Traité des aliments de carême/Partie 1/De la nature des Legumes, des Grains, des Herbages, des Racines, des Fruits, particulierement usitez en Carême

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Jean-Baptiste Coignard (Tome Ip. 88-258).


DE LA NATURE DES
Legumes, des Grains, des Herbages, des Racines, des Fruits, particulierement usitez en Carême.



Nous avons vû en general dans le premier Article de cette premiere Partie, quelle étoit la nature de ces alimens, nous les examinerons ici en particulier, & nous tâcherons d’en exposer les differentes qualitez, de maniere que chacun puisse connaître ceux qui sont les plus propres à sa constitution & à son temperament, & que les personnes délicates, sur tout, puissent se rendre par ce moïen, le regime du Carême plus facile à pratiquer. Nous nous ferons une loi de ne rien déguiser, & nous découvrirons également ce que ces sortes de nourritures peuvent avoir de bon & de mauvais ; mais nous esperons que ceux qui voudront juger des choses sans prévention, avouëront qu’ici le mal est abondamment compensé par le bien ; & que si parmi les alimens dont il s’agit, il y en a quelques-uns de moins sains, il s’y en trouve un si grand nombre d’autres, qui sont, ou salutaires, ou innocens, qu’il n’en faut pas davantage pour justifier pleinement l’abstinence.




DES LEGUMES,

Et premièrement,
DES FÉVES.



On entend par Legumes, les grains qui viennent en gousses, & qui se cuëillent avec la main[1] à la difference des bleds, des avoines, & de plusieurs autres, qui se scient & se fauchent ; c’est-là le vrai sens du mot de legumes, parmi les Medecins[2] ; & celui où nous le prendrons dans cet Article ; c’est-à-dire, que nous ne mettrons point de ce rang le millet, l’orge, le gruau, le ris, comme font quelques-uns ; & que nous ne parlerons ici que des féves, des pois, des lentiles & des haricots, qui sont les legumes proprement dits, aprés quoi nous viendrons aux grains non legumes.

C’est quelque chose de singulier, que les éloges qu’on donne aux legumes, dans le Traité des Dispenses, pour élever ces alimens au dessus de la viande. Les féves, les pois, les lentilles, les haricots, y sont vantez comme les nourritures du monde les plus legeres. Rien n’est plus soûmis à l’action de l’estomac, ni plus capable de se tourner en ce suc laiteux, qui fait le sang ; rien ne séjourne moins, rien ne fermente moins ; enfin on ne sçauroit trouver une plus parfaite nourriture. Voilà comment on nous parle des legumes dans le Traité des Dispenses du Carême. Mais si nous consultons l’experience, nous trouverons que cet aliment, loin d’être si facile à digerer, ne convient qu’aux plus forts estomacs, & qu’il n’y a guéres que les gens de la campagne, & les Ouvriers, qui en puissent faire impunément leur nourriture ordinaire : il faut entrer dans le détail, commençons par les Fèves.

La Feve est une graine longue, de médiocre grosseur, portée par une plante de même nom, laquelle pousse des tiges de deux à trois pieds de haut : ces tiges sont creuses & quarrées ; il en sort des feüilles grasses, charnuës, un peu longues, rangées par paires sur une côte, terminée en pointe, & des fleurs veluës & crétées, tantôt blanches, marquetées de noir, & tantôt purpurines noirâtres ; à ces fleurs succedent de longues & grosses gousses, qui contiennent quatre à cinq grosses féves. Il y a deux espèces de féves ; la premiere, qui se cultive dans les jardins, est longue & plate, ordinairement blanche, & quelque-fois d’un rouge de pourpre. La plante où elle vient, a les tiges, les feuilles, les fleurs, & les gousses plus grandes.

La seconde espece n’est pas si longue, & au lieu d’être plate comme la première, elle est ronde dans sa longueur ; la couleur, outre cela, en est ou blanchâtre, ou jaunâtre, ou noire. Cette espèce vient sur une plante, dont les tiges, les feüilles, les fleurs, sont plus petites, & dans des gousses plus courtes & plus arondies : elle se cultive dans les champs, & c’est la moindre.

Les féves de la première espece, quoi-que meilleures, ne laissent pas d’avoir de grands défauts ; & l’on peut dire en général, que toutes les féves sont flatueuses, & d’une trés-difficile digestion : qualité qui leur vient de ce qu’elles renferment beaucoup de parties terrestres ; aussi font-elles beaucoup de mal à ceux qui sont sujets ou à des coliques, ou à des difficultez de respirer. Elles deviennent moins flatueuses, lorsqu’on les fait frire avec quelques aromates ; mais elles en sont plus indigestes, & même alors elles resserrent davantage. Nous ne disons rien ici que l’observation ne confirme, & qui n’ait été remarqué par tous ceux qui ont étudié avec soin les qualitez des alimens[3]. Chacun peut se convaincre par soi-même, que les féves sont flatueuses : on prétend cependant dans le Traité des Dispenses, faire voir le contraire, par deux raisonnemens singuliers que voici. Premier raisonnement. Rien n’est moins propre à fermenter & à faire des vents, que ce qui passe aisément, & qui se digere le mieux : or les féves sont telles, selon le témoignage des Sages ; donc rien n’est moins flatueux[4]. Second raisonnement. Les féves sont farineuses, jusqu’au point qu’on s’en est souvent servi à faire du pain ; en sorte qu’elles doivent être de leur nature, aisées à broïer, & soûmises à l’action de l’estomac, donc elles sont peu sujettes à séjourner, à fermenter, & à causer des vents.

Pour ce qui est du premier raisonnement, on accorde à l’Auteur que ce qui passe aisément, & qui se digere le mieux, n’est pas propre à faire des vents. Mais quand il ajoûte que les féves passent aisément, & qu’elles sont du nombre des alimens qui se digerent le mieux, nous ne croïons pas nous trop avancer, de dire qu’il suppose ce qui est en question. On peut, au reste, lui faire le raisonnement suivant : ce qui cause des pesanteurs d’estomac, & produit des vents, ne doit pas être regardé comme un aliment qui passe aisément, & qui se digere bien : or l’experience fait voir que les féves chargent l’estomac, & qu’elles produisent des vents ; donc on ne les doit pas regarder comme un aliment qui passe aisément, & qui se digere bien.

Il nous reste à répondre à ce qu’on ajoûte, sur le sentiment des Sages, quand on avance que la féve, selon leur témoignage, est telle qu’on vient de nous la representer. Quels sont donc ces Sages qui ont dit tant de bien de la féve ? On nous avertit à la marge que c’est Hippocrate & Galien[5] ; mais on ne nous marque point en quels endroits de leurs Livres ils ont tenu ce langage, & on a raison : car ces endroits seroient difficiles à trouver. Hippocrate, qui est du nombre des Sages, sans doute, parle des féves dans le second Livre de la Diette, & dit que les féves fournissent un aliment venteux, qui resserre le ventre κύαμοι τρόφιμόν τι, καὶ στατικὸν καὶ φυσῶδες. Puis, pour expliquer comment les féves peuvent produire cet effet, il dit, que les vents qu’elles causent viennent de ce qu’elles embarrassent les conduits, & qu’elles empêchent par-là le commerce des sucs nourriciers. Il ajoûte qu’elles resserrent, parce qu’elles contiennent beaucoup de matiere terrestre. Galien n’est pas plus favorable à ce legume qu’Hippocrate.

Quant au second raisonnement de l’Auteur, il est vrai que l’on réduit aisément les féves en farine, & qu’on s’est servi quelque-fois de féves pour faire du pain ; mais il faut prouver que cette farine n’est pas lourde sur l’estomac, & que le pain de féves est un pain leger ; aprés quoi on aura raison de conclurre que les féves sont une nourriture qui passe aisément, qui séjourne peu, qui ne fermente point, & qui ne sçauroit exciter des vents.

On soûtient en général dans le Traité des Dispenses, que les pois, les féves, les haricots, ne sont pas capables de fermenter, & qu’ainsi ils ne sçauroient causer aucun trouble dans l’estomac ; mais on peut se convaincre par une experience bien facile, que ces legumes fermentent aisément ; il n’y a qu’à piler des pois, des féves & des haricots séparément, enfermer ensuite chaque sorte de legume dans un vaisseau à part, boucher exactement le vaisseau, & aprés un tems suffisant, examiner ce qu’on y aura mis : on trouvera que chaque legume aura fermenté considerablement ; ce qui se reconnoîtra tout d’un coup, par une odeur désagréable & urineuse qui s’en élevera.

Mais, demande l’Anonyme, d’où viendroient aux féves ces mauvaises qualitez de faire des vents ? [6] « Dira-t-on qu’elles engendrent des sucs grossiers ? On voit cependant moins de ces maladies, qu’on attribuë aux vents, parmi les Païsans & les Pauvres, eux, qui de tous les hommes vivent le plus grossierement ; pourquoi sont-ils moins sujets aux vents, par exemple, & aux coliques, tandis que ceux qui font la meilleure chere, en sont si tourmentez ? D’où vient enfin que l’on croit que les vents qui soufflent sur la terre, viennent d’une matiere chaude, ou qui s’agite, se fermente & s’échauffe étant retenuë ; & qu’on attribue ceux qui fatiguent les malades, à des matieres grossieres, crasses, & visqueuses ? Etrange idée qu’on se fait, de l’œconomie du corps humain ! Peut-on dans une machine où tout se passe avec tant de finesse, de dignité & d’industrie, avoir recours à un tas de crasse & de viscositez. »

L’idée sera aussi étrange qu’il plaira à nôtre Auteur ; mais toûjours il faut convenir de cette maxime d’Hippocrate, que lorsqu’un aliment est de nature à se digerer facilement dans l’estomac, il ne cause ni vents ni colique ; que si au contraire il est tel que l’estomac ne puisse le dissoudre, & le changer qu’à peine, il ne faut alors attendre de cet aliment, que des gonflemens & des douleurs de ventre[7]. Cela supposé, il est facile de comprendre qu’une nourriture trop grossiere & trop terrestre, aïant toutes les mauvaises qualitez qu’il faut pour resister à la digestion, pourra, sans qu’il y ait rien d’extraordinaire, causer les maux que nous disons. Etrange idée qu’on se fait de l’œconomie du corps humain, s’écrie l’Anonyme, on attribue les vents qui fatiguent les malades à des matieres grossieres, crasses & visqueuses. Peut-on dans une machine où tout se passe avec tant de finesse, de dignité & d’industrie, avoir recours à un tas de crasse & de viscositez ? Mais, où cet Auteur a-t-il appris que dans l’état de maladie, les choses se passent avec tant d’ordre & de dignité ? C’est pendant la santé que cet ordre & cette dignité se font admirer ; mais qu’il faille les supposer dans le desordre & le tumulte de la maladie, le paradoxe est nouveau. Quant à ce que l’Anonyme avance un peu auparavant ; sçavoir, que ceux qui vivent des alimens les plus grossiers, sont moins sujets que les autres aux vents & aux coliques, il se trompe encore, n’y aïant guéres de gens plus sujets à ces sortes de maux que les Manœuvres & les Païsans, jusques-là même qu’on peut dire que ce sont comme leurs maladies familieres ; on remarque sur tout que les Paveurs sont de tems en tems attaquez de coliques horribles ; or il n’y a pas de gens qui vivent plus grossierement que ceux-là. Mais voici, selon l’Anonyme, un fait décisif, en faveur des féves. On sçait par experience, dit-il[8], & il cite là-dessus Mundius pour son garand, que « la disette aïant obligé des familles entieres à vivre de fèves, pauvrement apprêtées, on n’en remarqua d’autre inconvenient, sinon qu’on ne vit personne de meilleur teint, & d’une meilleure habitude que ceux qui s’en étoient uniquement nourris. »

Le fait est remarquable, sans doute, c’est dommage seulement que ce soit une fiction de l’Anonyme : voici les paroles de Mundius, que nôtre Auteur s’est bien donné de garde de rapporter. « Nous avons en ce païs, dit Mundius, deux sortes de féves ; l’une, cultivée & assez grosse, donc on a coûtume d’user sur les tables ; & l’autre, sauvage & plus petite, qu’on abandonne aux animaux, comme on leur abandonne aussi l’autre, quand elle est dans sa maturité. Cependant j’ai vû un Païsan, qui étant trés-pauvre, en nourrit ses enfans pendant une grande disette : il faisait boüillir ces féves séches, & les leur donnoit pour tout aliment. Ces pauvres enfans ne laisserent pas, quoi-que ainsi nourris, de se porter si bien, qu’à peine remarquoit-on dans les enfans des autres, une meilleure santé & un meilleur visage : ce qui montre bien que les féves séches, quand l’estomac est une fois accoûtumé à les supporter, ne laissent pas de nourrir abondamment. » Nobis duplex est fabarum genus, quarum majori hortensi, frequentius in cibum utimur, minus agreste est quod uti & alterum cum maturuerit jumentis relinquimus. Tamen Rusticum novi pauperem qui in gravi annonæ difficultate, eis folis elixis, nec aliâ re liberos aluit. Pueris tamen ita pastis, meliùs coloratos aut habiliores vix alios videres. Unde constat copiosè nutrire fabas aridas, postquam ventriculus eas ferre assueverit[9].

Ces Familles entieres, dont parle l’Anonyme, se réduisent donc, comme on voit, à deux ou trois enfans, qui appartiennent à un Pauvre de la Campagne, & que la misere de leur condition a déja accoûtumez aux mauvaises féves qu’on leur donne. Que devient aprés cela la preuve de l’Auteur, & quelle consequence tirer d’un fait qu’il a imaginé à plaisir ?

Qu’il recommande donc tant qu’il voudra l’usage des féves, elles n’en deviendront ni plus saines ni plus nourrissantes. Quant à cette derniere qualité, il dit que c’est à tort qu’on les accuse de nourrir trop peu, puisque du tems des Romains, elles étoient la nourriture des Artisans, & entr’autres, des Forgerons. Mais sans remonter jusqu’au tems des Romains, elles sont encore aujourd’hui la nourriture des Ouvriers qui travaillent le plus. Que s’ensuit-il de-là ? l’estomac d’un Artisan, & sur tout d’un Forgeron, doit-il servir de regle ? Un aliment ne nourrit qu’autant qu’il se digere : or la féve se digere-t-elle aussi facilement dans l’estomac d’un homme de Lettres, par exemple, que dans celui d’un Forgeron ? Il n’est pas étonnant, au reste, que l’Anonyme qui a supposé comme une maxime incontestable, que ce qui engraisse le cheval & le bœuf, doit aussi engraisser l’homme, puisse s’imaginer que ce qui nourrit le Forgeron, soit une nourriture convenable à tout le monde.

Nous ne quitterons point cet Article sans remarquer que nôtre Auteur trouve dans le nom Latin de la Féve[10], une marque incontestable de l’ancienne noblesse de ce legume, & du cas qu’on en a fait dans l’Antiquité la plus éloignée. Faba, dit-il, approche de Faga, qui vient de φαγεῖν manger. Cette étymologie, qu’il croit indubitable, parce qu’elle est dans les Origines d’Isidore, lui paroît une des bonnes preuves qu’on puisse apporter, pour montrer que la féve merite rang parmi les meilleures nourritures[11] ; mais cela n’empêche pas qu’elle ne soit telle que nous avons dit. Nous conseillons sur tout à ceux qui ont de la disposition à la gravelle, d’éviter cet aliment, & tous les legumes en general. De sçavans Medecins ont déja donné le même avis[12] & l’observation ne justifie que trop leur sentiment. Les féves contiennent une substance séche & terrestre, qui ne peut fournir qu’une nourriture trés-grossiere ; & Horstius les défend pour cette raison aux personnes qui ne sont pas extrêmement robustes, & à celles qui sont sujettes aux maux de tête. Fabæ crassius ob terrestrem ac siccam naturam suam, alimentum præbent, non nisi robustioribus exhibendæ, quas meritò declinant illi qui passionibus capitis sunt obnoxii[13].


DES HARICOTS.


Les Haricots sont des grains un peu longs & épais, la plûpart blancs ; les autres noirs ; les autres rouges ; les autres marquetez, lesquels ont la figure d’un petit rein, & viennent dans des gousses portées par une plante gresle, qui s’étend fort au large, dont les feüilles qui naissent trois sur une queuë, sont de la grandeur & de la forme de celles du lierre ; mais plus molles, plus veineuses, moins lisses, & d’un vert moins foncé. Ces grains, nommez en Latin Phaseoli ; en François, Feveroles, Haricots ; & en quelques Provinces, comme dans le Lionnois, Faseoles ou Fasoles, sont un aliment trés-commun en Carême ; mais dont il est bon de ne manger que fort peu ; car il produit beaucoup de vents, charge l’estomac, & fait un sang épais & grossier, qui étant porté à la tête, l’appesantit considerablement. Il n’y a que des temperamens forts & robustes qui puissent s’accommoder de l’usage frequent de cette nourriture, & les personnes un peu délicates la doivent éviter. C’est la remarque de tous les Medecins, & entr’autres, du sçavant Pisanelli[14] qui a encore moins consulté en cela le témoignage des Auteurs, que celui de l’experience. A la verité les haricots, comme l’observe Hippocrate[15], mettent un peu moins la santé à l’épreuve, que ne font les féves ; ils sont moins venteux, & ne se digerent pas avec tant de peine ; mais pour être moins mauvais que les féves ; il s’en faut de beaucoup qu’ils soient sains. Le Haricot abonde en parties grossieres & terrestres ; il contient sur tout un sel fixe peu convenable aux personnes qui menent une vie sedentaire ; & il n’y a guéres que ceux qui sont accoûtumez à un grand exercice de corps, lesquels puissent s’en nourrir utilement.


DES POIS.


Les Pois sont des legumes ronds, d’une mediocre grosseur, lesquels viennent dans de longues & grosses gousses, sur des tiges minces, creuses & fragiles ; garnies, comme l’on sçait, de feüilles longuettes, dont les unes sont disposées en collet autour de leur tige, les autres naissent comme par paires sur des côtes terminées par des mains ou tenons. Il y a des pois de plusieurs especes ; ils se réduisent à trois principales ; les premiers sont verds au commencement, & deviennent blancs ou jaunâtres en séchant ; ils succedent à des fleurs blanches marquées d’une tache purpurine, & sont renfermez dans de grandes gousses ; les seconds ont une belle couleur variée, blanche & rouge ; les fleurs qui les précedent sont de couleur purpurine au milieu, & incarnate tout autour ; ils naissent aussi dans de grandes gousses, & ces gousses ont cet avantage sur les autres, qu’elles sont bonnes à manger ; les troisiémes sont blancs & petits, & renfermez dans des gousses plus petites ; la fleur, à laquelle ils succedent, est blanche. La premiere & la troisiéme espece se cultivent dans les champs, la seconde dans les jardins. Toutes ces sortes de pois sont en usage parmi les alimens, & surtout en Carême ; ils abondent en acides & en parties terrestres, & renferment peu de parties sulfureuses ; ils sont flatueux, parce que leur acide fait gonfler les matieres dans les premieres voies. Quand on en mange beaucoup, ils fournissent un suc visqueux & épais, qui ne pouvant se distribuer aisément dans le corps, fait des obstructions & des embarras, d’où naissent des coliques ; sur quoi nous remarquerons que sans un certain sel qu’ils renferment, & qui ébranlant doucement les glandes intestinales, oblige quelque-fois le ventre à s’ouvrir, ils seroient beaucoup plus dangereux. La purée épaisse qu’on en tire, est trés-pesante sur l’estomac, parce qu’elle a laissé dans la décoction les sels dont nous parlons, & que ce n’est presque que de la terre. Le boüillon de pois, pourvû qu’il soit bien clair, n’a rien de mal sain ; & comme il est tout chargé de ces sels que l’eau a détachez, on s’en peut servir utilement, pour lâcher le ventre en certaines occasions, sur tout quand il s’agit de remedier à des coliques excitées par cette sorte de legume : voici là-dessus un exemple, dont nous avons été témoins.

Le Carême dernier un Ecclesiastique fort zelé aïant commencé de rompre l’abstinence, à cause d’une indisposition considerable qui lui étoit survenuë, se mit à lire par occasion le Traité des Dispenses, l’éloge qu’il y trouva des pois & des féves, fit impression sur lui, il crut que sa conscience & sa santé demandoient qu’il se mît à l’usage du maigre, & sur tout des pois & des féves. Il ne délibera pas, & pendant quatre jours il vêcut uniquement de pois & de féves. Le premier jour il sentit de grandes pesanteurs d’estomac ; mais comme il venoit de lire que les pois & les féves passoient aisément, & que de toutes les nourritures, c’était celle qui se digeroit le mieux ; il attribua cette pesanteur à une autre cause. Le second, la fiévre le prit avec un grand mal de tête ; mais se souvenant encore d’avoir lû que ces legumes contenant peu de volatil, & aïant quelque chose de fixe, étoient incapables d’échauffer, & ne pouvoient exciter aucune fermentation ; il se calma sur cet accident, comme sur le premier. Le troisiéme jour il fut attaqué d’une colique violente, qui commença à cinq heures du matin, & ne cessa que sur les dix heures, quoi-que pour la faire passer on eût recouru à diverses sortes de remedes. Alors commençant à se défier de son regime, & ne voulant rien avoir à se reprocher, il consulta de nouveau l’Article des legumes dans le Traité des Dispenses ; il y trouva que la bile étoit la cause efficiente de la colique ; que les pois & les féves n’étoient pas de nature à se convertir en bile ; & qu’ainsi ils ne pouvoient exciter la colique ; cette raison le rassura, & le lendemain il continua l’usage des mêmes legumes. La colique revint sur les trois heures aprés midi, avec une si grande violence, que le malade ne pouvant plus se dissimuler que sa maniere de vivre ne fût la cause de son mal, renonça aux pois & aux féves, & implora le secours d’un Medecin de son voisinage, auquel il raconta ce qui s’étoit passé ; le Medecin, qui le trouva encore dans le fort de sa colique, ordonna qu’on fît cuire deux poignées de pois dans une pinte d’eau de riviere, jusqu’à ce qu’ils fussent bien ramollis ; puis de verser cette eau par inclination dans un vaisseau à part, & de la faire boire un peu chaude au malade en quatre prises, à certaine distance les unes des autres. La chose fut ponctuellement executée, & le malade n’eut pas avalé la troisiéme prise, que le ventre commença à s’ouvrir, & que la colique cessa. On donna la quatriéme dans le tems marqué, & cette derniere prise fut suivie d’une évacuation abondante, qui emporta, selon toutes les apparences, la cause du mal, puisque la colique ne revint plus.

On demandera, peut-être, comment la décoction de pois peut guerir une maladie excitée par les pois. Il ne faut, pour le comprendre, que se souvenir de ce que nous venons de remarquer, touchant les sels de ce legume, qui sont capables de picoter doucement les glandes intestinales : car, cela supposé, il est facile de juger que ces sels, qui se trouvent trop embarrassez dans la substance grossiere & terrestre des pois, venant à s’unir ensemble, par le moïen de l’eau qui les a détachez de la matiere où ils étoient enveloppez, doivent avoir une action plus libre, pour faire sur les intestins les picotemens nécessaires, & détacher en même tems par ce moïen, des glandes intestinales, une certaine serosité, dont le propre est d’ouvrir & de relâcher. On avertit donc ici ceux, qui sans avoir l’estomac bien robuste, veulent manger des pois & des féves pendant le Carême, de ne le point faire sans prendre devant ou aprés quelque bouillon de pois fort leger.


DES LENTILLES.


Les Lentilles sont de petites semences rondes & plates, convexes au milieu, minces vers les bords, dures, lisses ; les unes blanches, les autres jaunes, les autres rougeâtres, les autres noirâtres, lesquelles viennent dans de petites gousses portées par une plante haute d’environ un pied ou un pied & demi, dont les feuilles ressemblent assez bien à celles de la vesce, si ce n’est qu’elles sont plus petites. Ces semences sont de deux especes ; la premiere est deux fois plus petite que l’autre ; & la plante où elle vient, est aussi moins grande & moins belle que celle de la seconde ; la fleur, outre cela, en est blanchâtre, au lieu que celle de la seconde est tout-à-fait blanche.

Les lentilles, soit de la petite, soit de la grande espèce, sont un aliment pour le moins aussi grossier que les féves : elles renferment un sel âcre abondant, beaucoup de parties terrestres, & peu de parties sulfureuses ; par où il est aisé de juger de leurs mauvaises qualitez. Hippocrate[16] a remarqué qu’elles causoient des chaleurs dans l’estomac, qu’elles troubloient les humeurs, & qu’elles nuisoient à la vûë. On en conviendra, si on s’en rapporte à l’experience, & quoi-que l’Auteur du Traité des Dispenses nous dise que « le seul nom que portent les lentilles, doit nous prévenir en leur faveur, puisqu’il donne l’idée de quelque chose de lenitif lens à linitate ; » nous ne ferons pas difficulté de negliger le nom de la lentille, pour consulter ce qu’elle est en elle-même : or il est constant, comme le remarquent de sçavans Medecins, que jamais Praticien experimenté, n’a trouvé que le frequent usage de ce legume fût salutaire. En effet, comme ces Medecins l’observent encore, & comme l’experience le fait voir, les lentilles sont d’une substance grossiere & terrestre ; elles engendrent un sang épais & melancholique ; elles appesantissent la tête & les yeux, ce qui les rend trés-dangereuses aux gens de Lettres ; elles produisent outre cela un suc atrabilaire, d’où peuvent naître quelque-fois des cancers, & plusieurs autres maladies de cette nature. A la verité la décoction de lentille lâche le ventre ; mais pour la lentille en substance, elle n’a jamais produit aucun bon effet, quoi-qu’en puissent dire les Medecins Arabes, qui n’ont introduit que trop d’erreurs dans la Medecine[17].

L’Auteur du Traité des Dispenses, voulant recommander les lentilles, observe que l’usage en étoit anciennement trés-commun chez les Egyptiens ; la remarque est vraie ; nous ajouterons même que ces peuples accoûtumoient de trés-bonne heure leurs enfans à cette nourriture ; mais nous remarquerons en même tems que c’est à un tel usage que de sçavans Medecins attribuënt la lepre, à laquelle les Egyptiens étoient sujets. Ægyptiis frequentissimus lenticulæ usus, adeò ut peros à teneris annis lenticulâ statim nutriant, ut Auctor est Athenæus, Lib. IV. undè non est mirum si maximè elephantiasi incolæ corripiantur, quòd edulio hoc melancholicum humorem cumulante assiduo nutriantur[18]. Pline dit que si on en croit quelques Auteurs, l’usage des lentilles procure à l’homme cette égalité d’ame qui fait le Philosophe[19] : ce témoignage n’a pas été oublié dans le Traité des Dispenses ; mais on s’est bien gardé d’observer avec le docte Nonnius, que c’est une imagination qui a été sifflée dans toutes les Ecoles de Medecine, les lentilles y étant regardées comme une nourriture, dont le frequent usage peut causer les maladies les plus dangereuses[20]. Mais, dira-t-on, Heraclide Tarentin, cet ancien & fameux Empirique, conseilloit neanmoins les lentilles aux sains & aux malades. Cet exemple paroît d’un grand poids à nôtre Auteur, nous l’examinerons dans un moment.

Les lentilles deviennent quelquefois extrêmement dures, & on en trouve qui sont presque pétrifiées : ce qui marque que ce legume abonde en sel fixe, & ne peut être par consequent une nourriture favorable à la santé. Observatæ sunt lapidescere, certissimo argumento, sale fixo eas abundare, valetudini maxime noxio[21], remarque Simon Paulice qui fait dire à ce sçavant homme, qu’il souscrit absolument à l’arrêt de ceux qui condamnent les lentilles à ne jamais paroître sur les tables[22] ; iis authoribus qui lentium nobis usu, seu alimento interdicendum, aut penitus è culinis eliminandas eas esse statuunt, emninò subscribendum reor.

Quelque mal sain que soit le legume dont nous parlons, l’experience a appris qu’on peut le rendre moins malfaisant en y mêlant de la poirée ; la raison de cela est que le suc de poirée renferme un sel nitreux qui lâche le ventre, & qui prévient par-là une partie des mauvais effets que la substance trop terrestre de la lentille pourroit causer ; ce n’est qu’avec ce correctif, qu’Heraclide Tarentin, dont nous venons de faire mention, permettait d’en manger[23] ; & c’est de quoi nous avertissons ceux qui alleguent l’exemple de ce sçavant Empirique, comme une décision en faveur des lentilles. Nous remarquerons même qu’Heraclide faisoit mêler tant de poirée avec les lentilles, que ce mélange étoit appellé τευτλοφάκη, c’est-à-dire, composition de poirée & de lentilles. Un ancien Medecin a dit que la nature sembloit avoir mis dans les lentilles tout ce qu’elle avoit de plus mauvais, & que ce legume étoit tel qu’on ne pouvoit le corriger entierement, de quelque maniere qu’on l’apprêtât[24]. Cette opinion avoit tellement prévalu chez les Anciens, qu’ils prétendoient qu’il ne falloit pas moins que la prudence du plus sage pour le sçavoir apprêter : de-là étoit venu ce proverbe si commun parmi eux : Que le sage réüssissoit à tout, jusques même à apprêter des lentilles. Sapiens omnia bene facit, quin etiam lenticulam rectè condit[25]. Proverbe que l’Auteur du Traité des Dispenses paroît n’avoir pas entendu, lorsque pour l’expliquer il dit, que sur ce qui regarde les lentilles, il faut s’en tenir à la maxime des Stoïciens, qui faisoient consister toute la sagesse d’un Philosophe à faire tout avec modération, & se contenter de lentilles, qui n’eussent d’assaisonnement qu’autant qu’il leur en falloit pour se laisser manger[26].

Nous avons observé plus haut, que, selon Hippocrate, les lentilles causoient des chaleurs dans l’estomac, & troubloient les humeurs : il ne faut pas oublier ici de rapporter une explication singuliere que l’Anonyme veut donner de ce sentiment d’Hippocrate.

« Hippocrate, dit-il, ne paroîtroit pas trop convenir de tant de belles qualitez qu’on attribuoit autrefois aux lentilles, ou pour mieux dire, il ne paroîtroit pas trop s’accorder avec lui-même, en ce qu’il pense sur ce legume[27]. Dans un endroit il accuse les lentilles d’échauffer, & de porter le trouble dans les fonctions : dans un autre il met les lentilles au rang des choses froides, comme sont les courges ; tantôt il les range avec les astringens, comme le millet, tantôt il en recommande la décoction, aprés les purgatifs. Mais cette variation de sentiment vient apparemment des differentes manieres de préparer alors les lentilles. Ce qu’il dit, par exemple, de la chaleur & du trouble qu’excitent les lentilles, pourroit s’entendre d’un certain breuvage de lentilles, qui étoit d’une odeur relevée, où entrait le sel, le miel, le cumin, & l’huile. »

N’en déplaise à l’Anonyme, Hippocrate se seroit encore plus mal accordé avec lui-même, si lorsqu’il a avancé que les lentilles causoient des chaleurs, & troubloient les fonctions, il avoit entendu parler de ce breuvage, appellé de son tems, φακὸς ἐνώδης, Lenticula odorata, dans lequel entroient le sel, le miel, le cumin & l’huile[28], puisqu’il conseilloit ce breuvage dans le tems même de la fiévre, & qu’il le conseilloit comme un breuvage innocent, incapable d’exciter aucun trouble dans les humeurs, & qui ne pouvoit être que favorable à l’estomac[29]. Comment donc justifier ici Hippocrate ? Il vaudroit mieux ne point entreprendre de le faire, que de s’en acquiter si mal ; mais aprés tout, la chose n’est pas si difficile. Hippocrate, nous dit-on, accuse dans un endroit, les lentilles d’échauffer, & de porter le trouble dans les fonctions ; & dans un autre, il le met au nombre des choses froides, comme sont les courges. Cela est vrai ; mais il n’y a rien en cela qui ne s’accorde parfaitement avec les principes d’Hippocrate, qui prétend que tout ce qui est froid, resistant à la digestion, doit causer du trouble dans l’estomac, & échauffer à la fin considerablement, comme on ne manque guéres de l’éprouver, quand on a bû ou mangé quelque chose d’une qualité trop froide, & qu’on en a trop pris. Si l’Auteur est Medecin, comme il le veut faire croire, il doit sçavoir que les melons, par exemple, qui sont tres-froids, causent souvent des coliques, & d’ardentes fiévres. Hippocrate, dans le Livre de l’ancienne Medecine, fait voir, par plusieurs exemples familiers, que les choses trop froides ne manquent presque jamais d’exciter en nous de la chaleur, & cet endroit ne sçauroit être trop lû de ceux qui s’imaginent que ce qui est froid ne doit jamais produire dans le corps que du froid, & que ce qui est chaud n’y sçauroit causer non plus que du chaud. Quand donc ce grand homme dit dans un endroit, que les lentilles causent des chaleurs, & dans un autre, qu’elles sont du nombre des choses froides, il ne dit rien qui renferme la moindre contradiction.

L’autre apparence de contrarieté que l’Anonyme trouve dans ce qu’Hippocrate dit des lentilles, c’est d’avancer que ce legume est astringent, & puis dans un autre endroit, d’en recommander la décoction aprés les purgatifs. Mais si l’Anonyme avoit consulté ces endroits dans Hippocrate même, il n’auroit trouvé en tout cela aucune apparence de contrarieté, puisqu’il auroit vû en premier lieu, que lorsque ce grand homme prononce que les lentilles sont astringentes, il a soin d’avertir en même tems que c’est lorsqu’on les mange entieres, & avec leur écorce : φακὸς δὲ στύφει καὶ ἄραδον ἐμποιέει ἢν μετὰ τοῦ φλοιοῦ ᾖ[30] or la décoction de lentille, & la lentille en substance, ont des qualitez bien differentes ; l’une lâche le ventre par certains sels dont elle s’est empreinte ; & l’autre le resserre par les parties terrestres, dont elle est presque toute composée. Ainsi il n’y a point tant à s’estonner qu’Hippocrate mettant la lentille en substance au rang des astringents, conseille neanmoins la décoction de lentille, pour aider à l’action des purgatifs. Voilà ce que nôtre Auteur auroit pû répondre, s’il s’étoit donné la peine d’étudier un peu plus Hippocrate.

Nous finirons l’Article des legumes, en remarquant 1o. que les pois, les féves, les lentilles, les haricots, sont du nombre des alimens que les Medecins défendent en tems de peste, tandis qu’ils permettent alors les poulets, les chapons, les coqs-d’inde, les perdrix, les phaisans, les chévreaux, les levraux, &c.[31] 2o. Qu’Hippocrate rapporte que dans une ville de Thrace il arriva, pendant une certaine disette, que ceux qui vêcurent de legumes, hommes, femmes, devinrent perclus de leurs jambes, sans pouvoir ensuite guerir, par quelque remede que ce fût.

Nous ne prétendons pas, au reste, décrier ces sortes d’alimens, comme absolument mauvais ; mais nous soûtenons qu’ils ne conviennent qu’aux bons estomacs ;

Et Faba fabrorum, prototomique rudes.[32]

Que les personnes délicates n’en doivent que trés-peu manger, ou n’en point manger du tout & qu’Hippocrate remarque fort à-propos, que de quelque maniere qu’on les mange, soit frits, ou boüillis, soit verds, ou dans leur maturité, ils sont toujours flatueux, à moins que pour en corriger la mauvaise qualité, on n’en use avec d’autres alimens[33]. Ce qui fait dire à un sçavant Moderne, que les legumes, tels que les pois, les lentilles, les féves, les haricots, &c. ne peuvent convenir qu’à ceux qui ont le ventre trop abbatu. Legumina, uti sunt pisa, lentes, fabæ, phaseoli, cicera, &c. Flatulenta equidem omnia censentur, atque ideò iis fortasse salubria quibus abdomen collapsum est[34]. Au reste, tout ce que nous avons avancé sur les legumes, se trouve justifié par une importante remarque de Sanctorius, qui est que l’usage de ces sortes d’alimens empêche la transpiration[35], reproche, qui doit faire redouter les legumes à tous ceux qui ne sont pas d’une forte complexion, & qui menent une vie sédentaire.


DES GRAINS,

non Legumes,
Et premièrement,
DU MILLET.



La graine de MILLET, ainsi appellée, parce qu’on la trouve comme par milliers, sur la plante qui la porte, est une semence ovale, ou presque ronde, jaune, dure, luisante, & la plus petite de toutes les graines qui se mangent. Elle vient sur un chaume ou tuïau, qui est haut d’une coudée, gros, noüeux & cotonneux, dont les feüilles ressemblent à celles du roseau, & où sont des épis qui naissent par bouquets aux sommitez des branches. Ce grain, dont on fait une espece de boüillie, assez usitée en quelques endroits pendant le Carême, est une nourriture peu convenable à ceux qui jeûnent ; sa qualité propre étant de dessécher le corps, sans fournir presque aucun suc capable de le soûtenir. Aussi le millet est-il le plus sec de tous les grains, quoi-qu’il croisse dans des lieux sombres & humides. L’Auteur du Traité des Dispenses avouë lui-même que le plus grand merite de ce grain, c’est de croître aisément, de pulluler beaucoup, & de se conserver sans peine, quand tous les autres grains manquent ; en sorte qu’on y trouve au moins de quoi s’empêcher de mourir de faim. Nous ajoûterons à cela, que le millet meriteroit plûtôt place parmi les médicamens, que parmi les alimens ; l’eau où il a boüilli, pousse puissamment par les sueurs & par les urines[36] ; & c’est une ptisanne, dont on se sert avec succés contre les fiévres tierces[37]. Il est encore bon contre les cours de ventre : & quand on veut s’en servir à cet usage, on le fait cuire avec de l’huile. Hippocrate dans le Livre second des Maladies populaires, recommande fort ce remede. Au reste, le millet est peut-être le plus friable de tous les grains ; en sorte, comme nous l’avons déja observé plus haut, que si la digestion se faisoit par le broïement, il n’y auroit point d’aliment qui dût mieux se digerer que celui-là, selon les principes qu’on veut établir dans le Traité des Dispenses : il se digere cependant avec beaucoup de peine : on en fait du pain, qui est aussi trés-difficile à digerer, quoi-que ce soit le plus friable de tous les pains[38]. L’Anonyme convient lui-même que ce grain ne doit pas être regardé comme un fort bon aliment, & que le pain qu’on en fait est mal-faisant de sa nature. Il voudroit bien neanmoins, qu’on préferât le millet à la viande. Ce grain, dit-il, n’a rien d’aussi mauvais que beaucoup d’alimens de charnage, qu’on examine avec moins de scrupule, uniquement parce qu’on y trouve plus de plaisir[39].

Nous ne sçavons quels sont ces alimens de charnage dont il prétend parler ; mais il faut que de la viande soit bien mauvaise, si elle ne vaut pas du millet.


DE L’ORGE ET DE L’AVOINE.



L’Orge & l’Avoine sont deux especes de bleds, qui se sément en Mars. Il y a de l’orge blanc, de l’orge rouge, & de plusieurs autres sortes, selon les lieux. Ce bled est pointu par les deux bouts, & assez gros vers le milieu. Il naît sur une tige, plus basse & plus fresle que celle du froment, & dont les feüilles sont plus larges & plus rudes. L’épi qui le porte a une barbe plus longue & plus piquante. On distingue ordinairement deux especes d’orge ; l’un qui vient sur des épis gros & courts ; & l’autre, sur des épis plus minces & plus longs. Mais cette difference n’a rien d’essentiel pour la qualité du grain.

Quant à l’avoine, il y en a une cultivée, qui est la meilleure ; & une sauvage, assez noire, qui est la moindre ; l’une & l’autre sont longues & menuës, & naissent sur des tuïaux minces, qui portent quelques feüilles étroites, à peu prés semblables au chien-dent, & des épis, où ce grain est suspendu par de petits filets déliez, fort éloignez les uns des autres, lesquels le laissent pencher vers la terre en forme de petites sonnettes. L’orge se prépare de differentes manieres, pour nous servir d’aliment ; mais de toutes ces préparations, la plus usitée en Carême, est l’orge mondé : on prend de l’orge, dépoüillé de sa peau ; on le lave, & on le nétoïe bien, puis on le fait boüillir doucement avec de l’eau, environ cinq ou six heures, jusqu’à ce qu’il tombe en crême ; on y ajoûte au commencement, un peu de beurre bien frais, & sur la fin, un peu de sel. C’étoit la ptisanne des Anciens, où ils mettoient quelquefois l’anet, l’huile & le vinaigre. Quand on veut rendre l’orge mondé plus agréable, on y met quelques amandes, avec un peu de sucre ; & si on veut qu’il rafraîchisse, on y mêle des graines de melon & de citroüille. L’orge mondé est une trés-bonne nourriture, soit pour les sains, soit pour les infirmes. Il n’a rien de visqueux & de gluant ; il passe aisément ; il humecte beaucoup ; il appaise la soif ; il n’excite aucunes flatuositez, & ne resserre point ; ce sont les qualitez que l’experience y a découvertes, & qu’Hippocrate y reconnoît dans le Livre intitulé, du Regime des Maladies aiguës, où il fait de grands éloges de cette nourriture[40].

On passe quelquefois l’orge mondé, & il est alors moins nourrissant ; c’est ce qui se nommoit chez les Anciens, πτισάνης χυλός[41], Ptisanæ succus, Ptisanæ cremor, & qui se donnoit dans les maladies, où il ne falloit pas une forte nourriture. On appelle aujourd’hui cette préparation d’orge, Orge passé. On le fait quelquefois épaissir, en le laissant davantage sur le feu, & alors il nourrit beaucoup plus. On pourroit pendant le Carême s’en tenir à ces sortes de boüillons dans plusieurs maladies, au lieu de recourir, comme on fait si souvent, aux boüillons de viande. S’il arrive, par exemple, qu’on tousse un peu, qu’on soit enroüé, qu’on ait quelque insomnie, on quitte aussi-tôt, & sans scrupule, l’usage du maigre ; mais nous osons assurer que les crémes d’orge préparées, de la maniere que nous venons d’exposer, sont meilleures dans ces occasions, que les boüillons à la viande, qui nourrissent à la verité davantage ; mais qui ne sont ni si rafraîchissans, ni si adoucissans. On peut mêler du lait dans l’orge mondé, & il n’en devient que plus agréable ; mais il faut remarquer qu’il ne convient pas alors dans la fiévre. Au reste, on ne sçauroit apporter ici trop de soin dans le choix de l’orge ; & comme il peut s’alterer par le tems, il est bon d’avertir qu’entre differens moïens dont on peut se servir pour le conserver, il n’y en a point de meilleur que d’y mêler des feüilles de laurier[42]. Quelque sain que soit l’orge, quand on le prépare selon la maniere que nous avons dite, il s’en faut bien que le pain qu’on en fait, le soit autant ; ce pain ne laisse pas neanmoins de nourrir assez, & étoit fort commun anciennement, comme on le voit par plusieurs endroits de l’Ecriture, & entr’autres, par la celébre Histoire des cinq pains d’orge.

On fait avec l’avoine mondée, séchée au four, & réduite en une farine grossiere, qu’on appelle Gruau, des boüillons, des crémes, & des breuvages fort usitez aussi en Carême ; on les prépare comme les orges mondez, & ces préparations pourroient tout de même suppléer dans bien des rencontres, aux boüillons & aux gelées de viande, d’autant plus que l’avoine nourrit encore plus que l’orge, à cause que les parties sulfureuses qu’elle contient sont plus débarassées.


DU RIS.



C’est une espece de Froment, qui approche de la figure du froment ordinaire, si ce n’est qu’il est plus petit ; il vient sur un tuïau de la hauteur de trois ou quatre pieds, plus gros & plus plein de nœuds que celui de nôtre froment, & dont les feüilles ressemblent à celles du porreau : ce tuïau jette son épi en forme de rameaux ou bouquets, où l’on trouve le ris enfermé dans une capsule jaunâtre, rude, cannelée par petites côtes, & terminée par un filet. Le bon ris nous vient de Piémont, d’Espagne, & de plusieurs autres endroits. C’est un des alimens dont en fait le plus d’usage en Carême : on le mange en grains, cuit dans de l’eau & du lait : on fait aussi une espece de boüillie avec du ris battu. Le ris est un peu astringent ; c’est pourquoi ceux qui ont le ventre trop resserré, n’en doivent guéres user. L’Auteur du Traité des Dispenses prétend qu’il est bon aux Phtisiques & aux Convalescens ; mais l’experience fait voir le contraire : tous les Phtisiques, loin d’engraisser par l’usage du ris, desséchent encore davantage. Ce n’est pas que le ris ne soit par lui-même assez nourrissant, mais c’est que l’estomac des Phtisique n’est pas disposé comme il faut pour digerer un aliment, dont les principes sont si liez & si difficiles à séparer[43]. Le vulgaire, cependant croit qu’il n’y a qu’à manger du ris pour engraisser, sur tout s’il est préparé avec le lait & le sucre. Mais c’est une opinion, que l’experience dément, & dans laquelle, ainsi que l’observe Nonnius, les Medecins un peu versez ne donnent pas[44]. On peut rendre le ris plus facile à digerer, en y mêlant un peu de safran ; & c’est ce qui se pratique en plusieurs Provinces, où l’on ne mange presque jamais le ris que safrané. Au reste, quoique le ris ne soit pas aussi capable d’engraisser qu’on se l’imagine d’ordinaire, il ne laisse pas de nourrir assez, sur tout dans un tems comme celui du Carême, où un aliment qui engraisse & qui donne de l’embonpoint, n’est pas ce qu’on doit rechercher.

Les Orientaux font du pain de ris ; mais comme ce pain est assez désagréable par lui-même, ils y mêlent du ségle & du millet, pour le rendre meilleur. Ils font aussi un vin de ris, qui est d’un blanc ambré, & d’un goût aussi bon que le vin d’Espagne. Ce vin porte aisément à la tête, & enyvre plus fortement que les autres vins. Les Chinois en font leur boisson ordinaire.

Nous ne sçaurions guéres nous dispenser dans cet Article des grains, de dire quelque chose du pain, dont le choix est si necessaire en Carême : car comme le poisson, les herbages, &c. nourrissent moins que la viande, il arrive que le pain produit alors en nous plus de chyle & plus de sang, & devient par consequent plus capable de nous faire du tort ou du bien, selon les bonnes ou les mauvaises qualitez qu’il renferme, tant à raison des grains dont il est fait, que de la maniere dont il est travaillé. Ajoûtons que lorsque le pain trouve dans l’estomac des alimens moins nourrissans, il prévaut sur ces alimens, & leur communique avec plus de facilité ce qu’il peut avoir de bon ou de mauvais. De plus, comme les poissons, les herbages, les legumes, se digerent moins aisément, qu’ils sont sujets à s’aigrir dans l’estomac ; & qu’il y a certaines sortes de pains trés-indigestes par eux-mêmes, & qui tirent plus que d’autres sur l’acide, il est aisé de comprendre quel tort on peut se faire en Carême, lorsqu’on n’a aucun égard à la qualité du pain dont on se nourrit dans ce tems-là. Aussi avons-nous remarqué plusieurs fois, que dans le grand nombre de ceux qui se plaignent du maigre, il y en a plusieurs qui cessent de s’en trouver incommodez, lorsqu’ils s’observent un peu plus sur la qualité du pain dont ils font usage. Ce seroit donc omettre ici un Article trés-utile, que de n’y pas parler d’un aliment, dont il importe à plus d’une personne en Carême de bien examiner la nature.


DU PAIN.


Le pain ordinaire, est, comme l’on sçait, une pâte fermentée, cuite à feu sec, laquelle est faite ou de froment, ou de seigle, ou d’orge, ou d’avoine, ou de quelque autre grain.

Le pain de froment est le meilleur de tous ; parce que les principes de ce grain sont plus déliez, moins terrestres, & par consequent plus faciles à digerer ; mais il faut que le froment soit d’une bonne terre, qu’il soit pesant, difficile à rompre, bien mondé, & recent, sans être trop nouveau. Le pain de bled trop nouveau est mal sain, & cause quelquefois des cours de ventre ; parce que les principes n’en ont pas été assez digerez & adoucis par la fermentation.

Le pain de froment convient à tout le monde, & principalement aux mélancholiques, parce que la plûpart des autres grains renferment plus d’acide ; en sorte que produisant un chyle plus aigre, ils ne peuvent qu’augmenter celui qui domine dans les mélancholiques.

Le pain d’orge est pesant sur l’estomac ; ce qui vient de ce que l’orge renferme dans sa substance un acide assez fort, avec des parties sulfureuses & terrestres, assez grossieres. L’orge contient dans son écorce un sel salé, à raison duquel il est détersif ; mais au dedans, il renferme beaucoup d’acide : on en peut juger par ce qui arrive à l’orgeat, lequel s’aigrit aisément ; & dont pour cette raison, le fréquent usage doit être interdit à ceux qui ont beaucoup d’aigres dans l’estomac.

Le pain de seigle tient le milieu, entre celui d’orge & celui de froment : il est assez bon aux bilieux ; mais les mélancholiques n’en doivent guéres user, à cause de son acidité. Les Grecs n’ont fait aucune mention du seigle, ni même les Latins, si l’on en excepte Pline. En effet, Caron, Varron, Columelle, Palladius, n’en disent rien ; ce qui vient sans doute de ce que le froment étant trés-commun chez eux, ils ne se servoient point de seigle. Quoiqu’il en soit, ce grain se cultive avec soin en plusieurs endroits de l’Europe ; & on en fait en France un pain fort blanc, dont les personnes, même les plus délicates, aiment à faire usage. On en mange principalement à l’entrée du repas, pour tenir le ventre libre ; ce qui est une bonne pratique. On fait avec le seigle un pain bis fort lourd, qui empâte les dents, & qui cause une grande pesanteur dans l’estomac de ceux qui ménent une vie sédentaire. Ce pain cause beaucoup d’obstructions, & produit des sucs grossiers & mélancholiques. Le pain, moitié seigle & moitié froment, est meilleur à la santé que le pur seigle.

Le pain de bled noir ou bled sarrasin, approche de celui de seigle ; il est un peu plus nourissant.

Tout pain, soit de froment, d’orge, de seigle, &c. abonde en parties sulfureuses & acides volatiles ; ainsi qu’on le voit par la distilation. Les parties acides, sur tout, se font connoître par les aigreurs que l’on ressent dans l’estomac, lorsqu’on a mangé trop de pain, & par l’aigreur que la pâte contracte, quand on la garde quelque tems ; c’est cet aigre dominant qui fait que la repletion de pain est si dangereuse, omnis repletio mala, panis pessima, dit Riviere. En effet, l’excés de pain produit des cruditez acides, qui en passant dans le sang, sont capables de l’épaissir, & d’en retarder la circulation. Sur quoi nous remarquerons que si on examine le regime de vivre de la plûpart des jeunes personnes qui ont les pâles couleurs, on verra qu’elles doivent ordinairement cette maladie à l’excès du pain.

Le pain, pour être bon, doit avoir suffisamment fermenté, parce que dans la fermentation ses principes se divisent, ce qui le rend d’une plus facile digestion ; mais il ne faut pas non plus qu’il ait fermenté trop long-temps : car alors les sels trop exaltez le rendent trop aigre, comme il arrive si souvent. Quand il a reçu la fermentation necessaire, il est leger & bien troüé, parce qu’alors les humiditez aïant été rarefiées, en ont dilaté les parties ; mais s’il a trop fermenté, ces mêmes parties se brisent & se divisent à un point, qui les empêchant de se soûtenir, les unes & les autres, les fait affaisser ; en sorte qu’on n’y remarque presque point d’ouverture : le pain, pour se digerer aisément, ne doit point être gras & pâteux, il faut prendre garde aussi qu’il ne soit pas trop friable : ce qui vient toûjours de ce qu’il n’a pas bien fermenté, ou de ce qu’il est trop cuit, ou de ce qu’il n’a pas été assez paitri. Le défaut de fermentation le rend trop friable, parce que les principes n’aïant pas été assez divisez & assez mêlez, n’ont pû s’unir assez étroitement. Il est trop friable encore pour avoir été trop cuit, parce que la trop grande cuite en fait évaporer ce qu’il contient de plus volatil ; en sorte qu’il n’y reste que les parties terrestres, & salines fixes. Il est tout de même trop friable, pour n’avoir pas été assez paitri ; parce qu’alors les parties de la farine, faute d’être assez incorporées les unes dans les autres, se touchent trop superficiellement. Or le pain, qui a l’un de ces trois défauts, se digere avec beaucoup de peine ; ce qui est toûjours dangereux, principalement en Carême, pour les raisons que nous avons touchées plus haut.

On voit par-là, pour le remarquer en passant, que le systême de la trituration a des conséquences dangereuses dans la pratique, puisque, selon ce systême, ce sont les alimens les plus friables qu’il faut choisir.

Le pain coudé n’est pas plus sain que le pain friable ; celui-là n’étant coudé que pour avoir été ou mal pétri, ou mal levé, ou surpris par une trop grande chaleur. La trop grande chaleur fait couder le pain ; parce que les humiditez, qui sont alors portées de la croute inferieure à la superieure, ne pouvant trouver dans celle-ci, qui s’est trop promptement durcie par le feu, une libre sortie, sont renvoïées en bas, où elles s’affaissent sur la croute, à mesure qu’elle se refroidit. Le pain se coude, quand il est mal paitri, ou mal levé, parce qu’alors les pores du pain ne sont pas assez ouverts pour permettre à l’humidité superfluë de s’échapper aisément. Le pain de seigle est sujet à se couder, parce qu’étant plus grossier, il resiste davantage au mouvement de la fermentation ; ce qui est cause que les humiditez s’échappant avec peine, se rabattent sur la croute d’en-bas.

Le pain un peu rassi se digere mieux, que celui qui sort du four ; la raison en est que le premier se mâche mieux, au lieu que le dernier fait une masse pâteuse, que les dents ont peine à diviser, & sur laquelle les levains de l’estomac ne font que glisser. Le pain tendre de 24. heures est le meilleur : il est vrai que celui qui est sec, fait exprimer plus de salive, en froissant davantage les glandes salivaires ; mais comme on ne le mâche jamais si bien, il se digere moins facilement. Dans la Norwege on fait du pain qui se garde trente ou quarante ans, & on y recherche le pain dur, comme on recherche ici le tendre : on a soin d’en garder fort long-tems pour les grands festins & à la naissance d’un enfant ; c’est l’usage d’en servir, qui ait été fait du vivant de l’aïeul : ce pain est paitri de farine d’orge & d’avoine. Quoi-qu’il en soit, celui dont nous usons, n’est bon que lorsqu’il est récent, sans quoi il perd la meilleure partie de ses soufres, & de ce qu’il avoit de plus volatil ; ce qui le rend lourd sur l’estomac, & de trés-difficile digestion : c’est pour cette raison que le pain recuit n’est jamais si bon, parce que cette seconde cuite n’y laisse que le plus terrestre. On paitrit le pain avec de l’eau, & quelque fois avec du lait ; mais le lait le rend facile à s’aigrir, & capable par consequent de causer beaucoup d’obstructions ; c’est de quoi nous avons rapporté quelques exemples dans l’Article des Assaisonnemens, en parlant du lait.

On demande quelquefois quel est le plus sain, de la mie du pain, ou de la croute : pour resoudre cette question, il faut remarquer 1o. Que les particules salines du pain sont moins exaltées dans la mie, parce qu’elle a moins éprouvé la chaleur du four. 2o. Que la mie, pour la même raison, renferme plus de parties balsamiques, la croute étant l’effet de la trop grande évaporation des parties aqueuses, sulfureuses, & acides volatiles. D’où il est facile de conclurre qu’il est mieux de ne point se borner à la croute seule, mais de la manger avec la mie, à moins qu’on ne soit trop replet, & qu’on n’ait besoin d’un regime de vivre desséchant.

On mange à Paris de plusieurs sortes de pains, dont le meilleur est celui de Gonesse, non à cause de la qualité de l’eau du païs, comme plusieurs se l’imaginent, mais parce qu’il est mieux paitri, qu’on sçait le faire lever avec peu de levain, & que le bled dont on le fait est mieux préparé.


DES RACINES.


Les Racines, comme l’on sçait, sont les organes par lesquels les plantes tirent leur nourriture ; mais ces organes ne fournissent pas tellement le suc aux plantes, qu’ils ne s’en partagent aussi eux-même, & que quelquefois ils n’en retiennent la partie la plus succulente : c’est ce qui fait qu’il y a des racines si exquises, comme sont la plûpart de celles que nous mangeons.

L’Auteur du Traité des Dispenses, pour recommander l’usage de ces alimens en general, dit que « les Racines sont comme les dépositaires de toute la vertu de la plante[45] ; que ce sont les reservoirs naturels où s’amasse & se conserve tout ce qui doit se développer dans les feuilles, dans les fleurs, & dans les fruits ; qu’on possede dans les racines, des extraits naturels des plantes qui doivent naître ; & que ces sortes d’extraits doivent être d’un grand secours pour la santé ; qu’il est vrai que tout paroît encore fixe, & concentré dans la racine de la plante ; mais que cela même, bien entendu, fait la bonté & la sureté de cette sorte de nourriture, parce qu’il n’est pas toûjours sûr de mettre dans nos corps des matieres volatiles, ou déja trop développées ; que nos organes tendres & sensibles, comme ils sont, & les liqueurs qui nous font vivre, étant sujettes à s’exhaler, & à prendre l’effort, demandent ce ménagement, qu’on ne leur présente que des matieres qui ne les maîtrisent point, ou qui ne s’opposent pas à leurs actions, & à leurs manieres. »

C’est ainsi qu’on vante les racines dans le Traité des Dispenses, & avec raison. C’est dommage qu’on tienne ensuite un langage tout contraire à celui-là : car peu de Chapitres aprés, on nous dit, pour relever le merite des fruits, que « les fruits sont des mets naturels, dans lesquels reside tout ce qu’il a de meilleur dans les plantes ; que les racines ne sont encore que des êtres imparfaits, ou des ébauches de ce qui en doit naître ; que tout y est encore concentré & mêlé, & par consequent dans le besoin de mille filtrations, & de mille dépurations ; que semblables aux Marcassites, ce ne sont que des substances brutes, & des Embrions imparfaits, où tout est impur & confus ; que les feüilles ont, à la verité, quelque chose de plus formé, parce que les sucs ont reçu quelque nouveau degré de coction ; mais qu’encore sauvages, par le peu d’exaltation qu’ils se font donnez, ou trop aqueux, par le trop de phlegme qui les noïe, ils sont ou fades ou mal-faisans, & impregnez de soufres grossiers, de sels impurs, ou d’esprits mal déphlegmez ; que ce n’est donc que dans les fruits, où ces sucs se trouvent parfaitement digerez[46] ; que les routes qu’il leur a fallu prendre, & le nombre infini de tuïaux qu’ils ont eu à parcourir, semblables aux serpentins des Chymistes, ont dû subtiliser ces sucs & les dépurer ; que ce qui compose le fruit est donc un suc parfaitement déphlegmé, en[47] qui tous les principes intimement réünis & d’accord, font une substance douce, tendre & fondante ; qu’il n’y a rien de plus châtié, de plus soigneusement travaillé, de plus propre enfin à se broïer dans l’estomac, & de plus aisé à se distribuer, ou à nous nourrir que les fruits. »

Voilà les racines bien-tôt déchûës de leur premiere dignité. Quatre Chapitres plus haut elles sont les dépositaires de toute la vertu de la plante, les reservoirs naturels de ce qu’il doit y avoit de meilleur dans les feüilles, dans les fleurs, & dans les fruits : des extraits naturels des plantes, dans lesquels on trouve de grands secours pour la santé : ce qu’elles ont de fixe & de concentré, en fait même la bonté & la sureté. Elles ne présentent par ce moïen à nos organes tendres & sensibles, que des matieres convenables & proportionnées ; puis quatre Chapitres plus bas, elles deviennent des êtres imparfaits, des ébauches méprisables, des substances brutes, des embrions, où tout est impur & confus. Ce qu’elles contiennent de fixe & de concentré, qui en faisait tout-à-l’heure la bonté & la sureté, en fait à présent le principal vice. Tout-à-l’heure il n’étoit pas sur de mettre dans nos corps des matieres volatiles & déja développées ; tout-à-l’heure nos organes tendres & sensibles, & les liqueurs qui nous font vivre, aussi sujettes qu’elles sont à prendre l’effort, demandoient de trouver des sucs comme ceux des racines, lesquels ne fussent point trop déploïez ni trop vifs ; & à present, il ne faut à ces organes & à ces liqueurs, que des sucs volatils, des sucs qui aient été exaltez & subtilisez, par mille & mille filtrations. Quel parti prendre sur ces deux langages ? quand il s’agit des racines, elles valent mieux que les fruits ; & quand il s’agit des fruits, ils valent mieux que les racines : nous laissons aux Lecteurs à faire leurs reflexions sur ce sujet.

Au reste, on trouve ici trois Propositions assez peu soutenables ; la premiere, que tout est fixe, concentré, & mal digeré dans les racines ; la seconde, que ce qui compose le fruit, est un suc parfaitement déphlegmé ; & la troisiéme, qu’il s’ensuit de-là que rien n’est plus propre que le fruit à se laisser broïer dans l’estomac, à se distribuer, & à nous nourrir. Quant à la premiere Proposition, nous remarquerons que si la racine reçoit de la terre des sucs encore brutes, elle en reçoit de la plante, qui ont tout la perfection necessaire ; & qu’ainsi il n’est point vrai que tout ce qui est dans la racine soit fixe, concentré & mal digeré ; le suc que la terre fournit aux plantes, reçoit sa premiere coction dans les racines, l’air subtil avec lequel il se mêle, le fait fermenter dans des vesicules, qui sont comme autant de petits estomacs où il est retenu, jusqu’à ce qu’il ait acquis assez de subtilité pour s’insinuer dans les fibres du collet de la racine : ce suc, ainsi préparé, passe dans le tronc & dans les branches, où il se digere de plus en plus. Il est porté de-là dans les feüilles, qui achevent de le perfectionner, & qui le rendent propre à nourrir tout le corps du vegetal. Car il ne faut pas croire que les feüilles ne servent que d’ornement à la plante ; ce sont des tissus de fibres, de trachées, de vesicules, & d’autres sortes de vaisseaux, où la séve se distribuant dans une infinité de routes, & présentant ainsi plus de surfaces à l’air, se ranime de nouveau, & acheve de se cuire pour la nourriture de la plante. Cette séve, aprés avoir reçu sa derniere coction dans les feüilles, rentre dans le corps de la plante, & descend jusqu’aux racines, où elle se mêle avec le nouveau suc, qui vient d’être purifié de la terre. Puis remontant par les mêmes routes qui l’ont déja conduite, elle suit un mouvement de circulation, assez semblable à celui du sang des animaux[48]. On voit par-là que tout ce qui est dans le corps de la racine, n’est pas imparfait, & que si cette racine contient des sucs à demi digerez, elle se partage aussi de ce qu’il y a de plus fin & de plus travaillé dans toute la plante : en sorte que ce mêlange de sucs, dont les uns sont extrêmement affinez, & les autres plus grossiers, doit faire la bonté de la racine, qui se trouve par-là d’une substance moïenne, entre le volatil & le fixe. Voilà ce que l’Auteur du Traité des Dispenses auroit pû faire valoir en faveur des racines. A la verité il n’aurait pas pû conclurre pour cela qu’elles fussent préferables à la viande ; mais du moins cette remarque n’auroit pas été contraire à son dessein.

Pour la seconde Proposition, l’Auteur a oublié, sans doute, ce que c’est que phlegme & que déphlegmer ; car qu’il l’ait ignoré, c’est ce qu’on n’oseroit croire. Le phlegme contenu dans les mixtes, n’est autre chose que l’eau qui entre dans leur composition ; & un corps déphlegmé, est celui dont cette eau a été séparée. Qui ne sçait, par exemple, ce que c’est qu’un esprit de vin bien déphlegmé, une huile de canelle bien déphlegmée ? Comment donc peut-on dire que les fruits, dont la plûpart renferment tant d’eau, soient des corps, non-seulement déphlegmez, mais parfaitement déphlegmez ? C’est pourtant ce qu’on a la simplicité d’avancer dans le Traité des Dispenses.

La troisiéme Proposition, sçavoir, que ce qui compose le fruit, étant, comme on le suppose, un suc parfaitement dephlegmé, il s’ensuit qu’il n’y a rien de plus propre que le fruit à se laisser broïer dans l’estomac, & de plus aisé à se distribuer, ou à nous nourrir, n’est pas moins surprenante que l’autre : un Medecin, quelque peu instruit qu’il soit des premiers élemens de la science qu’il professe, doit sçavoir que le phlegme sert de vehicule aux autres principes des mixtes ; que c’est ce qui rend ces principes capables de s’insinuer dans les pores de la matiere, & que rien, par consequent, ne seroit moins propre à se distribuer & à nous nourrir, que les fruits, s’il étoit vrai qu’ils ne renfermassent point de phlegme. Mais c’est trop s’arrêter à un point, qui ne merite pas d’être refuté, venons aux racines en particulier.



DES RACINES,
en particulier,

Et premierement,
DES TOPINAMBOURS.



Les Topinambours sont les nœuds d’une racine, divisée en plusieurs branches, laquelle se cultive dans les jardins, & qui pousse une plante haute de quatre pieds, garnie de grandes feuilles larges & pointuës. Ces nœuds sont gros & charnus, comme des poires, bossus & de figure inégale, lisses & rougeâtres en dehors, blancs en dedans, & d’un gout douceâtre. Si l’on en croît le Traité des Dispenses, les racines dont nous parlons, sont des absorbans naturels, des éponges fines, capables de se charger des mauvais sels qui causent nos maux, aisez d’ailleurs à se dissoudre, ils entraînent par les urines ces mêmes sels, aprés s’en être chargez. Mais sans tous ces égards, poursuit l’Auteur[49], on ne peut contester aux topinambours d’être tendres, & d’un goût assez agréable : en faut-il davantage, demande-t-il, pour meriter place parmi les bons alimens, si on ajoûte, sur tout, qu’ils ont quelque chose d’anodin ; parce qu’ils sont, en effet, presque dépouillez de sel, & pleins, au contraire, d’un phlegme ou suc huileux, qui les rend adoucissans ?

En cas qu’on ait de la peine à passer à l’Anonyme, que les topinambours soient pleins d’un suc huileux, il cite le Livre & la page où il l’a lû ; c’est dans le Traité des Alimens de M. Lemeri, page 158. Cependant, si on lit ce Traité, voici ce qu’on y trouvera là-dessus. Les Topinambours produisent des humeurs grossieres, & ils excitent des vents ; ils contiennent médiocrement d’huile, beaucoup de phlegme & d’acide ; on en tire aussi un peu de sel volatil alcali. Si toutes les autoritez que l’Anonyme allegue pour s’appuïer, lui sont aussi peu favorables que celle-là ; il auroit bien pû se passer de charger ses marges de tant de citations. Peut-être verra-t-on dans la suite, que ce n’eût pas été le plus mauvais parti pour lui. Au reste, M. Lemeri dit que les Topinambours contiennent médiocrement d’huile, & beaucoup de phlegme ; & dans le Traité des Dispenses, on lui fait dire, qu’ils sont pleins d’un phlegme au suc huileux, qui les rend adoucissans. Depuis quand le phlegme & l’huile sont-ils devenus la même chose ? Nous avons remarqué tout-à-l’heure que l’Auteur du Traité des Dispenses avoit, sans doute, oublié ce que c’est que ce principe des mixtes, qu’on appelle Phlegme ; il ne paroît pas s’en mieux souvenir ici, lorsqu’il appelle ce principe un Phlegme ou suc huileux. Mais que signifient ces paroles : Que les topinambours étant tendres & d’un goût assez agréable, il n’en faut pas davantage pour qu’ils meritent place parmi les bons alimens ? Cela prouve-t’il qu’ils soient plus convenables à l’homme que la viande, comme nôtre auteur veut qu’on le concluë ? Il y a d’excellentes racines, on en convient ; & quand les Topinambours seroient de ce nombre, s’ensuivroit-il qu’ils fussent préferables à la viande ? Il est vrai qu’en supposant, comme il fait plus bas, que la viande soit composée de soufres malins & empoisonnez, il n’y a pas à douter que les topinambours ne vaillent encore mieux ; mais il faut nous prouver la réalité de ce prétendu poison dans la viande ; & quand on nous en aura convaincus, nous avouërons que le plus méchant topinambour vaut mieux que la meilleure perdrix. Mais laissons-là cette imagination, voïons ce que c’est que la racine dont il s’agit, & les autres dont on a coûtume d’user en Carême.

La racine de Topinambour, est peut-être la plus rassasiante, & en même tems la moins nourrissante de toutes celles qui s’emploïent parmi les alimens. Elle contient un suc visqueux, qui la doit faire éviter à toutes les personnes d’un estomac délicat. Mais ce même suc la rend trés-propre à ceux qui ont une faim dévorante & habituelle. On peut comparer la racine de topinambour au gland de terre[50], qu’un sçavant Medecin[51] conseille même dans le Pica[52]. Elle est fort méprisée en Danemarck, où on l’abandonne aux enfans pour se joüer. Le mal ne seroit pas bien grand, quand on n’en tiendroit pas ici plus de compte ; car à la bien examiner, elle n’est guéres composée que de terre & d’eau ; & ces principes, aussi cruds qu’on les y trouve, ne sçauroient fournir un aliment bien sain. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’estomac a beaucoup de peine à la digerer, comme il paroît par les vents qu’elle cause. Elle tire son nom du païs des Topinambours, d’où elle vient, & où on prétend qu’elle est beaucoup meilleure : ce qui n’est pas difficile à croire, la qualité des climats apportant une grande difference dans celle des alimens.

Les Topinambours s’apprêtent de plusieurs manieres ; mais comme ils abondent en viscositez, ils sont plus sains, cuits sous la braise, accommodez ensuite avec du beurre bien frais, & un peu d’oignon & de sel. On mange à Lyon, & en plusieurs autres païs, une sorte de truffe, nommée en Latin : Solanum esculentum ; & en François, Truffes rouges. Elles approchent assez de la qualité des Topinambours : c’est pourquoi nous n’en dirons rien ici.


DE LA SCORSONAIRE,
ou du Salsifix d’Espagne.


La Scorsonaire, autrement dite, Salsifix d’Espagne, à cause de sa premiere origine, est une racine laiteuse & charnuë, de la longueur d’un pied & de la grosseur du doigt, noire par dessus, blanche en dedans, tendre, cassante, & d’un gout doux & agréable, laquelle jette une tige ronde, canellée & creuse, haute de deux pieds, divisée en plusieurs rameaux cotoneux, couverts de feüilles longues & larges, qui sont d’un verd sombre & obscur. Cette racine, qui en Espagne croît dans les bois montagneux, & qui parmi nous se cultive dans les jardins potagers, est la meilleure de toutes celles qui se mangent en Carême, & on ne peut nier qu’elle ne se digere facilement, pourvû qu’elle soit bien cuite, & qu’auparavant elle ait été ramolie dans de l’eau. Elle contient un sel acre volatil, & une huile volatile, qui la rendent diaphoretique, & par consequent propre contre la coagulation des sucs, & l’engourdissement des esprits animaux. La maniere ordinaire de la préparer, c’est de la faire boüillir, & ensuite de l’assaisonner avec la crême ou le beurre. Quelques-uns la font frire couverte de farine ou de pâte ; mais elle est plus saine de la premiere façon. On mange aussi les salsifix au vinaigre & à l’huile ; mais cuits auparavant dans l’eau ; & ils ne sont point mal sains de cette maniere. La scorsonaire, comme on sçait, a été ainsi nommée du mot Espagnol, Scurso vipere ; parce qu’elle passe pour être souveraine contre la morsure de la vipere. Il n’y a point de racines dont les Auteurs aient dit tant de bien que de celle-ci. Tous la regardent comme un excellent antidote[53]. Mais c’est principalement de la scorsonaire d’Espagne, que se doit entendre ce que les Auteurs ont dit de la vertu de la scorsonaire contre les venins ; car en Espagne, où cette racine vient sans culture, elle a une autre qualité. Il seroit facile d’en rendre la raison ; mais ce n’en est pas ici le lieu. On peut voir là-dessus Simon Pauli, dans son Traité de Botanique. En general, la Scorsonaire est aperitive & humectante : elle est propre contre la mélancolie, contre l’épilepsie & les vertiges. Les femmes sujettes aux suffocations hysteriques, en peuvent tirer de grands secours. Et tous ceux dont le sang trop rempli d’acides, tend à se coaguler, trouveront dans cette racine un bon préservatif. Elle est d’un grand usage en Medecine, & elle fournit par la distilation une eau trés-souveraine dans les fiévres malignes. On en fait aussi un extrait, qui est trés bon contre le mauvais air.


DU CHERVIS.


C’est une racine blanche & tendre, de la longueur de la main, & de la grosseur du doigt, fort douce au gout, laquelle pousse une plante haute de deux pieds, dont les feüilles, legerement crenelées en leurs bords, & d’une médiocre grandeur, sont attachées plusieurs ensemble à une côte. Cette racine, connue en quelques Provinces sous le nom de Giroles, est fort en usage sur les tables pendant le Carême. Elle n’a rien de mal sain ; elle rassasie beaucoup ; mais elle ne nourrit pas de même, quoi-qu’en dise l’Auteur du Traité des Dispenses, qui se proposant toûjours de persuader que le maigre nourrit plus que la viande, voudroit faire entendre que le chervis seul est une nourriture capable de rétablir la nature la plus usée & la plus abbatuë. Pline rapporte que Tibere faisoit venir tous les ans pour sa table, des chervis d’Allemagne ; sur quoi nous observerons que nos chervis sont fort differens de ceux de Tibere. Les chervis que ce Prince faisoit venir d’Allemagne étoient amers[54], & si amers, qu’il falloit emploïer le miel pour les adoucir[55]. Les nôtres, au contraire, sont si doux, que cette douceur les rend quelque-fois dégoutans. On prétend que Tibere ne mangeoit des chervis, que pour s’exciter à la débauche ; & quelques-uns concluent de-là que les chervis sont dangereux à la continence ; mais quand il seroit vrai que Tibere aurait réüssi dans son dessein, en mangeant des chervis, & qu’il n’auroit pas plûtôt dû ce honteux succés à la maniere dont on les lui préparoit[56], il ne s’ensuivroit pas qu’on dût accuser nos chervis du même vice, puisqu’ils sont differens de ceux dont usoit ce Prince. Un Ancien disoit que ces racines étoient bonnes à l’estomac en une chose ; c’est qu’on en étoit bientôt las, & qu’on n’en pouvoit guéres manger plus de trois[57]. Il n’est pas seur que les chervis dont il parloit, fussent de la même espece que les nôtres ; mais cela n’empêche pas que nous n’en puissions autant dire de ceux qui sont en usage parmi nous. Heraclides, au rapport de Pline, donnoit le chervis comme un antidote contre le mercure. Il le donnoit encore aux convalescens & aux impuissans pour rappeller la chaleur naturelle ; mais c’étoit le chervis amer ; & c’est de celui-là dont parle Schroder, quand il dit que le chervis est un peu astringent, qu’il est bon contre la pierre, &c. Le nôtre, qu’on appelle vulgairement la racine sucrée, à cause de sa douceur, n’a d’autre qualité connuë, que celle de fournir une nourriture innocente. On mange ordinairement les chervis accommodez avec de la pâte, frits dans du beurre, & cuits auparavant dans de l’eau. Mais ils sont plus sains boüillis simplement, & apprêtez ensuite avec d’excellent beurre, sans les faire frire.


DES NAVETS.


Il y a de deux especes de Navets ; le Domestique, que l’on mange ; & le Sauvage, dont la graine est emploïée en Medecine contre la jaunisse, les fiévres malignes & la petite verole. La racine du premier est plus grosse, & a un suc doux & piquant, assez agréable. L’une & l’autre sont longues & rondes, déliées par le bas, & fort grosses en haut, ordinairement blanches en dehors, quelque-fois jaunes, & quelque-fois noirâtres ; mais toûjours blanches en dedans. La plante qu’elles produisent, ne differe de celle de la rave que par un certain port que les Jardiniers & les Laboureurs connoissent.

Le navet abonde en un sel acide qui tient le milieu entre le fixe & le volatil, & qui est assez doux : cette racine n’a rien de mal sain, pourvû qu’on n’en mange que médiocrement, sans quoi elle cause des coliques. Quelques personnes la croient propre aux Phtisiques ; mais l’experience ne s’est point déclarée là-dessus. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle ne se digere pas avec assez de facilité, pour qu’on la doive croire bonne aux Phtisiques. Il est vrai qu’elle est tendre ; mais cette qualité ne suffit pas à un aliment pour se bien digerer, s’il ne renferme en même tems un suc capable de s’unir avec les levains de l’estomac. Le beurre & le fromage sont sans doute d’une substance trés-tendre : combien d’estomacs cependant n’en peuvent venir à bout ? Ce n’est donc pas assez à un aliment d’être tendre, pour se bien digerer ; & cela, pour le remarquer en passant, montre bien l’insuffisance du broïement dans ce qui concerne la digestion. Si on demande en quoi le navet est recommandable, l’Auteur du Traité des Dispenses, répond[58], 1o. que c’est qu’il est tendre, & par consequent aisé à digerer ; 2o. qu’il nourrit beaucoup ; 3o. qu’il est ami des nerfs, puisqu’il l’est des yeux & de la vûë, qu’il fortifie & conserve. Voilà trois grandes qualitez : nous nous sommes expliquez sur la premiere, & par consequent sur la seconde, qui en est une suite. Pour la troisieme, qui est de fortifier la vûë, & d’être par consequent ami des nerfs, toute la preuve que l’Auteur nous en donne, consiste en ce mot à la marge : Gontier ; c’est-à-dire, Gontier l’a dit. Or voïons si Gontier dit la chose comme une Observation qu’il ait faite ; en ce cas la preuve sera bonne, puisqu’elle aura pour fondement l’experience. Voici donc les propres paroles de ce sçavant Medecin : Napus renes calefacit, & pectori magis conducit, venerem stimulat, visui conferre creditur ; c’est-à-dire, le navet échauffe les reins, il est convenable à la poitrine, il excite des mouvemens veneriens : on croit qu’il est bon à la vûë, visui conferre creditur,, par où on voit que Gontier donne la chose comme un oüi dire, & par consequent comme un point à examiner, dont il ne prétend point se rendre garant. L’Anonyme, cependant, prend occasion de-là d’avancer comme un fait constant, que le navet fortifie & conserve la vûë. Ce sont les Arabes qui ont fait passer le navet pour bon à la vûë ; & cela seul devroit rendre la chose suspecte.

Les meilleurs navets, pour l’usage des tables, sont ceux de Vaugirard, & de la plaine saint Denys. Cette racine se mange apprêtée de differentes façons ; quelques-uns l’aiment frite ; mais elle est plus saine, simplement boüillie dans l’eau, accommodée avec du beurre bien frais : elle est encore fort saine, dans le potage : cependant, de quelque maniere qu’on l’aprête, elle ne laisse pas d’être fort flatueuse, & c’est le vice general des raves, parmi lesquelles on sçait que le navet doit être compris. L’Auteur du Traité des Dispenses, prétend que les Anciens, qui faisoient un si grand usage du navet, n’y reconnoissoient point ce défaut ; & il apporte pour raison, que c’est qu’ils étoient plus sobres que nous. Démocrite neanmoins, qui ne vouloit point qu’on en mangeât, ne les accusoit que de donner des vents. Voilà l’exemple d’un Ancien & d’un homme sobre[59], sans doute. Le navet, pour en dire toutes les qualitez, a plusieurs usages en Medecine : il est excellent contre les engelures, cuit sous la cendre, & mis tout chaud sur la partie malade. Il est bon crud, pour appaiser les douleurs de la goute : on le broie bien, & on l’applique sur le mal, avec un peu de sel. Nous avons vû réüssir ce remede en plus d’une occasion. Les raves communes ont la même vertu.


DES PANAIS.


On divise ces racines en deux especes, l’une cultivée, & l’autre sauvage ; la premiere, qui est plus grosse, plus charnuë & plus tendre, est la meilleure à manger ; l’autre, qui est plus menuë, plus dure, & plus ligneuse, est la moins bonne. Elles sont l’une & l’autre d’une longueur médiocre, d’une odeur qui n’est point désagréable ; & elles ont au milieu un petit nerf qui s’étend jusqu’à leur extrêmité. La plante qu’elles produisent consiste en une tige creuse & ramuë, haute de trois pieds, grosse, canelée, dont les branches sont garnies de feüilles amples, composées d’autres feüilles assez semblables à celles du frêne, rangées comme par paires le long d’une grosse côte ; avec cette différence, que celles du panais sauvage sont plus petites. Ces racines sont moins venteuses que les navets ; on les mange dans le potage, ou apprêtées à part avec du beurre ; mais il faut prendre garde de les trop assaisonner ; car elles sont par elles-mêmes fort incisives ; en sorte que le trop grand assaisonnement les peut rendre dangereuses à la santé. Elles ne conviennent qu’aux temperamens froids & pituiteux.

Quelques Auteurs prétendent que l’usage des panais est bon pour augmenter le lait aux Nourrices, & pour procurer la fecondité aux femmes[60] : ce sont des faits à examiner.


DES CAROTTES,
& des Beteraves.


Les Carottes sont de grosses racines charnuës, de couleur jaune, ou d’un blanc pâle, longues d’un Pied, & aïant un goût douceâtre, desquelles sort une tige de la hauteur de trois ou quatre pieds, creuse, ronde, & branchuë, dont les rameaux poussent de grandes feüilles veluës, découpées, fort menuës, d’une odeur assez agréable. Ces racines sont fort aperitives ; mais un peu indigestes. Elles se mangent 1o. ou en potage ; 2o. ou en salades cuites ; 3o. ou apprêtées avec du beurre. Elles sont plus indigestes en salades. Nous en disons autant des Beteraves, qui sont de grosses racines, remplies d’un suc rouge comme du sang ; & faites en rave, lesquelles poussent des feüilles rouges, luisantes & charnuës, du milieu desquelles sort une tige de trois pieds ou environ, divisée en plusieurs rameaux, revêtus tout le long de leurs sommitez, de petites fleurs rougeâtres. Les Betesraves lâchent le ventre, & purifient le sang.



DES HERBAGES.



La plûpart des herbages sont plûtôt des alimens médicamenteux que des alimens proprement dits ; ce qui, en maniere de nourriture, les met fort au dessous de la viande, & même du poisson. C’est ce que l’Auteur du Traité des Dispenses n’a pas compris, lorsque, pour établir la prétenduë excellence des herbages au dessus des autres alimens, il se contente d’exagerer leurs vertus medicinales. Quoi-qu’il en soit, il les vante du mieux qu’il peut[61] ; mais aprés le cresson, qui excite le courage, & qui reveille les paresseux, il n’y en a guéres qui fasse plus belle figure dans le Livre de nôtre Auteur que les épinards & les choux, comme nous aurons occasion de le voir bientôt. Au reste, qu’on rassemble tout ce qu’il dit à la louange de ces herbages, & de tous les autres dont il parle, & dont nous allons parler, on n’y trouvera rien qui lui étant accordé, puisse justifier le moins du monde la conclusion qu’il veut qu’on en tire en faveur de ces alimens, au préjudice de la viande.


DE LA LAITUE.


La Laitue est, ou Domestique, ou Sauvage ; la Domestique, qui est celle dont on se sert sur les tables, & dont nous parlerons ici, est de plusieurs sortes. Il y a 1o. la laituë commune, laquelle est pommée, ou non pommée ; 2o. la laituë Romaine ; 3o. la laituë Crespée.

La premiere, qui devient pommée, quand elle est transplantée, a de grandes feüilles replissées, tendres & blanchâtres ; la seconde, sçavoir la Romaine, a ses feuilles longues, médiocrement larges, un peu découpées, fort vertes, & garnies en dessous le long de leurs côtes, de petites épines. La Crespée a les feüilles pliées & repliées comme un crespe, & fort découpées. Toutes ces laituës ne sont bonnes que jeunes, & avant que de monter en tige.

L’Auteur du Traité des Dispenses parle au long de la laituë, & il en commence l’éloge par dire que c’est un Legume, (car il la met au rang des legumes) bon à tous états de santé & de maladie. Etrange langage ! la laituë sera donc bonne aux temperammens froids & pituiteux ; elle sera donc bonne aux personnes qui seront devenues malades pour avoir mangé des choses cruës & indigestes. Quel est le Medecin qui osât la conseiller dans ces occasions ? & pouvons-nous ne pas nous recrier ici sur une erreur qui pourroit être si dangereuse à la santé ? Nôtre Auteur ajoûte que la laituë ne perd de ses avantages, que lorsqu’on la fait cuire ; & il avertit qu’elle expose alors l’estomac aux plus terribles accidens, comme au cholera morbus ; ce qu’il prétend appuïer du témoignage d’Hippocrate, dans le septiéme Livre des Epidemiques. La Iaituë, selon l’Anonyme, n’est donc dangereuse que lorsqu’elle est cuite. Galien, par consequent, avoit grand tort sur ses vieux jours, de la manger cuite, lui, qui dans sa jeunesse l’avoit toûjours mangée cruë. L’Anonyme, comme nous venons de remarquer, cite là-dessus Hippocrate ; voïons donc s’il est vrai qu’Hippocrate ait dit que la laituë fût plus dangereuse cuite que cruë. Voici ses termes, qu’on s’est bien donné de garde de rapporter. Le cholera morbus se contracte principalement en mangeant de la chair de cochon trop cruë, en mangeant des pois, en bûvant trop de vin. Il se contracte même par l’usage des laituës cuites[62] ; il se contracte par celui des choux, des concombres, des melons, &c. Le vrai sens de ces paroles, c’est que les laituës, lors même qu’elles sont cuites, ne laissent pas de donner occasion au cholera morbus, si l’on en mange trop. Ainsi l’Anonyme n’a pas bien compris le sens d’Hippocrate ; mais on peut lui passer cette faute, qu’il a faite aprés le sçavant Nonnius, qui croit effectivement que selon Hippocrate, les laituës cuites sont plus propres à donner le cholera morbus, & qui prétend même expliquer la chose, en disant que la laituë contracte par la coction une humidité capable de relâcher l’estomac[63], comme si la coction ne la corrigeoit pas au contraire, en lui ôtant sa crudité. Quoi-qu’il en soit, on ne peut assez loüer la bonne foi de nôtre Auteur, de rapporter ainsi ce que la laituë peut avoir de mauvais. Mais quand il a lû dans Hippocrate que cette herbe, lors même qu’elle étoit cuite, pouvoit exposer au cholera morbus, il n’est pas possible qu’il n’y ait vû aussi que les legumes y sont accusez du même vice, puisque c’est dans le même passage : cependant il ne dit rien là-dessus dans l’Article des Legumes. Cette Observation auroit trop contrarié son hypothese du broïement, & ne se seroit pas bien accordée avec l’idée qu’il a voulu donner des pois & des féves, qui étant des grains, doivent, dit-il, être trés-propres à se laisser broïer dans l’estomac, & à faire ce suc laiteux, cette créme fine qui passe si facilement en sang. Un autre inconvenient du passage d’Hippocrate, c’est que le chou s’y trouve compris parmi les alimens qui donnent le cholera morbus ; ce chou dont nôtre Anonyme dit tant de bien, comme nous verrons, & qu’il éleve au dessus de tout ce qu’il y a de meilleur pour la nourriture & pour la santé de l’homme. Il auroit donc mieux fait, pour l’honneur de son systême, de ne point toucher cet endroit d’Hippocrate ; mais on ne songe pas à tout.

La laituë, pour dire ce que nous en pensons, est un herbage innocent, & même sain ; mais comme elle renferme un suc un peu narcotique, il ne faut user de cet herbage qu’avec précaution : cette précaution, c’est d’en manger peu, de la manger rarement seule, de ne la jamais mêler avec le poisson, ou autres alimens froids, de n’en extraire jamais le suc pour le boire crud. 1o. La laituë est saine ; cette qualité est fondée sur ce qu’elle rafraîchit & humecte ; qu’elle corrige la trop grande acreté de la bile, & qu’elle entretient le ventre libre. 2o. Il en faut manger peu, parce qu’étant trés-froide de sa nature, elle pourroit affaiblir l’estomac. 3o. Il la faut manger rarement seule ; parce que le mêlange des autres alimens, pourvû que ce ne soit pas des alimens froids & humides, sert à la corriger. 4o. Il faut éviter de la manger avec le poisson, parce que la substance du poisson étant froide & aqueuse, n’en deviendroit que plus indigeste. 5o. Il n’en faut jamais extraire le suc pour le boire crud. C’est Galien qui donne cet avis : Si quelqu’un, dit-il, exprime le suc de la laituë, & qu’il le boive crud en une certaine quantité, il s’empoisonnera, come s’il avoit pris de la ciguë. Cet avertissement de Galien n’est point une imagination, & nous avons été là-dessus témoins d’un exemple, qui ne le justifie que trop. Une Dame à qui il étoit venu au visage une grande quantité de boutons, qui la rendoient difforme, en fut délivrée pour un tems, aprés avoir pris pendant quelques jours à jeun, par l’avis d’un Medecin qu’elle consulta, une certaine quantité de jus de cerfeüil tout pur. Deux mois ensuite, le mal recommença ; & comme elle crut que le cerfeüil ne l’avoit guérie que parce qu’il étoit rafraîchissant, elle se détermina, sans consulter personne, à prendre du jus de laituë, au lieu de jus de cerfeüil, ce qu’elle fit seulement deux matins. La premiere fois elle sentit de grandes pesanteurs d’estomac ; elle ne put manger de tout le jour, & elle se plaignoit sur tout d’un grand étourdissement. Mais la seconde fois elle fut attaquée de vertiges & de convulsions horribles ; ses yeux se troublerent, les extrêmitez devinrent froides, & on eut bien de la peine à la faire revenir. L’avertissement de Galien, comme on voit, merite attention, d’autant plus que ce Medecin, aimait la laituë, & qu’il se trouvoit bien d’en manger, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même[64]. La raison pourquoi le suc de la laituë est si pernicieux, c’est qu’il renferme un sel acide qui fige le sang.

On remarque que le trop frequent usage de la laituë, cause des démangeaisons[65] par tout le corps ; ce qui a fait croire à quelques-uns, comme l’observe Nonnius[66], que la laituë faisoit beaucoup de sang ; mais il est plus vrai-semblable que l’effet dont il s’agit, vient de ce que le suc qu’elle renferme, étant de sa nature un peu trop froid, produit à la longue un chyle crud, indigeste & picotant. La laituë est bonne à ceux que la bile incommode, & qui ont l’estomac trop actif. Elle se peut manger cuite ou cruë ; mais elle convient mieux cuite aux estomacs foibles[67]. Comme elle est trés-froide, on a crû long-temps qu’elle rendoit steriles les hommes & les femmes ; & c’est ce qui la fit nommer anciennement la nourriture des Morts νεκύων βρώμα : ce nom fut cause qu’on la regarda chez plusieurs Peuples avec une espece d’horreur ; & Pline rapporte qu’il a été un tems où l’on auroit crû faire une espece de crime d’en manger[68]. Les Anciens conservoient les laituës avec du vinaigre & du miel[69] : aujourd’hui on les conserve avec le sel, le poivre, le vinaigre, & le laurier ; & quand on les veut manger, on les fait dessaler & cuire : cette préparation ne corrige pas peu la crudité de la laituë. Au reste, de toutes les laituës, la Romaine est la plus saine. Les autres ont un suc, qui est un peu trop narcotique.


DE LA CHICORÉE.


C’est une plante qui pousse des feüilles longue & épaisses, ordinairement déchiquetées jusques vers la côte, & quelque-fois entieres, ou legerement découpées. Il y a deux especes generales de cette plante ; sçavoir, la Sauvage & la Domestique. La Sauvage est ou à fleurs jaunes, ou à fleurs bleues. Celle qui a la fleur bleue, est d’une grande amertume ; l’autre, qui a la fleur jaune, & qui est nommée dent de Lion ou Pisse-en-lit, est moins amere. La Domestique se divise aussi en plusieurs especes, dont le détail est inutile ici, toutes ces especes aïant à peu prés la même qualité.

En general, toutes les sortes de chicorées, tant Sauvages que Domestiques, sont rafraîchissantes, & conviennent principalement aux temperammens bilieux. La Sauvage est la plus rafraîchissante de toutes ; mais elle est plus d’usage en Medecine que sur les tables : c’est un des bons remedes qu’on ait trouvé pour délaïer le sang ; on ne laisse pas de l’emploïer quelquefois parmi les alimens. Il faut pour la manger, qu’elle soit grossierement hachée, & qu’elle ait trempé quelques heures dans l’eau : on en fait alors des salades fort saines. La racine en est aussi trés-bonne, pourvû qu’on la mange cuite, & qu’elle ait été bien blanchie. La chicorée Sauvage, qui a les fleurs jaunes, & qu’on appelle dent de Lion, à cause de la figure de ses feüilles ; & Pisse-en-lit, à cause de la vertu qu’elle a de pousser par les urines, est moins amere, plus tendre & meilleure à manger que celle qui a les fleurs bleuës.

Quant à la chicorée Domestique, celle que les Jardiniers ont fait blanchir dans la terre ou dans le sable, est plus tendre & plus saine : on la mange en salade, ou préparée avec du beurre. Les Cuisiniers, pour l’accommoder de cette derniere façon, la font attendrir dans de l’eau, puis la mettent cuire avec de l’eau, du beurre & du sel. Ils la tirent quand elle est cuite ; & aprés l’avoir un peu essuïée, ils la font mitonner avec du beurre, du sel, de la muscade, & un peu de vinaigre, pour la servir avec une sauce liée : elle perd plus de son eau que de son suc, par cette préparation, & elle en devient plus nourrissante. La chicorée gardée avec du sel, du poivre, du romarin, & un peu de vinaigre, puis dessalée pour être mangée en salade, ou autrement, est encore fort innocente ; & toutes ces differentes préparations peuvent trouver place sur les tables pendant le Carême, sans que la santé en ait rien à craindre.


DU CELERI, DU PERSIL,
du Cerfeüil, du Cresson, & de la Pimprenelle.


Le Celeri n’est autre chose que de l’ache cultivée, qu’on a rendu blanche & d’un goût plus agréable en la liant, quand elle a été montée à une certaine hauteur, & en l’entourant de sable ou de terre. L’Ache, comme l’on sçait, est une plante haute d’environ un pied & demi, dont la tige est grosse, canellée, creuse, fort verte, & jette des feüilles trés-vertes aussi, lesquelles sont grandes, luisantes, découpées, & remplies d’un suc trés-acre, qui a une odeur assez forte.

Le celeri se mange ordinairement crud avec le poivre & le sel : on y joint l’huile & le vinaigre, si l’on veut, & il est alors plus sain. Cette plante est fort diuretique, & par consequent fort desséchante ; ainsi elle ne convient guéres dans les collations de Carême, non plus que le cerfeuil & le cresson, qui, quoique fort sains d’ailleurs, soit en salade ou autrement, desséchent un peu trop le sang. La qualité diuretique du celeri, lui vient d’un sel acide tartareux qu’il renferme ; ce qui le rend en même tems flatueux & trés-indigeste.

Le Cerfeuil, comme l’on sçait, est une herbe toute découpée, & d’un verd jaunâtre, laquelle contient beaucoup de suc, & a une odeur qui reveille & réjoüit le cerveau. Cette herbe renferme une huile abondante, & un sel acre, volatil, assez piquant, qui la rend aperitive : ce qui est cause qu’étant appliquée sur les mammelles des nouvelles accouchées, elle resout le lait coagulé, en corrigeant l’acide qui faisoit la coagulation. C’est pour la même raison qu’un peu de jus de cerfeüil mis dans du lait de vache ou de chèvre, ou d’ânesse, empêche ce lait de s’aigrir dans l’estomac.

Le Cresson est de deux especes, toutes deux usitées sur les tables : il y a le cresson de jardin, & le cresson aquatique ; celui de jardin pousse une ou plusieurs tiges, à la hauteur d’un, & quelque-fois d’un pied & demi, rondes, solides, rameuses, & jette des feüilles un peu longues, profondement découpées, dont le goût acre ne laisse pas d’être agréable. Le cresson aquatique, ainsi appellé, parce qu’il croît le long des ruissaux, dans les marais, & proche des fontaines, a les tiges à peu prés de la même hauteur que l’autre ; mais creuses, un peu courbées, & d’un verd qui tire quelque-fois sur le rouge. Il pousse des feüilles presque rondes, perpetuellement vertes, & qui sont rangées plusieurs ensemble sur une côte terminée par une seule feüille. Le cresson renferme un sel fort aperitif, qui le rend propre aux Scorbutiques, aux Hypochondriaques, aux femmes attaquées de vapeurs hysteriques, & à toutes les personnes dont le sang peche par trop d’épaisseur.

La Pimprenelle s’associe fort bien avec le celeri & le cerfeüil ; c’est une herbe qui croît jusqu’à la hauteur d’un pied, ou d’un pied & demi, dont les tiges sont rouges, anguleuses, divisées par rameaux, & les feüilles ou longues ou presque rondes[70], dentelées en leurs bords, rangées comme par paires le long d’une côte mince, rougeâtre, veluë, laquelle se termine par une feüille unique.

Quelques Medecins ont mis la pimprenelle au rang des plantes astringentes ; mais mal à propos. Elle abonde en un sel acre, qui la rend trés-aperitive.

L’usage de la pimprenelle est trés-bon à ceux qui ont les poumons embarrassez de pituite : il convient encore dans les obstructions des reins, & dans presque toutes les maladies qui viennent d’embarras d’humeurs.

Le Persil, dont il nous reste à parler, contient un sel salé, tirant sur l’acide ; ce qui est cause qu’il épaissit un peu la masse du sang : ainsi il faut prendre garde d’en trop user ; car si on en mange trop souvent, il peut nuire au cerveau, & même causer l’épilepsie : tous les Medecins s’accordent[71] sur ce point ; & le sçavant Paul de Sorbait remarque à ce sujet, qu’en Autriche, où l’usage du persil est trés-frequent, l’épilepsie est aussi trés-frequente[72]. Cette plante, qui croît à la hauteur de trois ou quatre pieds, porte des feüilles composées de plusieurs feüilles découpées, fort vertes, & attachées à de longues queuës. Ces feüilles sont, comme l’on sçait, fort usitées dans les assaisonnemens & dans les salades : elles ont, quand on les mange cruës, une vertu particuliere contre la mauvaise haleine, jusques-là même qu’elles corrigent celle que l’ail a coûtume de donner.


DU POURPIER, & de la Perce-Pierre.


Il y a le Pourpier Sauvage, & le Pourpier Domestique ; ce dernier est le meilleur : l’un & l’autre poussent de grosses tiges rondes, luisantes, rougeâtres, pleines de suc ; & des feüilles presque rondes, fort épaisses & luisantes, d’un verd blanchâtre ou jaunâtre : celles du pourpier Sauvage sont plus petites, aussi-bien que les tiges, qui, outre cela, rampent par terre, au lieu que les tiges de pourpier Domestique sont droites. Ils ont l’un & l’autre un gout visqueux, qui tire un peu sur l’acide ; aussi abondent-ils en acides : ce qui fait qu’ils ne conviennent point à ceux dont le sang a de la disposition à se coaguler.

La Perce-Pierre, ainsi nommée, parce qu’elle croît entre les fentes des pierres, est une plante d’environ de la hauteur de la main, laquelle pousse plusieurs petites tiges rondes, veluës, & revêtues de feuilles presque rondes, découpées en trois parties. Ces feüilles & ces tiges sont d’un gout un peu acre & amer.

On fait avec le pourpier & la perce-pierre des compotes au sel & au vinaigre, fort usitées en Carême. Ces sortes de salades confites sont bonnes dés l’entrée du repas. La perce-pierre fortifie l’estomac, & convient aux temperammens phlegmatiques. Il en faut user sobrement, car elle desséche à l’excès. La compote de pourpier est plus temperée ; parce que le pourpier est de lui-même rafraîchissant. Ces salades excitent fortement l’appétit, & ce seroit une raison pour se les interdire dans les collations de Carême, aussi-bien que celles de capres, & quelques autres semblables, qui en irritant la faim, font souvent manger plus qu’il ne convient les jours de jeûne.


DES EPINARDS.


C’est une plante haute d’environ un pied, dont les feüilles sont fort d’usage sur les tables, particulierement en Carême. Ces feüilles sont d’un verd foncé, larges, tendres, de figure triangulaire, & finissent en maniere de dard ou de fléche. Les épinards sont trés-sains, pourvû qu’on en ait fait rendre la premiere eau, & qu’ils soient assaisonnez avec ce qu’il faut de sel, de beurre, de noix muscade, &c. car comme ils abondent en humidité superfluë, & qu’ils renferment beaucoup de sel nitreux, ils ont besoin de ces correctifs, sans quoi ils dévoïent, au lieu de nourrir. Mais avec les précautions que nous disons, ils lâchent moderément le ventre, & nourrissent suffisamment. Leur premier bouillon, à qui voudroit se purger, pourroit presque tenir lieu de medecine. Ce même bouillon, préparé avec un peu de beurre bien frais, & bû tout chaud, est un excellent remede contre l’enrouëment ; ce que nous disons pour en avoir vû plusieurs experiences. On fait des tourtes d’épinards, qui sont fort saines ; mais elles le seroient davantage, si on en rétranchoit les amandes que les Cuisiniers ont coûtume d’y mettre, & qui en rendant ces tourtes plus agreables au gout, les rendent plus pesantes à l’estomac. Il faudroit encore que les épinards eussent été amortis dans du vin blanc avant que d’être hâchez : on leur ôteroit beaucoup de leur crudité, par cette préparation. Il y a peu de tourtes d’épinards, où il n’entre de l’écorce de citron ; mais cet assaisonnement, à moins qu’il ne soit bien ménagé, ne sert qu’à rendre les épinards indigestes, l’écorce de citron étant par elle-même trés-difficile à digerer, & causant dans l’estomac une fermentation excessive, qui ne tarde pas à se déclarer, par des gonflemens & des rapports. L’Auteur du Traité des Dispenses prétend recommander les épinards, en faisant remarquer « qu’ils sont verds toute l’année, & qu’ils resistent aux plus rudes hyvers : ce qui fait voir, à ce qu’il dit, le juste mélange de leurs principes, & le peu de pente qu’ils ont par eux-mêmes à la corruption ». Mais cette raison iroit à recommander des poisons mêmes. Ce qu’il ajoûte de la vertu qu’ont les épinards, de tenir le ventre libre, merite d’être remarqué. Les épinards, dit-il[73], « accommodent les mauvaises poitrines, temperent les ardeurs de la fiévre, & conviennent dans la plûpart des maladies ; mais, réprend-il, une qualité superieure à tout cela, c’est celle-ci. On sçait la difficulté qu’il y a de conserver le ventre libre dans certains temperammens, dans certaines infirmitez, & dans certains âges. Un ventre trop resserré dans des personnes saines d’ailleurs, devient une maladie, ou en attire de trés-fâcheuse. Or les épinards deviennent un excellent laxatif dans tous ces cas. C’est même une vérité, connuë & pratiquée[74] depuis long-tems en Allemagne, où on prépare des tourtes d’épinards fort loüées pour lâcher le ventre. C’est donc un remede innocent & domestique, qui pourroit épargner aux infirmes mille mauvaises pilules d’aloës & de scamomée, plus propres par leur sécheresse & par leur acreté à entretenir l’infirmité qu’à la guerir. Les épinards dont on feroit des boüillons, des marmelades, ou semblables préparations domestiques, donnez à tems & à propos, épargneroient au public la plûpart de ces dangers, en l’exemptant de mille medecines, moins désagréables encore que dangereuses, & dont la multiplicité enleve tous les jours à l’état beaucoup de sujets, qui ne servent plus que de témoins muets des fautes d’autrui, & de leur trop de credulité. »

Diverses personnes imputent le Traité des Dispenses à M. Hecquet ; mais l’exemple seul que nous venons de rapporter, suffiroit pour disculper ce Medecin. M. Hecquet, dans une Dissertation qu’il a donnée sur la saignée, regarde le resserrement de ventre comme une bagatelle, qui ne merite pas d’attention[75]. « On a, dit-il, dans cette Dissertation, de quoi se rassurer contre la fraïeur qu’on s’est faite de ce prétendu amas d’ordures dans le bas ventre, pour peu d’attention qu’on fasse au peu de matiere qui se vuide journellement par les intestins, & au peu de mal qui en revient, quand cette évacuation s’arrête. Ce mal est de si petite consequence, que l’on voit tous les jours des personnes, qui sans s’incommoder, peuvent se passer des quinze jours d’aller à la selle. La nature, dit-il un peu auparavant, a paru ne rien craindre du séjour de ces superfluitez, en les faisant passer lentement par le plus long canal du corps, qui est celui des intestins. »

Ainsi s’explique M. Hecquet, au lieu que dans le Traité des Dispenses on voit un Auteur qui regarde le resserrement de ventre, comme une indisposition dangereuse, & si dangereuse, qu’il ne croit pas qu’on puisse jamais assez estimer les épinards de ce qu’ils ont la vertu d’y remedier. M.  Hecquet serait-il ainsi opposé à lui-même ?


DU CHOU.


Le Chou dont on use sur les tables, est une plante basse, grosse, touffuë, laquelle se cultive dans les jardins potagers, & dont la feüille est large, épaisse, remplie de grosses côtes, charnuës & cassantes. Il y a plusieurs especes de choux, dont nous examinerons les principales. Mais avant que d’entrer dans ce détail, nous remarquerons que l’Auteur du Traité des Dispenses trouve cette plante si admirable en tout, qu’il ne s’étonne point qu’anciennement on ait juré par le chou, & que Caton l’ait regardé comme un remede universel à toutes sortes de maladies ; si quelque chose le surprend, c’est que l’Antiquité n’ait pas fait une Divinité du Chou, qui le meritoit, pour le moins autant, dit-il, que l’oignon & le poireau, en l’honneur de qui (ce sont ses termes) les Egyptiens établirent un culte & des cérémonies. Il ajoute, que cette plante, si fort condamnée aujourd’hui, ou « si peu en honneur, fut autre-fois l’aliment ordinaire des Grands & des petits, l’amitié d’un chacun, la nourriture de tout le monde, sain ou malade, le remede à tous maux, l’amour des peuples, & l’envie des nations. »

Enfin, il tâche de prouver par l’Antiquité la plus reculée, qu’il n’y a rien de meilleur que le chou. Plusieurs Auteurs neanmoins ont voulu faire passer cet herbage pour donner des vents & causer des rapports. Quelques-uns même ont été jusqu’à l’accuser d’être nuisible à la vûë. Calomnies atroces, que nôtre Auteur repousse en cette maniere : « Accuser le chou d’être nuisible à la vûë ; c’est injustice, puisqu’on le croit propre à la fortifier. D’autres le croïent sujet à donner des vents, & à causer des rapports ; mais ces défauts lui viennent de ce qu’on le fait trop cuire, ou de ce qu’on en hâte trop la digestion, par le poivre qu’on y mêle, ou par le vin qu’on boit, dit-on, pour le cuire, ou parce qu’on la retarde par la quantité de graisse qu’on y ajoûte. »

Accuser le chou d’être nuisible à la vûë, c’est injustice, puisqu’on le croit propre à la fortifier ; le raisonnement est singulier. Quelqu’un dira tout de même ; croire le chou propre à fortifier la vûë, c’est se tromper, puisqu’on l’accuse d’y être nuisible. Qui des deux raisonnera le mieux ? Quant aux rapports, ils viennent donc de ce qu’on hâte trop la digestion du chou par le poivre qu’on y mêle, ou par le vin pur qu’on boit, dit-on, pour le cuire. Nôtre Auteur, comme on voit, prête au vin pur la vertu de hâter la digestion ; mais il ne la lui laisse que jusqu’à la pag. 574.[76] où il l’en dépouille entierement, en disant qu’une boisson vineuse mord l’estomac, durcit les alimens, & devient l’Auteur & le Pere de plusieurs concretions salines, d’obstructions, de coagulations, &c. comment aprés cela le vin peut-il hâter la digestion ? Mais laissons-là les raisonnemens pueriles, & les contradictions de nôtre Auteur ; voïons ce qu’il faut penser de l’aliment dont il s’agit.

De toutes les especes de choux, la plus commune est le chou verd à grandes feüilles. Cette sorte de chou renferme un sel nitreux qui s’en détache aisément dans le premier boüillon, & qui rend ce boüillon purgatif. Le corps du chou demeure alors privé de ce qu’il avoit de laxatif, & devient astringent. Le chou verd se digere difficilement, aussi est-il trés-difficile à cuire. Il fournit une nourriture grossiere & mélancolique ; & on remarque qu’il excite des songes fâcheux. Les rejettons qu’il pousse, lorsqu’on l’a dépoüillé de ses feüilles, sont plus sains ; c’est ce que les italiens appellent Broccoli ; & les François Broques. Ces rejettons sont fort usitez dans le tems du Carême, où ils se mangent à la purée & en entre-mets ; quelque-fois aussi tout cruds en salade.

Les choux crépus ou frisez, soit ceux de Verone, de Boulogne ou de Milan, sont plus tendres que les autres ; ce qui fait qu’ils cuisent plus promptement. Ils ne sont point si mal sains, & ils ont moins besoin d’être corrigez par le sel & le poivre. Nous en disons autant des choux Pancaliers, ainsi appellés du nom de l’endroit d’où ils sont venus[77].

Les choux Pommez, autrement dits Choux Cabus & Choux Blancs, se digerent mal aisément ; ce sont les plus agréables au gout ; mais les plus dangereux à la santé. Ils appesantissent la tête, ils causent des fluxions, & sont si mal-faisans, qu’on est obligé de les défendre en tems de peste[78]. Il y a des choux pommez qui ont comme une odeur d’ambre gris ou de musc : on les appelle Choux musquez ; ils ne sont pas plus sains que les autres.

Quelque mal-faisans que soient les choux pommez, on n’a pas laissé de chercher le moïen de les conserver pendant l’hiver : ce que l’on fait par le secours du vinaigre, du sel & du poivre. En Allemagne on y ajoûte le geniévre & le berberis ; mais tout cela ne sert qu’à rendre ces choux encore plus mal sains, en les rendant plus propres à produire des humeurs acres & bilieuses. Aussi, remarque-t-on, qu’ils causent alors beaucoup de vents, & qu’ils troublent l’estomac. Les choux pommez se mangent dans la saison, ou en potage de purée, ou en potage au lait, ou farcis avec de la chair de poisson, & des herbes. Mais de quelque maniere qu’ils soient préparez, ils sont toûjours mal-sains, & nous n’en pouvons dire autre chose, sinon qu’il en faut éviter l’usage quand on a quelque soin de sa santé. Les estomacs délicats s’en trouvent sur tout trés-incommodez.

Au reste, il n’y a pas de meilleur remede aux indispositions qu’ils causent, que d’en faire boüillir legerement quelques feuilles dans un peu d’eau, & de boire promptement cette eau. C’est le conseil de Pisanelli[79], & nous l’avons vû réüssir en plus d’une occasion. Il est de ce premier boüillon de chou, comme de celui des poids, duquel nous avons parlé plus haut.

Les choux de Chypre, ou choux fleur, qui ont été inconnus aux Anciens, sont la sorte de choux la moins mal saine. Il leur faut faire rendre, comme aux autres, leur première eau, qui tient plus du médicament que de l’aliment. Ils se mangent au beurre, ils se mangent en salade, & ils ne sont point mal-sains, ni d’une maniere ni de l’autre. Ils nourrissent peu, comme font tous les herbages.

Le Chou-Rave approche fort de la qualité du chou-fleur. Les Choux Rouges sont plus d’usage en Medecine que sur les tables. Ils abondent en parties nitreuses ; aussi s’en sert-on communément pour lâcher le ventre, & pour pousser par les urines. Ces Observations une fois faites, il faut remarquer que tous les choux renferment un sel fort piquant ; ce qui se reconnoît par les experiences suivantes : la première eau où l’on a fait boüillir les choux, lâche le ventre ; les poireaux des mains, frottez quelques jours de suite avec du jus de feüilles de choux, se desséchent & tombent en poudre ; l’urine de ceux qui mangent beaucoup de choux, est plus picquante & plus détersive qu’une autre. On pourroit de tout ceci tirer des consequences aussi défavorables au chou, consideré comme aliment, que favorables à cette même plante, considerée comme médicament, sur tout si l’on fait reflexion que les choux étant fort laxatifs d’un côté, sont fort astringens de l’autre, par une substance terrestre & grossiere qu’ils contiennent ; ce qui est cause qu’Hippocrate les ordonnoit contre la dyssenterie, dépouïllez de leur sel laxatif, par deux coctions differentes. Vertu qui leur est commune avec la plûpart des purgatifs, & entr’autres, avec la rhubarbe, dont on sçait qu’une partie est purgative ; sçavoir, celle qui se détache la première par l’infusion, ou par la décoction ; & l’autre astringente, sçavoir celle qui reste en suite. L’Auteur du Traité des Dispenses dit que les Anciens préferoient le chou à la viande[80]. Oüi pour lâcher ou pour resserrer le ventre ; car on trouve dans le chou, de quoi satisfaire à ces deux intentions. On satisfait à la premier en prenant le premier boüillon du chou ; & à la seconde, en mangeant le chou aprés l’avoir fait boüillir plusieurs fois ; en sorte que tous les sels purgatifs en soient sortis. Il ne faut donc pas nous venir dire que les Anciens préferoient le chou à la viande ; comme s’ils avoient jugé que la viande fût un aliment inferieur au chou. De plus, quand ils l’auroient fait, ce qui a été bien éloigné de leur pensée, le chou n’en deviendroit point meilleur, ni la viande plus mauvaise. Mais, réprend l’Anonyme[81], le chou étant cuit avec la viande, la rend meilleure : point du tout, c’est la viande qui rend le chou meilleur. Mais il n’importe, quand l’Anonyme diroit vrai, il ne s’ensuivroit pas que cela que les choux fussent préferables à la viande, ou il faudrait dire que les assissonnemens dont on se sert pour rendre les alimens meilleurs, seroient meilleurs que les alimens mêmes.

La bonté du chou, continuë nôtre Auteur, est si bien établie, qu’on se servoit autre-fois du suc de cette plante pour guerir les ulceres les plus fâcheux. A la bonne heure ; mais cela, & toutes les autres vertus medicinales, que cet Auteur remarque dans le chou, prouvent que ce peut être un bon médicament, & ne prouvent rien davantage : or il ne s’agit pas ici de médicament. Mais, dira-t-il, les Anciens mangeoient neanmoins des choux dans leurs repas ; ils en mangeoient à l’entrée ; ils en mangeoient sur la fin. Oüi, mais c’est qu’ils croïoient que pourvû qu’ils mangeassent du chou, ils pouvoient boire tant qu’ils vouloient, sans s’enyvrer, ou que s’ils venoient à être surpris par le vin, il n’y avoit qu’à recourir au chou, pour dissiper aussi-tôt les fumées du vin : témoin les Egyptiens, qui commençoient par manger du chou, lorsqu’ils vouloient se préparer à bien boire[82]. On y étoit souvent trompé ; mais toûjours voilà la raison qui faisoit tant aimer le chou aux Anciens : car du reste, ils sçavoient que cette plante ne laissoit pas d’avoir ses mauvaises qualitez, & qu’entre plusieurs maux qu’elle étoit capable de causer, quand on en faisoit un trop grand usage, on pouvoit compter l’affoiblissement de la vûë, à moins que les yeux ne fussent alterez par une trop grande abondance d’humiditez, auquel cas seulement ils prétendoient que les choux pouvaient convenir à la vûë. C’est ce qui est cause que l’on trouve dans quelques Auteurs, que le chou est bon aux yeux, & dans d’autres, qu’il y est contraire ; la pensée des uns étant qu’il est bon aux yeux trop humides, & celle des autres, qu’il est nuisible aux yeux qui ne pêchent point en humiditez, & qui sont dans leur état naturel[83]. Voilà ce que l’Auteur du Traité des Dispenses paroit n’avoir pas compris, lorsqu’il s’écrie, comme nous l’avons remarqué plus haut : Accuser le chou d’être nuisible à la vûë, c’est injustice, puisqu’on le croit propre à la fortifier. Car c’est comme s’il disoit, accuser le chou d’être nuisible à la vûë, lorsqu’elle est dans son état naturel ; c’est injustice, puisqu’on le croît propre à la fortifier, lorsqu’elle est affoiblie par une trop grande abondance d’humiditez. Au reste, que les Anciens regardassent le chou comme nuisible aux yeux sains, le fait est si constant, que c’est pour cela même qu’ils l’ont appellé κοράμβλη, & par Syncope, κράμβη, qui signifie, nuisible aux yeux.

Nunc veniat quamvis oculis inimica coramble.[84]

Quelques-uns croïent, sur certaine tradition, que les Romains pendant l’espace de six cens ans, sçûrent trouver dans l’usage du chou, de quoi s’exempter de maladies. Cela seroit à la gloire du chou ; mais nous ne faisons pas difficulté d’avancer avec un célébre Medecin, qu’il est absurde de s’imaginer que les Romains, pendant ces six cens ans, que le luxe & la bonne chère n’étoient pas encore connus parmi eux, aïent dû leur santé au chou, plûtôt qu’à leur frugalité ; d’autant plus qu’encore que les Grecs aïent juré par le chou, comme par quelque chose de sacré, que Caron en ait chanté les loüanges dans un Livre exprés, & qu’il lui ait attribué la vertu de guérir & de prévenir toutes les maladies : cette plante ne laisse pas d’être fort au dessous des éloges qu’on lui a donnez, & de contenir un fort mauvais suc, de produire par une qualité qui lui est propre, des humeurs mélancoliques, & d’appesantir l’esprit, quand on en mange trop souvent : c’est ce que l’observation a découvert, & ce qu’a remarqué le sçavant Pierre Gontier[85], dont l’Anonyme fait neanmoins profession de suivre les sentimens.

Nous ne croïons pas pouvoir mieux finir cet Article, que par ces paroles du grand Horstius, lesquelles renferment en abregé tout ce qu’on doit penser sur le chou. Brassicæ duæ species notantur, viridis videlicet, atque alba seu capitata… deterior est capitata… Cùm difficilis concoctionis paucissimi alimenti, prompteque succos melancholicos, vel atrabilarios producat, utraque propter acrimoniam ventriculo noxiam, commode salubribus, & in primis pinguioribus carnibus preparatur, & robustioribus, potiùs quàm litteratis convenit. Quæ verò contrà hæc in laudem Brassicæ habet Garinonius. Vilia sunt omnia, & facilis solutionis. Horst. de Escul. & Potul.

Au reste, nous apprenons que l’Anonyme travaille à un Traité sur l’excellence du chou. Il y a cent soixante & tant d’années, qu’un Auteur nommé Claude Bigothier, Claudius Bigotherius, donna un Poëme entier sur l’excellence de la Rave, divisé en trois Livres, & intitulé, l’Eloge des Raves[86], Raporum Encomium. On nous fait esperer que l’éloge du chou pourra être mis à côté de celui-là.


DE L’OSEILLE.


L’Oseille est une plante fort acide, dont il y a trois especes principales. La Longue, la Ronde & la Petite. La longue & la ronde, ainsi appellées à cause que les feuilles de l’une sont longues, & celles de l’autre presque rondes, poussent une tige haute d’un pied ou d’un pied & demi : ce qui, avec la grandeur de leurs feüilles, les a fait appeller grandes Oseilles. La petite, autrement nommée Oseille sauvage ; parce qu’elle croît dans les champs, au lieu que celles dont nous venons de parler, se cultivent dans les jardins, n’est pas plus haute que la main, & a des feüilles fort petites, en comparaison des deux autres. De ces trois sortes d’oseilles, il n’y a guéres que les deux premieres qui soient en usage parmi les alimens, la petite étant trop acide. La grande oseille, soit la ronde ou la longue, est fort rafraîchissante, elle modere l’ardeur de la bile, appaise la soif, excite l’appetit, fortifie le cœur, resiste au venin, & arrête le cours de ventre. Mais il faut sçavoir en faire usage : elle n’est bonne sur les tables que mêlée dans les alimens ; & qui voudroit la manger seule, ne manqueroit pas, s’il en mangeait beaucoup, de se trouver considerablement incommodé, par le sel acide fixe qu’elle contient, lequel venant à picoter rudement l’estomac, causeroit du désordre dans la digestion ; mais étant sagement mêlée, avec les alimens, elle ne peut faire que du bien, sur tout dans une saison comme celle du Carême, où les humeurs commencent à fermenter plus que de coûtume, & ont besoin par consequent de quelque correctif, qui en calme la trop grande effervescence. Or c’est une des proprietez de l’oseille, de moderer le boüillonnement du sang. Cette herbe, au reste, a de grandes vertus en Medecine. C’est un des meilleurs remedes que l’on ait contre le mauvais air, & contre les fiévres pestilentielles. Aussi tous les Medecins s’accordent à la conseiller dans ces occasions[87]. Quelques-uns en ordonnent la feüille toute fraîche[88] ; d’autres la feüille pulverisée[89] ; d’autres le suc[90] ; d’autres l’eau distilée : en un mot, l’oseille est un excellent médicament : mais il ne faut pas confondre le médicament avec l’aliment. Nous remarquerons ici en passant que l’oseille désagace les dents ; ce qui vient de ce que son sel acide est tartareux, & reçoit dans ses pores celui qui étoit entré dans les dents ; en sorte que ce dernier fait alors un tout trop gros pour y pouvoir rentrer. Mais il arrive aussi quelque-fois qu’elle les agace ; c’est lorsque son acide se trouve d’une figure disproportionnée avec les pores des dents. On fait un grand éloge de l’oseille dans le Traité des Dispenses ; mais on détruit, pour cela, tout ce qu’on a dit auparavant à l’avantage des nourritures de Carême : on nous les a représentées comme faisant un sang doux, laiteux, &c. ce n’est plus cela ici. Tout devient bilieux en Carême ; & pourquoi ce changement ? c’est qu’il s’agit de recommander l’oseille, qui est acide : car en supposant que tout devient bilieux en Carême, voilà l’acide de l’oseille d’un merite merveilleux pendant le cours de cette quarantaine. Tout devient bilieux en Carême, dit l’Auteur[91], or rien ne prévient si bien les désordres de la bile que l’oseille. La bile, continuë-t-il, est un amer que l’acide de l’oseille tempere à propos ; car le volatil de la bile est bridé par l’acide de l’oseille.

Si l’oseille eût été amere, nôtre Auteur n’en auroit pas moins conseillé l’usage en Carême ; mais ce qu’il auroit fait, c’est qu’au lieu de dire que tout devient amer en Carême, il eût dit que tout devient aigre ; & c’est ce qu’il ne manque pas de faire à l’égard du caffé. Le caffé, dit-il[92], est amer, & convient en Carême, parce qu’il corrige singulierement les aigreurs, si ordinaires dans ce tems-là. Voilà le moïen de contenter tout le monde : l’oseille est-elle saine en Carême ? trés-saine : & pourquoi ? c’est qu’en Carême tout devient bilieux ; & que l’oseille étant acide, corrige la bile, qui est amere. Le Caffé convient-il en Carême[93] ? merveilleusement : & pourquoi ? c’est qu’en Carême on abonde en aigre, & que le caffé étant amer, corrige singulierement les aigres. C’est-là répondre en Maître : aussi un des Approbateurs du Traité des Dispenses a-t-il dit que cet Ouvrage étoit l’ouvrage d’un Maître.


DE LA CITROUILLE
& du Potiron
.


La Citroüille & le Potiron, sont des fruits assez gros, pour meriter place parmi les fruits ; mais comme on les prépare de la même maniere que les herbages, nous croïons plus à propos d’en parler ici. La citroüille est un fruit rond, deux ou trois fois plus gros que la tête, d’une chair ferme, blanche ou rougeâtre, & assez insipide, laquelle est fort d’usage sur les tables, principalement en Carême. La plante qui produit ce fruit, pousse plusieurs tiges sarmonteuses, couchées à terre, & revêtuës de feüilles extrêmement larges, des aiselles desquelles sortent des fleurs jaunes, taillées en cinq parts, & faites en forme de cloche.

Le Potiron, connu autrement sous le nom de Courge, est encore un fruit extrêmement gros, mais de figure cilindrique, & dont la longueur va quelque-fois jusqu’à cinq ou six pieds. La chair de ce fruit est semblable à celle de la citroüille, & on s’en sert également sur les tables. Quant à la plante, elle est sarmenteuse, & rampe à terre comme l’autre ; ses feüilles sont aussi extrêmement larges ; ses fleurs ne different de celles de la citroüille que par la couleur, qui est d’un blanc de neige.

La citrouille & le potiron ne sont, à proprement parler, qu’une espèce d’eau figée ; mais une eau figée, dont le propre est de rafraîchir extrêmement : c’est pourquoi cet aliment ne convient gueres avec le poisson, & n’accommode nullement les temperammens froids, & les estomacs trop humides ; mais les personnes naturellement séches, & pleines de feu, s’en doivent bien trouver, sur-tout, lorsque le ventre est trop resserré. Ces fruits abondent en acide & en phlegme ; c’est pourquoi ils sont si rafraîchissans. La citroüille & le potiron se préparent de plusieurs manieres ; mais les Cuisiniers, à force d’y prodiguer le sel & le poivre, aussi-bien que l’oignon & la ciboule, en font souvent d’un mets rafraîchissant, le plus échauffant de tous les mets. Ces fruits sont fort sains en potage, soit au beurre, soit au lait, pourvû que l’assaisonnement n’y domine pas. Ils sont encore assez sains apprêtez à part avec du beurre ou de la créme : on mange des tourtes de citroüille, qui sont d’autant meilleures, qu’il n’y entre que du beurre, avec un peu de sucre, & une fort petite quantité de sel, pour tout assaisonnement. Quelques-uns y font mêler des amandes pilées : ce mêlange les rend plus agréables, sans les rendre plus saines : car l’amande en substance, est trés-difficile à digerer, comme nous l’avons remarqué, en parlant des épinards, & comme nous le remarquerons encore dans la suite, en parlant des Amandes.

Les Anciens, au rapport de Galien, assaisonnoient la citroüille, tantôt avec de la moutarde, tantôt avec de la saumure, pour en ôter la fadeur. Quelques-uns la faisoient cuire avec des coins, pour l’empêcher de trop relâcher l’estomac ; mais ce qu’on peut faire de meilleur pour corriger ce qu’elle a de trop aqueux, c’est d’y mêler, comme l’on fait d’ordinaire, un peu de thim ou de sariette.

Nous n’examinerons point ce qui est dit de la Citroüille & de la Courge dans le Traité des Dispenses, où l’on en fait un éloge qui tient plus de cinq pages ; nous observerons seulement que s’il en faut croire ce Traité, la Courge est si propre à lâcher le ventre, que si on fait infuser du vin pendant la nuit dans une courge ou potiron qu’on aura creusé, on aura un vin purgatif ; sur quoi nous avertirons qu’on n’a qu’à l’essaïer, & qu’on verra qu’il n’en est rien : l’Auteur a trouvé ce prétendu remede dans un Traité de Botanique, qu’il cite ; & là-dessus il a crû qu’il pouvoit l’indiquer comme vrai.


DES FRUITS,
qui se mangent en Carême



Les Fruits qui se mangent en Carême, sont ou frais ou secs ; les premiers, sont les Pommes & les Poires ; les seconds, les Raisins, les Figues, les Amandes, les Avelines, les Noix, les Châtaignes, les Brignoles, les Pruneaux. Nous examinerons les uns & les autres, & nous commencerons par les Pommes. L’Auteur du Traité des Dispenses éleve les fruits au dessus de tout ce qui a pû meriter jusqu’ici ses éloges ; nous avons vû comme il les a fait triompher en general des racines ausquelles il venoit d’accorder de si grands privileges ; nous verrons ici, mais par occasion seulement, & comme en chemin faisant, l’estime qu’il fait de ces mêmes alimens en particulier ; & nous laisserons aux Lecteurs à juger si dans tout ce qu’il avance sur ce sujet, il a rien qui prouve qu’on doive préferer les fruits à la viande, pour la nourriture ordinaire de l’homme.


DES POMMES.


Les Pommes sont des Fruits charnus & assez durs, presque ronds, fort unis, les uns gros comme le poing, & quelque-fois davantage ; les autres beaucoup plus petits, aïant tous dans le milieu de la pulpe, cinq loges garnies de pepins un peu longs, couverts d’une écorce jaunâtre, & remplis d’une moëlle extrêmement blanche. Ces fruits sont d’une infinité d’especes, dont la plûpart viennent des greffes qu’on a adaptées sur les pommiers. Le pommier, comme l’on sçait, est ou cultivé ou sauvage. Le cultivé est celui qui produit les pommes que l’on mange ; il se divise en deux especes generales, qui sont le grand & le petit. Le grand est un arbre médiocre ; le petit est bas comme un arbrisseau, l’un & l’autre ont le tronc d’une grosseur proportionnée à la hauteur, & couvert d’une écorce cendrée, rude, & souvent garnie de mousse. Leurs feüilles sont ovales ; les unes pointuës, les autres arondies, & toutes legerement crenelées.

Les pommes qu’ils produisent, sont les unes douces, les autres âpres, les autres aigres, les autres insipides, &c. Mais toutes ont de l’acide, & cet acide tient le milieu, entre le fixe & le volatil ; elles ne diffèrent là-dessus que du plus ou du moins ; elles nourrissent peu, parce qu’elles ont peu de parties sulfureuses, & beaucoup d’aqueuses Les pommes douces ont une qualité temperée, & fournissent un meilleur suc. Elles lâchent le ventre, étant mangées à l’entrée du repas. Celles qui ont le goût âpre, sont d’une substance froide & grossiere, qui resserre ordinairement le ventre ; c’est pourquoi elles conviennent mieux à la fin du repas, parce qu’alors en resserrant l’orifice supérieur de l’estomac, elles obligent les alimens digerez à sortir plûtôt par le pylore ; au lieu que si on les mange à l’entrée du repas, elles retardent la sortie des alimens, en resserrant l’orifice inferieur du ventricule ; en sorte qu’elles lâchent, si on en use à la fin du repas, & qu’elles resserrent, si on en use au commencement ; c’est l’effet ordinaire de tous les astringens.

Les pommes aigres sont plus froides que les douces ; elles sont en même tems un peu moins flatueuses ; leur suc a cela de propre, que lorsque le bas ventre est trop rempli, elles le purgent ; & que lorsqu’il ne l’est pas, elles le resserrent. Les pommes qui ne renferment qu’une eau insipide, sont trés-mal-saines ; elles se corrompent dans l’estomac, au lieu de s’y digerer. Au reste, toutes les pommes causent des vents, & se digerent difficilement ; mais elles perdent beaucoup de leur mauvaise qualité, lorsqu’on les fait cuire. Les pommes qui ont passé l’Hyver, comme celles qui se mangent en Carême, sont moins venteuses que les autres. Il y a divers moïens de conserver ces fruits pendant le froid ; mais quand l’Hyver est rude, on a bien de la peine à les empêcher de geler. Lorsque cela arrive, il faut bien se garder de les approcher du feu ; ils perdroient toute leur saveur, & même se corromproient ; il faut les mettre dans de l’eau bien froide, & les y laisser quelque tems : il se fait alors autour du fruit une croute de glace, qui se fondant ensuite peu à peu, laisse la pomme aussi bonne & aussi entiere, qu’elle étoit avant que d’être gelée.

Il y a dans la pomme quinze grosses fibres, dont dix se distribuënt en rameaux dans toute l’étenduë de la pulpe, & se joignent ensemble vers le nombril, ou œil du Fruit ; & les cinq autres passent en ligne droite du pedicule ou de la queuë, jusqu’à ce nombril, où elles se mêlent & s’unissent avec les dix premieres. Ces cinq dernieres, pour le remarquer en passant, servent principalement à nourrir les pepins de la pomme. Tant que ces fibres & leurs rameaux sont dans leur entier, le fruit se conserve ; mais si-tôt qu’elles viennent à se rompre, le suc s’extravase & le fruit se corrompt. Cela supposé, on comprend aisément pourquoi la chaleur du feu doit gâter le fruit gelé. Tout ce qui est gelé ne l’est que par l’intromission de certains sels, qui, comme autant de coins, se sont insinués dans les pores & entre les parties du corps que le froid a glacé : or la chaleur subite du feu, mettant tout à coup en mouvement ces petites pointes, les oblige à s’écarter toutes du centre, & à se porter avec impetuosité à la circonference ; ce qu’elles ne sauroient faire si promptement, & avec tant de violence, sans rompre ce qui s’oppose à leur passage ; en sorte que si c’est quelque fruit, une pomme, par exemple, il faut necessairement que les fibres de ce fruit se rompent dans tous les endroits par où ces sortes de sels cherchent à sortir : or comme le nombre de ces petites pointes est infini, les fibres du fruit doivent se rompre par tout, & tomber dans le même état, que si on les avoit hâchées ; & c’est en effet ce qu’on remarque, lorsqu’on ouvre une pomme dégelée au feu, les fibres en sont si brisées, qu’on ne les distingue pas. Ces sels étrangers, en s’échappant ainsi avec rapidité, emportent en même tems les sels essentiels du fruit, & la meilleure partie des soufres qui le composent ; en sorte qu’il faut necessairement que ce fruit demeure dénué de toute saveur[94], comme il arrive en effet ; mais s’il n’est alors bon à rien, en qualité d’aliment, il a ses usages comme médicament, & la chair d’une pomme ainsi dégelée auprés du feu, est un excellent topique contre les angelures écorchées.

Les meilleures pommes qui se mangent en Carême, sont la Calvile, la Reinette, le Courpendu, & la pomme d’Apis. La calvile, pour être bonne, doit avoir beaucoup d’odeur, & n’être que médiocrement meure. Si elle est sans odeur, elle est sans goût ; & si elle est trop meure, elle est farineuse. Il y en a de trois sortes ; sçavoir, la Calvile blanche, la Calvile rouge, & la Calvile claire. La rouge, c’est-à-dire, celle qui a la peau & une partie de sa chair rouge, est la meilleure des trois ; ce fruit renferme un suc doux, & convient à ceux qui ont des aigres dans l’estomac, pourvû toute-fois qu’on en mange peu.

La Reinette, par son suc acide, accommode les bilieux. Le Court-pendu est la pomme la plus saine ; il ressemble en dehors à la Reinette, si ce n’est qu’il est marqué de petits points blancs, au lieu que la Reinette est pointillée de gris ; il est meilleur crud que la Rainette ; il a d’ailleurs une saveur plus agréable, & une chair plus délicate. Il est avec cela d’une odeur trés-douce ; & la pelure de ce fruit, jettée au feu, répand un agréable parfum. Le Court-pendu est bon contre la mélancolie, & contre l’enrouëment ; on le creuse, on en ôte les pepins, & on le remplit de sucre, puis on le fait cuire à un feu doux ; quand il est cuit, on le mange sans pain ; si avec le sucre on joint un peu d’oliban en poudre, on a un bon remede contre la pleuresie[95]. C’est avec le Cour-pendu qu’on fait ce fameux syrop de pomme composé, si connu sous le nom de Syrop de pomme du Roi Sabor[96]. Le syrop de pomme simple, ainsi appellé, parce qu’il n’y entre que du suc de pomme, se fait avec la Reinette.

La pomme d’Apis est la plus petite & la plus dure de toutes les pommes qui se mangent ; elle renferme une eau savoureuse, trés-propre à rafraîchir la bouche, & à éteindre la soif ; mais elle a une chair trés-difficile à digerer ; ainsi les personnes d’un estomac foible, se doivent contenter de broïer ce fruit entre les dents, & d’en tirer le suc. La pomme d’apis se doit manger cruë ; elle perd toute sa saveur au feu. Les autres pommes sont fort bonnes cuites ; on les fait cuire ou à la braise, ou au four, ou en compote, on les accommode quelque-fois avec un peu de beurre & de sucre ; quelque-fois on les fait rôtir sur l’assiette, &c. elles sont moins saines cuites au four qu’autrement ; mais il vaut encore mieux les manger de cette maniere, que de les manger cruës : car en général la pomme cruë est mal-faisante, & tous les Medecins en conviennent[97]. Un célébre Auteur[98] rapporte qu’un malade attaqué de vertiges, sans en avoir pû guérir par aucun remede, récouvra enfin la santé, en renonçant à la coûtume qu’il avoit prise de manger à la fin du dîner & du souper quelques pommes cruës. Le suc de la pomme cruë, ainsi que le remarque Galien[99], bout & fermente dans l’estomac, comme le vin qui sort de la cuve. Ce suc est composé de parties extrêmement fines, mais indigestes, lesquelles, par le moïen des arteres, se distribuënt à toute l’habitude du corps ; en sorte que si on mange beaucoup de pommes cruês, il est difficile que la fermentation excessive qu’elles causeront, jointe à la crudité de leur suc, ne trouble la circulation du sang, & que les principaux visceres n’en souffrent. C’est ce qu’un sçavant Medecin[100] assure avoir éprouvé en sa personne, pendant plusieurs années. « J’ai, dit-il, toûjours aimé les pommes cruës ; & pour m’être accoûtumé à en manger tous les jours à mon dessert, tant à souper qu’à dîner, je suis sujet depuis plus de vingt ans à une palpitation de cœur, dont j’ai moderé le progrès, en me faisant tirer du sang sur la fin de l’Automne, & en mangeant moins souvent des pommes cruës. Je les évite sur tout à souper, aïant observé que lorsque j’en mangeois beaucoup alors, je ne manquois pas la même nuit d’être attaqué une ou deux fois de l’Incube[101]. Nous joindrons à l’observation de cet illustre Medecin, l’exemple suivant, dont nous avons été témoin, il n’y a pas long-tems, avec plusieurs personnes de consideration. Une Dame fort infirme, qui avoit lû dans le Traité des Dispenses, que, selon de sçavans Medecins, la santé de l’homme seroit plus affermie, si on faisoit un plus grand usage de pommes, crut sur ce témoignage, ne pouvoir mieux faire pour affermir sa santé chancelante, que de se mettre à manger beaucoup de pommes, & sur tout, de pommes cruë conformément à ce qui est dit au même Traité, dans le ch. 24. de la première Partie, sçavoir, que les fruits n’ont besoin d’aucune préparation, & qu’ils sont excellents au sortir des mains de la nature, sans cuisson & sans art, pourvû qu’ils soient bien choisis et bien meurs[102]. Elle eut donc soin pendant quelques jours de manger beaucoup de pommes cruës ; mais des meilleures & des plus meures, se persuadant qu’avec cette précaution elle alloit vivre aussi sainement que les premiers hommes, dans le Paradis Terrestre. Elle ne fut pas long-tems dans l’erreur ; de fréquentes palpitations de cœur qui lui survinrent, & dont elle n’avoit jamais ressenti aucune attaque, la désabuserent bien-tôt. Elle renonça donc pour jamais à son regime, & avec le secours de divers remedes qu’on lui fit à propos, elle guérit heureusement.

Les pommes ne sont pas toutes également mauvaises en aliment ; mais à parler en général, on peut dire, avec le sçavant Horstius, que de quelque espece qu’elles soient, elles renferment toûjours une substance froide, spongieuse, & trés-cruë, laquelle en rend l’usage fréquent trés-dangereux à la santé, jusques-là même qu’à force d’accumuler dans nos corps des sucs indigestes ; elles peuvent enfin, à ce que prétendent de bons Medecins, causer la Phtisie. Poma crudam, raram, atque frigidam substantiam habent, quàm ob causam frequenter usurpata, crudos succos in nobis cumulant, & phthisim causare creduntur[103]. L’Auteur du Traité des Dispenses en juge bien autrement. Il dit que les pommes sont d’une bonté généralement reconnuë, & comme nous venons de le remarquer il n’y a qu’un moment, on lit même dans son Livre, que selon de sçavans Medecins, la santé de l’homme seroit plus affermie, si on faisait un plus grand usage de pommes. L’endroit est curieux, & merite d’être rapporté. Les pommes, comme les poires, nous dit-on, dans ce Traité, sont des fruits d’une bonté avoüée de tout le monde, jusques-là que quelques-uns se persuadent que la santé en seroit plus affermie, si on en faisoit un plus grand usage[104]. Voilà les paroles de l’Anonyme ; mais qui sont ces quelques-uns, qui ont jugé si favorablement du fréquent usage des pommes ? L’on nous avertit à la marge, que c’est Mundius, p. 127. M. Ray, pag. 1446. & Nonnius, Pag. 108. sur quoi nous avertirons à nôtre tour, que ni Mundius, ni Ray, ni Nonnius, n’ont rien dit de tel, ni d’approchant.

Tout le monde convient, ajoûte l’Anonyme, « que les pommes sont excellentes pour la santé ; & cela, réprend-il, parce que leur suc n’est point sujet à s’aigrir, comme l’experience le fait voir, contre le sentiment de Galien, qui a crû le contraire. »

Que le suc des pommes ne soit point sujet à s’aigrir, nôtre Auteur ne veut point en être crû sur sa parole ; il croit qu’il faut citer là-dessus quelque autorité, & il cite celle de Nonnius ; mais par malheur, il n’a pas pris garde que Nonnius parle ici des Pesches, & non des pommes ; il est vrai que Nonnius appelle les pesches du mot Latin poma ; mais le mot de persica, qu’il met un peu auparavant, devrait bien avoir empêché l’Anonyme de s’y méprendre. Quoi-qu’il en soit, le suc de la pomme est fort facile à s’aigrir. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à exprimer un peu de ce suc, & le garder quelques heures, on reconnoîtra avec Simon Pauli[105], qu’il s’aigrit trés-aisément.

On accuse les pommes d’être pesantes sur l’estomac, de causer des vents, de faire des cruditez, des obstructions. Calomnie que tout cela, selon nôtre Auteur[106], ces défauts n’appartiennent qu’à de mauvaises pommes, mal choisies, ou encore vertes. Comment les pommes, demande-t-il, pourroient-elles charger l’estomac ? Elles sont si peu pesantes de leur nature, qu’elles surnagent toûjours sur l’eau : ce sont ses propres termes, marque, sans doute, continuë-t-il, de la tenuité de leur substance, qui fongueuse & legere, est d’une part propre à se charger des mauvais sels qui se font dans nos corps ; & de l’autre, doit ceder volontiers à toutes les triturations qui doivent la cuire & la digerer. On finit l’éloge de ce fruit, en avertissant qu’Alexandre le Grand, & Philippe, son pere, Roi de Macedoine, étoient friands de pommes. Qui osera aprés cela médire des pommes ? Mais revenons à cette pensée, que les pommes ne sauroient être difficiles à digerer, puisqu’elles nagent sur l’eau, ou, pour ne rien changer dans les termes de l’Auteur, puiqu’elles surnagent sur l’eau, marque certaine, nous dit-il, de la tenuité de leur substance, qui fongueuse et legere, doit ceder volontiers à toutes les triturations, qui doivent la cuire. Sur ce pied-là, les Champignons, qui sont si fongueux, & qui flotent si bien sur l’eau, vont devenir d’une digestion facile. La graisse de la viande sera préferable à la viande même, & de toutes les parties des animaux, les poumons seront celles qu’on digerera le mieux. Mais quand une chose va sur l’eau, n’est-ce pas une marque de la tenuité de sa substance, & une preuve, par consequent, qu’elle se doit digerer facilement ? Il faut l’avoüer, on ne peut resister à une telle démonstration ; & si l’Auteur du Traité des Dispenses est Medecin, comme il le veut insinuer dans sa Préface, il fera fort sagement de conseiller dorénavant à ses malades d’abandonner la chair du poulet, comme trop pesante, & d’en choisir la plume, comme plus legere, à moins qu’il ne trouve plus à propos de leur faire apprêter du liege, comme plus fongueux, & plus propre par consequent à se charger de ces mauvais sels qui se font dans nos corps ; mais parlons sérieusement, est-ce là le langage d’un Medecin, que des alimens ne puissent être de difficile digestion, dès qu’il sont assez legers pour nager sur l’eau ? Cette legereté, au contraire, doit faire tirer une consequence toute opposée, comme l’a trés-bien compris un sçavant Botaniste Moderne : les pommes, dit-il, sont fongueuses ; elles sont spongieuses, & flotent sur l’eau ; ce qui les rend d’une difficile digestion ; Poma sane sunt fungosa & spongiosa, quæ injecta aquæ innatant, contrà pyra residunt, unde poma difficulter in ventriculo concoquuntur[107].


DES POIRES.


Ce sont des fruits ronds et charnus, beaucoup plus menus vers la queuë qu’à l’extrémité opposée : ce qui leur donne comme une figure pyramidale. Ils renferment, ainsi que la pomme, cinq loges remplies de petits pepins moëlleux, mais plus bruns, & la plûpart noirs. Ces fruits, qui sont d’une grosseur à peu prés semblable à celle des pommes & aussi variée ne se divisent pas en moins d’especes, soir pour la grosseur, qui, en quelques-unes, passe celle des plus grosses pommes, soit pour la couleur, l’odeur & le goût.

Ces differentes espèces, aussi-bien que celles des pommes, viennent la plûpart des differens greffes. Le poirier, se divise en deux especes generales ; l’un, cultivé, dont le fruit est bon à manger ; l’autre sauvage, dont le fruit âpre n’est d’aucun usage parmi les alimens. Le poirier domestique, ainsi que le pomier domestique, est de deux sortes, l’un grand, l’autre petit. Le grand, est un arbre médiocre, qui a le tronc gros, le bois jaunâtre, & la feüille assez large, un peu arondie & pointue. Le petit, est un arbre nain, qui ne diffère guéres de l’autre que par sa petitesse.

Les poires sont plus amies de l’estomac que les pommes. Elles sont toutes astringentes, les unes plus, les autres moins ; cette astriction est cause qu’elles conviennent mieux aprés les repas que devant, à moins qu’il ne soit à propos de resserrer le ventre. Quand on en use avant le repas, il n’en faut manger que trés-peu, de peur qu’elles ne resserrent trop l’orifice inferieur de l’estomac, qu’elles n’empêchent les matieres du bas ventre de descendre, & qu’elles ne causent des vents & des coliques. Quand on les prend aprés le repas, elles obligent l’orifice superieur de l’estomac à se fermer plus étroitement, & en rétrecissant ainsi le haut de ce viscere, elles empêchent les rapports des viandes, & favorisent en même tems la descente des alimens digerez ; en sorte qu’elles lâchent le ventre, étant mangées aprés le repas ; & qu’elles le resserrent, étant mangées un peu auparavant. Nous en avons dit autant des pommes apres.

Les poires les plus usitées en Carême, sont le Rousselet d’Hyver, la Magdelaine, le Certeau musqué d’Hysver, la Bergamotte de Pâques, le Bon-Chrétien tardif, le gros Beurré d’Hyver, la poire de Fer ou d’Hyver, le Cadillac, la Carmelise musquée, &c. Toutes ces poires sont saines, pourvû qu’on n’en mange point trop. Le Rousselet est un peu sec ; le Certeau a plus d’eau, aussi-bien que la Bergamotte de Pâques, qui est d’une aussi bonne eau que celle d’Automne. Le Beurré d’Hyver est d’une chair fondante, qui se digere assez aisément. La poire de Fer, ou d’Hyver, est trés-astringente, & n’est bonne que cuite. On fait cuire les poires de plusieurs manieres, comme les pommes. Elles ont moins besoin de sucre que les pommes, & on y en met ordinairement trop. On les rend par-là plus propres à alumer la bile qu’à fortifier l’estomac, sur tout lorsqu’on y mêle du vin, comme il se pratique d’ordinaire. La poire cuite est déja par elle-même d’un goût assez sucré & vineux. On trouve dans le centre de ce fruit, une partie remarquable, qu’on nomme la Carriere ; c’est un amas de petits grains pierreux, dont quelques-uns moins durs que les autres, se répandent dans la chair même du fruit. Ces petits graviers font croire au vulgaire que les poires engendrent la gravelle ; mais c’est une erreur ; les choses pierreuses sont au contraire plus propres à guerir cette maladie, qu’à la produire. Aussi les Medecins conseillent-ils contre ce mal, les yeux d’écrevisse[108], la coquille d’œuf[109], le milium solis[110], les noïaux de néfles[111], les petits graviers qui se trouvent dans les éponges[112], la pierre qui se prend dans la tête de la perche, de la carpe, & de quelques-autres poissons[113][114] ; en sorte qu’on peut dire de l’erreur de ceux qui croïent que les poires doivent donner la gravelle, à cause de leurs petits graviers : ce qu’un sçavant Medecin a dit de la simplicité de certaines gens, qui se figurent que parce que les œufs durcissent, quand on les fait cuire, ils peuvent donner occasion à la même maladie. Stultum est, inde lapidis generationem astruere velle, sic enim eodem jure, vel potiori etiam, idem affirmari posset de chrystallo, vitro, corticibus ovorum, lapide Judaïco, lyncis, pumicis, spongiarum, oculis cancrorum, corporibus multo durioribus, & concretioni magis aptis, quæ tamen omnia adversùs calculum summa sunt remedia, si judicandum quoque de duris mespillorum ossibus, de milio solis, aliisque id genus, quæ vel ipsos lapides potiùs referunt quàm semina, & interim maximam calculi atterendi vim possident[115].

Nous ajouterons à cela que l’acide des poires se trouvant un peu plus fort que celui des pommes, est plus capable de lier les parties sulfureuses du sang, & de causer la pierre ; mais que pour prévenir ce danger, il faut manger les graviers de la poire ; parce que ces graviers sont une terre capable d’absorber les acides, & de les briser comme font les yeux d’écrevisse.

Il y a divers moïens de conserver les pommes & les poires[116], un des meilleurs, pourvû qu’elles soient cuëillies dans le tems convenable ; c’est d’en sceller le pedicule avec de la poix, & puis de les suspendre. Comme c’est par cette partie que les fruits tirent leur nourriture, c’est aussi par cette voïe que leur substance, quand ils sont une fois cuëillis, se dissipe le plus. Le pedicule de la poire, aussi-bien que celui de la pomme, se partage en plusieurs fibres, qui portent la nourriture au fruit & aux pepins, quand le fruit est sur l’arbre ; & qui lors qu’il n’y tient plus, la laissent échapper insensiblement ; c’est pourquoi on ne sçauroit apporter trop de soin pour sceller exactement l’extrêmité de ce pedicule, à l’endroit où il a été séparé de l’arbre. Il faudroit même, pour bien conserver un fruit, le cuëillir avec une partie de la branche, si cela n’endommageoit point l’arbre, & puis mettre de la cire ou de la poix à l’endroit de la séparation[117]. La poire est moins sujette à geler que la pomme ; mais quand elle est glacée, il faut la faire dégeler de la même maniere que la pomme.

Nous avons dit que toutes les poires étoient astringentes ; il ne faut point finir cet Article, sans remarquer que cette astriction est telle, selon quelques Auteurs, que la seule odeur d’une poire est capable, à ce qu’ils disent, de retarder l’accouchement. Sennert, entr’autres, est de ce sentiment, & il défend expressément de laisser des poires ou des coins auprés d’une femme qui accouche, ou qui est prête d’accoucher. Simon Pauli dit que si on appréhende qu’une femme grosse ne se blesse, c’est une bonne précaution de mettre auprés d’elle des poires ou des coins. Nous ne voulons rien assurer sur tout cela : ce que nous dirons, c’est qu’en general, il est certain, par un grand nombre d’experiences, que les odeurs font de grandes impressions sur le séxe.

L’Auteur du Traité des Dispenses, vante fort les poires, & il a raison ; mais il soûtient mal l’éloge qu’il en fait. Il ne dit point que la poire nage sur l’eau, comme il l’a dit de la pomme : elle est en effet beaucoup plus pesante ; cela n’empêche pas qu’il ne la croïe encore de plus facile digestion que la pomme. Que devient donc son principe, que ce qui est plus leger sur l’eau, est plus aisé à digerer. C’est à lui à nous expliquer ce mystere. Quoi-qu’il en soit, il donne ici à la poire de grandes loüanges : il dit qu’on trouve dans les poires de quoi rassurer ceux qui craignent que les fruits n’affoiblissent l’estomac : il dit, qu’on a dans la poire un suc vineux, au point même de pouvoir nuire aux malades, à qui on doit, dit-il, aussi peu accorder l’usage des poires que celui du vin : Que la poire est plus aisée à digerer que la pomme, & qu’elle n’incommode point l’estomac, quand même on la mangeroit cruë ; Que de si belles qualitez donneroient peut-être à craindre qu’elle n’eût quelque chose de trop chaud ou de trop vif, par où elle pourroit troubler la digestion ; mais que tout y est si sagement ménagé, ce qu’elles ont de soufre, si bien concentré, que l’usage a fait connoître qu’elle rafraîchit, & qu’elle humecte[118], puisqu’elle éteint la soif ; que rien enfin n’est si peu à craindre pour la santé, puisqu’on prétend qu’un excés de poires, même cruës, ne fait point de mal ; qu’on soupçonne les poires & les pommes de remplir les veines de serositez toûjours nuisibles[119], ne fussent-elles que surabondantes ; mais que cette crainte est fondée sur un mal-entendu, les serositez qui entretiennent les maladies, venant moins d’un sang refroidi, usé ou aqueux, que d’une fonte ou colliquation[120], devenuë habituelle, soit par un sel acre, soit par un aigre vicieux[121] ; mais qu’on n’a rien à craindre de semblable des sucs aqueux des poires & des pommes ; que celui des pommes n’aigrit que trés-mal-aisément, & que celui des poires a quelque chose de doux, de vineux même, plus propre à prévenir les sérositez qu’à les produire ; que si l’on a des infirmitez qui soient entretenuës par une bile trop vive qui fermente tout, ou par une bile fixe, brûlée & alcalisée, qui tienne tout en fusion : on ne doit rien craindre alors d’un fruit, dont le suc aqueux[122], mais temperé, des mains même de la nature[123], se trouve capable de rabattre les effervescences de la bile, d’en émousser l’âcreté, & d’en adoucir l’ardeur ; que la douceur des poires n’est autre chose que l’effet d’un assemblage de soufres naturels, ou de parties huileuses, dont ces sortes de fruits sont pleins, & qui venant à se mêler avec le sang, le temperent & le dulcifient[124] ; que les sucs aqueux des pommes & des poires se digerent commodément ; qu’ils sont proportionnez au sang, amis d’ailleurs des parties qu’ils flattent agréablement[125].

Voilà l’éloge qu’on fait des poires, dans le Traité des Dispenses ; cet éloge contient cinq Articles principaux ; le premier, que ceux qui appréhendent que leur estomac ne s’affoiblisse, trouveront dans la poire un suc vineux, qui les doit rassurer ; mais un suc vineux, jusqu’au point de pouvoir nuire aux malades, à qui on doit aussi peu accorder l’usage des poires, que celui du vin. Le second, qui est tout le contraire de celui-là, c’est que le suc de la poire est un suc aqueux, excellent dans les maladies où la bile trop vive fermente tout. Le troisiéme, qui contredit le second, que ce suc ne produit aucune fonte dans les humeurs ; parce qu’étant vineux, il est plus propre à prévenir les sérositez qu’à les produire. Le quatriéme, qu’il adoucit le sang, ou pour nous servir des termes de l’Auteur, qu’il le dulcifie, bien loin d’introduire dans les vaisseaux aucun suc nuisible. Le cinquiéme, qu’il se digere commodément.

Voïons à present de quelle maniere nôtre Auteur, en parlant du poiré, se souvient de ce qu’il vient de dire du suc des poires. Il soûtient[126] que « le poiré trouble la digestion, qu’il cause des vents, qu’il ne doit paroître que sur les tables des gens de travail, qu’on le doit défendre aux personnes délicates, à cause qu’il resserre trop, & qu’il cause des obstructions ; que les mauvais effets qu’il produit, viennent de ce qu’il est plus vineux que le cidre, qu’on le trouve semblable en qualité au vin blanc » ; que cela posé, il doit être plus mal-faisant que le cidre, parce qu’on sçait que le vin blanc est plus dangereux à la santé que le rouge. « On appelle même, dit-il, le vin blanc, Vin mâle ; parce qu’il a quelque chose de plus puissant, & qu’il fond, par exemple, davantage les humeurs[127] : ce seroit donc, ajoûte l’Auteur, la copie d’un assez mauvais original, qu’une liqueur vineuse, qui ressembleroit au vin blanc ; aussi convient-on que le poiré est moins seur pour la santé ; parce qu’il remplit les veines de sucs fermentatifs & turbulens, qui occasionnent des coliques & des cours de ventre. »

Qui auroit crû que le suc de la poire, lequel est si bon au commencement du Traité des Dispenses, fût devenu si mauvais sur la fin ? L’Anonyme, répondra-t-il, que le poiré est un suc devenu vineux, & par consequent d’une mauvaise qualité ? mais ne vient-il pas de dire, en parlant du suc même, qui sort de la poire, quand on la mange, que c’était un suc vineux ; & n’a-t-il pas fait consister en cela la meilleure qualité du suc de ce fruit ?


DES FRUITS,
qui se mangent secs en Carême.



Les fruits les plus ordinaires en Carême, aprés les pommes & les poires, sont comme nous l’avons dit, les fruits secs, tels que les Raisins & les Figues de Carême, les Amandes, les Avelines, les Noix, les Châtaignes, les Brignoles, & les Pruneaux. Nous allons exposer en détail, & le plus succintement qu’il nous sera possible, les differentes qualitez de ces fruits


DES RAISINS.


Les Raisins, comme l’on sçait, sont des fruits en grappes, lesquels viennent à un arbrisseau, dont la tige tortuë pousse plusieurs sarmens foibles & rampans, garnis de grandes feüilles vertes, découpées, & ordinairement un peu rudes au toucher. Ces fruits, dont on fait le vin dans la saison, & qui se mangent alors dans leur fraîcheur, ne se mangent en Carême qu’après avoir été long-tems auparavant séchez au soleil ou au four. Les raisins abondent en phlegme, en soufre, & en acide ; mais cette préparation les dépoüille de la plus grande partie de leur phlegme, & corrige l’acide qu’ils contiennent ; ce qui les rend plus nourrissans, & leur donne en même tems une qualité adoucissante, trés-propre pour remedier aux acretez de la poitrine, & pour amolir le ventre. Les raisins secs sont donc sains ; mais ils se tournent aisément en bile ; & les personnes sujettes à avoir la bouche amère, les doivent éviter. Il faut prendre garde, en les mangeant, d’en écraser les pepins, à moins que ce ne soit sur la fin du repas, ou qu’on n’ait le ventre trop libre : car comme ces pepins contiennent un suc trés-astringent, ils peuvent quelque-fois trop resserrer l’orifice inferieur de l’estomac. Ces mêmes pepins sont bons contre le crachement de sang, & contre la dyssenterie ; mais il faut que le malade ait été préparé auparavant par la saignée & par la purgation : on peut les reduire en poudre, si l’on veut, & alors ils operent plus promptement. Pour faire cette poudre, il faut les séparer du grain, & les faire rôtir au four, puis les broïer. La dose est depuis un scrupule jusqu’à un demi gros, dans du bouillon, ou dans quelque eau convenable. Les pepins des raisins sont donc astringens ; mais quand on les avale sans les casser, ils ne resserrent nullement. Ceux qui ont l’estomac foible, se trouvent bien de mâcher aprés le repas deux ou trois grains de raisins secs avec les pepins, & de les avaler ; cela contribuë à la coction des alimens.


DES FIGUES.


La Figue est un fruit mou & charnu, de la grosseur & de la figure d’une poire médiocre, verd en dehors, rougeâtre en dedans, & d’un goût doux & vineux trés-exquis. Il croît sur un arbre médiocre, dont la tige jette des rameaux moëlleux, garnis de grandes feüilles, d’un verd foncé, & découpées en cinq parties. Ce fruit étant séché au soleil, comme le raisin, se conserve avec la même facilité ; & c’est ainsi qu’il se mange en Carême. Les figues séches sont plus nourrissantes que les autres, sans en être guéres moins malsaines : car on peut dire en general, que la figue est un bon médicament, & un assez mauvais aliment. In genere scire conducibile est, siccas ficus quas caricas vocamus, meliores esse recentioribus, omnes tamen usque adeo laudabilem succum haud gignere[128], remarque un sçavant Medecin. C’est un bon médicament, puisqu’il est propre pour pousser par les urines & par les sueurs[129] ; qu’on s’en sert avec succés contre la gravelle[130], contre la petite verole[131], & pour faciliter l’accouchement[132] : enfin, qu’il entre dans la composition du mithridate si renommé contre les poisons. C’est un mauvais aliment, quoi-que d’ailleurs d’un goût agréable ; puisque, lorsqu’on en fait un fréquent usage, il corromp la masse du sang, jusqu’à produire la maladie pediculaire[133] ; qu’il rend la sueur d’une odeur insupportable[134] ; qu’il gâte la voix[135], & que s’il engraisse, il produit une chair molle & flasque[136]. On prétend que les figues sont plus saines, étant mangées avec les noix & les amandes, comme il se pratique en Carême ; mais de quelque maniere qu’on les mange, il n’y a qu’à en manger peu & rarement, & elles ne feront point de mal. Les anciens Athletes se nourrirent d’abord de figues ; mais ils reconnurent bien-tôt le danger qu’il y avoit d’en faire un aliment ordinaire, & ils se virent obligés de les abandonner.

Elles sont nuisibles aux Mélancoliques, parce qu’elles font un chyle, qui tire sur l’aigre, & qui aigrit davantage la masse du sang, qui n’est déja que trop acide dans les Melancoliques. Elles peuvent être accordées aux bilieux, & à ceux qui ont le sang acre ; parce que par leurs parties acides & sulfureuses : elles corrigent le sel alcali, dont le sang de ces sortes de personnes est rempli.

Il a été un tems où ce fruit chez les Grecs étoit si estimé, que si on avoit vû de l’or d’un côté, & des figues de l’autre, on auroit laissé l’or pour se jetter sur les figues[137] ; mais c’est qu’elles étoient alors extrêmement rares, & qu’on les regardoit comme le meilleur de tous les antidotes, contre quelque sorte de venin & de poison que ce fût.

Les figues font belle figure dans le Traité des Dispenses ; on y voit Xerxés Roi de Perse, attiré par la réputation des figues, venir déclarer la guerre aux Atheniens, pour s’emparer de celles qui croissent chez eux. Les Gaulois la porter en Italie, pour avoir le plaisir de manger des figues à Rome. Platon, en manger volontiers & souvent[138], jusqu’à meriter d’être appellé Mangeur de figues ; mais comment n’auroient-elles pas été dignes de tous ces empressemens, amies comme elles sont du sang, qui, à ce que dit l’Anonyme, se trouve adouci & engraissé par leur usage. Elles le purifient, ajoûte-t-il[139], & l’affinent au point de produire des sueurs. Cet Article, pour le remarquer en passant, fait encore voir que ce n’est pas M. Hecquet qui parle ici, puisque ce Medecin prétend dans une Dissertation qu’il a donnée sur la Saignée, qu’il n’y a point de sudorifique innocent.

On accuse les figues de produire des vers ; mais l’Auteur du Traité des Dispenses dit, que c’est une terreur panique, uniquement fondée sur la prétenduë ressemblance qu’on croit appercevoir entre les graines des figues & la vermine. Qui est encore, ajoute-t-il, à revenir de ces rêveries, & en qui trouvent-elles créance ? Cet Auteur a raison de regarder comme une rêverie, de croire que parce que la figue renferme des graines qui ressemblent à de petits vers, elle soit capable de produire des vers dans le corps. Mais il se trompe, de penser que ce soit sur une telle imagination que Galien[140], Hofmann[141], & quelques autres Auteurs, qui ne sont point des rêveurs, ont décidé que la figue étoit vermineuse. Ils se sont fondez sur l’expérience, étant certain que la plûpart de ceux qui mangent beaucoup de figues, ne tardent gueres de païer ce plaisir, par des maladies vermineuses, comme il seroit facile de le montrer, par un grand nombre d’exemples dont on a été témoin. On se contentera seulement d’assurer que l’on connoît diverses personnes, qui n’aïant pû par aucuns remedes se guérir de vers, dont ils étoient attaquez tous les Automnes, où ils mangeoient beaucoup de figues, n’ont trouvé la fin de leur maladie, que dans l’abstinence de ces sortes de fruits. Les figues, à moins qu’on n’en mange que trés-peu, & par maniere de médicament, sont ennemies de l’estomac, & causent des cruditez ; c’est pourquoi elles sont vermineuses. L’Anonyme dira peut-être que les figues séches, comme on les mange en Carême, n’ont point cette mauvaise qualité : elles l’ont moins à la verité ; mais elles l’ont ; & si on veut consulter l’experience, on verra qu’un ancien Naturaliste ne s’est point trompé de dire, que les figues séches offensent l’estomac. Siccæ Fici stomachum lædunt[142].

Une raison singuliere que l’Anonyme apporte, pour recommander les figues séches, c’est que « c’étoit de celles-là qu’on servoit avec distinction dans les repas célébres des Lacedemoniens, persuadé qu’on étoit qu’il auroit manqué quelque chose à la bonne chere, si on avoit omis d’y servir des figues »[143]. C’est raisonner aussi judicieusement, que si pour recommander les melons, on disoit, qu’on en sert dans la saison sur les meilleures tables, & qu’on croiroit qu’il manqueroit alors quelque chose à la bonne chere, si l’on omettoit d’en servir.


DES AMANDES.


L’Amande est un petit fruit long, dur & cassant, trés blanc en dedans, couvert d’une pellicule rougeâtre, & enfermé dans une coquille ligneuse, qu’une peau verdâtre, charnuë, & ordinairement veloutée, enveloppe en dehors. Il y a de deux sortes d’Amandes, les unes douces, les autres ameres : ces deux especes viennent sur des arbres entierement semblables, lesquels se cultivent dans les jardins, & dont les feüilles ressemblent si fort à celles du pêcher, qu’on a peine à les distinguer.

L’Amande est d’une chair compacte, serrée, trés-difficile à digerer ; mais le lait qu’on en tire, & qu’on appelle Lait d’Amande, est trés-sain & trés-nourrissant. On fait avec ce même lait, mêlé dans la gelée de poisson, un fort bon blanc-manger, pour le tems du Carême. Le lait d’amande convient à ceux qui ont des ardeurs d’urine, à ceux qui ne peuvent dormir, à ceux dont le ventre est ou trop resserré ou trop libre ; il convient aux gens maigres, &c. Le blanc-manger, préparé avec ce lait, & avec la gelée de poisson, comme nous venons de dire, est excellent pour rafraîchir & pour humecter. On mêle quelque-fois avec les amandes douces, quelques amandes ameres, pour relever le goût des premieres, & les rendre en même temps plus aperitives ; ce qui est fort à propos : car les amandes ameres renfermant plus de sel nitreux que les douces, sont plus capables de resoudre les obstructions, & de déboucher les passages : c’est ce qui fait que la plûpart des Medecins les recommandent dans la gravelle[144].

Les amandes, soit les douces ou les ameres, contiennent un suc huileux, mêlé d’une médiocre quantité de phlegme, & de parties terrestres ; les douces ont avec cela un sel volatil temperé, qui tire un peu sur l’acide ; & les ameres un sel volatil nitreux, extrêmement acre. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à distiller séparément dans une cornuë des amandes douces & des amandes ameres, quatre onces d’amandes rendront une once & demie d’huile, & autant de phlegme, le marc qui restera dans la cornuë, renfermera quelque peu de sel fixe ; l’huile aura une saveur acre balsamique ; mais cette acreté sera plus sensible dans l’huile des amandes ameres, que dans l’autre[145], d’où il sera facile de conclurre, que les soufres de ces huiles sont mêlez de particules salines volatiles, & telles que nous venons de les définir. Quant au phlegme, il ne sera pas insipide non plus : on remarquera sans peine quelque chose d’acre & de salé, qui ne permettra pas de douter qu’il ne renferme aussi une substance saline volatile. Ces sels sont cause que les émulsions trop long-tems gardées, s’aigrissent, & contractent de la rancissure ; mais aussi les parties huileuses, & le phlegme que les amandes douces renferment, rendent ce fruit, quand il n’est point trop vieux, & que ses sels n’ont pas eu le tems de s’exalter, extrêmement propre, pour adoucir le sang, pour apaiser les coliques, pour procurer le sommeil, pour modérer les trop grands cours de ventre ; en un mot, pour remedier à toutes les maladies qui viennent d’humeurs acres & corrosives, pourvû toutes-fois qu’on ne mange point les amandes, mais qu’on n’en prenne que le suc : car encore un coup, la chair des amandes est difficile à digerer : de plus, comme cette chair est extrêmement compacte ; elle tient à l’étroit dans ses pores, des particules elastiques d’air, lesquelles venant à se dégager dans l’estomac, & dans les intestins, causent des gonflemens trés-incommodes.

Les amandes amères, comme nous avons dit, sont fort détersives ; mais nous remarquerons ici que ces amandes, qui font du bien à l’homme, sont un poison mortel pour la plûpart des oiseaux[146]. Ce qui vient, dit un sçavant Medecin, de ce que les fibres de ces animaux sont trop tendres & trop délicates, pour pouvoir resister comme celles de l’homme, à l’irritation des sels acres que renferme l’amande amere.


DES AVELINES,
& des Noix.


Les Avelines sont les Fruits d’un arbrisseau, connu sous le nom de Coudrier ou Noisetier, lequel pousse des tiges longues, pliantes, sans nœuds, d’un bois tendre & blanc, avec de grandes & larges feüilles extrêmement crespées, & plus crespées que celles de l’aulne. Le fruit est une amande ronde ou presque ronde, un peu rougeâtre, revêtuë d’une petite peau, & enfermée sous une écorce ligneuse & cassante, qu’une coëffe membraneuse, déchiquetée à l’extrémité, recouvre entierement ou en moitié, selon l’espece de l’arbrisseau ; car il y a deux sortes de Coudriers, l’un, donc les feüilles sont plus grandes, & les fruits absolument cachez dans leur enveloppe exterieure ; l’autre, dont les feuilles sont plus petites, & les fruits à demi couverts de leur coëffe, qui les environne en maniere de calote.

La Noix vient sur un grand arbre, qui répand ses branches fort au large, & qui jette de grandes feüilles nerveuses, d’un verd jaunâte, & d’une odeur forte. Ce fruit est ligneux, c’est-à-dire, enclos sous une écorce de bois, comme l’amande & l’aveline ; mais plus gros. Il est rond, & ordinairement un peu long, l’écorce de bois qui le renferme est dure, cassante, & environnée en dehors d’une enveloppe verte, fort épaisse & amere, laquelle se sépare du fruit, lorsqu’il est meur, ou qu’il commence à sécher. La noix est divisée interieurement en quatre membres ou ailerons, par le moïen d’une pellicule ligneuse, qu’on appelle vulgairement du nom de zeste ; ces ailerons sont blancs, durs, cassans, & revêtus d’une membrane souple, qui, lorsque le fruit est encore frais, se sépare aisément avec le doigt, & qui jaunit à mesure que la noix vieillit. Les meilleures noix sont celles qui ont la coquille longue, blanchâtre, aisée à rompre, & dont le noïau n’est point adherent.

Les Avelines & les Noix ont une chair friable, mais compacte, dure & serrée, sur laquelle les levains de l’estomac ne font que glisser : ce qui les rend trés-difficiles à digerer. Elles renferment, outre cela, un certain sel mordant, mais modifié par les soufres, lequel ainsi corrigé, excite l’appetit, & fait que dans les collations de Carême, où les avelines & les noix se servent plus ordinairement, on mange souvent de ces sortes de fruits au de-là de ce qu’on devroit : ce même sel excite, sur tout, à manger beaucoup de pain ; d’où il arrive qu’on passe insensiblement les bornes prescrites par le jeûne, & qu’on nuit en même tems à sa santé : car s’il est toûjours dangereux de se remplir de pain, il l’est encore plus le soir que dans un autre tems, rien n’étant plus capable de causer ce sommeil accablant[147], où la respiration embarrassée fait souffrir dans le repos même un veritable supplice.

Les Avelines & les Noix sont assez nourrissantes, quand on fait tant que de les digerer. Au regard des premieres, elles ont, comme l’a observé Galien[148], une substance plus terrestre que les noix, & par consequent elles doivent resister davantage à la digestion. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’est pas necessaire d’en faire excés, pour s’appercevoir qu’elles sont ennemies du cerveau & des nerfs. Pour ce qui est des noix, lorsqu’on en mange beaucoup, & qu’elles sont un peu trop séches, elles allument la bile, & nuisent considerablement à la voix. C’est cependant une erreur, que ce qu’on a voulu faire entendre par ce Vers, qui est devenu si trivial :

Unica nux prodest, nocet altera, tertia mors est.

L’Auteur du Traité des Dispenses trouve que le nom de Roïale, qui a été donné à la noix nux Regia, marque la bonté de ce fruit[149] ; & il observe qu’en Perse il n’y avoit que le Roi qui eût droit de manger des noix ; en sorte, dit-il, que c’étoit veritablement un manger de Roi[150] : ce qui est cause, à ce qu’il ajoûte, qu’on a appellé ce fruit Noix Roïale[151]. Aprés une telle preuve de la bonté des noix, comment osons-nous en médire ? & ne nous trouvera-t-on pas bien déraisonnables, de ne pas vouloir croire que ce mets vaille mieux que la viande ? Car c’est la conclusion que l’Anonyme veut que l’on tire ; nous ne laisserons pas cependant de persister dans nôtre premier sentiment, & nous dirons, avec un sçavant Medecin, qui nous a laissé d’excellens Ecrits sur les alimens, que si la noix porte le nom de Roïale, ce beau titre ne la rend pas meilleure, puisqu’il n’empêche pas qu’elle ne cause des douleurs de tête, qu’elle n’excite la toux, & qu’elle ne soit trés-difficile à digerer. Inglandes etsi Regiæ nuces Διὸς Βάλανος audiant, nihil tamen continent quod eas magnifice commendet. Sunt enim concoctu difficiles, capitis dolorem, tussimque cient[152].

Nous avons remarqué que les noix étoient plus mal-saines étant séches ; ainsi on ne peut apporter trop de soin pour les conserver dans leur fraîcheur ; on en vient aisément à bout, en les cuëillant dans le milieu de leur maturité, & les enfermant ensuite sous le sable, dans un lieu frais. Que si on ne s’est pas donné ce soin, & qu’elles soient devenuës trop séches, il faut les faire tremper tout entieres avec la coquille dans un peu d’eau, & les y laisser quelques jours ; elles deviennent par ce moïen presque semblables à des noix fraîches.

On recherche dans le Traité des Dispenses, si les Avelines nourrissent peu ou beaucoup. Les Medecins, dit l’Anonyme, sont partagez sur ce sujet ; « de bons Auteurs les trouvent peu succulentes ; d’autres les substituent aux dattes & aux pistaches, lesquelles certainement ne passeront jamais pour peu nourrissantes ; mais, ajoûte-t-on[153], ce qui décide la question en faveur des Avelines, c’est qu’elles engraissent hors de mesure, & qu’elles contribuënt à la fécondité. » Voilà une question bien singulierement décidée ; de bons Auteurs croïent que les avelines nourrissent peu ; d’autres, qu’elles nourrissent beaucoup. Mais ce qui décide la question, c’est qu’elles engraissent hors de mesure : Comment l’Anonyme sçait-il que les Avelines engraissent si fort ? il nous avertit à la marge qu’il l’a lû dans Pline. Voilà donc la question finie, & tous les Auteurs aprés cela doivent se taire. Il ajoûte, comme nous venons de voir, qu’une autre marque que les Avelines nourrissent beaucoup, c’est qu’elles contribuënt à la fecondité ; sur quoi il cite Simon Pauli, qui n’en dit pas un mot. Mais nôtre Auteur, comme on le verra plus d’une fois, ne se fait pas une affaire de forger des citations quand il lui en faut. Quoi-qu’il en soit, si les Avelines engraissent hors de mesure, comme il le prétend, elles sont par consequent plus capables de nuire, que de contribuer à la fecondité ; c’est à quoi il n’a pas pris garde, sans doute.

Les Avelines & les Noix ont plusieurs usages en Medecine ; les premieres sont emploïées contre les douleurs néphretiques[154], contre les ardeurs d’urine[155], contre les diarrhées, & contre la pleuresie[156], les dernieres contre la malignité des humeurs. La recette que Pompée, aprés la défaite de Mithridate, trouva dans le cabinet de ce Prince, laquelle portoit, que quiconque useroit de cette recette, seroit chaque fois qu’il en useroit, à l’épreuve de tout poison pour vingt-quatre heures, étoit de broïer ensemble avec un grain de sel, deux figues sèches, vingt feüilles de rhuë, deux noix sèches, & d’avaler à jeûn ce mêlange[157]. Il n’en falut pas davantage pour mettre dés lors les noix en grande réputation. Pline, qui rapporte ce fait, ajoute qu’on disait de son tems que c’étoit un bon remede contre la morsure des chiens enragez, qu’une noix mâchée à jeûn, & appliquée sur le mal. Divers Auteurs ont depuis écrit qu’aprés avoir laissé la noix quelque tems sur la plaïe, il faut la retirer, & la donner à manger à une poule ; que si la poule en meurt, on est guéri. Nous ne prétendons rien assurer là-dessus ; mais en cas que le remede, dont il s’agit soit veritable, nous ne ferons pas difficulté de dire, que c’est peut être plûtôt à la salive qu’à la noix, qu’on doit attribuer cet effet.


DES CHATAIGNES ou Marons.


Les Chataignes ou Marons, sont des fruits faits en forme de cœur, & gros à peu prés comme des noix ; couverts d’une peau semblable à du cuir, sous laquelle est une petite membrane, & enfin une pulpe fort blanche, & bonne à manger, qui est la chair de la chataigne ou du maron. Ces fruits naissent plusieurs ensemble, dans une enveloppe ronde, toute herissée de piquans, & partagée en diverses loges veloutées, dont chacune contient une chataigne, quelque-fois deux, & quelque-fois davantage.

Les chataignes sont ou cultivées ou sauvages ; les cultivées se nomment Marons, du mot Italien Marrone ; ce sont les meilleures ; & les sauvages retiennent le nom de chataignes. Les unes & les autres viennent sur un grand arbre, dont les feüilles sont longues & larges, minces, un peu rudes, nerveuses sur le dos, & dentelées dans leur circonference.

Les chataignes, sans excepter celles qu’on appelle Marons, contiennent un suc gras & terrestre, qui les rend trés-difficiles à digerer : elles abondent sur tout en un sel tartareux, fort contraire aux mélancoliques, & à tous ceux dont les humeurs trop grossieres ont peine à circuler. Elles sont trés-nourrissantes, lorsqu’on les digere ; mais il en faut manger peu, sans quoi elles chargent l’estomac, & peuvent causer des coliques, à moins qu’on ne soit d’une constitution forte & robuste, comme la plupart des Limosins, qui mangent du pain de chataigne, & qui n’en sont point incommodez.

Ce fruit n’est jamais bon crud : on prétend même qu’il est alors dangereux, & qu’il peut produire la maladie pediculaire. Voici comment s’explique là dessus Simon Pauli. Nonnulli volunt castaneas crudas, aut sub arbore lectas devoratasque, producere animal illud quod nec fruges comedit, nec libat munera Bacchi, quod terram non exercet & arat, sed humanas carnes vellicat lenissime ac pungit, non volatile ut aves non desultorium ut pulex, sed pro dignitate vitæ suæ stabile ac quietum, passu tardo & composito incedens, paupertatis comes & assecla forumque vitans & superba civium potentiorum limina : ut ita ex laude pediculi, clarissimi. Dan. Heinsii jocer. Sim. Pauli.

On fait cuire le maron, ou à la vapeur de l’eau, ou dans l’eau même, ou sous la cendre, ou à un feu clair, dans une poële criblée. Il est plus sain cuit à la vapeur de l’eau, ou dans l’eau ; parce que l’humidité de l’eau en délaïe les principes, & les rend plus capables de se détacher : il incommode moins alors l’estomac, & il nourrit davantage. Les marons cuits sous la cendre sont plus savoureux, plus délicats, & même plus sains que ceux qui sont rôtis dans la poële ; & cela pour deux raisons ; la premiere, parce que la cendre qui couvre les marons, empêche que les parties volatiles ne s’en exhalent si vite ; & la seconde, parce que cette cendre fournit un sel qui entre dans le maron, & qui en divise les principes ; deux effets qui rendent ce fruit moins indigeste. C’est un mets délicieux, que des marons rôtis, bien dépoüillez de leur membrane interieure, & assaisonnez avec du jus d’orange, & du sucre ; mais il s’en faut bien que ce soit un mets salutaire. Les marons se mêlent avec plusieurs sortes d’alimens ; ils conviennent sur tout avec le poisson, dont ils corrigent la trop grande humidité. Les gens de Lettres, & toutes les personnes appliquées, doivent peu manger de ce fruit, qui fait toûjours un sang grossier. Il faut, quand on mange des marons cuits à l’eau, n’en point trop presser l’écorce entre les dents, de peur d’en extraire un certain suc astringent, qui se trouve dans l’écorce interieure, & qui est si styptique, qu’il pourroit resserrer le ventre outre mesure. Cette écorce interieure a son usage en Medecine : on s’en sert avec succés pour la guérison de cette maladie, appellée par les Medecins, Fluor albus[158] : on s’en sert aussi contre les crachemens de sang, & contre les dévoïemens[159].


DES PRUNEAUX ET DES
Brignoles.


Les Pruneaux, sont des prunes de damas qu’on a fait sécher au soleil ou au four. Ces prunes, comme on sçait, sont rondes, charnuës, médiocrement grosses, couvertes d’une peau noire, qui enveloppe une chair rouge & succulente, au milieu de laquelle est un petit noïau, long & pierreux, qui s’en sépare aisément, & qui contient une amande ovale, d’un goût agréable, tirant sur l’amer. Ce fruit croit sur une sorte de prunier, vulgairement appellé Prunier de Damas noir, dont les feüilles sont longues, arondies, assez larges, & legerement dentelées.

Les Brignoles, ainsi appellées, du nom de la ville d’où elles viennent, sont d’excellentes prunes de Pardigoigne, autrement dites par corruption, Prunes de Perdrigon, dont on a ôté le noïau, & qu’on a fait sécher au soleil, pour les conserver.

Les meilleurs pruneaux qui se mangent en Carême, soit pour le goût, soit pour la santé, sont les pruneaux de Tours ; ils sont bons à l’estomac ; ils lâchent le ventre, & temperent l’ardeur du sang. Comme ils ont une saveur assez douce par eux-mêmes, les personnes bilieuses les doivent éviter, ou les mêler avec quelques pruneaux aigres. Les Brignoles ont un goût sucré, un peu acide, qui est trés-agréable. On fait ordinairement cuire les pruneaux avec du sucre ; mais les Brignoles n’en veulent presque point, tant elles sont sucrées d’elles-mêmes. Elles lâchent moins le ventre que ne font les pruneaux ; mais elles l’humectent & le rafraîchissent davantage. Elles sont de plus fort nourrissantes, & on les donne avec succés aux Ectiques[160].

L’Auteur du Traité des Dispenses trouve dans la plûpart des alimens dont nous venons de parler, une qualité dangereuse, qu’on ne s’aviseroit guéres d’y soupçonner, c’est d’être contraires à la continence. Cet Article merite d’être examiné ; nous nous y arrêterons un moment, avant que de venir à l’Article des Poissons.



S’il est vrai que les racines, & la plûpart des autres alimens dont on vient de parler, soient contraires à l’abstinence ?



On ne s’attendroit pas que l’Auteur du Traité des Dispenses, aprés avoir fait tous ses efforts pour recommander l’usage des Racines, des Herbages, des Fruits, osât représenter ensuite ces mêmes alimens comme dangereux à la vertu : c’est pourtant ce qu’il fait avec grand soin. Voïons sur quelles raisons il se fonde.

1o. Il est bon d’avertir, nous dit-il[161], dans le chap. 12 de la 2e. Partie, « que les racines ne doivent point être approuvées à collation[162] : on voudroit, peut-être, en excuser l’usage, par la maniere dont on les apprête ; mais soit qu’on les serve frites, soit qu’on les mette en salade, elles sont par elles-mêmes, ou trop nourrissantes, ou contraires à l’esprit du jeûne : car la plûpart sont diuretiques, & sujettes à exciter les passions. Quelques-unes sont diaphoretiques, propres par consequent à fermenter le sang ; deux raisons suffisantes pour en faire sentir les dangers. »

Dans le Chapitre XII. de la premiere Partie, le suc nourricier que les racines fournissent, n’est pas déploïé comme celui des fruits ; c’est un suc concentré, tel qu’il le faut, dit l’Auteur, pour les liqueurs qui nous font vivre, lesquelles aussi sujettes qu’elles sont à s’exalter, & à prendre l’essort, ont besoin de ce ménagement : car des sucs trop déploïez, & trop vifs, agiroient sur elles, remarque-t-il, & les troubleroient. Ici, cependant, il se trouve qu’elles fournissent un suc plus exalté plus déploïé que celui des pommes & des poires ; puisque l’Auteur, qui ne défend pas les fruits à collation, y défend les racines, comme capables d’exciter les passions, & de faire fermenter le sang. D’un autre côté, il nous propose, pour imitation, l’exemple des Solitaires, qui ne vivoient que de racines. Voilà une énigme difficile à expliquer.

2o. On croit, poursuit-il[163], « les panais des plus contraires à ceux qui ont à vivre dans la continence ; jusques-là qu’on les tient capables de gagner & de corrompre les cœurs[164] qualité, sans doute, peu convenable à l’esprit du Carême : ce soupçon leur vient de la grande vertu qu’ils ont de pousser par les urines : en effet, tous les diuretiques un peu forts, soit par leur acreté, soit en déterminant le sang, & les esprits vers les parties basses, sont sujets à troubler l’imagination, ou à remuer les sens : comme cette vertu diuretique se remarque, sur tout, dans le panais sauvage, ce sera le panais sauvage dont les personnes sages auront à se garder. »

3o. « On a reconnu, ajoûte-t-il encore, que le cresson, quoi-qu’en dise Pline, allume les passions[165], & qu’il est contraire à la continence, aussi est-il un diuretique puissant. »

4o. « Les Figues[166] portent leurs defauts & leurs vices, jusques dans l’ame, qu’elles troublent par de honteuses idées, & en qui elles excitent de vilains penchans[167]. »

5o. « Quelques-uns craignent les Amandes[168], comme contraires à la continence ; du moins sont-elles fort propres aux reins, & à pousser par les urines. »

6o. « On soupçonne les Noix[169] d’exciter les passions ; c’est aux personnes trop sensibles ou trop tendres à s’en garder, ou à en éviter l’abus ; mais on trouvera un préservatif contre cet inconvenient, en les faisant macerer dans l’eau. »

7o. « Tous ne conviennent pas que les Chataignes soient si terrestres & si grossieres ; quelques-uns les font appréhender aux personnes sages, comme contraires à la continence qu’ils auroient voüée. »

Ce que l’on nous dit ici des Diuretiques, merite attention. Les Diuretiques reveillent donc les passions, sont contraires à la continence, troublent l’imagination, remuënt les sens, gagnent les cœurs, & ce qui est de pis, les corrompent. Comment font-ils ces pernicieux effets ? par leur acreté, ou en déterminant le sang vers les parties basses. Cet endroit, aussi-bien qu’un grand nombre d’autres, fait voir que ce ne sçauroit être un Medecin, ou du moins un Medecin éclairé, qui ait composé le Traité des Dispenses : car un Medecin, un peu instruit, aurait sçû qu’il y a des diuretiques, qui, loin d’exciter les passions, les assoupissent. Tel est, par exemple, l’Agnus castus, l’un des plus puissans remedes contre l’incontinence : Diuretique cependant, qui pousse si fort le sang vers les parties basses, pour nous servir des termes de l’Auteur, que non seulement il provoque les urines, mais qu’il excite meme les regles aux femmes. Un veritable Medecin auroit sçû encore que parmi les plantes, qu’on accuse d’être contraires à la chasteté, il y en a un grand nombre, qui, loin d’être diuretiques, arrêtent les urines, comme fait, entr’autres, la Roquette. Ce sont donc des terreurs paniques que l’Auteur du Traité des Dispenses, par une contradiction qu’il est difficile de concevoir, voudroit donner ici aux gens de bien, sur la plûpart des alimens maigres ; alimens, comme on sçait, dont il recommande si fort l’usage en Carême, & dont il voudroit même qu’on fît son unique nourriture pendant toute la vie. En cas qu’on nous dise qu’il parle peut-être par experience, nous n’appréhendons point de répondre que cette experience lui est particuliere, & qu’il ne doit pas en ceci juger des autres par lui-même. Il lui est échappé de dire, en parlant du chou, que c’étoit une plante fort diuretique ; avec quel soin cependant n’en a-t-il pas recommandé l’usage ? Grande imprudence à lui, par consequent. Le Ris est encore diuretique, à ce qu’il prétend ; à la bonne heure ; mais il ajoûte, que cette qualité est trés-estimable dans le Ris, & qu’elle va à délivrer le sang de ses sérositez impures, sans le mettre en colliquation[170]. Il aurait dû, en conscience, taire une chose dont la connoissance, selon ses principes, peut être un piège à la vertu.

Pour ce qui est des Figues, quoi-qu’elles ne soient pas diuretiques ; mais seulement sudorifiques, à ce qu’il dit, & qu’ainsi loin de déterminer le sang & les esprits vers les parties basses, elles le déterminent à la circonference du corps : elles ne laissent pas, selon lui, d’être extrêmement dangereuses, sur l’article en question, & d’exciter de vilains penchans : ce sont ses termes ; mais il ne faut pas s’en étonner, puisque les diaphoretiques même, c’est-à-dire, les choses qui favorisent la transpiration, sont encore contraires, selon lui, à la chasteté ; nous l’avons vû dans le premier exemple ; en sorte que les alimens qui s’arêtent peu, & qui se filtrent mieux que les autres, c’est-à-dire, qui font moins d’embarras, & qui sont les plus sains, doivent être regardez comme des alimens défendus. Nous ne croïons pas qu’une telle puerilité ait besoin de réfutation. Au reste, nôtre Auteur enseigne un merveilleux expedient pour corriger dans les figues la mauvaise qualité qu’il leur prête ; ou s’il faut parler dans ses termes[171], pour empêcher qu’elles ne portent leurs défauts & leurs vices jusques dans l’ame ; qu’elles ne la troublant par de honteuses idées ; & qu’elles n’y excitent de vilains penchans ; c’est de les manger de compagnie, avec les amandes, avec les noisettes, ou avec les noix. Il fait honneur à Galien d’une si belle découverte. Qui ne croiroit, s’écrie-t-il, que Galien auroit inventé ce correctif, en faveur du Carême, dans lequel on sert les figues, les amandes, & les noisettes ensemble. La judicieuse réflexion ! Il y a neanmoins ici un petit inconvenient, c’est que l’Anonyme, comme on vient de voir, soupçonne les amandes & les noix, du même vice que les figues ; jusques-là même qu’il dit que les personnes qui ont le cœur trop sensible ou trop tendre, doivent se garder de manger des noix : voilà qui est embarrassant pour ceux qui dans le dessein d’éviter ce qu’on leur fait craindre ici des figues, voudront suivre le conseil qu’on leur donne de les manger de compagnie, avec les amandes & les noix ; mais à l’égard des noix, il y a du remede. Nôtre Auteur avertit qu’en les faisant macerer dans l’eau, on trouvera un préservatif contre l’inconvenient dont il s’agit.

Ce ne sont pas là les seules Observations de l’Auteur, sur le pouvoir de certains alimens, pour exciter les passions : on verra dans la suite, & en son lieu ce qu’il dit là-dessus, des Œufs, des Oignons, du Vin, du Chocolat, de l’Eau même. Il est tems de passer à l’Article des Poissons.



  1. C’est ce que les Grecs entendent, par le mot d’ὄσπεια.
  2. Cum duo sint frugum humilium genera, frumenta scilicet & legumina, frumentum dicitur quidquid aristas ex se mittit, legumina quorum semina siliquis includuntur, &c. Petrus Gont. de Leg. in specie.

    Nomen illis à legendos, quod manu scilicèt legerentur, nec ut frumenta meterentur. Nonn. de re Cibar. lib. I. cap. V.

  3. Voici, entr’autres, comme s’explique là-dessus Pierre Gontier, dans le chap. des Legumes. Fabæ flatulentæ & difficilis coctionis, proindeque excrementitium alimentum præbent corpori. Colicis doloribus obnoxiis, & difficulter spirantibus insensæ. Somnum turbulentum excitant… Frixæ quidem præsertim cum calefacientibus & attenuantibus, flatum deponunt, sed ægre coquuntur, tardè permeant, alvum sistunt, & crassum gignunt sanguinem.
  4. Pag. 56. de la 1e. édit. & p. 96. de la 2e. to. 1.
  5. Pag. 56. de la 1e. édit. & p. 96. de la 2e. tom. 1.
  6. Pag. 55. de la 1e. édit. & p. 94. de la 2e. to. 1.
  7. ὅσα μὲν ἡ κοιλίη κρατέει καὶ τὸ σῶμα αὐτὰ ἀναδέχεται, ταῦτα μὲν οὔτε φῦσαν παρέχεται, οὔτε στρόφον ἢν δὲ μὴ ἡ κοιλίη κρατέῃ, ἀπὸ τούτων καὶ φῦσα, καὶ στρόφος, καὶ τ’ ἄλλα τὰ τοιαῦτα γίνεται. Hipp. de affect.
  8. Pag. 54. de la 1e. édit. & p. 93. de la 2e. to. 1.
  9. Mundius de Frugibus cerealibus coctivis.
  10. Pag. 53. de la 1. édit. & p. 92. de la 2. tom. 1.
  11. Voici ses propres paroles. Pour commencer par les legumes les plus vulgaires, il n’en est point qui ne soient, tout à la fois, trés-sains & trés-nourrissans. Les féves, par exemple, si décriées aujourd’hui, jusqu’à n’être plus que le rebut du beau monde, furent autrefois en honneur, leur nom même fait encore preuve leur ancienne noblesse, & du cas qu’on en a fait dans l’Antiquité la plus éloignée. Faba quasi faga, à vescendo, φαγεῖν enim comedere significat.
  12. Ex fabis siccis & cortice, seu siliqua liberis, varia quoque parantur juscula, nec non polentæ grati saporis. His autem sobriè utendum est, quod frequentiore usu crassiorem generent sanguinem quàm par est, pariantque crassos ac terrestres humores undè morbi causæ suscitantur materiales calculi, & id genus aliorum. Joseph. Quercet. Polyhistor. sect. 3. cap. 2. Untzer de Nephritid. l. 1. c. 3.
  13. Horst. de escul. & potul.
  14. Phaseoli flatulenti admodum sunt, nauseabundi, ventriculo graves, turbulentos somnos inducunt, & vertiginem ac caput replent. Qui ventriculo sunt robusti, tutò iis vescuntur, & qui plurimo utuntur exercitio. Otiosis porrò & delicatis devitandi sunt. Pisan. de esulentor ; & potulentor facultatis.
  15. δόλιχοι διαχωρητικώτεροι τουτέων, ἧσσον δὲ φυσώδεες, τρόφιμοι δέ. Hip. de vict. rat. lib. 2.
  16. φακοὶ δὲ καυσώδεες καὶ καταρρηκτικοὶ Hip. de victûs rat. li. 2. ὀφθαλμοῖσι πονηρὸν φακή. i. de morb. vulg.
  17. Lentes crassi & mali succi sunt, difficilisque coctionis, alvum astringunt, melancholicum sanguinem procreant, cerebro nocent, oculorum aciem obtundunt, morbos ab atrâ bile pariunt, ut elephantiasim & cancros… Tantùm abest ut prosit ejusmodi sive alimentum, sive medicamentum ; imò non potest quin plurimum noceat. Nullus quippe vir doctus, aut qui saltem periculum fecerint, bona fide asseveret ex earum usu, ullum uspiam felicem deprehendisse successum, quidquid contra scripserint, Arabes, omnium errorum qui in artem medicam irrepserunt, & authores & principes. Et si jus lentium sale & oleo conditum, alvum solvere concedamus, ipsa tamen lens integra bis cocta & percocta, quemadmodum facit brassica, alvum moratur & sistit. Petrus GOntier, de Legum. in specie.

    Caro lentium crassi est succi ac terrei, &c. Nonn. de re Cibar. 1. cap 6.

    Lens cocta stomacho & intestinis male convenit, alvum sistit… oculorum aciem obtundit, somnia turbulenta excitat. Mundius, de frugibus coctivis. cap. 1.

  18. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 6.
  19. Invenio apud Autores æquanimitatem fieri vescentibus eâ. Plin. l. 18. cap. 12.
  20. Plinius ait : invenio apud Autores æquanimitatem animi fieri vescentibus eâ, sed illorum opinioni tota Medicorum Schola refragatur, quæ atram bilem succosque crassos & improbos, lentium frequentiore usu & pertinaces morbos cancrum & elephantiasim generari existimat. Nonnius, l. 1. c. 6.
  21. Simon Paul. Quad. Botan.
  22. Ibid.
  23. Ludov. Nonn. de re Cibar. l. 1. c. 6.
  24. Jul. Alex. lib. 8. Salub. c. 8. Simon. Paul. Quadrip. Botan. class. 3.
  25. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 6.
  26. Pag. 62. de la 1e. édit. & p. 105. de la 2. tom. 1.
  27. Pag. 60. de la 1e. édit. & p. 103. de la 2e. t. 1.
  28. Le cumin entroit dans ce breuvage ; mais en petite quantité, & seulement pour donner un peu d’action au breuvage & en corriger la fadeur.
  29. Voici les propres paroles d’Hippocrate : φακὸν δὲ εὐώδεα σκευάσαι καὶ ὀλίγον δεύτερον διδόναι ὡς καὶ κοῦφον ὄν ῥόφημα καὶ εὑυκάρδιον ἄνω. Hipp. de affection. circà finem.
  30. Hipp. de vict. rar. in acutis.
  31. Carnes eligantur quæ sunt facilis concoctionis, optimi nutrimenti, paucarum superfluitatum, & difficulter putrescibiles, ut sunt puulonum, caponum, gallinarum, Gallorum Indicorum, Perdicum, Turdonum, Phasianorum, Hædorum, Capreolorum, parvorum Leporum. Repudiantur legumina ut fabæ, pisa, lentes, vicia, phaseoli, cicera, &c. Untzer de lue Pestis. l. 2. c. 10.
  32. Martial, lib. 10. Epigram. 48.
  33. ὄσπρια δὲ πάντα φυσώδεα καὶ ὠμὰ, καὶ ἑφθὰ καὶ πεφρυγμένα καὶ βεβρεγμένα, καὶ χλωρά τουτέοισι δὲ μὴ χρέεσθαι ἢν μὴ μετὰ καὶ ἐτέρων σιτίων. Hipp. de vict. rat. in acutis.
  34. Augusta Quirin. Rivin. Dissert. Disput. VI. de Medicinâ in alimentis. c. 2.
  35. Sanctor. Sect. 7. Aphor. 30. & 31.
  36. Schrod. Pharmac. l. 4. class. 1. art. CCXVI.
  37. On appelle cette ptisanne, la ptisanne de saint-Ambroise : on fait boüillir dans trois chopines d’eau, une livre de millet, jusqu’à ce que les grains crévent ; puis on passe l’eau, & on en fait boire un grand verre sur la fin des accés.
  38. Ludov. Nonn. de re Cibar. l. 1. c. 3.
  39. Pag. 64. de la 1e. édit. & p. 108. de la 2e. tom. 1.
  40. Hipp. de Vict. ration. in acutis.
  41. Hipp. ibid.
  42. Petr. Gont. lib. 5. cap. 6.
  43. Obesiores fiere orysâ frequenter utentes non est verisimile, nisi forte calor sit vegetus, quod in emaciatis Phthisicis, & ex morbo se colligentibus, vix sperari potest. Petrus Gontier, de Sanitat. lib. 5. c. 12.
  44. Falsò sibi vulgus persuasi obesiores fieri ex frequentiore usu orysæ, præsertim si lacte & saccharo condiatur, quod ferculum tanquam Δίος ἐγκέφαλον Plebei in Galliâ & Belgiâ & existimant, nullumque apud illos convivium quod illo non exornetur. Medici tamen uno ore inter ὀλιγότροφα, id est quæ leviter alunt, connumerant. Ludovic Nonn. de re Cibar. l. 1. cap. 3.
  45. Page 71. de la 1e. édit. & p. 120. de la 2e. tome 1.
  46. Page 107. de la 1e. édit. & p. 177. de la 2e. tome 1.
  47. C’est le terme de l’Auteur.
  48. These de M. Geofroy, an Hominis primordia vermis.
  49. Pag. 81. de la 1e. édit. & p. 133. de la 2e. tom. 1.
  50. Le gland terrestre est une racine pleine de tubercules, fort rassasiante, & de laquelle on mange en plusieurs païs.
  51. Simon. Paul. Quadrip. Botan. Class. 3.
  52. Faim extraordinaire, mais dépravée, qui porte ceux qui en sont attaquez, à manger plusieurs choses qui ne sont pas alimens, comme du charbon, de la terre, &c. Fernel rapporte l’histoire d’un homme de qualité, qui aiant depuis long-temps une envie démesurée de manger de la chaux, se contenta enfin : & en mangea un morceau, de la grosseur du poing, sans en ressentir aucun mal. Fern. Pathol. lib. 6. cap. 3. de Morb. ventric. Cette maladie vient d’une surabondance de levains corrompus, qui picotent l’estomac. Or les topinambours sont trés-propres à embarrasser par leurs parties grossieres & visqueuses, les pointes de ces levains.
  53. Raimund. Mindererus, lib. de Peste, c. 15.
    Mathiol. Comment in lib. 2. Dioscor. c. 137.
    Mich. Mercatus, lib. de Peste.
    Tabernæmont. lib. 2. sect. 6. cap. ult.
    Schvvenchfeldius, l. 2. Catal. Stirn.
    Joh. Borelius in Reg. Pestil. Part. 1. c. 17.
    Schrod. Pharmac. l. 4. Class. 1.
    Lonicer. part. 2. Herbar. cap. 45.
    Vide Matth. Untzer. Antidotar. Pestil. lib. 2. Distinct. 1. Artic. 30.

  54. Plin. Hist. Natur. lib. 19. c. 5. Voïez Schroder, qui en décrivant le Chervi, dit aussi qu’il est amer.
  55. Plin. ibid.
  56. On les apprêtoit avec du vin & du miel. Plin. Hist. Nat. lib. 19. cap. 5.
  57. Hisecius ideò stomacho utile videri dixit, quoniam nemo tres siceres edendo continuater. Plin. lib. 20. cap. 5.
  58. Page. 65. de la 1e. édit. & p. 127. de la 2e. to. 1.
  59. Democritius in totum ea abdicavit in cibis propter inflationes. Plin. lib. 20. cap. 3.
  60. Ludov. Nonn. de Cibar. l. 1. c. 18.
  61. Page 90. de la 1. édit. & p. 150. de la 2. tom. 1.
  62. ἔτι δὲ θριδάκων ἑφθῶν, & même par les laituës cuites ; ce qu’Hippocrate, comme il le faut encore observer, ne dit qu’en supposant qu’on en mange trop. Voïez Hippocrate, lib. 7. Epid.
  63. Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 7.
  64. Galen. 3. Simplic. 23.
  65. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 1 cap. 7.
  66. Nonn. Ibid.
  67. Tollitur enim frigiditas eximia lactucæ, unicâ ebullitione in aquâ ferventi, factâ. Quercet. diætet. Polyhistor. sect. 1. cap. 2.
  68. Cum priores caverent, Religione nunc omni caret. Plin. lib. 19. cap. 8.
  69. Plin. ibid.
  70. Il y a la grande & la petite Pimprenelle, qui ne different que par la forme des feüilles : celles de la grande sont longues, & celles de la petite sont presque rondes.
  71. Notandum ex observatione peritiorum Medicorum quod freuens usus petroselini, capiti noceat, ubi aliàs inclinato ad epilepsium adest. Horst. de escul. & potulent.
  72. Praxeos Medicæ, Tractat. IV. de Morb. Pueror.
  73. Pag. 93. de la 1e. édit. & p. 177. de la 2e. t. 1.
  74. C’est le terme de l’Auteur.
  75. Dissertation ou These Françoise, sur la Saignée, art. 1.
  76. Pag. 574. de la 1e. édit. & p. 471. de la 2e. t. 2.
  77. Ville de Piémont.
  78. Petrus Gontier, de Sanitat. tuend. lib. 6. cap. 8.
  79. Quod si res ad earum esum invitet, statim ejusdem decocti juris quantumlibet superbibito, quod brassicarum malignitatem corrigit. Pisanell. de Escul. & potulentor. facultat.
  80. Pag. 95. de la 1e. édit. & p. 160. de la 2e. t. 1.
  81. Pag. 95. de la 1e. édit. & p. 160. de la 2e. t. 1.
  82. Athen. l. 2. Nonn. de re Cibar. l. 1. c. 19.
  83. Succum generat, non laudatum ut lactuca, sed pravum & melancholicum, quo magis mirandum ejus usu plurimos ita effusè delectari. Siccandi enim facultatem habet ínsignem. Quâ de causâ visum hebetare vetustas tradidit. Dioscorides tamen hebetioribus oculis prodesse dicit : Plinius etiam, lib. 20. cap. 9. Hunc cibum & oculorum claritati conferre multum. Sed lis hæc componi potest facile, cum variæ sint causæ quæ visum offendant. Aliæ enim exsiccando & extenuando, aliquæ humectando & incrassando offendunt ubi itaque oculi læsi sunt propter crassitiem & humiditatem, prodest brassica quia extenuat & exsiccat, quod Dioscorides Pliniusque innuunt. Si verò visus propter siccitatem, & tenuitatem hebetior factus fuerit, maxime nocet brassica. Hoc satis dilucidè innuit Galenus cum dicat lentem & brassicam visum hebetare, nisi forte totus oculus humidior fuerint, quàm naturalis ejus constitutio postulat, quo casu juvare potest. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 10.
  84. Colum. Voïez Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 10.
  85. Est autem tanta Brassicæ laus & commendatio, ut à multis Medicina quædam universalis statuatur. Cujus miras laudes toto uno volumine Cato cecinit. Summam denique authoritatem ubique terrarum brassicam obtinuisse certissimum quidem est, adeò ut ἰερὰν, id est Sacram Græci quidam vocaverint, alii per brassicam juraverint. Sed ut verum fatear, nescio quo suo merito tot tantaque encomia adepta sit, cum improbi fit succi & graveolentis, sola ex omnibus oleribus acram bilem peculiariter generet ; & in cibo crebriori, anima gravitatem faciat. Quare ridiculum est credere Romanos sexcentis annis Brassicæ Medicinâ tantùm usos, quo temporis spatio, si quæ viguit in his sanitas, eorum frugalitati potius accepta referenda est. Siquidem luxus & gula nondum invaluerant. Petrus Gont. lib. 6. cap. 8. De cibis ab oleribus peritis.
  86. Lugduni, apud Theobaldum Paganum, 1540.
  87. Valles. Tractat. de Epidem. cap. 9.
    Marsil. Ficin. in Epid. cap. 6.
    Ulstadius, Tractat. de Epidem.
    Joann. Renod. lib. 1. Dispens. sect. 5. c. 11.
    Eustach. Rud. l. 3. Pract. cap. 30.
    Schvvenchfeld. lib. 1. Stirp. Siles.
    Balthas. Pisanel. lib. de Esculent. & Potulent. facult.
    Quercet. Diætet. Polyhistor. sect. 3. c. 3.

  88. Les feüilles d’oseille, toutes vertes, sont un souverain remede contre la malignité de l’air. Kegler. in Regim. de Peste.

    L’oseille a une vertu admirable contre les maladies pestilentielles, si aprés l’avoir fait tremper dans le vinaigre, on en prend quelques feüilles à jeûn. Mizaldus in Horto Med.

    Joubert. Tract. de Pest. cap. 19.

    Franciscus Valeriol. c. 2. Adpend. locor. comm.

    Johan. Picherus. Hermet. rediv. sect. 3. c. 10.

  89. Les feüilles d’oseille, pulverisées & prises au poids d’une dragme, matin & soir, avec un peu de sucre, sont un excellent secours contre la peste. En Esté on peut prendre cette poudre dans de l’eau ; mais en Hyver il la faut prendre dans du vin. Kentmannus, in Regim. Pest.

    Une personne digne de foi, m’a assuré s’être préservée de la peste, & en avoir préservée toute sa maison, par l’usage de ce même remede. Anton. Gueiner. lib. de Peste.

  90. Je sçai certainement que si un malade attaqué de fiévre maligne, boit tous les matins trois onces de suc d’oseille, mêlées avec une once d’eau-rose, il trouvera dans ce remede un secours singulier pour sa guérison. Montagnan, Consil. Med.
  91. Pag. 104. & 105. de la 1e. édit. & pa. 175. de la 2e. to. 1.
  92. Pag. 492. de la 1e. édit. & p. 339. de la 2e. to. 2.
  93. Pag. 576. de la 1e. édit. & p. 474. de la 2e. to. 2.
  94. On connoit par cette explication, comment au Printemps le soleil peut faire tant de tort aux bourgeons des plantes, lorsqu’il vient à donner dessus, aprés quelque gelée ; & comment ceux qui ont enduré un grand froid aux extrêmitez, perdent quelque-fois le nez ou les doigts, en s’approchant trop promptement du feu.
  95. Quercet. Diætet. Polyhistor. sect. 3. c. 3.
  96. C’est que c’est en faveur d’un Roi des Medes, nommé Sabor, que ce syrop fut inventé.
  97. Voïez entr’autres, Pisanel. de Esculent. & potule. Facult.

    Ludov. Nonn. de re Cib. lib. 1. c. 28.

    Petrus Gontier, de Sanit. tuend. l. 7. c. 6.

    Simon Paul. Quadrip. Botan. class. 2. &c.

  98. Gasp. Hofman, apud Simon. Paul. ibid. class. 2.
  99. Galen. simp. ex eod. Hofman. apud eund. Simon. Paul. ibid.
  100. Simon Paul. Quad. Botan. class. 2.
  101. autrement l’Ephialte ou Cochemar.
  102. Pag. 169 de la 1e. édit. & p. 304 de la 2e. tom. 1.
  103. Horstius, de Escul. & potul.
  104. Pag. 108 de la 1e. édit. & p. 181 de la 2e. tom. 1.
  105. Ut Taceam Casp. Hofmannum, dum facile expressus pomorum succus acescit, non sine ratione arguere pravitatis poma. Simon. Pauli. Quadrip. Botan. class. 2.
  106. Pag. 109 & 110 de la 1e. édit. & p. 181 de la 2e. tom. 1.
  107. Raïus Histor. Plantar. pag. 144.
  108. Mizald. Centur. 8. Distinct. 49.
    Gesner.
    Mathiol. Comm. in 2. lib. Diosc. c. 10.
    Libavius, tom. 1. Syntagm. Arcan. l. 1. c. 14. Baccius, c. 43.
    Quercet. Diætet. sect. 3. cap. 7.
    Neander, primâ part. Physic.
    Bened. Victorius, l. 1. Medicat. Empir. c. 44.
    Johan. Poppius Enchirid. exper.
    Anselm. Roëtius, l. 2. de Gemm. cap. 176.
    Kunradus. Part. 2. Medull. destill. Tractat. 19.
    Aldrovand. lib. 2. de Crustaceis, cap. 6.

  109. Osvvaldus Gebelkover. l. Virtemb. med.
    Fumanel. de Compos. Medic.
    Vidus Vidius, lib. 10. cur. memb. cap. 20.
    Forestus Schol. ad observ. 25. lib. 24.
    Ernest. Burgrav. in Achill.

  110. Plin. lib. 17. cap. 11.

    Johan. Bapt. Porta, l. 5. Phytogn. c. 30.
    Dioscor. l. 3. c. 141.
    Fernelius, l. 5. c. 25.
    Crollius, de Signatur.
    Quercet. Diætet. sect. 3. cap. 6.

  111. Balthas. Pisanelli. de Esculent. & Potul. facultat.
    Gebelcover. in lib. Virtemb.
    Quercet. Diætet. sect. 3. cap. 3.
    Crollius, de Signatur.
    David Lipsius, in Diæt. lib. 8. cap. ultim.
    Johan. Poppius, in Enchirid. experiment.

  112. Dioscor.
    Fumanel. cap. 11. de Morb. in viis urinar.
    Vidus Vidius, lib. 10. cap. 20.
    Michaël. Neand. Part. 1. Physic.

  113. Rondelet, de Piscib.
    Gesner. de Piscib.
    Andreas Bacius, lib. de Gemm. c. 14.

  114. Ces remedes se prennent en poudre dans du vin, ou dans quelque eau convenable. Voïez Untzer. de Nephrit.
  115. Quercet. Diætet. Polyhistor. sect. 1. cap. 6.
  116. Voïez Apicius Cælius, in Arte Coquinariâ.
  117. Simon Paul. Quadrip. Botan. Class. 3.
  118. Pourquoi donc dire qu’on doit aussi peu accorder aux malades l’usage des poires que celui du vin ?
  119. Pag. 112. de la 1e. édit. & p. 187. de la 2e. to. 1.
  120. C’est le terme de l’Auteur.
  121. Pag. 113. de la 1e. édit. & p. 188. de la 2e. to. 1.
  122. Il a dit plus haut que le suc de la poire étoit vineux, au point de pouvoir nuire aux malades ; maintenant le voilà devenu aqueux.
  123. Pag. 114. de la 1e. édit. & p. 190. de la 2e. to. 1.
  124. C’est le terme de l’Auteur.
  125. Le suc de la poire n’est donc pas semblable au vin, qui, selon nôtre Auteur, comme on le verra plus bas, est disproportionné au sang, & l’ennemi mortel de tous les visceres.
  126. Pag. 470. de la 1e. édit. & p. 300. de la 2e. tome 2.
  127. Il vient de dire tout-à-l’heure que le poiré cause des obstructions. Il ne doit donc pas dire que le poiré ressemble au vin blanc, puisque le vin blanc, selon lui, fond les humeurs.
  128. Simon Paul. Quadripart. Bootan. Class. 3.
  129. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 34.
  130. Ficus aridæ comestæ expellunt arenulas à renibus. David Lipsius. Diætet. cap. 8. lib. 8.
  131. Ludov. Nonn. ibid. ac suprà. Schrod. Pharm. lib. 4. Class. 1. Simon. Paul. Quadrip. Botan. Class. 2.
  132. Fœminæ paritudini proximæ ficubus vesci queunt, non ut alimento, sed ut alimento medicamentoso, cum expellendi insigni facultate polleant. Simon Paul. Quadr. Bot. Class. 1.
  133. Ludovic. Nonnius, de re Cibar. lib. 1. cap. 34.
    Simon. Paul. Quadrib. Botan. Class. 3.
    Pisanell. de Escul. & Potul. Facult.
    Vide etiam Galen. lib. 2. de aliment. facult. 8.

  134. Athen. lib. 2. Deipnosoph.
  135. Demetr. Scepsius, apud Non. ibid.
  136. Ludov. Nonnius, ibid.
  137. Non. ibid. Quantâ apud Græcos in æstimatione fuerint ficus, versus Ananii Poetæ docent. Quibus auro ficus præstantiores asserit. καὶ σῦκα βαιὰ, καὶ δύ’ ἢ τρεῖς ἀνθρώπους γνῴη γ’ ὅσον τὰ σῦκα τοῦ χρυσοῦ κρεῖσσον
  138. Pag. 173. de la 1e. édit. & p. 139. de la 2e. to. 2.
  139. Pag. 375. de la 1e. édit. & p. 141. de la 2e. to. 2.
  140. Galen. lib. 2. de Aliment. facult.
  141. Hofmann p. 290.
  142. Plin. Hist. Natur. lib. 23. cap. 7.
  143. Pag. 374. de la 1e. édit. & p. 41. de la 2e. to. 2.
  144. Dioscor.
    Donzelius Consil. Craton. 148.
    Virtsung. Part. 3. c. 17. Distinct. 4.
    Solenander. sect. 1. Consil. 15.

  145. Nous parlons ici de l’huile d’amande amere, tirée par la distilation : car pour celle qui se tire par la simple expression, on la distingue à peine de l’huile d’amande douce ; parce que l’action du feu n’en a pas exalté les sels.
  146. In amygdalis verò amaris earumque præcipuè cortice sal hæret occultum, acrius, volatile, acidulum, seu nitrosum, quod ob suam acredinem in homine quidem nullum malignum effectum edit, in brutis autem quibusdam, imprimis, volatatilibus mortem virtute spasmodica producit. Fascicul. Dissertat. Medicar. Theodor. Zuinger. Dissertat. 4. de Amygdalar fructu.

    Sed qui fiat quod Amygdalæ amaræ hominibus multipliciter sanæ existant, alia verò animantia, volatilia imprimis singula propèmodum, hinc vulpeculas aut catellos, per gulæ atque trachealium ramotum astrictionem, imò & convulsiones subsequentes necare soleant meritò quæri potest ? Respondendum verò arbitramur teneriores ejusmodi brutorum fibrillas, salinorum, in Amygdalis talibus existentium corpuscurum acrium vim elidere non posse, quemadmodum hoc fit in homine, atque hinc facile crispari spasmodicè constringi, subque constrictione hâc continuatâ convulsiones deleterias tandem pati. Fascicul. Dissert. Medic. Selectior. Theodor. Zuinger. Dissert. 4. de Amygdalar fructu.

  147. L’Ephialte ou cauchemar.
  148. Galen. lib. 7. Simpl. Medic. Schrod. Pharmac. lib. 4. class. 3.
  149. Pag. 381. de la 1e. édit. & p. 151. de la 2e. to. 2.
  150. C’étoit, dit-il, un manger de Roi, lequel seul de toute la nation, pouvoit manger des noix. Ce sont ses propres termes.
  151. L’Anonyme se trompe, & il seroit aisé de prouver que la vraïe raison pour laquelle la noix a été appellée Nux Regia ; c’est que le noïer fut transporté de Perse par des Rois, et cultivé par leur ordre en plusieurs autres païs.
  152. Munius, cap. 4. de Nucib.
  153. Pag. 380. de la 1e. édit. & p. 149. de la 2e. to. 2.
  154. Voïez Nonn. de re Cibar. lib. 1. cap. 37.
  155. Schrod. Pharmac. lib. 4. Class. 1.
  156. Ce n’est que la membrane interieure de la noisette qu’il faut emploïer. C’est-à-dire, cette membrane rouge qui revêt la coquille en dedans : on la met en poudre, & on en donne un gros, avec autant de corail rouge.

    Voïez Quercet. Diætet. Polyhistor. sect. 3. cap. 3. & Schrod. Pharm. l. 4. Class. 1.

  157. Plin. lib. 23. c. 8.
  158. Nucum castanearum membranam interiorem rubentem ex vino austero potam pondere 2. drachmarum cum æquali pondere eboris, à Mathiolo mulierculis fœdo albo fluori obnoxiis commendari notatu dignum arbitror. Simon Pauli, Qradrip. Botan.

    Schrod. Pharm.

  159. Membrana rubra cortici & carni interposita sistit valenter immodicos alvi fluores, & sanguinis rejectiones in vino austero sumpta. Schrod Pharmac.
  160. Il faut alors couper les Brignoles en morceaux et les faire bien cuire dans de l’eau. Simon Pauli. Quadrip. Botan. Class. 3.
  161. Pag. 366. de la 1e. édit. & p. 126. de la 2e. tome 2.
  162. Il y a dans la seconde édition, meritent moins être approuvées. Ce que nous remarquerons, afin qu’on ne nous accuse pas de rien changer.
  163. Pag. 77. de la 1e. édit. & p. 130. de la 2e. tome 1.
  164. Il y a dans la seconde édition : Comme s’ils étoient capables de gagner ou d’attendrir les cœurs. L’Anonyme, comme on voit, est heureux en expressions énergiques.
  165. Pline, dans le deuxiéme chap. de son Hist. Natur. ch. 13. dit effectivement que le cresson rafroidit les passions, Nasturtium venerem inhibet. L’Anonyme soûtient au contraire que Pline se trompe là-dessus. Qui croire des deux ? Celui qui parle par experience ; mais comment le distinguer ? Il y a toute apparence que c’est celui qui soûtient que l’autre s’est trompé.
  166. Pag. 375. de la 1e. édit. & p. 142. de la 2e. tome 2.
  167. Il y a dans la deuxiéme édition, qu’elles fatiguent d’importunes idées, & qu’elles troublent par de honteux penchans.
  168. Pag. 379. de la 1e. édit. & p. 148. de la 2e. tome 2.
  169. Pag. 382. de la 1e. édit. & p. 152. de la 2e. tome 2.
  170. Pag. 71. de la 1e. édit. & p. 119. de la 2e. to. 1.
  171. Pag. 375. de la 1e. édit. & p. 142. de la 2e. tom. 2.