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Tableau économique

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Tableau économique suivi de Extrait des oeconomies royales de M. de Sully
(p. 1-4).


Fournies par l’agriculture, prairies, pâtures, forêts, &c. En grains, boissons, viande, bois, bestiaux, matieres premieres des marchandises de main-d’œuvre, &c.

Débit réciproque d’une classe de dépenses à l’autre qui distribue le revenu de 600 liv. de part & d’autre, ce qui donne 300 livres de chaque côté : outre les avances qui sont conservées. Le Propriétaire subsiste par les 600 liv. qu’il dépense. Les 300 livres distribuées à chaque classe de dépense peuvent y nourrir un homme dans l’une & dans l’autre : ainsi 600 livres de revenu peuvent faire subsister trois hommes chefs de famille. Sur ce pied 600 millions de revenu peuvent faire subsister 3 millions de familles estimées à 3 personnes par famille. Les frais de la classe des dépenses productives qui renaissent aussi chaque année, & dont environ la moitié est en salaire pour le travail d’homme, ajoûtent 300 millions qui peuvent faire subsister encore un million de chefs de famille à 300 liv. chacun. Ainsi ces 900 millions qui naîtroient annuellement des biens-fonds, pourroient faire subsister 12 millions de personnes de tout âge, conformément à cet ordre de la circulation et de la distribution de revenus annuels. Par circulation on entend ici les achats payés par le revenu, & la distribution qui partage le revenu entre les hommes par le payement des achats de la premiere main, abstraction faite du commerce qui multiplie les ventes & les achats, sans multiplier les choses, & qui n’est que surcroît de dépenses stériles.

En marchandises de main d’œuvre, logemens, vêtemens, intérêts d’argent, domestiques, frais de commerce, denrées étrangeres, &c.

Les achats réciproques d’une classe de dépense à l’autre distribue le revenu de 600 liv.

Les deux classes dépensent en partie sur elles-mêmes, & en partie réciproquement l’une sur l’autre.

La circulation porte 600 liv. à cette colonne, sur quoi il faut retirer les 300 liv. des avances annuelles, reste ici 300 liv. pour le salaire.

L’impôt qui doit être rapporté à cette classe, est pris sur le revenu qui s’obtient par les dépenses réproductives, & vient se perdre dans cette classe-ci, à la réserve de ce qui rentre dans la circulation, où il renaît dans le même ordre que le revenu, & se distribue de même aux deux classes. Mais il est toujours au préjudice du revenu des propriétaires, ou des avances des cultivateurs, ou de l’épargne sur la consommation. Dans les deux derniers cas, il est destructif parce qu’il diminue d’autant la réproduction ; il en est de même de ce qu’il en passe à l’étranger sans retour, & de ce qui en est arrêté par les fortunes pécuniaires des traitans chargés de la perception & des dépenses ; car ces parties de l’impôt détournées ou dérobées par l’épargne aux dépenses productives, ou prises sur les avances des cultivateurs, éteignent la réproduction, retombent doublement en perte sur les propriétaires, & détruisent enfin la masse du revenu qui fournit l’impôt, lequel ne doit porter que sur le propriétaire, & non sur les dépenses réproductives, où il ruine le Cultivateur, le Propriétaire, & l’État.


EXTRAIT
DES ŒCONOMIES ROYALES
DE M. DE SULLY


On voit dans le tableau précédent que dans l’ordre de la circulation réguliere de 600 millions de revenu annuel, ces 600 millions s’obtiennent au moyen de 900 millions d’avances annuelles[1] & qui se distribuent annuellement à quatre millions de chefs de famille. Il y a un million de propriétaires, dont la dépense est estimée du fort au foible à 600 pour chacun[2] & trois millions de chefs de famille, occupés aux travaux ou emplois lucratifs qui, chacun du fort au foible, retirent 300 liv. pour leur dépense ; mais dans cette distribution on suppose,

1.o Que la totalité des 600 millions de revenu entre dans la circulation annuelle & la parcourt dans toute son étendue ; qu’il ne se forme point de fortunes pécuniaires, ou du moins qu’il y ait compassation entre celles qui se forment, & celles qui reviennent dans la circulation ; car autrement ces fortunes pécuniaires arrêteroient le cours d’une partie de ce revenu annuel de la Nation, & retiendroient le pécul ou la finance du Royaume, au préjudice de la reproduction du revenu & de l’aisance du Peuple.

2.o Qu’une partie de la somme du revenu ne passe pas chez l’étranger, sans retour en argent ou en marchandises.

3.o Que la Nation ne souffre pas de perte dans son commerce réciproque avec l’étranger, quand même ce commerce seroit fort profitable aux Commerçans en gagnant sur leurs concitoyens dans la vente des marchandises qu’ils rapportent ; car alors l’accroissement de fortune de ces commerçants est un retranchement dans la circulation des revenus, qui est préjudiciable à la distribution & à la réproduction.

4.o Qu’on ne soit pas trompé par un avantage apparent du commerce réciproque avec l’étranger, en en jugeant simplement par la balance des sommes en argent, sans examiner le plus ou le moins de profit qui résulte des marchandises mêmes que l’on a vendues, & de celles que l’on a achetées : car souvent la perte est pour la Nation qui reçoit un surplus en argent, & cette perte se tourne au préjudice de la distribution & de la réproduction des revenus.

5.o Que les propriétaires & ceux qui exercent les professions lucratives, ne soient pas portés par quelqu’inquiétude, qui ne seroit pas prévue par le Gouvernement, à se livrer à des épargnes stériles qui retrancheroient de la circulation & de la distribution une portion de leur revenu, ou de leurs gains.

6.o Que l’administration des finances, soit dans la perception des impôts, soit dans les dépenses du Gouvernement, n’occasionnent point de fortunes pécuniaires, qui dérobent une partie des revenus à la circulation, à la distribution & à la reproduction.

7.o Que l’impôt ne soit pas destructif ou disproportionné à la masse du revenu de la Nation, que son augmentation suive l’augmentation du revenu de la Nation, qu’il soit établi immédiatement sur le revenu des propriétaires, & non sur les denrées où il multiplieroit les frais de perception, & préjudicieroit au commerce ; qu’il ne se prenne pas non plus sur les avances des fermiers des biens-fonds dont les richesses doivent être conservées précieusement pour les dépenses de la culture, & éviter les pertes des revenus.

8.o Que les avances des fermiers soient suffisantes pour que les dépenses de la culture reproduisent au moins cent pour cent ; car si les avances ne sont pas suffisantes, les dépenses de la culture sont plus grandes à proportion, & donnent moins de produit net[3].

9.o Que les enfants des fermiers s’établissent dans les campagnes pour y perpétuer les laboureurs. Car si quelques vexations leur font abandonner les campagnes, & les déterminent à se retirer dans les villes, ils y portent les richesses de leurs peres qui étoient employées à la culture. Ce sont moins les hommes que les richesses qu’il faut attirer dans les campagnes ; & plus on emploie de richesses à la culture des grains, moins elle occupe d’hommes, plus elle prospère, & plus elle donne de profit net. Telle est la grande culture des riches fermiers, en comparaison de la petite culture des pauvres métayers qui labourent avec des bœufs ou avec des vaches[4].

10.o Que l’on évite la désertion des habitans qui emportent leurs richesses hors du Royaume.

11.o Que l’on n’empêche point le commerce extérieur des denrées du crû ; car tel est le débit, telle est la réproduction.

12.o Qu’on ne fasse point baisser le prix des denrées & des marchandises dans le Royaume ; car le commerce réciproque avec l’étranger deviendroit désavantageux à la Nation. Telle est la valeur vénale, tel est le revenu.

13.o Que l’on ne croye pas que le bon marché des denrées soit profitable au menu peuple ; car le bas prix des denrées fait baisser leur salaire, diminue leur aisance, leur procure moins de travail ou d’occupations lucratives, & diminue le revenu de la Nation.

14.o Qu’on ne diminue pas l’aisance du bas peuple, car il ne pourroit pas assez contribuer à la consommation des denrées qui ne peuvent être consommées que dans le pays, & la réproduction & le revenu de la Nation diminueroient.

15.o Qu’on favorise la multiplication des bestiaux ; car ce sont eux qui fournissent aux terres les engrais qui procurent les riches moissons.

16.o Que l’on ne provoque point de luxe de décoration, parce qu’il ne se soutient qu’au préjudice du luxe de subsistance, qui entretient le débit & le bon prix des denrées du crû, & la réproduction des revenus de la Nation.

17.o Que le gouvernement œconomique ne s’occupe qu’à favoriser les dépenses productives & le commerce extérieur des denrées du crû, & qu’il laisse aller d’elles-mêmes les dépenses stériles[5].

18.o Qu’on n’espère de ressources pour les besoins extraordinaires de l’État que de la prospérité de la Nation, & non du crédit des Financiers ; car les fortunes pécuniaires sont des richesses clandestines qui ne connaissent ni Roi ni patrie.

19.o Que l’État évite les emprunts qui forment des rentes financieres, & qui occasionnent un commerce ou trafic de finance, par l’entremise des papiers commerçables, où l’escompte augmente de plus en plus les fortunes pécuniaires stériles qui séparent la finance de l’agriculture, & qui la privent des richesses nécessaires pour l’amélioration des biens-fonds & pour la culture des terres.

20.o Qu’une Nation qui a un grand territoire à cultiver, & la facilité d’exercer un grand commerce de denrées du crû, n’étende pas trop l’emploi de l’argent & des hommes aux manufactures & au commerce de luxe, au préjudice des travaux & des dépenses de l’agriculture ; car préférablement à tout, le Royaume doit être bien peuplé de riches laboureurs[6].

21.o Que chacun soit libre de cultiver dans son champ telles productions que son intérêt, ses facultés, la nature du terrain lui suggerent, pour en tirer le plus grand produit qu’il lui soit possible ; car on ne doit point favoriser le monopole dans la culture des biens-fonds, parce qu’il est préjudiciable au revenu général de la Nation ; le préjugé qui porte à favoriser l’abondance des denrées de premier besoin, préférablement à celle de moindre besoin au préjudice de la valeur vénale des unes ou des autres, est inspiré par des vues courtes qui ne s’étendent pas jusqu’aux effets du commerce extérieur réciproque qui pourvoit à tout, & qui décide du prix des denrées que chaque Nation peut cultiver avec le plus de profit. Ce sont donc les revenus & l’impôt qui sont de premier besoin pour défendre les sujets contre la disette, & contre l’ennemi, & pour soutenir la gloire & la puissance du Monarque.

22.o Que le Gouvernement soit moins occupé des soins d’épargner, que des opérations nécessaires pour la prospérité du Royaume ; car de trop grandes dépenses peuvent cesser d’être excessives par l’augmentation des richesses.

23.o Qu’on soit moins attentif à l’augmentation de la population qu’à l’accroissement des revenus ; car plus d’aisances que procurent de grands revenus est préférable à plus de besoins pressants de subsistance qu’exige une population qui excède les revenus ; & il y a plus de ressources pour les besoins de l’État, quand le peuple est dans l’aisance, & aussi plus de moyens pour faire prospérer l’agriculture[7].

Sans ces conditions, l’agriculture, qu’on suppose, dans le Tableau, produire comme en Angleterre cent pour cent, seroit une fiction : Mais les principes n’en sont pas certains.

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  1. Si on ajoûtoit l’impôt aux 600 millions de revenu & que l’impôt fût de 200 millions, il faudroit que les avances annuelles fussent au moins de 1200 millions, sans compter les avances primitives, nécessaires pour former d’abord l’établissement des Laboureurs ; ainsi il faut remarquer que les terres les plus fertiles seroient nulles sans les richesses nécessaires pour subvenir aux dépenses de la culture, & que la dégradation de l’agriculture dans un Royaume ne doit pas être imputée à la paresse des hommes, mais à leur indigence.
  2. Les 600 millions de revenu peuvent être partagés à un plus petit nombre de propriétaires : Dans ce cas, moins il y auroit de propriétaires, plus la dépense de leur revenu surpasseroit la consommation que chacun d’eux pourroit faire personnellement, Mais ils feroient des libéralités, ou rassembleroient d’autres hommes pour consommer avec eux ce que leur fourniroit la dépense de leur revenu : ainsi cette dépense se trouveroit distribuée à-peu-près, comme s’il y avoit un plus grand nombre de propriétaires bornés chacun à une moindre dépense. On doit penser de même de l’inégalité des gains ou des profits des hommes des autres classes.
  3. Dans tel Royaume les avances ne produisoient du fort au foible, l’impôt à part, qu’environ 20 pour cent, qui se distribuoient à la dixme, au propriétaire, au fermier, pour son gain, les intérêts de ses avances, & ses risques : Ainsi deficit de trois quarts sur le produit net.
    L’impôt étoit presque tout établi sur les fermiers & sur les marchandises, ainsi il portoit sur les avances des dépenses, ce qui les chargeoit d’environ 500 millions pour l’impôt, les gains, les frais de regie, &c. Et elles ne rendoient à la Nation, à en juger par la taxe d’un dixiéme, qu’environ 400 millions de revenu. Les dépenses productives étoient enlevées successivement par l’impôt, au préjudice de la réproduction. Le sur-faix de l’impôt sur le prix naturel des denrées ajoûtoit un tiers en sus au prix des marchandises dans la dépense du revenu de 400 millions ; ce qui le réduisoit, en valeur réelle, à 300 millions, & portoit le même préjudice au commerce extérieur, & à l’emploi de l’impôt qui rentroit dans la circulation.
    Le commerce réciproque avec l’étranger raporte des marchandises qui sont payées par les revenus de la Nation en argent ou en échange ; ainsi il n’en faut pas faire un objet à part qui formeroit un double emploi. Il faut penser de même des loyers de maisons & des rentes d’intérêt d’argent : car ce sont des dépenses pour ceux qui les payent, excepté les rentes placées sur les terres, qui sont assignées sur un fonds productif ; mais ces rentes sont comprises dans le produit du revenu des terres.
  4. Dans la grande culture, un homme seul conduit une charrue tirée par des chevaux, qui fait autant de travail que trois charrues tirées par des bœufs & conduites par six hommes : Dans ce dernier cas, faute d’avances pour l’établissement d’une grande culture, la dépense annuelle est excessive, & ne rend presque point de produit net. On dit qu’il y a une nation qui est réduite à cette petite culture dans les trois quarts de son territoire, & qu’il y a d’ailleurs un tiers des terres cultivables qui sont en non valeur. Mais le Gouvernement est occupé à arrêter les progrès de cette dégradation, & à pourvoir aux moyens de la réparer. Voyez dans l’Encyclopédie les articles FERMIERS, FERME, GRAINS.
  5. Les travaux des marchandises de main-d’œuvre & d’industrie pour l’usage de la Nation, ne sont qu’un objet dispendieux & non une source de revenu. Ils ne peuvent procurer de profit net dans la vente à l’étranger, que dans les pays où la main-d’œuvre est à bon marché par le bas prix des denrées qui servent à la subsistance des ouvriers ; condition fort désavantageuse au produit des biens-fonds ; aussi ne doit-elle pas exister dans les États qui ont la liberté & la facilité d’un commerce extérieur qui soutient le débit & le prix des denrées du crû, & qui heureusement détruit le petit produit net qu’on pourroit retirer d’un commerce extérieur de marchandises de main-d’œuvre, où le gain seroit établi sur la perte qui résulteroit du bas prix des productions des biens-fonds. On ne confond pas ici le produit net ou le revenu pour la Nation avec le gain des commerçans & entrepreneurs de manufactures ; ce gain doit être mis au rang des frais par rapport à la Nation ; il ne suffiroit pas, par exemple, d’avoir de riches laboureurs, si le territoire qu’ils cultiveroient, ne produisoit que pour eux. Il y a des Royaumes où la plûpart des manufactures ne peuvent se soutenir que par des priviléges exclusifs, & en mettant la Nation à contribution par des prohibitions qui lui interdisent l’usage d’autres marchandises de main-d’œuvre. Il n’en est pas de même de l’agriculture & du commerce des productions des biens-fonds où la concurrence la plus active multiplie les richesses des nations qui possèdent de grands territoires. Nous ne parlons pas ici du commerce de trafic qui est le lot des petits États maritimes ; mais un grand État ne doit pas quitter la charrue pour devenir voiturier. On n’oubliera jamais qu’un ministre du dernier siécle ébloui du commerce des Hollandois & de l’éclat des manufactures de luxe, a jetté sa patrie dans un tel délire, que l’on ne parloit plus que commerce & argent, sans penser au véritable emploi de l’argent, ni au véritable commerce du pays.
  6. On ne doit s’attacher qu’aux manufactures de marchandises de main-d’œuvre dont on a les matieres premieres, & qu’on peut fabriquer avec moins de dépense que dans les autres pays : Et il faut acheter à l’étranger les marchandises de main-d’œuvre, qu’il peut vendre à meilleur marché qu’elles ne coûteroient à la nation, si elle les faisoit fabriquer chez elle. Par ces achats, on provoque le commerce réciproque : car si on vouloit ne rien acheter, & vendre de tout, on éteindroit le commerce extérieur, & les avantages de l’exportation des denrées du crû.
  7. L’idée dominante de la guerre dans les Nations, fait penser que la force des États consiste dans une grande population ; or la partie militaire d’une Nation ne peut subsister que par la partie contribuable : supposeroit-on que les grandes richesses d’un État s’obtiennent par l’abondance d’hommes ; mais les hommes ne peuvent obtenir et perpétuer les richesses que par les richesses, & qu’autant qu’il y a une proportion convenable entre les hommes & les richesses. Une Nation croit toujours qu’elle n’a pas assez d’hommes, & on ne s’aperçoit pas qu’il n’y a pas assez de salaires pour soutenir une plus grande population, & que les hommes n’abondent dans un pays, qu’autant qu’ils y trouvent des gains assurés pour y subsister.