Un article de l’académicien Masson dans la Gazette « Gaulois »

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Un article de l’académicien Masson dans la Gazette « Gaulois »
Drukarnia Katolickaa Sp. Akc. ; Jan Jachowski Księgarnia Uniwersytecka (p. 2-4).


Zatacznik II.


Artykul akademika Masson w gazccie Gaulois[1].


Le Gaulois 26 Juin 1918.
Un Coup de Balai, S. V. P.


Il est permis de se demander, non sans quelque inquiétude, à quelle nationalité appartiennent certains personnages, hommes et femmes, qui à Paris, à Nice et aux environs, exercent, au profit d’on ne sait trop qui, le métier d’informateur. Ils prennent parfois des airs aristocratiques, mais souvent ce n’est qu’une apparence à l’usage de la France, où, vu la République, les titres, vrais ou faux, produisent un tel effet qu’on en voit lever chaque jour de nouveaux chez les nationaux mêmes : qu’est-ce chez les étrangers ?

Une lisière si étroite sépare les ci-devant sujets russes des sujets autrichiens, qu’une confusion peut très aisément s’établir entre les uns et les autres, également abrités par une Pologne de fantaisie. Certes, il y a dans les rangs de l’armée française et dans un corps uniquement composé de Polonais un grand nombre de très braves gens qui se battront à merveille et dont beaucoup donneront leur sang pour la cause des alliés — et la leur. Cela est fort bien, et si l’on peut s’étonner que la ville de Paris distribue à présent des drapeaux aux étrangers qui s’engagent pour la France, c’est sans doute qu’on juge, en haut lieu, la chose sans importance. Toutefois ne faudrait-il pas trop jouer avec les drapeaux !

Il y en eut, sur un autre front, de tous pareils à celui qui vient de sortir de la maison des Prévots ; il y en eut même quantité qui furent portés devant des légions bien autrement nombreuses, bénies par les patriarches de la littérature et saluées avec enthousiasme lors des batailles pour le compte de l’Autriche. Et l’on serait prudent en s’en souvenant.

Le club Polonais a été le plus ferme soutien de l’empereur apostolique, et il a su, moyennant des marchandages parlementaires où il excelle, se faire attribuer les portefeuilles, les honneurs, les sinécures financières et autres, en maintenant en servitude les Yougo-Serbes et tous les Slaves de la monarchie.

À présent encore les échos qui parviennent d’Autriche montrent dans le procès des légions polonaises un très fort attachement de certains Polonais pour l’Autriche, en qui ils semblent avoir placé toutes leurs espérances. Et cela ne les rend pas — que l’on sache — plus favorables à l’Entente : plus ils sont amis de l’Autriche, plus ils nous sont ennemis, eux, leurs parents, amis et confédérés. Et, dès lors, ils doivent être traités comme tels. Tout le reste est du sentimentalisme nocif !

Nous faisons la guerre et nous avons à gagner la guerre. Or, sous prétexte de nationalités opprimées, on abonde, chez nous, de personnages suspects qui sont tantôt Russes, tantôt Polonais, tantôt Ukrainiens, tantôt Serbes ou Yougo-Serbes et qui tous, par un étrange hasard, se trouvent avoir voyagé en Suisse, causé avec des Autrichiens, parfois avec des Allemands et avec certains Grecs, car ils n’ont pas de préjugés. Quel métier font-ils ? Quelle puissance servent-t-ils ? à quelle organisation plus ou moins suspecte faut-il les rattacher ? Comment et par quel moyen trouvent-ils des répondants ? Dans un moment comme celui-ci il faut être dix fois certain que les individus appartenant par leur naissance aux nations ennemies ont bien effectivement rompu avec leur patrie, leur famille et leurs amitiés, et qu’ils se sont jetés corps perdu dans notre parti. Pour cela il n’est qu’une preuve, c’est qu’ils soient engagés dans nos armées et s’y battent. Sinon, que font-ils chez nous ? Pourquoi les tolère-on dans le camp retranché de Paris ? Pourquoi ont-ils accès dans les hôpitaux ? Pourquoi se promènent-ils dans les ministères ? Pourquoi font-ils la roue dans les salons ? Il y a assure-t-on, dans notre Paris, que l’on dit vide, quantité d’endroits où de tels étrangers — et d’autres qui, pour s’intituler neutres, ne sont pas moins suspects — sont accueillis et fêtés, portent leur esprit critique et récoltent des nouvelles et des renseignements.

On n’a point idée de ce qu’ils dépensent de taxis — quand ils n’ont point d’auto à leurs ordres — pour obtenir l’ubiquité nécessaire à leurs fonctions. Quelles fonctions ? Il se peut qu’elles se bornent à leurs plaisirs, à la satisfaction de leur curiosité, à l’intérêt qu’ils portent à la France dont ils tâtent le pouls. Il se peut ; mais enfin, ne faut-il pas quelque bonne volonté pour trouver à notre Paris un air de fête ? Ce n’est pas à persiennes ouvertes que font accueil dans bien des quartiers, les visages des maisons, et l’on ne compte plus les portes closes. On mange mal, quand on mange, et l’addition, si l’on dîne au restaurant, s’écrit en caractères de MANÉ THÉCEL PHARÈS, bien qu’on n’ait rien consommé de sardanapalesque. Il faut bien de l’argent pour y vivre, tant d’argent qu’assurément les observateurs ont dû réclamer des diverses contrées où ils adressent le fruit de leurs veilles, de fortes indemnités de vie chère. Et pourtant ils restent : on dirait même qu’ils se multiplient. Certains qui ont passé l’hiver et le printemps sur la Côte d’Azur refluent sur Paris, qu’on disait menacé. Et ils annoncent, précisent la menace en même temps, que, de leurs yeux fureteurs, ils cherchent les symptômes d’affolement et les impressions de défaillance.

À Paris comme ailleurs, le moment est venu, largement venu, d’en finir avec les suspects. Puisque les députés et les conseillers municipaux de Paris brûlent du légitime désir de s’employer à quelque chose et qu’il ne leur plaît point encore d’imiter ceux de leurs collègues qui sont au front comme Maurice Binder, et ceux qui ont donné leur vie comme Quentin Bauchart : puisqu’ils se sont aperçus que leur mandat implique des devoirs, qu’ils réclament donc la formation immédiate d’un tribunal des étrangers, d’un tribunal distribué en autant de sections qu’il faudra pour aller vite, examiner à raison de mille à deux mille par jour tous les étrangers résidant à Paris, prononcer en dernier ressort l’internement dans des camps de concentration, la conduite aux frontières, le renvoi aux tribunaux militaires.

Du train dont va l’organe administratif chargé de l’inspection des étrangers, on commencera dans une dizaine d’années à savoir quelque chose de ceux qui habitent Paris. Cela ne tiendrait-il pas à ce que les affaires de Paris ne sont jamais faites par des Parisiens ? Paris ne s’apprend pas en un jour et les ombres plus ou moins chinoises qui se promènent sur l’écran du Père Séraphin, si elles sont muettes pour les provinciaux, en disent long aux Parisiens qui ont cinquante ans d’asphalte. Ceux-ci promènent en général un regard indulgent sur ces passants dont le trouble passé les intéresse. Mais à présent le temps est passé de ces accommodements et de ces complaisances. Il faut à l’intérieur un vigoureux coup de balai, si l’on veut sincèrement défendre Paris et la France. La première nécessité c’est de savoir quels gens sont à Paris, ce qu’ils y font et pourquoi ils y restent. Ensuite, on causera.

Frédéric Masson,
de l’Académie Française.

  1. Traduction : Un article de l’académicien Masson dans la Gazette « Gaulois ».