Sébastopol/3/Chapitre25

La bibliothèque libre.
< Sébastopol‎ | 3
Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 4p. 211-213).
◄  XXIV.
XXVI.  ►


XXV

Mais un autre sort attendait Volodia. Il écoutait le conte que lui narrait Vassine quand soudain éclata le cri : « Les Français s’avancent ! » Le sang afflua au cœur de Volodia. Il se sentit refroidir, ses joues pâlirent. Pendant une seconde il resta immobile ; mais regardant autour de lui, il s’aperçut que les soldats boutonnaient leurs capotes avec assez de calme et sortaient l’un après l’autre. Même l’un, Melnikov, sembla-t-il, dit en plaisantant :

— Allons, les enfants, saluons-les avec le pain et le sel !

Volodia et Vlang, toujours sur ses pas, sortirent du blindage et accoururent à la batterie. L’artillerie ne tirait ni d’un côté ni de l’autre. Ce n’est pas tant l’aspect de tranquillité des soldats que la poltronnerie misérable, non dissimulée du junker, qui excitait Volodia. « Pourrais-je lui ressembler ? » pensait-il. Et vivement il courut vers le parapet, près duquel se trouvait le mortier. Il voyait clairement comment les Français couraient droit sur lui par un endroit libre et comment leur foule, avec des baïonnettes brillant au soleil, s’agitait dans les tranchées les plus proches. Un Français, petit, aux larges épaules, en uniforme de zouave, l’épée au clair, courait en avant et sautait par-dessus les fossés : « Tirez à mitraille ! » cria Volodia en bondissant de la banquette. Mais les soldats avaient déjà opéré sans lui. Un son métallique de mitraille sifflait par-dessus sa tête d’abord de l’un, puis de l’autre mortier. « Premier ! second ! » commandait Volodia, en courant d’un mortier à l’autre et oubliant tout à fait le danger. De côté, on entendait le craquement des fusils de notre couverture et les cris précipités.

Tout à coup un cri perçant de désespoir répété par quelques voix s’entendit à gauche : « Il vient par derrière ! Il vient par derrière ! » Volodia se retourna à ce cri. Une vingtaine de Français se montraient derrière. L’un d’eux, un bel homme à barbe noire, était devant tous. Il s’approcha à dix pas de la batterie, s’arrêta et tira droit sur Volodia, ensuite courut de nouveau sur lui. Pendant une seconde, Volodia restait comme pétrifié et n’en croyait pas ses yeux. Quand il se ressaisit et regarda devant lui, sur le parapet se trouvaient les uniformes bleus, même deux Français à dix pas de lui, enclouaient le canon. Autour de lui, il n’y avait personne outre Melnikov tué d’une balle et Vlang qui attrapait dans les mains une hampe, et avec une expression de fureur sur le visage, les yeux baissés, s’élançait en avant : « Suivez-moi ! suivez-moi, Vladimir Semionitch ! » criait Vlang d’une voix désespérée en brandissant la hampe sur les Français qui venaient par derrière. La figure furieuse du junker le surprit. Vlang frappa à la tête celui qui était en avant. Les autres involontairement s’arrêtèrent ; et continuant à regarder il criait désespérément : « Suivez-moi, Vladimir Semionitch ! Pourquoi restez-vous là ! Courez… » Et il courait dans la tranchée où se trouvait notre infanterie qui tirait sur les Français. En bondissant dans la tranchée il regarda par-dessus pour voir ce que faisait son lieutenant adoré. Quelque chose, allongé, en capote, se trouvait à la place où était Volodia. Et tout cet endroit était plein de Français qui tiraient sur les nôtres.