Théorie de la grande guerre/Livre VI/Chapitre 21

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Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 223-225).

CHAPITRE XXI.

défense des forêts.


Rappelons, tout d’abord, que les forêts épaisses et dru poussées sont difficilement praticables, tandis que les forêts cultivées sont toujours percées d’un grand nombre de voies.

Dès qu’il s’agit d’une ligne de défense, il faut éviter avec le plus grand soin les forêts de la seconde espèce, ou, du moins, les laisser derrière soi. Par la raison, en effet, qu’il est généralement le plus faible et que les avantages mêmes de sa situation l’engagent à ne développer son action qu’après avoir pénétré les intentions de l’attaquant, le défenseur est celui des deux adversaires qui a le plus grand besoin d’avoir la vue libre. Or, prendre son front en arrière d’une contrée boisée serait, pour lui, se mettre un rideau devant les yeux et faciliter les investigations de l’attaque. En se plaçant au milieu des bois, le défenseur mettrait, il est vrai, son adversaire dans la même obscurité que lui, mais, ainsi que nous venons de le voir, cette obscurité est particulièrement désavantageuse à la défense.

Par contre, lorsque la ligne défensive est établie en avant d’une contrée forestière, celle-ci cache à l’ennemi tout ce qui se passe dans les lignes intérieures, et, en cas de nécessité, couvre et facilite un mouvement de retraite.

Cependant, ce que nous disons ici ne peut s’appliquer qu’aux contrées boisées en pays plat, et, dès que le caractère montagneux s’accentue, son influence impose aussitôt des dispositions tactiques et stratégiques que nous avons étudiées dans un chapitre précédent.

Quant aux forêts impraticables, et par cette expression nous entendons celles qui ne peuvent être franchies que par certaines routes données, elles se prêtent, comme les montagnes, à la défense indirecte, et lui offrent les mêmes avantages pour une bataille générale. L’armée, plus ou moins concentrée en arrière de la forêt, peut, en effet, attendre l’ennemi et se jeter sur lui au moment où il débouche des défilés. Les forêts de cette espèce présentent dans leurs effets plus d’analogie avec les montagnes qu’avec les cours d’eau ; le passage en est long et pénible. Quant à la retraite, elles la favorisent plutôt qu’elles ne l’entravent.

Par contre, la défense directe des forêts, quelque impraticables qu’elles soient, constitue, même pour une chaîne d’avant-postes très mobile, une opération des plus chanceuses, car des abatis ne forment que des barrières imaginaires, et il n’y a pas de forêts assez impénétrables pour que de petits détachements ne puissent s’y glisser par maints endroits.

Or ces petits détachements agissent ici, par rapport à une chaîne d’avant-postes, comme les gouttes d’eau qui suintent tout d’abord à travers une digue, et sont bientôt suivies de l’irruption générale des eaux.

Mais, lorsque la population d’un pays envahi prend part à la lutte, les forêts, quelle qu’on soit dès lors la nature, prennent une importance bien autrement considérable. Elles constituent, en effet, le véritable élément de l’action des bandes armées, et deviennent, par suite, un instrument de résistance de grande valeur, dès que le plan stratégique de la défense peut contraindre l’attaque à y faire passer ses lignes de communications.