V’là c’ que c’est que l’carnaval
V’LÀ C’ QUE C’EST QUE L’ CARNAVAL.
Momus agite ses grelots,
Comus allume ses fourneaux,
Bacchus s’enivre sur sa tonne,
Pallas déraisonne,
Apollon détonne ;
Trouble divin, bruit infernal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Au lever du soleil on dort,
Au lever de la lune on sort ;
L’époux, bien calme et bien fidèle,
Laisse aller sa belle
Où l’amour l’appelle :
L’un est au lit, l’autre est au bal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Carrosses pleins vont par milliers,
Regorgeant dans tous les quartiers ;
Dedans, dessus, devant, derrière,
Jusqu’à la portière,
Quelle fourmilière !
Des fous on croit voir l’hôpital…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Un char, pompeusement orné,
Présente à notre œil étonné
Quinze poissardes, qu’avec peine
Une rosse traîne ;
Jupiter les mène ;
Un cul-de-jatte est à cheval…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Arlequin courtise Junon,
Colombine poursuit Pluton,
Mars, madame Angot qu’il embrasse,
Crispin une Grâce,
Vénus un paillasse :
Ciel, terre, enfers, tout est égal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Mercure veut rosser Jeannot ;
On crie à la garde aussitôt,
Et chacun voit, de l’aventure,
Le pauvre Mercure
À la préfecture
Couché… sur un procès-verbal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Profitant aussi des jours gras,
Le traiteur déguise ses plats,
Nous offre vinaigre en bouteille,
Ragoût de la veille,
Daube encor plus vieille.
Nous payons bien, nous soupons mal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Un bœuf, à la mort condamné,
Dans tout Paris est promené :
Fleurs et rubans parent sa tête :
On chante, on le fête,
Et, la ronde faite,
On tue, on mange l’animal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.
Quand on a bien ri, bien couru,
Bien chanté, bien mangé, bien bu,
Mars d’un fripier reprend l’enseigne,
Pluton son empeigne,
Junon son peigne ;
Tout rentre en place, et bien ou mal…
V’là c’ que c’est que l’ Carnaval.