Vieil arbre et vieilles choses (Octave Gillion)

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Vieil arbre et vieilles choses


Il reste là, courbé, tordu, rugueux, penché,
Près d’un mur en lambeaux, le vieux tilleul séché,
Si navrant au milieu des plantes abrouties,
Si ravagé du temps et si rongé d’orties,
Qu’on dirait, à le voir pourrissant, mais debout,
Un vieillard dont la Mort cherche à venir à bout !
Quand Avril reverdit, abonnit, ensemence,
Quand il se fait pistil et qu’il se fait romance,
Le pauvre vieux tilleul, par le temps dénudé,
Sur le sol frémissant reste inerte et ridé.
L’hiver sera bien long pour lui, longue l’année !
Le gazon où jadis la verdure fanée
S’amassait à l’automne et moisissait l’hiver
Et séchait au printemps, le gazon reste vert.
Le buisson croît encore et l’ortie abondante
Recueille et boit toujours l’aurore fécondante ;
Et le tilleul pourrit, courbé vers l’Orient.

Ô sage et blond Avril, ô mois luxuriant,
Sérénité des chants, des rayons et des roses,
Poèmes imagés, vous avez donc vos proses ?
De l’aurore, c’est bien ; du feuillage, c’est mieux.
Mais Avril rajeunit les jeunes, non les vieux !


Bonjour, petites fleurs ! Salut, mesdemoiselles !
Aube, essuyez vos pleurs ! Nids, essayez vos ailes !
Des fleurs, soit ; des chants, bien ! mais ce bon vieux tilleul
N’aura rien, pauvre mort, rien, pas même un linceul,
Lui qui peut-être aux lieux où l’amour se promène,
Groupa sur son coteau quelque tribu germaine !
Hélas ! les moineaux-francs qui viennent s’y percher
Y trouveraient assez de trous pour y nicher !

Vous avez donc aussi vos pauvres, ô nature ?
Ce patriarche nu fait donc une rature
À toutes vos splendeurs ? Vous n’avez pas, morbleu,
Quelque lierre de trop pour le cacher un peu !
Et pourtant je l’estime et l’aime, ce fantôme
Qui périt jour par jour, atome par atome ;
Et je chasserai loin, bien loin, entendez-vous ?
Les gamins qui voudraient lui lancer des cailloux !
Qui l’oserait frapper serait un cœur de marbre.
Autrefois l’on eût fait un Terme avec cet arbre :
Palès eût vers le soir, sous son feuillage obscur,
Replié son mollet divin sur son fémur ;
Et naguère on eût vu, sous ce tilleul fait borne,
Un Sylvain poursuivant Vertumne avec sa corne.
Maintenant, ô douleur, les enfants des fermiers
Tout poudreux, et leurs bas tombant sur leurs souliers,
Autour du vieux défunt viennent jouer aux billes,
Et parler leur patois et vider leurs bisbilles.
Près de l’arbre où jadis la bergère eût rêvé
Passe et marche aujourd’hui le rustre mal lavé.


Ménalque eût soupiré d’accord avec Tityre,
Bacchus eût titubé, nargué par un Satyre,
Et, n’eût été le temps, le climat et le lieu,
Moi j’eusse été pasteur et ce tilleul un Dieu !