Traité élémentaire de physique (Haüy)/1803/Introduction

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INTRODUCTION.


Les différens points de vue sous lesquels les corps naturels et les phénomènes qu’ils présentent peuvent être envisagés, ont donné naissance à divers genres d’étude, qui se sont multipliés à mesure que le progrès des lumières ajoutoit de nouvelles branches à des sciences déjà formées. L’ensemble de toutes les connoissances qui en résultent a fourni les trois grandes divisions auxquelles on a donné les noms de Physique, de Chimie et d’Histoire naturelle.

Si nous considérons dans les corps des propriétés générales et permanentes, ou si les changemens que subissent ces corps sont passagers, en sorte que la cause qui les a produits n’ait besoin que de disparoître, pour que les corps retournent à leur premier état ; si, de plus, les lois qui déterminent les actions réciproques des mêmes corps se propagent à des distances plus ou moins considérables, les résultats de nos observations restent dans le domaine de la physique. Mais lorsque les phénomènes dépendent d’une action intime que les molécules des corps exercent les unes sur les autres, à des distances presque infiniment petites, et en vertu de laquelle ces molécules se séparent, pour se réunir ensuite dans un ordre différent, et amener de nouvelles combinaisons ou de nouvelles propriétés, l’étude des phénomènes appartient à la Chimie. Enfin, si notre attention se tourne vers les êtres particuliers dont les uns jouissent de la vie et du mouvement spontané, les autres vivent sans se mouvoir par eux-mêmes, et d’autres n’ont qu’une structure sans organisation ; et si notre but est de classer et de décrire ces êtres, le point de vue qui s’offre à nous embrasse toute l’Histoire naturelle, qui comprend seule trois sciences distinguées sous les noms de Zoologie, Botanique, et Minéralogie.

Dans la réalité, toutes les sciences qui se rapportent à la nature ne composent qu’une seule et même science, que nous avons sou-divisée, de manière que les différens esprits pussent partager entre eux l’étude de ses diverses branches, et parcourir chacun toute l’étendue de celle qui a fixé son choix. On ne doit donc pas être étonné s’il arrive souvent que plusieurs sciences se rencontrent auprès d’une même vérité, en sorte qu’il n’y en ait aucune qui ne tienne aux autres par des points de contact plus ou moins nombreux. Et pour tirer un exemple de celle qui est le sujet de ce Traité, les découvertes modernes sur les propriétés des gaz et du calorique ne permettent plus à la Physique de s’isoler de la Chimie, lorsqu’il s’agit des phénomènes dont l’explication appartient à la théorie de l’air ou de la chaleur ; et ici le vrai physicien est celui qui parle le langage du chimiste. Il en est de même de toutes les parties de nos connoissances ; tour à tour elles divergent, se rapprochent, et finissent souvent par se confondre, comme pour nous rappeler qu’elles remontent toutes à une même unité, et que la distinction que nous avons mise entre elles provient uniquement des bornes de notre esprit et de celles du temps qui nous est accordé pour les cultiver. Nous exposerons bientôt le plan que nous nous sommes tracé, pour circonscrire la Physique dans les limites indiquées par le but de notre ouvrage.

Les objets qui concernent l’étude de cette science offrent cet avantage, que nous n’avons besoin que de nous rendre attentifs pour les trouver réunis autour de nous, que les phénomènes qu’ils produisent sont d’une observation familière, et que la scène sur laquelle se développent ces phénomènes nous est sans cesse présente. Les expériences auxquelles sont employés les instrumens qui meublent nos cabinets de physique, ne sont autre chose que des imitations de ces phénomènes, destinées à nous en dévoiler les causes. Le jeu de la machine pneumatique nous instruit sur les propriétés du fluide que nous respirons. Les effets si piquans pour la curiosité qu’offre l’appareil électrique, nous aident à déterminer les lois qui régissent le fluide accumulé dans un nuage orageux. L’aimant, qui semble commander aux mouvemens d’une aiguille de boussole que l’on présente à son action, ne fait que remplacer, pour un instant, le globe terrestre, qui exerce continuellement sur l’aiguille une action du même genre. L’image colorée du soleil, offerte par la lumière qui a traversé un prisme, nous donne une idée de la décomposition que subit le même fluide dans le nuage, qui, au moment où il se résout en pluie, déploie le magnifique spectacle de l’arc-en-ciel. Tous ces instrumens si diversifiés sont autant d’interprètes du langage visible que nous parle sans cesse la nature.

Ce mot de Nature, que nous employons si souvent, ne peut être regardé que comme une manière abrégée d’exprimer, tantôt les résultats des lois auxquelles l’Être suprême a soumis le mécanisme de l’univers, tantôt la collection des êtres qui sont sortis de ses mains. La nature, envisagée ainsi sous son véritable aspect, n’est plus un sujet de spéculations froides et stériles pour la morale. L’étude de ses productions ou de ses phénomènes ne se borne plus à éclairer l’esprit ; elle remue le cœur, en y faisant naître des sentimens de respect et d’admiration à la vue de tant de merveilles qui portent des caractères si visibles d’une puissance et d’une sagesse infinies. Telle étoit la disposition où se trouvoit le grand Newton, lorsqu’après avoir considéré les rapports qui lient partout les effets à leurs causes, et font concourir tous les détails à l’harmonie de l’ensemble, il s’élevoit jusqu’à l’idée d’un Créateur et d’un premier moteur de la matière, en se demandant à lui-même, pourquoi la nature ne fait rien en vain ; d’où vient que le soleil et les corps planétaires gravitent les uns vers les autres sans aucune matière dense intermédiaire ; comment il seroit possible que l’œil eût été construit sans la science de l’optique, et l’organe de l’ouïe sans l’intelligence des sons[1] ?

La véritable méthode pour parvenir à l’explication des phénomènes, est celle qui a été adoptée par le même Newton, et à laquelle les sciences sont redevables des progrès rapides qu’elles ont faits et qu’elles font encore tous les jours entre les mains de tant de savans célèbres, Pour mieux faire concevoir en quoi consiste cette méthode, il ne sera pas inutile de fixer ici, d’une manière nette et précise, l’idée que l’on doit se former de ce qu’on appelle une théorie, d’en faire sentir le but et les avantages, de tracer les limites qui la séparent du système, et qui doivent empêcher de confondre les productions du génie, qui voit la nature, telle qu’elle est, avec celles de l’imagination, qui la fait agir à son gré.

Le but d’une théorie est de lier à un fait général, ou au moindre nombre de faits généraux possible, tous les faits particuliers qui en dépendent. Nos premiers pas dans les sciences ont été dirigés vers la recherche des faits. On s’est attaché à les décrire exactement, à les bien vérifier, à les multiplier. Les uns étoient donnés par la simple observation, et s’offroient comme d’eux-mêmes à une attention éclairée ; d’autres étoient des résultats d’expériences faites avec ces soins, cette adresse et cette sagacité qu’exige ce genre de recherches. Tous ces faits, découverts à différentes époques et par différens observateurs, restoient d’abord comme isolés ; quelques-uns même se présentoient sous l’air du paradoxe, et sembloient être en contradiction avec d’autres faits du même genre. Ainsi l’ascension de l’eau dans les corps de pompe, bornée à une hauteur de trente-deux pieds, mettoit en défaut la physique obscure et inintelligible du temps, qui attribuoit cette ascension à une prétendue horreur de la nature pour le vide. Mais enfin paroissoit le génie auquel avoit été réservé l’avantage de rassembler tous ces anneaux épars, et d’en former une chaîne continue qui en montrât la filiation et la dépendance mutuelle.

Ainsi la théorie de la gravitation universelle ramène les mouvemens célestes, l’aplatissement de la terre et les plus grands phénomènes de la nature, à ce seul fait constaté d’avance par l’observation, que la force de la pesanteur agit en raison inverse du carré de la distance. À l’aide d’une semblable loi, démontrée par l’expérience, relativement aux actions électriques et magnétiques, on voit les différens effets que présentent les corps sollicités par ces actions naître, pour ainsi dire, les uns des autres, en partant d’une origine commune.

Les mots d’attraction et de répulsion, dont on se sert pour indiquer le fait fondamental sur lequel repose la théorie, n’expriment proprement que les vîtesses avec lesquelles les corps tendent à s’approcher ou à s’éloigner les uns des autres. L’essentiel est que, connoissant la loi à laquelle est soumise cette tendance, et y appliquant le calcul, on puisse déterminer tous les autres faits, qui sont comme des corollaires du premier ; et même la théorie a cet avantage, que l’on peut, par son secours, lire avec certitude dans l’avenir, parce que la filiation des faits une fois établie, ce qui a été devient un sûr garant de ce qui sera ; en sorte qu’il dépend du calcul, en faisant un pas de plus, d’appeler un phénomène qui ne se seroit présenté qu’après une suite d’années, et de lui donner une existence anticipée.

Ainsi, l’observation et la théorie concourent également à la certitude et au développement de nos connoissances ; chacune a son flambeau à la main : l’observation dirige les rayons qui émanent du sien sur chaque fait en particulier, de manière qu’il soit mis dans tout son jour, qu’il soit nettement terminé, et qu’il se présente sous sa véritable forme ; la théorie éclaire l’ensemble des faits ; et, à la lumière de son flambeau, tous ces faits, d’abord épars, et qui sembloient n’avoir rien de commun entre eux, se rapprochent ; ils prennent tous un air de famille, et semblent n’être plus que les différentes faces d’un fait unique.

Il est facile à présent de juger combien il y a loin du système à la théorie. Mais commençons par observer que le mot de système peut être pris dans une acception favorable, lorsqu’on l’emploie pour désigner une disposition d’objets relatifs aux sciences. Les géomètres s’en servent pour exprimer un ensemble de corps dont les actions mutuelles se combinent. Dans le langage de la saine Physique, il désigne l’arrangement des corps célestes autour d’un centre commun. Les naturalistes ont aussi leurs systèmes, qui consistent dans une distribution méthodique des êtres, propre à en faciliter l’étude.

Le système, tel que nous l’envisageons ici, pour le bannir de la Physique, consiste dans une supposition purement gratuite, à laquelle on s’efforce de ramener la marche de la nature. C’est un tourbillon, c’est une effluve de matière subtile, c’est tout ce qu’on veut (car tout est possible à l’imagination). À l’aide de cette supposition, qui va toujours au delà des faits donnés par l’observation, on explique tout d’une manière vague et lâche, satisfaisante cependant, en ce qu’il n’en coûte pas plus pour la concevoir que pour l’imaginer. Le système marche ainsi comme au hasard ; toujours errant dans les à peu près, incapable de déterminer aucun fait avec cette précision, cette rigueur qui fait le caractère de la théorie ; en un mot, le système est le roman de la nature, et la théorie en est l’histoire, et une histoire qui, sans jamais cesser d’être fidèle à la vérité, embrasse à la fois le passé, le présent et l’avenir.

Donnons maintenant une idée de l’ordre que nous avons suivi dans la distribution des matières qui sont l’objet de ce Traité, en nous bornant à l’énoncé de ce qu’elles offrent de plus remarquable.

Nous exposerons d’abord les propriétés les plus générales des corps, en commençant par celles qui tiennent de plus près à la nature de ces êtres considérés comme de simples assemblages de particules matérielles : telle est, par exemple, la divisibilité, ou la faculté qu’ont les corps de pouvoir être séparés en parties toujours plus petites. Les autres propriétés générales dépendent de certaines forces qui sollicitent les corps ; telles sont, en particulier, la pesanteur et l’affinité. Après avoir développé les lois de la chute des corps, nous comparerons l’affinité avec la pesanteur, et nous ferons connoître une hypothèse d’après laquelle on pourroit les ramener toutes les deux à un même principe. Nous exposerons, à l’occasion de la pesanteur spécifique, la méthode qui a été suivie dans la détermination de l’unité de poids relative au nouveau système métrique, et nous joindrons à cet exposé un tableau abrégé du système pris dans son ensemble.

À l’égard de l’affinité, nous nous attacherons surtout à donner une idée de la théorie relative à l’un de ses résultats les plus remarquables, savoir l’arrangement symétrique des molécules d’une partie des corps naturels, sous des formes semblables à celles des polyèdres de la géométrie.

De là nous passerons à la considération d’une autre force, savoir celle du calorique, balance plus ou moins l’effet de l’affinité, et souvent finit par le détruire. Nous nous occuperons successivement de l’équilibre du calorique, de la manière dont une partie de ce fluide se combine avec les corps, tandis qu’une autre partie s’échappe, sous une forme rayonnante, de la chaleur spécifique, des effets du calorique pour dilater les corps, les faire passer de l’état de solides à celui de liquides, puis à celui de fluides élastiques. Nous reprendrons ensuite plusieurs détails relatifs aux variations de volume dont les corps solides et les liquides sont susceptibles, et la partie de ces détails qui concerne les liquides, nous donnera lieu d’exposer les principes sur lesquels est fondée la construction du thermomètre.

De toutes ces différentes connoissances, qui appartiennent proprement à la Physique générale, nous passerons à celles qu’embrasse la Physique particulière, et qui ont rapport à certains liquides ou à certains fluides remarquables par l’influence qu’ils exercent dans une multitude de phénomènes naturels.

Le premier est l’eau, que nous considérerons d’abord dans son état le plus ordinaire, qui est celui de liquidité, ce qui nous conduira à donner les principes de l’hygrométrie, et à expliquer les phénomènes des tubes capillaires, et les attractions ou répulsions apparentes des petits corps qui flottent sur l’eau à une petite distance les uns des autres. Nous nous occuperons ensuite de l’eau à l’état de glace et, à cette occasion, nous ferons l’histoire de la congélation du mercure, et nous exposerons les résultats à l’aide desquels on a déterminé le véritable degré de froid auquel elle correspond. Enfin, nous traiterons de l’eau à l’état de vapeur, et nous ferons connaître le parti avantageux que l’industrie humaine a tiré de la grande force élastique que l’eau exerce dans cet état, pour l’appliquer, comme force motrice, aux mouvemens des machines à vapeur.

Les propriétés de l’air fixeront ensuite notre attention ; nous considérerons la pesanteur de ce fluide, son ressort, les effets de sa pression pour faire monter et descendre le mercure dans le tube du baromètre, pour élever l’eau dans les corps de pompe, et pour déterminer le jeu du syphon. La loi selon laquelle décroissent les densités de l’air, à mesure que les couches de ce fluide s’éloignent de la surface de la terre, nous fournira la théorie de la méthode de mesurer les hauteurs à l’aide du baromètre. De là nous passerons aux effets du calorique pour dilater l’air ou pour en augmenter le ressort. Nous exposerons, en parlant du premier effet, les nouvelles recherches qui ont conduit à déterminer le rapport d’après lequel se dilatent tous les gaz, depuis la température de la glace fondante jusqu’à celle de l’eau bouillante.

Dans l’article suivant, nous ferons connoître comment se produit l’évaporation par l’union de l’eau avec l’air, et quelle est la loi à laquelle sont soumises, en général, les dilatations des gaz et des vapeurs, lorsqu’on les mêle ensemble ; puis nous ajouterons quelques détails sur les vents et les météores aqueux. De là nous reviendrons sur les effets de l’évaporation, pour en déduire l’origine des fontaines ; et après avoir parcouru les résultats les plus généraux des propriétés de l’air, nous donnerons l’histoire de la découverte qui a procuré à l’homme l’art jusqu’alors inconnu de s’élever dans ce fluide, et d’y voyager par le secours des ballons aérostatiques.

L’air sera enfin considéré comme véhicule du son, et comme recevant, de la part des corps sonores, un mouvement de vibration qui donne naissance aux sons comparés. Nous établirons la série des rapports d’après lesquels est formée notre échelle musicale, et nous ferons connoître l’expérience des sons harmoniques, attribuée à Sauveur. Nous comparerons la gamme du cor de chasse avec celle qui est en usage et qui a sa source dans l’accord parfait, et nous indiquerons les raisons qui paroissent décider de la préférence en faveur de cette dernière ; puis nous entrerons dans quelques détails sur le tempérament. La manière dont le son se forme dans les instrumens à vent, nous servira à expliquer comment il se propage au milieu d’un air libre, et comment différens sons traversent ce fluide, sans se troubler mutuellement, et apportent à l’oreille des impressions simultanées et en même temps distinctes.

Arrivés à l’exposition des phénomènes électriques, nous donnerons au développement de cette branche de physique une étendue proportionnée à son importance. Nous traiterons d’abord de l’électricité produite, soit par frottement, soit par communication ; et après avoir établi la distinction qui existe entre les différens corps, relativement aux deux modes d’électrisation, nous proposerons l’hypothèse de deux fluides dont les actions se combinent dans la production des phénomènes, comme étant celle qui fournit la manière la plus heureuse et la plus simple de concevoir ces phénomènes. Nous donnerons ensuite la description des expériences qui démontrent que les actions électriques suivent la raison inverse du carré de la distance ; et nous déduirons de cette loi les conséquences qui en résultent par rapport à la tendance qu’a le fluide électrique pour se répandre tout entier sur la surface des corps conducteurs, et à la manière dont il se distribue entre différens corps en contact. Nous ferons l’application des principes précédens aux attractions et répulsions électriques, au pouvoir des pointes pour soutirer ou lancer puissamment le fluide électrique, à la commotion qui accompagne l’expérience de Leyde, et aux effets de plusieurs instrumens particuliers, entre autres de l’électrophore et du condensateur. Nous placerons à la fin de cet article l’exposé des observations qui ont servi à constater l’identité du fluide électrique et de la matière de la foudre, la théorie des paratonnerres, avec des réflexions sur les avantages de ces instrumens, et la théorie de cet effet singulier que l’on a nommé choc en retour, et qui consiste en ce qu’un homme est quelquefois foudroyé loin de l’endroit où l’explosion s’est faite.

Un autre mode d’électrisation, qui a lieu par l’intermède de la chaleur, relativement à diverses espèces de minéraux cristallisés, nous fournira plusieurs détails sur les actions électriques de ces corps, et sur la corrélation que l’on a observée entre leurs formes et les positions des pôles dans lesquels résident les deux Électricités opposées.

Ici s’offrira la nouvelle branche de Physique, connue sous le nom d’Électricité galvanique, et dont le véritable principe se déduit du phénomène découvert par Volta, d’une Électricité excitée par le simple contact de deux métaux différens. Nous exposerons d’abord les expériences faites par Galvani, sur les animaux à sang froid, et les conséquences que l’on en avoit tirées ; puis nous développerons la théorie du célèbre physicien de Pavie, et nous en ferons l’application à la pile qui porte son nom et aux différens effets qu’elle produit. De là nous passerons aux observations faites sur les poissons électriques, tels que la torpille, dont les propriétés connues depuis long-temps paroissent dériver d’une structure analogue à la disposition des élémens de la pile. Nous ferons voir ensuite comment l’Électricité galvanique, liée d’une part avec l’économie animale, a été amenée dans le domaine de la chimie par le phénomène de la décomposition de l’eau ; et nous finirons en réunissant dans une même vue l’ensemble de tous les rapprochemens qui tendent à ne nous montrer, dans l’Électricité galvanique, qu’une modification de l’Électricité ordinaire.

La ressemblance qui existe entre les lois auxquelles sont soumises les actions des aimans et celles des corps idio-électriques, place naturellement la théorie du Magnétisme à côté de celle de l’Électricité. Nous adopterons de même, relativement à l’explication des phénomènes magnétiques, l’existence et les actions simultanées de deux fluides différens. Mais ici la nécessité de faire intervenir à chaque instant, dans le développement de la théorie, la considération de l’action magnétique qu’exerce le globe, exigera qu’avant tout nous donnions une idée de cette action, et de certains faits généraux qui en dépendent. Nous ferons connoître ensuite la méthode qui a servi à prouver que la loi qui préside aux phénomènes du magnétisme, suit la raison inverse du carré de la distance, comme celle d’où dépendent les phénomènes électriques. De là nous viendrons à l’explication des effets que produisent les aimans que nous avons à notre disposition, tels que les attractions et répulsions ; et nous éclaircirons les espèces de paradoxes que présentent plusieurs de ces effets, en particulier celui qui résulte de ce qu’une portion détachée d’un aimant devient tout à coup elle-même un aimant pourvu de ses deux pôles. Suivront les applications des principes de la théorie aux différentes méthodes d’aimanter, surtout à celle du double contact, dont nous analyserons les effets, en même temps que nous indiquerons la manière la plus avantageuse de l’employer.

Dans un dernier article nous reviendrons, avec plus de détail, sur le magnétisme naturel, et nous exposerons tout ce que l’observation et la théorie nous ont appris, relativement à la déclinaison et à l’inclinaison de l’aiguille aimantée, aux variations que l’une et l’autre subissent à mesure que l’on change de lieu, ou par succession de temps dans un même lieu, à ces perturbations locales et passagères que l’on a nommées affollemens, aux phénomènes singuliers que produit le magnétisme du globe sur les verges de fer non aimanté et autres corps semblables que l’on expose à son action ; enfin à l’état de magnétisme habituel où se trouvent, en vertu de cette même action, les différentes mines de fer répandues dans le sein de la terre.

Nous avons réservé pour la fin de l’Ouvrage la plus délicate de toutes les théories, savoir celle qui concerne la Lumière. Nous discuterons d’abord les deux opinions, dont l’une fait consister ce fluide dans une émanation des corps lumineux, et l’autre le suppose répandu dans toute la sphère de l’univers, et animé d’un mouvement de vibration que lui communiquent les mêmes corps ; nous donnerons les raisons qui assurent la préférence à la première opinion. Nous ferons connoître comment on est parvenu à mesurer la vîtesse de la lumière, et nous placerons, à la suite de ces premières notions, la description de l’aurore boréale, considérée comme un simple phénomène de lumière, dont la cause n’a pas encore été bien déterminée. Nous exposerons ensuite les lois de la réflexion et de la réfraction de la Lumière, et les effets les plus généraux de ces deux espèces de déviation, dans le cas où les rayons incidens rencontrent une surface concave ou convexe. Un examen plus approfondi du même sujet nous donnera lieu de considérer les relations que la réflexion et la réfraction ont entre elles, et de ramener l’explication physique de l’une et de l’autre à une action du genre de celles qui s’exercent à des distances presque infiniment petites. Nous retrouverons la même action dans le phénomène connu sous le nom d’inflexion ou de diffraction de la lumière. Pour compléter cette théorie des forces que les corps exercent sur le fluide lumineux, nous développerons les résultats à l’aide desquels Newton avoit lu, en quelque sorte, dans les lois de la réfraction, combinées avec la densité des corps, que le diamant étoit combustible, et que l’eau renfermoit un principe inflammable.

Viendront ensuite les découvertes du même Newton sur la nature de la lumière, considérée comme un mélange d’une infinité de rayons différemment réfrangibles, et offrant, dans leurs couleurs, une gradation imperceptible de nuances qui se rapportent à sept espèces principales. Ce résultat des expériences faites à l’aide du prisme amenera l’explication donnée par le célèbre géomètre Anglais, de la manière dont se forme l’arc-en-ciel, et les conséquences qu’il a déduites du phénomène des anneaux colorés, par rapport aux couleurs naturelles des diverses substances, et à la différence entre les corps transparens et ceux qui sont opaques.

De là nous passerons aux phénomènes de la vision, et après avoir décrit la structure de l’œil, nous considérerons d’abord cet organe dans les circonstances où, guidé par le tact, il acquiert un exercice qui devient comme le fondement des règles d’après lesquelles nous jugeons de la forme, de la grandeur et de la distance des objets. Nous expliquerons ensuite comment le défaut de quelqu’une des conditions que supposent les mêmes règles entraîne l’œil dans ces erreurs que l’on a nommées illusions d’optique, et parmi lesquelles deux des plus remarquables sont, celle qui nous fait juger la lune beaucoup plus grande à l’horizon qu’au méridien, et celle qui naît de ce dérangement apparent des étoiles, connu sous le nom d’aberration.

Aux effets de la Vision naturelle succéderont ceux de la Vision aidée par l’art. Les lois de la réflexion nous feront concevoir comment se produisent les images des objets, telles que nous les offrent les miroirs, soit ceux qui, ayant une surface plane, rendent fidèlement ces images ; soit ceux qui, étant concaves ou convexes, en font varier les formes, les grandeurs et les distances. Nous envisagerons ensuite les effets de la Lumière réfractée, par rapport à la Vision ; et supposant d’abord un milieu réfringent, à surface plane, et un point radieux placé dans son intérieur, nous traiterons la question relative à la détermination du point de concours imaginaire des rayons qui, après être partis du point radieux, se dispersent, par l’effet de la réfraction, en passant dans un milieu différent. Après avoir appliqué la même théorie à la vision des objets situés dans l’eau, nous exposerons un phénomène très-remarquable, qui dépend de la propriété qu’ont certaines substances de doubler les images des objets vus à travers deux de leurs faces prises de deux côtés opposés, et nous essayerons de répandre quelque jour sur la théorie de ce phénomène, en le considérant dans la chaux carbonatée, celle de toutes les substances dont il s’agit qui se prête le mieux à l’observation des diverses circonstances qui le modifient.

Nous développerons ensuite les effets des verres simples qui, au moyen de leur courbure, aident notre vue, ou remédient à ses imperfections. La théorie de ces effets nous conduira à expliquer ceux des instrumens qui résultent de la combinaison de plusieurs verres, tels que les télescopes et les microscopes, et à faire connoître les ressources que l’art a tirées de la réfraction, soit en l’employant seule, soit en la combinant avec la réflexion, pour grossir les objets, les rapprocher, et nous en montrer qui existoient à notre insçu. Nous nous attacherons surtout à présenter avec clarté le principe sur lequel est fondée la construction des lunettes achromatiques, longtemps retardée par l’obstacle que lui opposoit l’autorité de Newton, annoncée pour la première fois comme possible par Euler, et entreprise avec tant de succès par Dollond. Enfin, pour ne rien omettre de ce qu’il y a d’intéressant dans un sujet si varié, nous donnerons une description succincte des instrumens qui, tels que la chambre obscure et le microscope solaire, produisent leurs effets sur un plan qui se présente comme un fond au pinceau de la lumière.

Dans tout ce que nous avons emprunté à la Chimie, nous nous sommes bornés à ce qui étoit nécessaire pour l’intelligence des phénomènes physiques qui dépendent en partie de l’affinité ou de quelque autre force analogue. Nous étions d’ailleurs d’autant mieux dispensés de nous étendre sur les connoissances relatives aux actions de ces forces, que la France est redevable aux travaux des Chaptal[2], des Fourcroi[3] et des Bertholet[4], de plusieurs ouvrages justement célèbres, où ces connoissances et toutes les autres qu’embrasse la même science ont été développées d’une manière qui ne laisse rien à désirer.

Notre but, en composant cet Ouvrage, a été d’offrir un Traité de Physique raisonnée. Nous n’avons cité qu’un petit nombre d’expériences, choisies parmi les plus décisives, et nous avons donné aux conséquences qui s’en déduisent tout le développement convenable. Une explication devient vague, lorsqu’elle est réduite à ce qu’elle a de plus général. Les détails sont, pour ainsi dire, la pierre de touche des théories ; ils en garantissent la justesse, ou en décèlent la fausseté. Ils nous mettent à portée de suivre pas à pas la marche de la Nature ; ils nous font apercevoir tous les rapports qui établissent la dépendance mutuelle des faits, soit entre eux, soit avec le fait qui sert de base à la théorie. Ils amènent ces idées fines qui perfectionnent et liment, pour ainsi dire, la conception d’un phénomène. Les développemens ont de plus cet avantage, qu’ils remplissent des vides susceptibles d’être sentis par ceux qui veulent approfondir, et vont au devant des questions qui laisseroient des nuages dans l’esprit.

En adoptant cette manière de traiter un sujet qui a des ramifications si nombreuses et souvent si délicates, et qui devoit s’étendre à des connoissances très-modernes et encore peu répandues, nous avons senti la nécessité de consulter ; et la reconnoissance nous fait un devoir de témoigner ici ce que nous avons gagné aux entretiens du célèbre Laplace. On sait qu’au milieu de ses sublimes recherches sur l’Astronomie Physique, il a trouvé le secret d’acquérir, dans les différentes branches de connoissances, une supériorité à laquelle parviennent rarement ceux qui n’en ont cultivé qu’une seule.

En nous efforçant d’offrir, à l’aide du simple raisonnement, l’esprit des méthodes géométriques qui servent à démontrer les vérités que nous avions à développer, nous nous sommes crus dispensés d’exposer ces méthodes elles-mêmes : seulement nous avons placé dans les notes quelques résultats qui ne se trouvent point ailleurs, et nous sentons d’avance avec quel plaisir on lira ceux qu’a obtenus, relativement à l’Électricité, notre savant confrère Biot, en nous permettant de les publier, nous a donné une nouvelle marque de l’intérêt qu’il a bien voulu prendre à notre travail.

Ce Traité, désigné par le Premier Consul, au nombre de ceux qui doivent servir à l’enseignement dans les Lycées Nationaux, ne pouvoit paroître sous de plus heureux auspices ; et rien n’étoit plus propre à exciter notre zèle et nos efforts, que l’espoir de concourir aux vues du Héros de la France, pour procurer aux Élèves admis dans ces établissemens le bienfait d’une instruction capable de former leur jugement, de meubler leur esprit de connoissances solides, et d’assurer le succès des fonctions auxquelles ils seront appelés dans la suite. Mais les bornes étroites du temps que nous laissoit l’ouverture prochaine d’une partie des Écoles, et la nature même d’un Ouvrage relatif à une Science dont nous ne nous étions occupés qu’en passant, nous donnent un juste sujet de craindre qu’il ne laisse beaucoup à désirer. Les Maîtres habiles qui l’auront entre les mains, plus faits que personne pour sentir la difficulté d’un pareil travail, le jugeront d’une part avec moins de sévérité, et suppléeront de l’autre à ce qui pourroit y manquer ; et c’est pour nous une double satisfaction de le placer entre leur indulgence et leur sagacité.

  1. Optice Lucis, lib. III, quæst. 28.
  2. Élémens de Chimie.
  3. Élémens d’Histoire Naturelle et de Chimie. Système des Connoissances Chimiques.
  4. Essai de Statique Chimique.