Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 1/10

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pietro laurati,
peintre siennois.

Pietro Laurati, habile peintre siennois, eut le bonheur de voir, durant toute sa vie, ses ouvrages appréciés par ses compatriotes et par les étrangers. Dans ses fresques de la Scala, hôpital de Sienne, il imita avec un tel succès la manière de Giotto, que l’on devina qu’il ne tarderait pas à surpasser ce maître, et Cimabue, et les autres artistes qui l’avaient précédé. En effet, les figures, les têtes et les draperies de son Sposalizio et de son tableau de la Vierge montant les degrés du temple, accompagnée du petit saint Jean et de sainte Anne, se distinguent par une majesté, une simplicité et une ordonnance jusqu’alors inconnues. Ces peintures commencèrent à introduire la bonne manière à Sienne, où depuis s’illustrèrent tant de beaux génies.

Pietro fut bientôt appelé à Monte-Oliveto-di-Chiusuri, pour peindre un tableau en détrempe qui orne aujourd’hui l’église. À Florence, vis-à-vis la porte gauche de l’église de Santo-Spirito, il laissa un tabernacle digne des éloges de tous les connaisseurs. De Florence, il alla à Pise où il représenta, dans le Campo-Santo, près de la porte principale, la vie des saints Pères, dont les dessins et le coloris ont tout le mérite que l’on pouvait espérer dans ce temps. Il se rendit ensuite à Pistoia, et il fit en détrempe à San-Francesco une Vierge entourée de quelques anges, et sur le gradin, plusieurs petites figures d’une vérité et d’un ressort merveilleux. Il fut lui-même si satisfait de ce tableau qu’il le signa : Petrus Laurati de Senis.

L’an 1355, Messer Guglielmo, archiprêtre et l’un des fabriciens de l’église paroissiale d’Arezzo, confia à notre artiste le soin de peindre à fresque la tribune et la grande niche de la chapelle du maître-autel. Pietro y représenta douze sujets tirés de la vie de la Vierge, dans lesquels il imita les dispositions, les attitudes et les expressions qu’affectionnait son maître Giotto (1). Ces compositions sont remarquables, mais ne peuvent lutter néanmoins avec les peintures de la voûte. On voit la Vierge monter au ciel au milieu d’un chœur d’anges qui chante et joue de divers instruments. Un autre chœur d’anges porté sur des nuages soutient la Madone. Tous les visages expriment une allégresse vraiment divine. Les têtes, les draperies, les mouvements des figures sont d’une telle beauté, que l’on ne saurait rien désirer de mieux pour ce temps (2). Pietro fut ensuite chargé d’exécuter en détrempe pour le maître-autel un tableau composé de cinq panneaux. Celui du milieu renferme la Vierge et l’enfant Jésus ; les quatre autres sont occupés par saint Jean-Baptiste et saint Mathieu, saint Jean l’Évangéliste et saint Donato. Ces figures sont grandes comme nature, mais à mi-corps. Plusieurs petits sujets couvrent le gradin et le couronnement de ce tableau qui fut placé sur l’autel de San-Cristofano, lorsque je refis à mes frais et de ma main le maître-autel de cette église.

Il ne sera pas hors de propos, je pense, de raconter ici qu’un sentiment de piété chrétienne et une vive affection pour cette vénérable église collégiale, où reposent les os de mes pères et où je passai mes premières années, me portèrent à la restaurer, de telle sorte que je la rappelai pour ainsi dire de la mort à la vie. Pour la rendre moins obscure, j’élargis les anciennes fenêtres et j’en perçai quelques autres. Le chœur tenait une grande partie de l’église ; je le transportai, à la satisfaction des chanoines, derrière le maître-autel, qui maintenant est isolé et orné de deux tableaux. L’un, sur le devant, représente Pierre et André abandonnant leurs filets pour suivre le Christ ; l’autre, du côté du chœur, saint Georges tuant le serpent. Sur les faces latérales se trouvent quatre tableaux, dans chacun desquels on voit deux saints grands comme nature.

La description des figures des gradins nous entraînerait trop loin. On conserve dans l’intérieur de l’autel, derrière une petite grille de fer, de précieuses reliques ; entre autres, la tête de saint Donato, évêque et protecteur de la ville, et les ossements de quatre saints, placés dans une châsse de marbre. Le tabernacle de l’autel, en bois sculpté et doré, est de forme circulaire et haut de trois brasses. Enfin je n’ai épargné ni travail ni dépenses pour enrichir cet ouvrage, autant qu’il m’était possible, de métaux précieux, de sculptures, de peintures, de marbres, de porphyre et de pierres rares.

Mais revenons à Pietro Laurati. Dès qu’il eut achevé le tableau dont nous avons parlé tout à l’heure, il fit, à Saint-Pierre de Rome, beaucoup de choses qui furent détruites lorsque l’on commença la nouvelle basilique. Sans compter les tableaux que nous avons déjà décrits, il en laissa plusieurs à Àrezzo, à Cortona et dans l’église de Fiora-e-Lucilla, monastère de moines noirs qui possède encore un saint Thomas mettant le doigt sur les plaies du Christ.

Pietro eut pour élève Bartolommeo Bologhini (3), qui peignit à Sienne sa patrie et dans différentes villes d’Italie un grand nombre de tableaux, parmi lesquels on peut citer celui qui orne l’autel de la chapelle de San-Silvestro, dans l’église de Santa-Croce, à Florence. Les peintures de ces deux maîtres datent de l’an 1350 environ. Je possède un dessin de la main de Pietro, représentant un cordonnier occupé à coudre une bottine. Ce croquis est plein de naturel et d’expression. J’ai copié le portrait de Pietro Laurati, d’après celui que Bartolommeo Bologhini fit dans un tableau qui est à Sienne.



Nous ne dirons rien ici du caractère particulier imprimé à leurs œuvres par les peintres siennois. Nos limites et la coupe tout irrégulière que la marche de notre auteur impose à nos annotations nous en empêchent. Le Vasari, dans le cours de ce volume, a singulièrement interverti l’ordre et la succession de l’école siennoise ; nous nous efforcerons de les rétablir à la suite de la biographie de Duccio de Sienne, que nous poserons comme le Cimabue de sa ville. Le Vasari a eu également tort de présenter tous les Siennois, que nous allons bientôt rencontrer, comme des élèves du Giotto, ce qui ne veut pas dire que Giotto n’ait eu aucune influence sur le développement de leur talent. Nous traiterons cette question ailleurs.

Quant à Laurati, nous joindrons sur lui quelques détails à ceux que nous sommes en mesure de fournir sur Ambrogio Lorenzetti, qu’on a découvert, comme nous le dirons, avoir été son frère.

NOTES.

(1) Selon le Baldinucci, Pietro Laurati serait élève de Giotto.

(2) Toutes ces peintures sont détruites.

(3) Dans la première édition du Vasari, on lit : Bolghini. Le Baldinucci, dec. VI, sec. 2, pag. 70, dit que Bologhini, suivant un manuscrit de Monsignor Giulio Mancini, appartenait à la noble famille des Bolgarini de Sienne, dont il portait le nom.