par un maximum (fig. 2, position 1 de l’aimant et du tube), puis diminue pour s’annuler de nouveau quand le tube contenant le corps se trouve placé sur la ligne des pôles, entre les deux branches de l’aimant. La force s’annule en effet pour cette position symétrique. Si l’on continue à déplacer l’aimant dans le même sens, celui-ci passe de l’autre côté du corps et s’éloigne progressivement. La déviation indiquée par le micromètre change de sens, passe par un maximum (fig. 2, position 2 de l’aimant et du tube) et s’annule de nouveau quand l’aimant est suffisamment éloigné du corps. On note les divisions du micromètre qui coïncident avec le réticule du microscope pour les deux positions correspondant aux déviations maxima [positions et (fig 2)]. Ces deux positions sont celles pour lesquelles la force passe par un maximum. La différence des lectures au micromètre est proportionnelle à la somme des deux valeurs maxima de la force, ces deux valeurs étant d’ailleurs égales entre elles, si l’appareil est symétrique.

Pour parfaire la description de l’appareil, nous indiquerons que le déplacement de l’aimant est obtenu en le rendant solidaire d’un chariot , guidé par deux glissières fixes, obéissant au mouvement direct ou rétrograde d’une vis qui tourne dans un écrou fixé sous le chariot. L’une des glissières porte une graduation, le chariot mobile un trait de repère. L’équilibre de la balance de torsion se règle à l’aide d’un contrepoids cylindrique en laiton et d’un cavalier en aluminium. L’éclairage du micromètre se fait à l’aide du miroir mobile dans plusieurs directions. L’amortissement est assuré par le frottement d’une palette en aluminium dans de l’huile de vaseline disposée dans le récipient . Un bouchon permet d’enlever ou de placer le tube de verre sans ouvrir la cage de la balance.

En ce qui concerne le tube de verre, il est suspendu par deux anneaux superposés, fixés à la tige . Le rebord qu’il porte s’appuie sur l’anneau supérieur, tandis que l’anneau inférieur le guide verticalement. L’appareil est réglé convenablement quand, le trait de repère du chariot, coïncidant avec le zéro de la graduation de la glissière, le tube est symétriquement placé par rapport aux pièces polaires de l’aimant.

Le tube de verre de l’appareil étant soumis aux actions magnétiques aussi bien que la substance qu’il contient, il est nécessaire de faire une expérience avec le tube seul et de retrancher l’effet dû au tube de verre de l’effet total dû au tube rempli de substance. Il est avantageux de rendre cette correction faible en utilisant un verre à coefficient d’aimantation aussi petit que possible.

Le verre employé dans l’appareil est très légèrement diamagnétique à la température de 15°.


II. — MESURES.


Pour des mesures relatives, on prendra comme terme de comparaison un corps ou une solution dont le coefficient d’aimantation est connu.

Si est la différence des lectures faites au micromètre pour une masse du corps, le résultat d’une mesure faite avec une masse du corps de comparaison, la mesure lorsqu’on opère avec le tube de verre seul, et les coefficients d’aimantation spécifique du corps à étudier et du corps de comparaison, le rapport de ces coefficients sera donné par la formule

(1)  

Cette formule, vraie dans le cas où les trois corps sont paramagnétiques, sera généralisée d’après la convention suivante : on considérera les différences telles que comme positives quand il s’agira d’une attraction (corps paramagnétique), et comme négatives s’il s’agit d’une répulsion (corps diamagnétique). Par exemple, la différence dans le cas de l’eau est négative.

Toutefois la formule précédente n’est qu’approchée : la formule exacte doit en effet tenir compte du magnétisme de l’air.

Correction due au magnétisme de l’air. Formule exacte. — Soient les susceptibilités en volume du corps de comparaison, supposé magnétique, et de l’air. Soit la densité du corps de comparaison et une constante de l’appareil. En réalité, l’expression de la force, quand on opère avec le corps de comparaison est

(2) ,  
or
(3) .  

Lorsqu’on fait la mesure avec un corps paramagnétique de susceptibilité et de densité , la valeur réelle de la force est dans ce cas

,

d’où

(4) .  

Divisons les équations (4) et (3) membre à membre,

.

Posons

(5) .  

C’est le rapport déterminé précédemment à l’aide de la formule (1). On a


[4].

D’où, enfin, en remplaçant par sa valeur tirée de l’équation (2) et le rapport par sa valeur tirée de l’équation (5),

,

et comme ,

(6) .  

On prendra pour coefficient d’aimantation en volume de l’air la valeur à 20°[5].

Le corps de comparaison pourra être en particulier un corps bien défini tel que l’eau. — Dans ce cas, la différence sera négative. Si le verre est, comme nous l’avons indiqué, diamagnétique, sera également négatif. Ce sont les conditions que nous avons choisies pour l’emploi de l’appareil.

La formule générale (1), qui permet de connaître la valeur approchée de , devient donc :

Pour un corps paramagnétique :

 ;

Pour un corps diamagnétique :

,


formules dans lesquelles sont les valeurs numériques particulières et absolues des différences observées dans l’expérience.

Comme d’ailleurs en valeur absolue, il s’ensuivra que, pour un corps paramagnétique, , et pour un corps diamagnétique étant une quantité positive.

Par suite également, la formule exacte générale (6) donnera[6] :

a. Pour un corps faiblement magnétique

,


puisque pour l’air , et pour l’eau peut être pris égal à [7] ; ou encore

 ;

b. Pour un corps diamagnétique

.

Pour l’application de ces diverses formules, il sera d’ailleurs facile et commode que les masses et se rapportent à un même volume : pour cela, on remplira le tube de verre jusqu’à un trait de repère.

Pour des mesures absolues, on pourra admettre que le coefficient d’aimantation spécifique de l’eau a la valeur précédemment indiquée, à la température ordinaire, ce chiffre étant corrigé du magnétisme de l’air[8].


III. — EXPÉRIENCES AVEC LES SELS DE RADIUM.


Nous avons trouvé, avec cet appareil, que le chlorure de radium pur est paramagnétique. Son coefficient d’aimantation spécifique absolu, corrigé du magnétisme de l’air, comme il vient d’être indiqué, est : , en adoptant pour le coefficient d’aimantation de l’eau qui nous a servi de corps de comparaison.

Le Tableau suivant montre d’ailleurs qu’un produit contenant environ de chlorure de radium pour de chlorure de baryum est diamagnétique, son coefficient d’aimantation spécifique étant inférieur à celui du chlorure de baryum pur : ce qui confirme le fait précédemment énoncé :

  Chlorure de baryum pur  
Chlorure de baryum radifère

En 1899, M. St.-Meyer a annoncé que le carbonate de baryum radifère était paramagnétique[9]. Cependant M. Meyer avait opéré avec un produit extrêmement peu riche, contenant peut-être de radium, qui aurait dû être diamagnétique. Ce corps contenait peut-être une petite impureté ferrifère.


FIN.


  1. Communication faite à la Société française de Physique, séance du 3 avril 1903.
  2. Nous rappellerons que le coefficient d’aimantation spécifique est le rapport de l’intensité d’aimantation spécifique ( moment magnétique ; masse) au champ magnétisant.
  3. L’action du champ sur le corps est donnée par la formule , dans laquelle est le coefficient d’aimantation spécifique, la masse, la valeur de l’intensité de champ dans la direction parallèle à la ligne des pôles, la dérivée du champ par rapport à une direction normale à celle du champ.
  4. Il est inutile de faire cette approximation. En tirant et des équations (3) et (4), et en divisant, on obtient aisément pour déterminer le rapport l’équation exacte (6’) :
    (6’) .  


    qui est même plus simple que l’équation approchée (6). L’erreur qui résulte dans la pratique de l’emploi de cette dernière est d’ailleurs négligeable. Dans le cas où le corps de comparaison est l’eau, le coefficient numérique du terme correctif des formules de la page 601 est avec la formule approchée et avec la formule exacte.

    (Note des éditeurs.)
  5. P. Curie, Annales de Chimie et de Physique, 1895, p. 344.
  6. Voir la note (1), p. 599.
  7. P. Curie, loc. cit., p. 319.
  8. La figure 3 représente le modèle perfectionné de balance magnétique Curie et Chéneveau, présenté le 19 avril 1906 à la Société de Physique et construit par la Société centrale de Produits chimiques.

    Les auteurs ont substitué au mouvement de translation de l'aimant, un mouvement de rotation autour d'un axe , situé dans le prolongement du fil de suspension. Ce nouveau

    Fig. 3

    mouvement est beaucoup plus doux que le premier. Il peut être commandé de l'extérieur et à distance à l'aide des deux cordons et , qui agissent sur le levier .

    Ce dispositif permet d'employer la méthode par réflexion pour lire les déviations (à l’aide du miroir ). L’observateur placé devant l’échelle de lecture a sous la main un manipulateur formé par un levier, qui tourne autour d’un axe vertical fixé sur un lourd trépied et aux extrémités duquel sont tendus les cordons. Il agit sur ce levier à l’aide d’un bouton moleté ou mieux en manœuvrant les bouts des cordons à la façon des guides d’un cheval.

    Ils ont aussi substitué à l’amortisseur à liquides du premier modèle un amortisseur magnétique réglable. Il est formé d’un secteur de cuivre , qui se déplace dans l’entrefer d’un petit aimant . On modifie l’amortissement en faisant tourner l’aimant de façon à changer la position du secteur dans le champ. Ce réglage de l’amortissement est nécessaire quand on change le fil de suspension pour faire varier la sensibilité.

    Dans le premier modèle, on était obligé, pour cela, de modifier la nature du liquide amortisseur. Des mélanges d’huile de vaseline et de pétrole ou d’huile de ricin et d’essence de cèdre ont donné de bons résultats. Mais ce procédé était évidemment moins commode. (Note des éditeurs.)

  9. St.-Meyer, Wied. Ann., t. LXVIII, 1899. — H. du Bois, Propriétés magnétiques de la matière pondérable (Congrès de Physique, 1900, p. 500).