Un jour de fête à la barrière

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Les Enfans du Caveau de 18341re  année, no1 (p. 81-88).

UN JOUR DE FÊTE À LA BARRIÈRE.

Tableau de Mœurs.




Air : Pomm’s de reinette et pomm’s d’apis.
ou : Quand on est mort, etc. (désaugiers).


Pour vous gais enfans du plaisir,
Joie entière
Règne à la barrière ;
Ce n’est que là qu’on sait jouir,
Et que l’âme peut s’épanouir.



Enfin c’est fête !
Restaurateur,
Bouchon, traiteur,
Cabaret et guinguette,
Que l’on s’apprête !
Les cieux sont purs,
La foule est prête
À sortir de ses murs.
Ragoûts, brûlez !
Veaux, rissolez !
Tonneaux, coulez !
Aujourd’hui c’est bombance ;
Tout est rincé,
Placé, versé ;
D’un peuple immense
Le festin est dressé


Pour vous, etc.


Adieu la ville !
Chacun ciré,
Brossé, paré,
Quitte son domicile.
D’un pas agile,
Rentiers, marchands,

En longue file,
Cheminent vers les champs.
De frais tendrons,
De francs lurons,
De biberons,
Voyez la ribambelle !!!…
Puis deux à deux,
Les amoureux
Sous la tonnelle
Vont resserrer leurs nœuds…


Pour vous, etc.


Grande affluence
Près des chanteurs ;
Des bateleurs
La recette commence.
Dans la balance
Le gros Rifflard
Soudain s’élance,
Et veut peser son lard.
Siams, pistolets,
Volants, galets,
Quilles, palets,
Sont les jeux que l’on fête.

Sans frein, sans but,
Le grand Dubut
Trotte en pincette
Sur un ânon fourbu.


Pour vous, etc.


Chez le Sauvage
Faites un tour ;
L’Île d’Amour
Vous offre son ombrage ;
Sous son feuillage,
Le Grand Vainqueur,
Offre un potage
Au Parisien flâneur.
Au rendez-vous
Attablons-nous
Sur nos genoux.
Près de sa chaste épouse,
Monsieur Lebon
Trouve très bon
Sur la pelouse,
Le pâté de jambon.


Pour vous, etc.


On frappe… on sonne…
Garçon, du veau !

Du fricandeau !
Servez-nous donc, la bonne !
L’un crie et tonne,
Las de jeûner ;
L’autre, en personne,
Va quérir son dîner.
Quels appétits !
Quel cliquetis !…
Grands et petits,
Mettez-vous en ribote,
Enivrez-vous !
Vivent les fous,
La gibelotte,
Et le Beaune à six sous !…


Pour vous, etc.


Cahos sublime
De chants, de voix,
De mots grivois
Sans raison et sans rime ;
Chaque œil s’anime,
Plus d’un amant
Sous la table exprime
Son discret sentiment.

Non loin des ris,
Deux lurons gris
Poussent des cris,
Boxent et dégringolent ;
Dans leurs débats,
Les pots, les plats,
Au plafond volent
Et tombent en éclats !…


Pour vous, etc.


La clarinette
Et le crin-crin
Ont mis en train
L’ouvrier, la grisette.
Jacque et Georgette
Règlent leurs pas
Sur la musette
Des joufflus Auvergnats.
Bonnes d’enfans,
Grognards, Jean-Jeans,
Sapeurs, sergens,
Tout saute et se dandine ;
Près d’un soldat,
Dans l’entrechat

L’Amour badine
Avec la queu’  du chat.


Pour vous, etc.


Mais la retraite
Vient de sonner,
Sans lambiner
Faut gagner sa chambrette.
Trop en goguette,
Plus d’un buveur
Dehors rejette
La divine liqueur.
En querellant,
En vacillant,
En s’appelant,
Tous les groupes arpentent,
Loin du bouchon,
Cadet, Fanchon,
En chœur déchantent
La mère Godichon.


Pour vous, etc.


La route est belle !
Dans le chemin

Plus d’un hymen
S’achève sans chandelle.
Au loin grommèle
Maman Picard,
Traînant près d’elle
Son moutard en retard.
Là Durochet,
Ici Gâchet,
Plus loin Tranchet,
S’arrêtent à mi-route ;
Sur le comptoir
D’un reposoir
On boit la goutte.
En se disant : bonsoir !
Pour vous, gais enfans du plaisir,
Joie entière
Règne à la barrière ;
Ce n’est que là qu’on sait jouir,
Et que l’âme peut s’épanouir.


Louis Festeau.
(Membre correspondant.)