Suzette et la vérité/08

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Librairie Félix Alcan (p. 149-166).

VIII

Suzette se rendit chez Mme Brabane.

Elle ne possédait plus la même confiance que lorsqu’elle y était allée la première fois. Elle se remémorait avec un peu d’effroi, la scène où la fureur de la pauvre dame était si véhémente.

Mais Suzette voulait racheter ses torts en prévenant le père de son amie. Elle se disait qu’il serait impossible qu’on lui en voulût encore devant ses tentatives de conciliation.

Ce fut donc le cœur tremblant qu’elle sonna de nouveau, à cette porte.

La vieille femme de chambre lui ouvrit et ne lui fit plus aussi grise mine. Cela soulagea l’esprit de Suzette.

— Madame n’est pas là, dit cependant avec une certaine sécheresse la domestique.

La visiteuse eut un mouvement d’angoisse. Elle désirait l’adresse des bureaux de Mme Brabane et se demandait si la servante La lui donnerait.

Cette dernière poursuivit :

— Mam’zelle Marie est dans sa chambre. Vous voulez la voir, je pense ?

— Mais oui, répondit Suzette rassérénée.

Elle courut vers la chambre de son amie.

Marie, assise près d’une table, cousait avec application.

— Oh ! c’est Suzette ! s’écria-t-elle gaîment.

— Bonjour Marie.

Puis, tout de suite, la craintive Marie reprit :

— Tu viens encore pour avoir un entretien avec maman ?

— C’est plutôt à ton père que je voudrais parler cette fois. Je suis très pressée. Pourrais-tu me donner l’adresse de son bureau ?

Marie interloquée, regardait son amie.

À ce moment, la pauvre Suzette, mourante de faim, ferma les yeux et devint toute pâle.

Marie eut peur et s’écria :

— Qu’as-tu donc ?

— J’ai faim, soupira Suzette en s’écroulant dans un fauteuil.

— Faim ? questionna Marie qui ne comprenait pas. Elle se demandait comment on pouvait avoir faim.

— N’as-tu pas goûté ? interrogea-t-elle en jetant un coup d’œil sur la pendule qui ne marquait cependant que dix-sept heures.

— Je n’ai même pas déjeuné, avoua Suzette qui se remettait de sa faiblesse passagère.

— Pas déjeuné ? s’écria Marie au comble de la stupeur.

Cela bouleversait toute sa routine de fillette bien élevée et paisible. Que faisait donc la maman de Suzette pour laisser sa fille sans déjeuner ?

Son amie avait-elle à son actif de nouveaux exploits répréhensibles pour qu’on la punît de cette manière ?

Elle s’imagina que Suzette avait été condamnée au pain sec et à l’eau et qu’elle avait préféré se sauver plutôt que d’accepter ce repas.

Aussi ne bougeait-elle pas. Elle ne se croyait pas autorisée à alimenter Suzette du moment que ses parents en décidaient autrement.

Suzette dit d’une voix faible :

— Je t’en prie, donne-moi quelque chose à manger.

— Je n’ose pas.

— Pourquoi ?

— Je suppose que tes parents t’ont punie et que tu t’es sauvée, ne voulant pas de leur pain sec.

Suzette eut le courage de sourire en répondant :

— Non… non… tu n’y es pas du tout ! Donne-moi un peu de pain, n’importe quoi, ou je vais perdre connaissance.

Devant ce danger et la pâleur de son amie, Marie se précipita vers la cuisine.

Elle était déroutée par cet événement.

Elle revint apportant une tranche de viande sur une assiette, suivie de la cuisinière avec un plateau sur lequel était du thé.

Suzette remercia de son mieux. Elle regarda le pain, la viande, le jambon et le beurre, mais énergique, elle commença par boire une gorgée de thé avec du lait, afin de ne pas contracter son estomac en lui lançant des aliments solides.

Quand elle sentit qu’il était bien ouvert et prêt, au bout d’une dizaine de minutes, à recevoir de la nourriture substantielle, elle prit l’assiette garnie et mangea posément, lentement.

Marie la contemplait sans un mot. Elle se rassérénait à la vue de son amie reprenant vie et couleurs.

— Cela va mieux, murmura Suzette, je ne savais pas qu’avoir faim, pouvait causer autant de malaise. Ah ! que je plains les pauvres.

À mesure qu’elle se restaurait, elle regardait plus fixement le visage de Marie. Elle finit par dire :

— Depuis que ma faim s’assouvit et que je vois plus clair, il me semble que ta figure est changée. Je te trouve moins laide.

Marie rougit jusqu’à la racine des cheveux.

Elle hésita, puis murmura :

— J’espère, en effet, que je le suis moins.

— Qu’as-tu fait ?

— C’est presque un secret, mais, comme c’est à toi que je devrai d’être plus présentable, je vais te le confier. Maman était désespérée quand tu lui as exprimé ta façon de penser sur nous. Ensuite, elle a réfléchi, et, après s’être renseignée, elle m’a conduite chez une doctoresse. Je suis un traitement pour corriger ma denture, j’en suis un autre pour mes taches de rousseur ; quant à mon nez gonflé, on le soigne, de façon qu’il soit réduit à des proportions moins extravagantes. Mes cheveux, trop roux sont soumis à des lavages qui atténuent leur teinte.

— Que c’est bien ! s’écria Suzette heureuse, tu vas devenir très jolie.

— La doctoresse a assuré à maman, qu’à 18 ans, je serais bien, dit Marie modestement. Je commence à le croire, puisque tu t’aperçois déjà d’un changement en mieux.

— C’est extraordinaire ! Ton œil même ne cligne plus.

— Non, il reste en paix. C’était un tic nerveux et on y remédie. Si on n’y avait pas fait attention, a-t-on dit à maman, mon œil serait devenu minuscule à force de cligner sans arrêt.

— Oh ! que cela aurait été un désastre !

— Aussi quel service nous as-tu rendu à Paul et à moi ! Mon frère suit aussi un traitement, bien que pour un homme, la beauté ne soit pas utile.

— La laideur non plus, riposta Suzette non sans sagesse. Alors ta mère est ravie et m’en veut moins ?

— Elle ne t’en veut plus du tout et a l’intention de vous envoyer une invitation pour les grandes vacances. Mais elle attendait des résultats encore plus satisfaisants, avant de retourner chez ta mère. Ne dis donc rien d’avance.

Marie riait et Suzette était ravie.

Soudain, elle s’écria :

— Il ne s’agit pas d’oublier ma mission ! Bavarder est agréable, mais je n’ai pas de temps à perdre. Je t’ai écoutée parce que je n’en pouvais plus et que j’étais affamée, mais il y a vingt minutes que je suis ici.

— Oh ! interrogea Marie déçue, ne m’apprendras-tu pas ce qui t’est arrivé ?

— Ce serait trop long. Tu le sauras bientôt d’ailleurs. Vite, l’adresse du bureau de ton père ?

Marie donna l’indication que Suzette réclamait et cette dernière se sauva presque en courant :

— Au revoir et merci !

Suzette s’engouffra dans un autobus et arriva devant l’immeuble où M. Brabane avait ses bureaux.

— Je voudrais voir M. Brabane, dit-elle à l’introducteur qui sommeillait dans une antichambre confortable.

Cet homme toisa Suzette d’un air protecteur. Il était grand, elle semblait petite à côté de lui, et il la regarda de haut, sans rien dire, pas encore bien réveillé.

Voyant cette fillette pleine d’assurance, il dit :

— Vous voulez voir M. Brabane… vous avez une lettre d’introduction ?

— Non.

— Il vous a donné rendez-vous ?

— Non.

— Alors, vous croyez qu’on peut déranger ainsi M. Brabane ? vous venez apporter votre tirelire pour faire partie d’une société ?

Le ton goguenard excita l’amour-propre de Suzette qui répliqua fermement :

— Vous allez avertir tout de suite M. Brabane de la présence de Mlle Suzette Lassonat. Vous lui direz que j’ai une chose urgente à lui communiquer, sans quoi, croyez-moi je ne serais pas ici.

Les paroles rapides, autoritaires de Suzette, médusèrent l’homme pour un instant.

Mais le peu de majesté de la visiteuse lui fit encore dire :

— C’est bon… c’est bon… qui me prouve que vous racontez la vérité ?

— Je dis toujours la vérité.

— Ça, c’est encore plus extraordinaire ! Et si on vous questionnait sur ce que je faisais quand vous êtes entrée ici, que répondriez-vous ?

— Que vous dormiez… et j’ajoute, que si c’est ainsi que vous gagnez votre argent, vous ne devez pas être fatigué à la fin de la journée.

— Quoi… qu’est-ce que vous dites ?

— Ne me faites pas répéter, je suis pressée.

— Et vous vous figurez que je vais vous introduire auprès de M. Brabane, alors que vous m’injuriez en me traitant de paresseux ! Je ne connais que ma consigne. Pas de convocation, pas de carte d’introduction, alors, pas de M. Brabane.

Et le Cerbère féroce poussa Suzette vers la sortie. Mais elle était agile. Elle exécuta un saut de côté et se rua sur une porte qui lui faisait face. Elle se trouva dans une seconde antichambre et avant que l’introducteur ait pu la rattraper, elle se précipita sur une autre entrée qu’elle ouvrit. Elle aperçut alors, au fond d’une grande pièce, M. Brabane assis devant un vastebureau et causant avec deux messieurs graves.

— Tiens ! c’est Suzette Lassonat ! comment es-tu venue t’égarer ici ? demanda-t-il en riant.

L’introducteur vaincu, referma doucement l’huis en constatant l’accueil familial fait à la jeune visiteuse.

— C’est pour une affaire sérieuse, précisa la fillette.

— Ah ! dit M. Brabane, sans se départir de son sourire.


Elle exécuta un saut de côté et se rua sur une porte

Puis, il présenta l’amie de sa fille :

— Voici une jeune personne qui dit toujours la vérité quelle qu’elle soit. Cela provoque parfois des drames, mais, comme une sainte, Suzette Lassonat ne s’en soucie pas et garde ferme, le flambeau de la véracité.

— Je viens aujourd’hui pour une vérité qui presse, riposta non sans un peu d’impatience Suzette sur la sellette.

Et, sans laisser à M. Brabane, le temps d’articuler une syllabe, elle narra les événements qu’elle venait de traverser et elle acheva :

— Tout ceci est pour vous rendre service. Vous pouvez vous informer près de ma cousine.

M. Brabane s’écria :

— Je te crois sans hésitation, d’autant plus que j’avais des soupçons : Je faisais surveiller ces bonshommes et la promesse que je leur avais faite était un appât. Je ne m’imaginais pas cependant que tu me serais une auxiliaire aussi précieuse.

L’un des messieurs s’écria :

— Voici une brave jeune fille… une admirable jeune fille ! C’est le dénouement de cette organisation dont vous me parliez, l’autre jour ?

— C’est cela même !

— Vous n’avez plus qu’à courir chez Mlle Duboul, dit l’autre visiteur, et passer au commissariat pour faire arrêter ces malandrins, les mains dans le sac !

— J’attendais l’occasion et je n’espérais pas qu’elle se présenterait si vite et si bien ! Bonne petite Suzette !

— C’est une chance d’avoir parmi ses relations, une enfant aussi observatrice et réfléchie, reprit l’un des deux visiteurs.

Suzette ne paraissait pas entendre ces éloges. Elle ressentait simplement une profonde satisfaction en apprenant que M. Brabane se méfiait de cette Société !

Suzette ainsi n’avait pas de mal pour le convaincre.

Elle le pressa pour partir.

Mais il fallait qu’il téléphonât à la Sûreté.

Toujours le commissaire, murmura Suzette en se souvenant de l’étonnante journée, passée à chercher son frère soi-disant perdu.

Craignant de perdre du temps, M. Brabane chargea ses deux amis de téléphoner à sa place.

Il régla donc une marche à suivre et s’en alla en compagnie de Suzette chez Mlle Duboul.

Son automobile l’attendait à la porte et ils furent rapidement à destination.

La bonne demoiselle n’avait pas cessé d’être agitée et le moindre coup de timbre la faisait tressaillir.

Quand elle vit entrer M. Brabane avec Suzette elle jeta une exclamation de joie. Sans le connaître elle devina que c’était lui et elle fut rassurée.

M. Brabane téléphona à ses amis qui lui dirent que tout était organisé selon leurs plans. Il fallait laisser croire aux escrocs qu’on leur donnait l’argent. Mais ils ne pourraient sortir de la maison avec leur vol.

Mlle Duboul avait candidement préparé son chèque pour les malandrins, mais elle se sentait une toute petite fille auprès de Suzette.

Il fut décidé que cette dernière ne se montrerait pas, afin que les hommes la crussent toujours sous clef.

Et Mlle Duboul en compagnie de M. Brabane attendit l’heure fatale.

Les hommes furent exacts. À dix-huit heures ils se présentèrent et leurs visages étaient radieux.

Quand ils reconnurent M. Brabane, ils furent un moment interloqués, car ils avaient pris rendez-vous avec lui pour le même jour, un peu plus tard.

M. Brabane, souriant, s’empressa de dire qu’il était un des familiers de la maison de Mlle Duboul et qu’il venait souvent lui rendre visite.

Ce fut expliqué d’une façon si naturelle que les hommes furent sans méfiance.

Dans sa cachette, Suzette entendait ces gros mensonges et elle en était terrifiée, mais n’était-elle pas cachée, elle, pour les besoins d’une bonne cause ?

Les visiteurs parlèrent de choses banales pour entamer une conversation et poussèrent même l’hypocrisie jusqu’à demander des nouvelles de la charmante fillette qu’ils avaient vue le matin chez Mlle Duboul.

Cette dernière eut bien du mal à ne pas laisser éclater son indignation, et Suzette, elle aussi, se retint de toutes ses forces, pour ne pas sortir de la pièce où elle se tenait silencieuse et aux écoutes.

Enfin, Mlle Duboul tendit son chèque, dont les escrocs s’emparèrent avec une hâte qu’ils essayaient de dissimuler.

Ils se levèrent de leurs sièges, s’inclinèrent devant la bonne demoiselle en lui promettant des intérêts merveilleux. Ils serrèrent la main de M. Brabane et franchirent le seuil du salon.

Derrière la porte, des inspecteurs de la Sûreté les attendaient. Ce fut pour eux l’affaire de quelques minutes d’enfiler les menottes aux voleurs et de leur reprendre le chèque.

— Nous sommes pris ! cria l’un.

— Qui a pu nous trahir ? s’étonna l’autre.

Ils ne se doutaient guère qu’une fillette était la cause de leur capture précipitée.

Sous bonne escorte, ils furent emmenés et subirent un premier interrogatoire.

Ils commencèrent par protester de leur innocence malgré les premières paroles qu’ils avaient prononcées, attestant leur culpabilité.

Mais quand on leur prouva qu’ils devaient partir le lendemain pour l’Amérique, que leurs places étaient retenues en chemin de fer aussi bien qu’en bateau, ils s’abstinrent de nier davantage.

Leur coup était manqué. Il leur avait semblé cependant, que tout était bien réglé. Ils avaient fabriqué de belles références et se croyaient sûrs de l’impunité.

Ces détails furent sus le lendemain seulement de Mlle Duboul et de Suzette.

La fillette continuait de tenir compagnie à sa cousine qui ne cessait de la complimenter sur son sang-froid. C’est dans ces dispositions que M. Brabane les trouva quand il revint pour leur apprendre les détails concernant la bande des escrocs.

Il restait fort ému de la belle conduite de Suzette et il lui dit qu’il allait féliciter ses parents sans tarder.

Elle l’en dissuada :

— Attendez encore un peu Monsieur. Il vaut mieux que Mme Brabane vienne voir maman quand cela lui sourira. J’ai revu Marie et cela m’a fait grand plaisir. Je sais que sa maman n’est plus fâchée contre moi et j’en suis bien soulagée. Mais je crois qu’il est préférable de laisser agir Mme Brabane, comme elle l’a décidé.

— Mais, objecta M. Brabane en riant, me sera-t-il permis au moins de continuer avec ton père, les pourparlers engagés avec lui ?

— Oh ! oui, répondit Suzette avec élan, et il sera bien heureux !

Elle paraissait si émue que M. Brabane en fut très touché.

— Alors, si j’ai bien compris, ce n’est pas encore le moment de révéler ta belle conduite à tes parents ?

— Non, Monsieur… je craindrais que papa et maman ne s’inquiètent et qu’ils me fassent rentrer de tout suite. Or, maman n’est pas malade, puisqu’elle m’a téléphoné ce matin… sans se douter des événements d’hier… Ici, je rends service à ma cousine Bertille.

— Je vous dis, Monsieur, que cette petite est plus avisée qu’un ambassadeur ! s’exclama Mlle Duboul.

— Je commence à le croire.

Puis, s’adressant à Suzette, il lui répondit :

— Tes raisons sont valables. Attendons ton retour au bercail.

Suzette fut satisfaite de se voir ainsi comprise, et, pour en remercier M. Brabane, elle lui dit :

— J’ai trouvé Marie fort embellie.

— Ah ! Ah !

— Je suis bien contente de constater que son traitement lui réussit.

— C’est à toi qu’on doit ce traitement !

— Tant mieux ! répliqua Suzette avec fierté.

Mlle Duboul fut mise au courant de cet épisode et naturellement, elle s’en amusa. Mais Suzette ne fut pas enchantée des rires de sa cousine à ce sujet.

— Cousine, vous riez et ce n’est pas bien.

Mlle Duboul s’arrêta net, dans sa joyeuse manifestation.

— Que dis-tu ?

— Attention à vous ! chère Mademoiselle, notre Suzette va vous exposer ses théories.

— Cousine, reprit bravement la fillette, je ne trouve pas qu’il y ait lieu de plaisanter. Si j’ai dit que nos amis Marie et Paul étaient laids, c’est que je le pensais sincèrement. Vous voyez que ma franchise a été salutaire et qu’elle a fait réfléchir Mme Brabane… puisqu’elle s’occupe de Marie et de Paul pour les embellir.

— Elle n’a pas sa pareille ! cria Mlle Duboul, au comble de la joie.

Mais cette expansion déplaisait à Suzette cependant, elle ne la releva plus. Elle pensa simplement que sa cousine manquait de jugement.

M. Brabane s’en alla en lui exprimant encore toute sa gratitude.

— J’attendrai donc tes ordres pour la divulgation de tes hauts faits, conclut-il.

— Merci, Monsieur.

Quand M. Brabane fut parti, Mlle Duboul dit :

— Je ne sais pas comment tu vas t’y prendre pour rester modeste ?

— C’est bien simple, répartit Suzette, je ne le serai pas.

— À la bonne heure ! je suis prévenue.

— Pourquoi cacherais-je que je suis contente ? J’ai rendu un service, vous en paraissez enchantés, vous et M. Brabane. Je n’ai qu’à laisser ma joie se manifester aussi. Je ne suis pas modeste au fond de moi, et je suis obligée de me faire des remontrances pour le paraître.

— Si tu n’es pas modeste, tu es brave.

— Peut-être mais j’ai pourtant été désespérée quand je me suis vue dans cette maison. Si ces hommes, m’y avaient oubliée !

— Tais-toi, j’en frissonne d’épouvante !

— Heureusement, j’avais un petit sou ancien, percé, porte-bonheur. Je le conserverai toute ma vie, bien qu’il soit un peu tordu.

Deux jours passèrent durant lesquels, Suzette se montra fort diligente auprès de sa cousine. Elle lui faisait la lecture et écrivait des lettres sous sa dictée.

Les domestiques étaient maintenant pleins de vénérations pour la petite demoiselle qui avait su si bien employer son temps.

Claire disait :

— Elle peut me dire des vérités… je la croirai et je ne me moquerai plus d’elle.

À quoi Virginie ajoutait :

— Je la savais futée, mais pas à ce point-là ! ah ! les enfants d’aujourd’hui ! quand je pense à la bêtise de mes onze ans ! Il est vrai que je n’habitais pas la ville et les enfants de ville, chacun le sait, sont en avance sur ceux des campagnes.

Ainsi Suzette était louangée.

Elle ne pensait cependant, plus trop à cet important événement. Ce qui l’intéressait surtout, c’était l’acheminement des Brabane vers un accord amical avec les Lassonat.

Elle se réjouissait de retrouver Marie si bonne compagne, comme elle savait que Bob serait ravi de revoir Paul.