Un divorce (Bourget, 1904)/I

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Librairie Plon (p. 1-34).

I
l’impasse

Quand Mme Albert Darras eut tourné la rue de Vaugirard pour entrer dans la rue Servandoni, l’aspect sévère de cet étroit couloir de vieilles maisons, si voisin pourtant de la rue du Luxembourg où elle habitait, augmenta encore son appréhension. Ses courses l’avaient fait passer là des centaines de fois, sans qu’elle observât jamais le triste aspect de ce coin de Paris, qui, tout d’un coup, et dans la disposition d’esprit où elle était, la saisit de surprise. Elle s’arrêta une minute pour regarder le délabrement des façades tassées, affaissées sur elles-mêmes, la solitude du mince trottoir sans promeneurs, presque sans boutiques, le haut mur gris de Saint-Sulpice, au fond, et, sur ce décor de silence, la pesée d’un ciel froid de mars, tendu et noir. Au moment d’oser une démarche très grave, qui risquait de bouleverser son existence intime, cette femme tourmentée sentit de nouveau faiblir une résolution, bien réfléchie pourtant et nourrie pendant des jours, à travers tant de luttes secrètes ! Un dernier combat d’idées crispa son visage, qui demeurait, à quarante ans passés, joli encore par la finesse préservée des traits, la délicatesse intacte du teint, un je ne sais quoi de frémissant qui trahissait une sensibilité restée vive et neuve. Même en proie au souci qui la contractait cette physionomie n’avait pas son âge. La taille mince, la démarche alerte, le port souple de la tête s’accordaient avec cet air de jeunesse que démentaient à peine les fils d’argent mêlés à l’or des cheveux et le cercle bleuâtre des paupières, comme meurtries de lassitude. Mais si les insomnies et les inquiétudes avaient cerné ces grands yeux d’un brun doux, elles n’en avaient pas terni l’éclat velouté qui donnait une grâce plus prenante encore à la beauté blonde de cette femme. Qu’elle eût d’ailleurs la conscience et l’entente de cette beauté, l’élégance, effacée à la fois et soulignée, de sa mise le révélait. Visiblement, elle avait voulu obtenir un savant effet d’harmonies sobres et chaudes. Une touffe de violettes de Parme relevait son chapeau de loutre, sa jaquette de la même fourrure retombait sur une jupe de drap couleur pensée. Certaines toilettes, à Paris, par le fini de leur détail et la ligne de leur ensemble, classent une femme aussi certainement qu’un officier son uniforme et ses galons. Depuis les bracelets qui luisaient sur ses poignets au bord du manchon, jusqu’aux fines chaussures apparues sous la jupe à longs plissés, tout chez Gabrielle Darras dénonçait une personne de la haute bourgeoisie française ; de cette classe à la fois comblée et discrète, où se perpétue, malgré l’envahissement de l’exotisme, le goût traditionnel de notre pays. Hélas ! si le caractère un peu paré de cette toilette décelait chez celle qui l’avait combinée un désir de plaire et de garder son rang, trop naturel — la suite de cette histoire le démontrera — dans une situation anormale, cette coquetterie et cet orgueil appartenaient déjà au passé comme aussi les années de bonheur qui avaient pu seules lui conserver longtemps cette fleur de jeunesse dans son automne commençante. Le présent, c’était l’anxiété qui l’immobilisait sur le pavé de la vieille rue. C’était l’hésitation dernière avant une visite, peut-être irréparable pour son repos. C’était la détresse d’une agonie morale, arrivée à un période aigu, et qui, soudain, se résolut dans une détermination violente. Mme Darras esquissa un geste d’impatience révoltée ; elle se répéta à mi-voix, comme pour suggestionner sa défaillante énergie, ces mots de volonté :

— « Demain rien n’aura changé, rien, rien, rien… À quoi bon attendre ? »

Et, d’un pas devenu maintenant ferme, elle commença d’aller, la tête levée, regardant les numéros les uns après les autres jusqu’à celui de la maison qu’elle cherchait et dont la vétusté la fit de nouveau frissonner. Cette bâtisse, orientée vers le Nord et sinistrement humide, datait d’une époque où la rue, habitée longtemps par le fossoyeur de Saint-Sulpice, s’appelait encore rue des Fossoyeurs. Rien n’avait changé depuis cent ans dans cette construction, édifiée en deux fois, lors du Directoire, puis sous l’Empire, sur les débris de quelque jardin de couvent, par un de ces entrepreneurs au rabais qui foisonnèrent alors. Ils n’avaient à leur service, grâce à l’universel désarroi des guerres, que de mauvais apprentis sans éducation technique. Aussi ceux de leurs ouvrages que la réfection du Paris moderne a épargnés offrent-ils des exemplaires minables de maçonnerie gâchée et d’ignorante architecture. L’ensemble de cette maison-ci se composait d’un premier corps de logis, haut de deux étages, que des ailes en retour rattachaient à une sorte d’hôtel à fronton, édifié évidemment en premier lieu et que décorait une prétentieuse rangée de bustes copiés sur l’antique : un Antinoüs, un Apollon, une Diane. Des X en fer affleuraient partout sur le crépi lézardé, les murs ne tenant plus que par la force des clefs. La disposition actuelle des bâtiments en faisait une petite cité, desservie par des escaliers distincts. Ils prenaient leur point de départ sur une cour pavée, au centre de laquelle l’industrie du concierge aménageait un fantastique jardinet. Des arbustes plantés à même des bacs poussaient, dans cette atmosphère sans soleil, un maigre feuillage. Des récipients de métal, jadis bidons de pétrole ou boîtes à conserves, étaient là, garnis de terre. Des plantes grimpantes devaient en surgir, puis s’enlacer à un treillis de bois et de fil de fer érigé en une petite tonnelle. L’ingénieux personnage était justement occupé à compliquer encore ce rustique appareil lorsque Mme Albert Darras, après avoir vainement frappé au carreau de la loge vide, poussa la porte à claire-voie qui séparait la voûte et la cour. À l’appel du timbre, le jardinier amateur tourna la tête, sans d’ailleurs se déranger de sa besogne, et sa voix se fit presque brutale pour répondre à la question de la visiteuse, formulée d’un accent étouffé :

— « Monsieur l’abbé Euvrard est-il chez lui ?… »

— « Je n’en sais rien… Le plus sûr est que vous montiez y voir. L’escalier à gauche, au second étage, la porte à droite. Vous ne pouvez pas vous tromper… Sonnez fort. C’est un grand savant, à ce qu’on dit, et les grands savants sont toujours dans la lune… »

La rudesse de cet homme prouvait simplement qu’il gérait un immeuble peuplé de petits locataires trop nombreux et qu’il recevait peu de pourboires. Mme Albert Darras rougit comme d’un affront personnel. Quoique sa démarche auprès du vieux prêtre, peu considéré de son concierge, ne fût en aucune façon compromettante, elle la hasardait pourtant à l’insu de tout son entourage, notamment de son mari. Il lui sembla, dans son remords de son action clandestine, que le regard insolent du rustre interprétait sa présence ici d’une manière insultante. Ce fut donc en se hâtant et baissant la tête qu’elle s’engagea, par la porte indiquée, dans la cage d’un pauvre escalier de bois sans tapis, aux marches bien souillées, bien déjetées. Si elle avait été capable de réflexions pareilles, à cette minute, elle eût été frappée du contraste entre ce misérable gîte où s’était réfugié celui qu’elle cherchait et l’endroit où elle était allée le demander quelques jours auparavant. Rendons dès maintenant au Père Euvrard l’appellation à laquelle lui donne droit sa qualité d’Oratorien. Il figurait sous ce titre, sur l’Annuaire de l’Institut, comme membre libre de l’Académie des Sciences, avant les abominables mesures de 1903 contre les congrégations. Son adresse était alors au n° 4 du quai des Célestins, dans ce débris du magnifique hôtel Fieubet, construit par Mansart, et dont son ordre avait fait le collège Massillon. Qu’un mathématicien illustre, au bord de la vieillesse, doive quitter sa communauté, son paisible cabinet d’études et se réfugier dans un pauvre logement, pour y vivre chétivement, de ses jetons et de quelques travaux mal payés, cela juge un régime et son intelligence. Mais quand bien même Mme Darras eût réalisé dans sa vérité le petit drame que représentaient, pour ce prêtre, ce bouleversement de ses innocentes habitudes, cette nécessité de parer aux besoins de l’existence matérielle, cette séparation surtout d’avec ses frères, peut-être cette épreuve lui eût-elle paru moralement légère, comparée à la tragédie de foyer où elle se sentait à la veille de s’engager. La visite au proscrit de la rue Servandoni n’en constituait qu’un épisode. Cette tragédie n’était que latente, et déjà la terreur des conflits futurs agitait si fortement les nerfs de cette femme, qu’arrivée sur le palier de ce second étage, et quand elle eut sonné à la porte à droite, suivant les instructions du concierge, elle dut s’appuyer à la rampe. Des pas se rapprochaient, venant de l’intérieur. Ils lui retentissaient physiquement dans le cœur. C’étaient ceux du prêtre, qui demeura une seconde, interloqué, la porte une fois ouverte, devant cette visite inattendue. Le coup de sonnette l’avait surpris au tableau noir, et qui travaillait. Il tenait encore à la main un morceau de craie blanche. Sa soutane défraîchie, sa barbe de trois jours, les ailes trop longues de sa chevelure roussâtre, à peine grisonnante à soixante ans, dénonçaient l’incurie du savant pour qui le monde extérieur et sa propre personne existent très peu. Avec cela, une petite taille, un torse exigu, et un visage rose. presque poupin, lui auraient donné un air vaguement comique, n’eût été la noble coupe de son front perpendiculaire et rayé de rides droites, — un de ces fronts que Lavater appelait « scrutateurs », — n’eût été surtout l’extraordinaire beauté de ses yeux bleus. Leurs prunelles gaies gardaient la fraîcheur et la transparence de celles d’un enfant. Le regard, volontiers étonné, exprimait à cet instant l’ahurissement à demi somnambulique d’un géomètre que la chimère du calcul vient d’emporter à mille lieues sur ses puissantes ailes. Comme Mme Darras se taisait, décontenancée de son côté devant une apparition par trop différente de l’image qu’elle s’était faite du célèbre Oratorien, il rompit le premier le silence :

— « Vous devez vous être trompée de porte, madame, » dit-il simplement.

— « Non, » fit-elle, « vous êtes bien M. Euvrard, le Révérend Père Euvrard ?… » Et, sans lui laisser le temps de répondre autrement que par un signe : — « Mon père, » insista-t-elle, « je vous demande de me recevoir. Je viens à vous sans recommandation, parce que j’ai entendu vanter si souvent votre grand esprit et votre grand cœur, et j’ai tant besoin d’un appui !… »

En parlant de la sorte, elle s’était avancée dans l’étroit couloir. Le prêtre obéit presque machinalement à la suggestion qui émanait de ce geste. Il introduisit l’inconnue dans le réduit qui lui servait de bibliothèque. Sa physionomie ne put toutefois dissimuler une contrariété qui ne venait pas simplement de sa méditation interrompue. La toilette de cette femme et sa beauté, son énervement et son insistance, lui donnaient l’idée qu’il avait devant lui une personne du monde, prise dans quelque aventure de passion. Homme d’étude et de cabinet, ayant à peine exercé le ministère depuis qu’à sa sortie de l’École polytechnique il était entré en religion, la perspective de jouer un rôle de conseiller dans une histoire si étrangère au train accoutumé. de sa pensée le désorientait déjà. Cependant comme il était prêtre, et bon prêtre, ce manque de charité lui fit honte. Il avait eu, pour débarrasser de ses papiers son unique fauteuil, un mouvement de véritable impatience, qu’il justifia de son mieux. Il rejeta cette gêne sur l’état de désordre où se trouvait la pièce. Son déménagement remontait à deux semaines, et il n’avait pas encore rangé ses livres posés par tas sur les planches de bois blanc qui garnissaient les murs, entre des liasses de notes et des cartons. Un tapis d’occasion couvrait une partie du carreau. Quatre chaises de paille, un bureau d’angle, un prie-Dieu achevaient le mobilier de cette cellule. Deux fenêtres l’éclairaient, auxquelles le savant avait cloué de ses mains et de guingois des rideaux de vitrage achetés tout faits et trop courts. Le marbre de la cheminée sans feu supportait, près d’une lampe à esprit-de-vin, une casserole, un filtre en terre et les débris du déjeuner : deux œufs à la coque et une tasse de café. L’hôte de ce pauvre campement préparait lui-même ses repas, avec un stoïcisme dont témoignait le tableau noir posé sur son chevalet entre les croisées et couvert de griffonnages cabalistiques, son opium intellectuel. Il les montrait du geste en avançant le siège, et il disait :

— « Je rougis, madame, de vous recevoir dans un taudis pareil. Mais puisque vous connaissez mon nom, vous savez que je suis un proscrit. Il paraît que je faisais courir un danger à l’État en traçant ces formules dans une maison où d’autres Pères travaillaient l’histoire, l’archéologie et l’hébreu ! Espérons que ce pauvre État est sauvé maintenant… » — Il rit de cette innocente épigramme, son unique vengeance contre ses persécuteurs. Puis, ses propres paroles l’ayant, par une naturelle association, ramené à sa première idée. — « Quelques-uns, parmi ces Pères, s’occupaient aussi de direction. Ils s’en occupent encore. Peut-être vaudrait-il mieux que je vous indique l’adresse de l’un d’entre eux. Si vous avez un conseil pratique à demander, un géomètre n’est guère qualifié pour vous le donner. Notre science… »

— « C’est précisément votre réputation de savant », interrompit Mme Darras, « qui m’a déterminée à cette démarche… Je vous ai dit que j’avais souvent entendu parler de vous, par mon mari d’abord. Il est un ancien élève de l’École polytechnique, comme vous, paraît-il… Certes, il n’est pas suspect de partialité envers l’habit que vous porter. À cause de cela, je vous demanderai de ne pas vous dire mon nom. Ses collègues et lui tiennent vos ouvrages dans une telle estime !… Et puis, vous avez eu le fils d’une de mes amies comme élève à Juilly. Je savais votre grande intelligence par mon mari. J’ai su par elle votre grande bonté… Quand j’ai cherché un prêtre auquel m’adresser dans une heure solennelle de ma vie, votre nom m’est venu à la pensée, pour ce double motif. Ma situation est si exceptionnelle que j’ai redouté un ecclésiastique ordinaire et son étroitesse d’esprit. Il y en a tant qui semblent n’avoir comme idéal que d’éloigner les âmes de Dieu !… »

— « Je suis à votre disposition, madame, » répondit l’Oratorien. « Vous n’avez pas à me dire votre nom. Je préfère même l’ignorer… » L’énigmatique dernière phrase de sa singulière interlocutrice avait confirmé ses soupçons. Persuadé qu’il allait recevoir la confidence d’un remords en voie de repentir, le prêtre acheva de se réveiller dans le mathématicien. La profonde phrase de l’Apôtre : Omnibus omnia factus sum[1], sera toujours la devise d’un cœur véritablement sacerdotal. Mme Darras vit une expression d’une gravité attentive remplacer, sur ce masque soudain transformé, le désarroi un peu falot qui l’avait déconcertée. Ces yeux bleus, que voilait tout à l’heure un nuage de distraction, se fixèrent sur elle avec une précision singulière, et l’accent du prêtre prit l’autorité, indulgente à la fois et impérative, du médecin au chevet du malade, pour ajouter : — « Je vous le répète cependant, je suis moins qualifié qu’un de ces ecclésiastiques que vous avez tort d’appeler ordinaires et qui sont de vieux praticiens de la vie. Mais, puisque vous réclamez mes faibles lumières, qu’y a-t-il ?… »

— « Il y a, mon Père, » et dans cette voix de femme frémissait la sincérité douloureuse d’un être qui se prépare à mettre à nu une plaie de sa conscience, gardée longtemps secrète, « il y a que je suis tourmentée, depuis des semaines, des mois, par un besoin de me rapprocher de Dieu, qui est devenu, ces temps-ci, une véritable souffrance. J’ai été très pieuse quand j’étais jeune. Puis, j’ai cessé de l’être. J’ai eu des doutes. Il m’a semblé que je ne croyais plus. Voici douze ans que je ne pratique pas… Je dis qu’il m’a semblé, car je n’ai jamais méconnu la bienfaisance de la religion. La preuve en est qu’ayant eu une fille, j’ai voulu qu’elle fût baptisée. Ce n’a pas été sans lutte… L’enfant a grandi. Elle a onze ans. Elle va faire sa première communion… »

Elle s’arrêta, comme si, arrivée à un ordre d’idées plus intime, elle ne trouvait pas bien ses mots. Cet embarras, le caractère de ce début, si détourné, si hésitant, le rapport entre la naissance de l’enfant et la date où la mère s’était éloignée des sacrements, autant d’indices qui se raccordaient trop bien à l’hypothèse déjà construite dans l’esprit de M. Euvrard. Cette femme était mariée. Elle l’avait dit elle-même. Elle avait commis une faute. Son enfant n’était pas du mari. Son allusion aux prêtres qui éloignaient les âmes de Dieu venait sans doute d’avoir rencontré un confesseur trop sévère. M. Euvrard se crut habile en essayant de lui faciliter le pénible aveu :

— « Votre fille vous devra le salut de son âme, » dit-il, « et d’avoir sauvé une âme efface bien des fautes, surtout quand ces fautes peuvent avoir eu, sinon pour excuse, au moins pour explication, un entraînement. Reprenez courage, madame… »

À mesure qu’il parlait, une rougeur montait aux joues de l’inconnue. Le pauvre Oratorien se sentit rougir lui-même. À l’éclair de fierté allumé dans le regard de sa visiteuse, il venait de comprendre qu’il se trompait sur le caractère de sa démarche. Non, elle n’était pas l’héroïne repentante d’une banale histoire d’adultère, et il l’écoutait, qui continuait sa confidence, d’une voix rendue ferme, maintenant, par la révolte contre le soupçon :

— « Non, mon Père, non. Je n’ai pas à me reprocher ce que vous croyez. Je suis une honnête femme. Si j’ai cessé de pratiquer, je n’ai pas à rougir du motif. Je n’ai pas commis une faute. J’ai été loyale, toujours. Je n’avais pas de remords d’être hors de l’Église. J’étais tranquille avec ma conscience, je vous l’ai dit : j’avais perdu la foi… Cette foi dormait. Elle est réveillée au contact de la foi de ma fille. C’est là ce qui m’amène… Comment s’est accompli ce travail ? Je ne le sais pas moi-même. Ç’a été une suite d’événements très ordinaires. Quand Jeanne a dû aller au catéchisme, je l’y ai accompagnée, dans cette petite chapelle souterraine de Saint-Sulpice, au bout de votre rue, où j’étais venue, à son âge. Toutes mes émotions d’alors, je me suis mise à les revivre dans les siennes. Je l’ai vue aussi fervente que je l’avais été, son esprit s’ouvrir aux idées religieuses, comme le mien alors, l’amour de Dieu s’emparer d’elle, comme de moi autrefois. Est-ce mon enfance qui m’est remontée au cœur ? Est-ce autre chose ? Je vous répète que je ne sais pas… J’avais recommencé d’aller à la messe, à cause de Jeanne, pour la forme… J’ai recommencé d’y prier. Cela m’a prise d’abord comme un regret. Je me suis abandonnée à ce sentiment du passé qui nous fait aimer à revoir les endroits où nous habitions jeunes, à rencontrer des parents perdus de vue, d’anciens amis. Une heure est venue, où j’ai compris que ce passé, c’était le présent. J’ai senti Dieu. J’ai senti mon âme. Oui, il y a un Dieu, et qui nous écoute. Nous avons une âme, et qui émane de lui, qui vit de lui… Ces deux évidences se sont imposées à moi toujours plus claires, toujours plus puissantes, rien qu’en faisant répéter sa prière à ma fille, chaque matin et chaque soir. Je l’écoutais prononcer ces mots : Notre Père, et je lisais dans le fond de son être. J’y voyais la foi absolue dans la bonté de ce Père céleste. Je me disais alors, j’étais bien obligée de me dire : si ce cœur, toute pureté, toute tendresse, toute sincérité, était trompé dans cette confiance, rien n’aurait de sens ici-bas. Est-ce possible ? La vie serait un horrible cauchemar, si des élans comme celui de cette enfant vers son Créateur n’étaient qu’un mensonge. La mère en moi s’est rendue à cette lumière… Oh ! ce travail ne s’est pas accompli sans combats. Les raisonnements qui m’avaient été donnés contre la religion se sont levés. Aucun n’a tenu contre cette voix de ma fille parlant au bon Dieu. Pourquoi essayer de discuter quand on sent, quand une réalité est là devant vous, vraie comme vous-même, comme l’air que vous respirez, comme les objets que vous touchez ? J’ai cru de nouveau. Je n’ai plus lutté contre un sentiment d’autant plus fort qu’il m’associait davantage à l’intimité de mon enfant, à toutes les émotions de sa piété grandissante. Plus j’ai partagé ces émotions, plus j’ai aimé mon enfant et aussi plus j’ai cru. Vous n’imaginez pas quelle ardeur d’amour cette approche de sa première communion suscite en elle, comme sa sensibilité et son intelligence en sont exaltées, illuminées, à quels miracles de perfection quotidienne j’assiste dans ce jeune cœur. C’est Dieu que je regarde agir en elle et aussi en moi… Mais ce n’est pas pour vous raconter par le détail cette transformation de mes pensées que je suis ici, mon Père. Je vous en ai assez dit pour que vous compreniez à travers quoi j’ai passé, et comment je suis arrivée à ce désir où se résume tout le reste : Jeanne va faire sa première communion dans trois semaines, je voudrais communier avec elle. »

— « Vous n’avez pas seulement sauvé l’âme de votre fille, » répondit le prêtre, « vous avez sauvé la vôtre, madame. Ne soyez pas troublée d’être restée si longtemps loin de Dieu. Vous l’avez appelé le bon Dieu, et vous avez eu raison. Il ne demande qu’à pardonner. Le cœur de Notre-Seigneur est toujours là. Vous avez encore raison de croire qu’il agit en vous. C’est lui qui vous a conduite, d’heure en heure, jusqu’à celle-ci, soyez-en sûre. Vous voulez communier. C’est si simple ! Je suis prêt à recevoir votre confession, quand vous le désirerez…, ici… dès maintenant… »

Le digne homme avait parlé d’un ton attendri où perçait un regret de sa première méprise. Ce récit avait éveillé en lui un sentiment très particulier. S’il avait les défauts que comporte l’esprit abstrait des géomètres, il en avait les vertus, entre autres cette puissance du mysticisme dont s’accompagne souvent le génie mathématique, témoins un Pascal, un Leibnitz, un Newton, et, de nos jours, un Cauchy, un Puiseux, un Hermitte. Un effort lui avait été nécessaire quand il appréhendait l’aveu d’une histoire d’amour. Son intérêt, au contraire, était surexcité au plus haut point par cette confidence, très peu intellectuelle, très dépourvue de rigueur logique ; mais il y avait vu, comme la mère de Jeanne, le mystérieux dialogue de Dieu et d’une âme. Il lui semblait bien qu’un des éléments du problème n’était pas clair. Du jour où cette âme avait cru de nouveau, pourquoi n’était-elle pas allée aussitôt aux sacrements ? Pourquoi ce délai ? Pourquoi ce trouble dans ce retour ? L’énergie de l’inconnue à proclamer son honnêteté ne permettait pas de supposer un secret coupable. M. Euvrard ne se doutait pas qu’il allait lui-même, dans une minute, et par son seul caractère de prêtre, représenter l’invincible obstacle dressé devant cette femme sur cette route du retour, et il l’écoutait, avec un étonnement très vite mêlé d’épouvante, lui répondre, en reprenant une de ses dernières phrases :

— « Non, mon Père, ce n’est pas si simple. Il faut que vous en sachiez davantage, et que je vous aie appris qui je suis et pourquoi vous me voyez si émue. Je suis mariée, je vous l’ai dit déjà. Je dois ajouter que c’est mon second mariage, et que mon premier mari vit toujours. »

— « Alors, » interrogea le prêtre après un silence, « vous êtes divorcée et remariée ?… »

— « Oui, » dit-elle.

— « Et votre fille ? »

— « Ma fille est née de mon second mariage. »

— « Vous êtes divorcée et remariée, » répéta M. Euvrard, et, comme se parlant à lui-même : « Pauvre femme ! Je comprends tout… » Puis, revenant à elle : — « Non. Ce n’est pas simple. Vous ne pouvez pas communier, vivant comme vous vivez. Je ne dois pas même recevoir votre confession. Je ne pourrais pas vous donner l’absolution… »

Il avait prononcé ces derniers mots avec un visage et d’une voix où n’hésitait plus la timidité du savant dérangé dans sa méditation, où ne frémissait plus la pitié d’un vieillard ému par une confidence douloureuse. Le religieux édictait, au nom de sa foi, une sentence sans appel, fondée sur une règle indiscutable. La physionomie anxieuse de Mme Darras s’était contractée davantage en écoutant cet arrêt, sans exprimer cependant de surprise. Elle esquissa seulement un geste plus découragé pour répliquer :

— « Je connaissais d’avance votre réponse, mon Père. Elle m’a déjà été faite. Vous l’avez deviné, j’imagine, à l’une de mes phrases : je me suis adressée une première fois à un autre prêtre. Il m’a arrêtée aux premiers mots, comme vous. Je connais d’avance aussi la condition que vous allez m’imposer : quitter mon mari. Laissez-moi vous répéter ce que j’ai dit à ce prêtre… Il y a treize ans, j’en avais vingt-neuf. J’étais la plus malheureuse des femmes. L’homme à qui ma famille m’avait mariée, et dont j’avais dû me séparer, venait de demander et d’obtenir que cette séparation fût convertie en divorce. Il s’était remarié. Je restais seule au monde avec un fils de neuf ans. Les tribunaux me l’avaient donné. Comment l’élever ? Comment tenir tête aux difficultés que le divorce crée autour d’une femme, même lorsqu’elle a le bon droit pour elle ? C’est alors qu’un autre homme, que j’avais connu chez mes parents, sans trop le remarquer, et perdu de vue depuis mon mariage, trouva le moyen de rentrer dans ma vie. J’appris qu’il m’avait aimée jeune fille, sans se déclarer. Il était pauvre alors. J’étais riche. Il ne s’était pas marié, à cause de moi. Il avait travaillé, pour me conquérir quand j’étais libre, pour m’oublier quand je ne l’étais plus. Je l’étais de nouveau, il reparaissait. Il avait de la fortune maintenant, une brillante position, la possibilité d’épouser qui lui plairait. Il restait fidèle à son premier sentiment, et il me demandait ma main. J’ai accepté ce dévouement, et, depuis ce jour, je n’ai pas rencontré en lui une défaillance. Il a été pour moi le meilleur des maris, pour mon fils le meilleur des pères… Fût-ce au prix de mon salut éternel, je ne le quitterai jamais, jamais… »

— « Je ne comprends pas bien alors ce que vous attendez de moi, » répondit M. Euvrard, « ni de quel appui vous avez besoin, pour me servir de vos propres termes. Vous êtes assez au courant des lois de l’Église pour le savoir : votre second mariage ne compte pas à ses yeux, il ne pourra jamais compter. En le contractant, vous avez rompu avec elle. Vous prétendez persévérer dans cette rupture, et, en même temps, vous parlez de reprendre une vie religieuse, de participer aux sacrements ?… Il y a là une contradiction si évidemment irréductible qu’elle ne vous a pas échappé. Vous voudriez être tout ensemble dans l’Église et hors de l’Église. C’est un problème sans solution. »

— « Il en a une, mon père, » interrompit Mme Darras. L’énergie de son affirmation prouvait quelle importance elle attachait à cette partie de leur entretien. Le sang revenait à ses joues. Ses yeux brillaient, et elle insistait : — « Oui, il y a une solution. Elle ne peut être acceptée que par un prêtre à l’esprit large, très large. C’est pour cela que je suis venue vous la soumettre, à vous… Mon second mariage ne compte pas aux yeux de l’Église. Vous me le dites, et je le sais. Vous ajoutez qu’il ne pourra jamais compter. Sans doute, tant que le premier subsistera. Mais si ce premier était cassé ? L’Église n’admet pas le divorce. Soit. Mais elle admet l’annulation. Il y a treize ans, lorsque j’ai entrevu la possibilité de ce second mariage, j’ai pensé à m’adresser à Rome. Je ne l’ai pas fait. Mon futur époux y répugnait, et moi-même j’avais si peu de foi !… Est-il trop tard aujourd’hui ? Puisque l’Église m’impose de me soumettre à ses lois, elle me doit de m’en donner les moyens. Les motifs que j’aurais allégués à cette époque, je les alléguerai. Ils n’ont rien perdu de leur force. Je vous ai dit que mes parents m’avaient mariée. S’ils ne m’ont pas contrainte, au sens matériel du mot, il n’en est pas moins vrai que leur pression a influencé ma volonté. Je n’ai donc pas agi en pleine liberté. Dans tous les cas, je n’ai certainement pas su qui j’épousais. Si je l’avais su, je serais morte plutôt que de subir cette abominable union. Entre mon premier mari et moi, il ne s’est agi ni d’un désaccord d’humeur, — j’ai tout supporté de ses défauts de caractère, c’était le père de mon fils, — ni d’une infidélité. Il m’a trompée, et j’ai pardonné… Je n’ai pu ni supporter, ni pardonner le vice le plus abject, le plus dégradant pour des personnes de notre classe. Cet homme buvait, et l’ivresse le rendait furieux. Cinq années durant, à cause de mon fils, j’ai subi d’horribles scènes où les menaces et les brutalités n’étaient pas le pire dégoût. Je n’ai trouvé la force de me sauver que le jour où ma vie et celle de l’enfant ont été en danger. Il m’avait frappée, moi, avec une telle violence que j’ai mis des semaines à m’en remettre, et il avait voulu le frapper, lui !… Je vous le demande, mon Père, avais-je consenti à épouser un fou, et un fou méchant ? N’y a-t-il pas là de quoi faire casser un mariage où mes parents et moi avons été trompés ?… Mon Père, si je m’engage à la demander, cette annulation, que je ne peux pas ne pas obtenir, si je vous affirme que je ferai tout pour décider mon second mari à m’y autoriser, si je vous promets que, d’ici là, tout en demeurant sous son toit, je vivrai auprès de lui comme une sœur auprès d’un frère, ne voudrez-vous pas me considérer comme réconciliée avec l’Église ? Ne pourrai-je pas me confesser et communier avec ma fille, une fois du moins, cette seule fois ?… »

— « Non, » dit l’Oratorien en secouant la tête avec une mélancolie où la pitié l’emportait de nouveau sur la sévérité. — « Vous ne pourrez pas. Aucun prêtre ne saurait se prêter à un compromis qui ne reposerait d’ailleurs sur rien de réel. Les prétextes que vous venez d’articuler ne permettraient même pas d’introduire une demande d’annulation. Vous paraissez croire, madame, comme beaucoup de gens du monde, que Rome a le pouvoir de dénouer le lien conjugal. Elle ne l’a pas. Rome reconnaît qu’il y a des mariages nuls, quand ces mariages sont vraiment nuls, c’est-à-dire quand certaines conditions nécessaires à la validité du contrat conjugal n’ont pas été remplies. Ces conditions, elle les a déterminées et définies, avec une précision qui ne laisse aucune place à l’équivoque. Consultez un ouvrage quelconque de théologie morale. Vous y verrez que votre cas ne rentre dans aucun des types prévus. Vous-même convenez que votre mariage a été suffisamment libre, quand vous dites que, si vous aviez connu l’affreux vice de votre mari, vous ne l’auriez pas épousé. Donc, il y a eu consentement. Vous vous indignez contre ce vice ; je vous accorde qu’il est détestable, qu’il est hideux. Il ne constitue pas une erreur sur la personne. Il constitue une épreuve. Quand l’Église a béni votre mariage, elle ne vous a pas promis qu’elle vous exempterait des épreuves. Si celle-là était trop dure, vous aviez la séparation, que l’Église a toujours autorisée. Mais elle n’autorise que la séparation. Faire davantage, ce serait désobéir au précepte, si nettement formulé dans l’Évangile et qui défend les seconds mariages, du vivant du premier conjoint. Comprise comme vous la comprenez, l’annulation ne serait qu’un divorce hypocrite. L’Église n’a pas de ces complaisances. Quand elle marie deux êtres, elle enregistre bien un contrat, mais irrévocable, puisqu’il se double d’un sacrement. N’espérez pas échapper par cette porte. Elle est fermée… « 

— « Que faire alors ?… » s’écria Mme Darras en joignant les mains, dans un geste de détresse : — « Est-ce possible que Dieu » — elle appuya sur ce mot avec une infinie douleur — « m’ordonne d’abandonner mon foyer, de briser le cœur d’un homme que j’aime et qui m’aime, de laisser ma fille ? Car mon mari ne me la donnerait pas, et il aurait la loi pour lui… Sinon, pas de vie religieuse ; l’interdiction absolue de m’agenouiller à côté de ma chère enfant, dans une heure solennelle de sa jeunesse, pour participer ensemble au même saint mystère ; pas de pardon !… Est-ce possible, je vous le redemande, mon Père, que la loi humaine ait plus de justice, plus de charité que la loi divine ? Car enfin, quand j’étais si malheureuse, l’ayant si peu mérité, l’une m’a permis de refaire ma destinée, loyalement, honnêtement. L’autre exige que je la défasse à nouveau. À peine si elle consent à ne pas m’emprisonner dans un haïssable passé, et elle m’interdit de le réparer… Ah ! monsieur Euvrard, comment voulez-vous qu’à constater cette différence de procédés, tant d’objections que j’ai entendues si souvent ne me reviennent pas ? Cette renaissance de ma foi ancienne, suscitée par le contact avec la piété de ma fille, s’abolit, s’efface. Le doute me reprend. J’en ai tant souffert après ma visite à l’autre prêtre ! Je me dis que les adversaires de l’Église ont raison, qu’elle est un instrument de compression et de mort, que le progrès s’accomplit sans elle et contre elle, qu’en la regrettant comme je le fais, avec une telle nostalgie, je suis la dupe d’un mirage, et que la vérité n’est pas là !…

— « Ne parlez pas ainsi !… » dit vivement l’Oratorien. D’un geste instinctif, sa vieille main s’était posée sur le bras de son interlocutrice, pour l’arrêter dans son blasphème. — « Ne pensez pas ainsi, surtout ne jugez pas Dieu. Ce serait commettre le péché contre l’Esprit, le seul qui ne sera pas pardonné… Vous reprochez à la loi de l’Église sur le mariage de manquer de justice et de charité ? continua-t-il. « Permettez-moi une comparaison très vulgaire, mais très nette. Un bateau se trouve devant un port où l’un des passagers voudrait aborder. Il y va pour lui des plus hauts intérêts moraux et matériels, de revoir un père mourant, par exemple, d’assister à un procès d’où dépend l’avenir des siens. Que sais-je ?… Des cas de peste se sont produits sur le bateau. Les autorités de la ville interdisent le débarquement, par crainte de la contagion. Serait-il juste, serait-il charitable, de céder aux supplications du voyageur, au risque de contaminer une cité de cent mille habitants ? Évidemment non. Voilà donc une circonstance où la justice, où la charité exigent le sacrifice de l’intérêt individuel à l’intérêt général. Ce principe domine la société. Entre deux mesures, dont l’une est certainement utile à l’ensemble, et pénible à tel individu, l’autre agréable à cet individu et nuisible à l’ensemble, la justice et la charité veulent que la première prédomine. C’est la question qu’il faut se poser à propos de toute institution, pour en mesurer la valeur. Posez-la pour le mariage indissoluble. Que répond la raison ? Que la société se compose de familles et que, tant valent ces familles, tant vaut cette société. Considérez maintenant ce que le mariage indissoluble apporte de chances de santé à la famille : — chances de réflexion sérieuse avant l’engagement, puisqu’il est irrévocable, — chances de cohésion plus étroite entre les ancêtres, les parents et les enfants, puisque la lignée comporte moins d’éléments hétérogènes, — chances d’unité dans l’esprit des membres et de suite dans la tradition. Ce mariage est le plus fort agent de cette fixité des mœurs, en dehors de laquelle tout n’est qu’anarchie et fièvre éternelle. Que répond l’histoire, après la raison ? Elle démontre qu’en effet toutes les civilisations supérieures ont tendu à la monogamie. Or le divorce n’est pas de la monogamie, c’est de la polygamie successive. Je ne veux pas vous faire un cours de sociologie. Savez-vous pourtant ce qu’établit la statistique ? Dans les pays où le divorce existe, le chiffre des criminels, des fous, des suicides est proportionnellement décuple chez les divorcés. Donc, pour une personne qui, comme vous et quelques autres, apporte ou préserve dans le divorce toutes les délicatesses de son esprit et de son cœur, la majorité ou les avait déjà gâtées ou les y a perdues. Réglementer la société en vue d’une minorité de dégénérés probables, c’est chercher sa norme dans ce qui doit rester son déchet. Vous appelez cela un progrès[2]. La Science l’appelle une régression… Nous venons de nous mettre, remarquez-le, au point de vue de l’observation pure. J’ai voulu ainsi vous faire toucher au doigt l’identité entre la loi de l’Église et la loi de la réalité, entre l’enseignement de l’expérience et celui de la Révélation. Dans son effort pour durer, la nature sociale aboutit précisément à la règle dont la religion a fait un dogme. À la lumière de ces idées, comprenez la gravité de la faute que vous avez commise en profitant du criminel article qu’ont introduit dans notre Code les pires ennemis de l’ordre social, les destructeurs de la famille. Vous vous êtes associée à cette œuvre d’ébranlement, dans la mesure où vous l’avez pu. Vous avez sacrifié la société à votre bonheur individuel. Vous avez, votre second mari et vous, constitué, dans votre humble sphère, un type de foyer anarchique, d’autant plus funeste que vous y avez donné l’exemple, par vos vertus, de la décence dans l’irrégularité, d’une apparence d’ordre dans le désordre. C’est là ce qui rend si redoutables les égarements des âmes qui ont reçu et gardé de très beaux dons. Leur noblesse native les suit, même dans leurs erreurs. Elles y tombent sans s’y avilir. En dissimulant la laideur du mal, elles le propagent plus dangereusement. Ne cherchez pas ailleurs la raison des difficultés extrêmes que vous rencontrez dans votre effort de retour. Mesurez la grandeur de votre faute à ces difficultés et remerciez Dieu de ne vous avoir pas éprouvés davantage, vous et les vôtres… Il n’y a pas vingt ans que cette détestable loi du divorce a été votée, et si vous saviez combien de tragédies je l’ai déjà vue produire, moi qui confesse si peu ; dans quelles catastrophes j’ai vu sombrer des ménages comme le vôtre, qui n’ont pas compris cette évidence, partout empreinte cependant : toute liberté contraire aux lois de la nature engendre une servitude, tout devoir abandonné un malheur ! J’ai vu des haines fratricides entre les enfants du premier et du second lit, des pères et des mères jugés et condamnés par leurs fils et leurs filles, ici des heurts meurtriers entre le beau-père et son beau-fils, là entre la seconde femme et la fille du mari, ailleurs la jalousie du passé, d’un passé rendu si vivant par l’existence du premier mari, suppliciant le second mari, ailleurs des luttes horribles entre ce premier mari et son ancienne femme autour des maladies de leur enfant, ou, une fois grandi, de ses passions, de ses folies de jeune homme, de son mariage, si c’est une fille. Et je ne vous parle pas de cette rancœur, quotidiennement renouvelée, contre la malveillance, avouée ou cachée, hypocrite ou sincère, qu’importe, d’un monde où, malgré tout, le respect de l’union chrétienne demeure intact. Ah ! quelles misères !… Votre lot n’aura pas été le pire, car il s’accompagne d’une grande grâce, puisque vous avez retrouvé la foi. Si vous la méconnaissiez jamais, cette grâce, c’est alors qu’il faudrait trembler. L’action vengeresse de Dieu ici-bas ne s’accomplit point par des événements extraordinaires. La logique de nos fautes y suffit. Elle comporte une partie nécessaire et inévitable, une partie accidentelle et comme flexible, que la Providence peut nous épargner. Voilà pourquoi je vous ai parlé comme je viens de le faire, afin que vous ne pensiez plus jamais comme je vous ai vue penser tout à l’heure. J’ai eu trop peur pour vous !… »

Toutes sortes de sentiments avaient agité Mme Darras tandis qu’elle écoutait ce véritable réquisitoire, dont chaque phrase l’humiliait dans ce second mariage, contracté jadis avec tant d’hésitations, mais si sérieusement et où elle avait concentré sa fierté sentimentale. Chacune aussi allait frapper en elle une touche douloureuse. Ce qui n’était qu’idée pour le théologien qui lui parlait, était pour la catholique, divorcée et remariée, une réalité vivante et saignante. Ce langage presque scientifique, où le professeur et l’apologiste transparaissaient involontairement, l’avait impressionnée à une étrange profondeur, en lui remémorant d’innombrables conversations tenues devant elle par son mari. Elle retrouvait, mises au service de convictions si opposées, des façons de s’exprimer si pareilles, dues à la discipline identique reçue rue Descartes. C’avait été un malaise de plus que ce rappel, à cette minute, de l’homme dont elle portait le nom. Il aurait été si cruellement surpris de la voir en tête à tête avec ce prêtre, écoutant, sans protester, de telles maximes, subissant une influence si contraire à l’unité morale de leur ménage ! Lui-même lui avait vanté la supériorité d’esprit de M. Euvrard, sans soupçonner que ces éloges adressés au talent mathématique du membre de l’Institut contribueraient, dans un moment de crise, à augmenter son autorité sur une femme qui n’avait jamais appuyé ses besoins religieux que de raisons sentimentales. Pour la première fois, un savant et qu’elle connaissait comme supérieur lui en fournissait d’intellectuelles. En même temps, quelques termes échappés à la véhémence du religieux : — dégénérés, déchet, — l’avaient froissée, presque indignée. De tant d’émotions diverses, une seule dominait, quand l’Oratorien eut achevé son long discours. Il venait, conduit par la rigueur de sa doctrine, d’énoncer le pronostic le plus capable de bouleverser ce cœur inquiet, où la piété renaissante avait commencé d’éveiller de secrets, d’invincibles remords. Depuis longtemps déjà, la crainte d’une expiation suspendue sur ces douze années d’un bonheur qu’elle n’osait plus croire légitime, hantait, obsédait Mme Darras. Cette appréhension constante, et la volonté de s’y soustraire, étaient pour beaucoup dans son passionné désir de se réconcilier avec l’Église, auprès et sous la protection de sa fille. Quand son interlocuteur avait fait une allusion aux épreuves dont elle et son mari pouvaient être frappés, elle avait frissonné. Ce saisissement s’était accru avec l’insistance du prêtre. Le hasard avait voulu que l’une des catastrophes mentionnées par lui fût précisément celle que la divorcée redoutait le plus, d’après des indices trop justifiés. — Le récit auquel cette scène sert de prologue n’est que le détail de ce malheur. — Cet accord entre sa plus secrète anxiété et certaines paroles de M. Euvrard lui avait infligé une trop vive sensation d’un avertissement prophétique, pour qu’elle gardât la force de discuter. À quoi bon d’ailleurs, après une réponse à sa demande, qui ne laissait aucune place à l’espoir ?

— « Je ne peux pas raisonner contre vous, mon Père, » finit-elle par dire. « Je ne suis qu’une ignorante… J’étais venue implorer de votre charité, comme prêtre, un secours que vous me refusez. Votre décision me semble bien dure, mais je l’accepte. Vous l’avez appuyée sur des motifs qui s’imposaient à mon intelligence pendant que vous me parliez, tout en me déchirant l’âme. Une autre fois, si vous me permettez de revenir, je saurai peut-être formuler des objections que je ne vois pas maintenant avec mon esprit. Je les sens avec mon cœur… Je voudrais, avant de prendre congé, vous poser une question encore… Vous m’avez dit que j’étais une exception dans le divorce. Je ne le crois pas. Si votre jugement sur moi est trop indulgent, il a cependant un sens. Il prouve que vous admettez des différences entre les façons de vivre des femmes qui se remarient. À vos yeux elles ne sont pas toutes également éloignées de ce que vous considérez comme la droite voie. Il doit y avoir des degrés aussi dans la rupture avec l’Église. Vous me dites que la réconciliation absolue que j’avais rêvée n’est pas possible. Si je ne peux pas avoir une vie religieuse complète, suis-je condamnée à ne pas en avoir du tout ? N’y a-t-il pas un moyen terme entre cet abandon de mon foyer que vous m’ordonnez, pour m’admettre aux sacrements, et l’incrédulité totale où j’ai vécu si longtemps ? Puisque ce retour à la foi, qui m’a conduite, ici est de votre propre aveu, une grande grâce, ne m’indiquerez-vous pas un moyen d’y répondre à la portée de ma faiblesse ?… Enfin, mon Père, c’est une conclusion pratique que je vous demande de vouloir bien donner à notre entretien. »

— « Je ne vous ai pas ordonné d’abandonner votre foyer », rectifia M. Euvrard, « du moins en ce moment. Vous voudriez le faire, que je vous demanderais de réfléchir. C’est la preuve que l’on ne sort pas si aisément de certains chemins. Vous avez une fille et dont l’éducation religieuse serait compromise, si vous quittiez votre maison. Où est l’obligation la plus profonde ? Je ne prendrais pas sur moi de trancher cette difficulté. Je ne l’ai pas tranchée. Je vous ai dit, me rangeant sur ce point, et d’une manière absolue, à un avis qui vous paraissait trop sévère : l’approche des sacrements vous est défendue dans vos conditions actuelles d’existence… Néanmoins il est très vrai que ces conditions, si fausses soient-elles, comportent des devoirs. Les remplir, c’est toujours, dans un certain sens, mériter. Vous avez mérité, en n’oubliant pas, dans votre second mariage, vos obligations envers votre fils. Vous mériterez, chaque fois qu’ayant à subir quelque épreuve, vous l’offrirez à Dieu, surtout quand cette épreuve se rattachera à ce second mariage, ainsi le chagrin qui vous serrera le cœur quand, le jour de cette première communion. vous verrez d’autres mères aller à la sainte table, et vous non. Vous pouvez mériter, toujours dans le même sens, par des aumônes, par des privations, par une observance plus rigoureuse de certains préceptes de l’Église, les maigres et les jeûnes, par exemple. J’ai compris que votre second mari était très éloigné, lui, beaucoup plus éloigné que vous ne l’avez jamais été… Vous mériteriez surtout, si vous parveniez à le ramener… »

— « Ne me demandez pas cela, mon Père ! » s’écria Mme Darras, dont les traits s’étaient soudain comme décomposés. Elle répéta : « Ne me le demandez pas ! Pour essayer de mériter, comme vous dites, rien ne me coûtera, dans le programme que vous me tracez. Parler de questions religieuses à mon mari, en lui montrant ma vraie manière de penser, je ne le pourrais pas. Songez, mon Père : tous mes troubles autour de la première communion de ma fille, il ne les soupçonne même point. J’ai mis tant de soin à les lui cacher ! Il en souffrirait trop. »

— « Il a pourtant consenti que sa fille fût baptisée ? » dit M. Euvrard.

— « J’avais mis cette condition à notre mariage, » répondit Mme Darras, « que nos enfants seraient catholiques. Il a tenu sa parole, — c’est un si honnête homme, — mais avec quelle révolte intérieure, contre ce qu’il considère comme une misérable superstition ? Lui, qui s’occupe des moindres détails quand il s’agit de la petite, il me voit la conduire à la messe, au catéchisme, sans jamais me poser la moindre question. Cette partie de la vie de sa fille n’existe pas pour lui. Quant à moi, il est persuadé qu’en élevant notre enfant ainsi, je cède à un préjugé sentimental. Il le pardonne à la faiblesse féminine. Il m’aime, et il croit que dans le fond de ma conscience je suis en communauté d’idées avec lui. Il a tant tenu à ce que nos pensées n’en fissent qu’une. Ç’a été ainsi bien longtemps… Non, je n’aurais pas la force de lui apprendre que c’est fini… »

— « Alors, » interrogea le prêtre avec un peu d’hésitation, « vous ne lui avez pas dit que vous veniez chez moi ?… »

— « Chez vous ? Non… » fit-elle, avec un accent de terreur à cette seule idée.

— « Et quand vous rentrerez, vous ne lui raconterez pas cette visite ? »

— « Non, » répéta-t-elle.

— « Il faudra pourtant que vous lui en parliez, » dit l’Oratorien. Il répéta : — « Oui, il le faudra. Pour vous d’abord, pour votre propre dignité. Vous ne pouvez pas avoir fait une démarche si grave, et vous en taire à cet homme qui est le père de votre fille, dont vous portez le nom, sous le toit de qui vous vivez. Ce serait un mensonge par omission, par trop contraire à ce programme du moindre devoir que nous tracions ensemble tout à l’heure… Il le faudra, pour moi aussi. Vous ne voudrez pas que je me sois prêté à une visite clandestine. Vous m’avez dit qu’auprès de vous, l’on savait mon nom, que ce nom était même prononcé avec sympathie. Ce sera un motif pour que l’on trouve votre démarche moins extraordinaire. Vous prendrez cette occasion pour cesser un silence, qui est très coupable, avec la foi que vous avez. L’apôtre l’a dit : Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser de bouche ce que l’on croit pour obtenir le salut.

— « Non, » dit Mme Darras pour la troisième fois, en secouant sa tête, avec accablement, « je ne le ferai pas… Mon Père, » continua-t-elle, en mettant dans sa voix une supplication, « vous avez compris que je ne pouvais pas quitter mon mari, ne fût-ce qu’à cause de ma fille. Lui faire connaître la crise que je traverse, ainsi, sans préparation, ce serait risquer de tant l’irriter ! Peut-être s’opposerait-il à la dévotion de l’enfant dans l’avenir, une fois la première communion faite. Il ne s’est pas engagé à la laisser devenir pieuse… Et, moi-même, je redouterais trop, pour ma propre foi, certaines discussions. Je les aurais affrontées, appuyée sur les sacrements. J’y étais prête, puisque je voulais demander à mon mari qu’il autorisât ma démarche à Rome. Sans les sacrements, avec une vie religieuse si mutilée, si incomplète, je n’aurai pas la force… »

— « Mettez-y le temps qu’il sera nécessaire, » repartit M. Euvrard, « mais ayez la ferme volonté d’arriver à une explication qui ne laisse au père de votre enfant aucun doute sur votre état moral ; c’est votre strict devoir, même humainement. »

— « Je vous demande de me laisser réfléchir à tout cela, mon Père… » dit-elle en se levant, et, presque tremblante. « Vous m’autorisez à revenir, n’est-ce pas ? Quoique notre conversation n’ait pas correspondu à mon espérance, elle m’a soulagé d’un poids très lourd, de ce silence dont j’étouffais !… »

— « Je serai toujours heureux de vous revoir, » reprit l’Oratorien, que cette timide et pressante question avait troublé visiblement ; « mais je vous ai dit que je ne pouvais pas me prêter à des visites clandestines. Revenez, quand on le saura chez vous. »

— « Et d’ici là ?… » interrogea-t-elle.

— « D’ici là, je prierai pour que vous ayez commencé à remplir, dans la mesure permise par la prudence, votre devoir de franchise… »

— « Alors, adieu, mon Père, » dit-elle. « Je vous reste quand même très reconnaissante de m’avoir donné une de vos heures dont je sais tout le prix… »

Elle avait eu, pour prononcer cette formule de remerciement, la voix assourdie d’une femme qui se retient pour ne pas éclater en sanglots. Cette émotion gagna le prêtre. Il essaya de corriger ce que sa dernière réponse avait pu avoir de dur, en lui disant, après qu’ils eurent marché tous deux jusqu’au seuil de la porte d’entrée :

— « Adieu ? Non. Au revoir, mon enfant, et bientôt. »

— « Adieu… » répéta Mme Darras, et elle commença de descendre, sans se retourner, l’étroit escalier de la pauvre maison. Le Père Euvrard demeura sur le palier une seconde, comme s’il se préparait à la rappeler. Puis, la réflexion l’emporta sur le sentiment, et il referma sa porte, pour rentrer seul dans l’asile de science où la visiteuse inconnue venait de lui révéler, sans lui dire son nom, un drame intime d’une poignante intensité. Une opposition radicale entre deux consciences d’époux est toujours pénible. Elle devient infiniment douloureuse, quand elle porte sur ces problèmes religieux qui ont fait de tout temps, et continueront de faire, à travers les siècles, le fond dernier de la vie de l’âme. Cette opposition est tragique, lorsque ces époux sont dans le divorce, qu’ils n’ont pas cessé de se chérir et que le réveil de la foi chez l’un d’eux lui donne le remords quotidien de cet amour, sans le détruire. Que pensera l’autre ? Avec quelle révolte il constatera ce lent, ce meurtrier empoisonnement de leur commun bonheur ! Si c’est la femme que la nostalgie de l’Église reprend de la sorte, et que le mari professe à regard de la religion, non pas l’indifférence d’un sceptique, mais l’hostilité raisonnée d’un systématique, quel conflit ! Quoique Mme Darras, — pour parler le langage familier au Père Euvrard, — ne lui eût dessiné que le « schéma » de sa vie sentimentale, elle en avait assez dit pour que les diverses possibilités de malheur qui menaçaient son foyer eussent apparu à l’Oratorien. Elle était partie depuis longtemps qu’il en frémissait encore. En vain le tableau noir, dressé sur le chevalet, l’invitait-il à se replonger dans la sereine atmosphère des spéculations mathématiques. L’esprit du savant était ailleurs, à suivre l’inconnue dans sa rentrée chez elle, auprès de son mari, à qui elle était si attachée et dont elle avait si peur !… Pourquoi ? Sans aucun doute cet homme était possédé de cette haine contre l’Église, bien singulière dans un âge de large culture intellectuelle, et pourtant bien fréquente. Victime lui-même de cette haine, l’Oratorien éprouva tout à coup un étrange sentiment de l’unité profonde qui solidarise les destinées les plus différentes dans une même patrie. Le heurt qui devait inévitablement se produire entre ce mari et cette femme n’était qu’un épisode, comme son exil hors de sa communauté, du duel engagé dans la France actuelle entre deux formes de pensées, deux civilisations, deux mondes. C’était un épisode privé d’une grande guerre religieuse. Cette vision se fit intense dans cette tête de mathématicien, habitué à représenter des files innombrables d’événements dans le raccourci de ses formules, si intense qu’au moment où il se décida à continuer son travail interrompu, le mot qu’il se prononçait intérieurement pour résumer son impression de cet entretien, n’était plus comme tout à l’heure : « Pauvre femme ! » Il se disait : « Pauvre pays ! » et pendant quelques instants la craie hésita entre ses doigts.

  1. Cor., I, IX, 22. « Je me suis fait toutes sortes de choses pour toutes sortes de gens. »
  2. Deux illustres exemples, celui de Molière et de Stendhal, autoriseraient l’auteur à mettre en note : c’est un prêtre qui parle. Il préfère indiquer aux lecteurs curieux de ces problèmes une brochure publiée l’an dernier par M. le professeur Enrico Morselli : Per la polemica sul divorzio (Gênes, Fratelli Çarlioi). Ils y verront la thèse du Père Euvrard soutenue, avec chiffres à l’appui, par un positiviste déclaré. Cette brochure précise d’une manière remarquable l’attitude prise par les savants italiens en regard de la loi du divorce, considérée par eux, au nom de l’expérience incontestable de la criminalité, comme dangereuse et rétrograde.