Vivonne et Jarnac, le dernier duel judiciaire en France

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Vivonne et Jarnac, le dernier duel judiciaire en France
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 5 (p. 931-964).

LE


DERNIER DUEL JUDICIAIRE


EN FRANCE


SOUVENIRS DU CHATEAU DE SAINT-GERMAIN.




Je revenais d’Algérie l’année dernière, le, cœur tout plein de rancune contre les intolérables chaleurs que j’y avais éprouvées, quand l’heureuse idée me prit d’aller finir l’été a Saint-Germain, chez des amis qui m’y appelaient. Lorsqu’on n’a pas été brûlé ou étouffé pendant plusieurs mois par le soleil d’Afrique, on ne sait pas quel plaisir on goûte à se reposer à l’ombre. Les grands arbres de la forêt me procurèrent cette volupté, l’une des plus innocentes, à coup sûr, dont il soit donné à un honnête homme de jouir. Or, je l’ai dit, j’avais ce qu’il faut pour l’apprécier. N’a-t-on pas d’ailleurs sous les yeux le plus charmant paysage du haut de cette terrasse, bâtie par le grand roi, où l’air est si pur, où il fait si bon aller s’asseoir ? L’aspect de la vallée de la Seine, en cet endroit, me j’appelle deux autres sites bien remarquables aussi, qui ont avec la vue de la terrasse de Saint-Germain beaucoup de ressemblance : je veux parler de la vallée de l’Adour, au pied de l’esplanade de Pau, et de la vallée de la Tamise, vue du sommet de Richmond-Hill, près de Londres. Seulement, à Pau, l’œil est distrait par l’effet fantastique des pics neigeux de la chaîne pyrénéenne ; on regarde trop. À Richmond, on est attristé par l’aspect mélancolique du pays ; on rêve toujours. À Saint-Germain, les impressions qu’on éprouve ne vous empêchent pas de songer à vos affaires. Cette vue de Marly, de Bougival, de Chatou, avec la Seine qui serpente au milieu des prés, cette perspective si variée, à laquelle j’aime d’ailleurs à rendre justice, n’est pas assez romantique, ne vous donne pas assez de distractions pour vous faire oublier le cours de la Bourse et la question d’Orient. On se promène tout doucement sur la terrasse, avec le sentiment d’une très belle vue et la sensation d’un air très salubre, on y est égayé en outre par les cavalcades de Ravelay[1]. Ces avantages réunis me décident à donner la supériorité à la terrasse de Saint-Germain sur toutes les autres. Le bourgeois de Paris a, d’un autre côté, la satisfaction de se dire qu’il foule ici un sol historique. -Voici, s’écrie-t-il en descendant la terrasse, le pavillon Henri IV, plus célèbre encore par les souvenirs qu’il réveille que par les bons dîners qu’on y mange. — Ce pavillon Henri IV est une maison qu’on appelle ainsi, — chose singulière, — parce que Louis XIV y est né !

En tournant le dos à la cathédrale de Saint-Denis, sépulture royale dont le profil funèbre, aperçu de si loin pourtant, fut cause de la création de Versailles, on quitte la terrasse, et l’on a devant soi l’ancienne seigneurie de Charlevanne, entourée de la vieille forêt d’Yveline : c’étaient les noms qu’il y a bien des siècles, — à l’époque un peu éloignée où régnait Childebert, — portaient la ville et la forêt de Saint-Germain. Son boulingrin, son château, son parterre et ses grands bois, — tout cela depuis s’est bien souvent transformé, tout cela a traversé bien des vicissitudes. Ce grand château, qui vous regarde d’un air si sérieux, avec ses pierres grises et ses entablemens de briques, a plus d’histoires à vous raconter à lui seul peut-être que tous les manoirs de France réunis.

Parmi ces histoires, une entre autres m’a toujours semblé particulièrement digne d’intérêt ; aussi ai-je mis à profit mon récent séjour à Saint-Germain pour en recueillir tous les détails. Le récit qu’on va lire est le résultat de ces recherches, singulièrement facilitées dans une ville qui présente toutes les conditions nécessaires pour qu’on y puisse étudier comforlablement les faits saillans qu’elle rappelle. Saint-Germain-en-Laye possède une intéressante collection de livres, et un bibliothécaire fort obligeant pour vous en faire les honneurs ; le pays est très sain, et l’on y jouit du calme complet, si nécessaire à la méditation. Comme ces beaux lieux et ces vieux murs parlent à l’imagination ! La main hésite ici entre le pinceau et la plume, ou y trouve tant à peindre et tant à écrire ! Les archives de cette antique demeure de nos rois, déshonorée aujourd’hui par les ateliers de correction qui l’occupent, contiennent des trésors où l’historien et le romancier peuvent puiser à l’envi. Les annales du château de Saint-Germain, depuis le commencement de la monarchie jusqu’à celui du siècle dernier, sont, on peut le dire, l’histoire de notre pays.

La plupart des rois de France ont vécu au château de Saint-Germain. — Sans nous occuper du roi Robert, qui élevait ici une église en 996, et dont l’ombre doit aimer à se promener sous ces beaux arbres, rappelons-nous la forteresse que Louis le Gros bâtit en ce lieu durant l’année 1122 ; n’oublions pas que Philippe-Auguste, Louis VII, enfin Louis IX, qui était né dans le voisinage, à Poissy, y habitèrent tour à tour. Quand le saint roi mourut à Tunis, son fils Philippe le Hardi vint aussitôt demeurer à Saint-Germain ; c’est là qu’il discuta et rédigea, avec le sire de Beaumanoir, son fameux édit sur les duels. C’est du château de Saint-Germain qu’est datée la fameuse ordonnance de Philippe le Long, πατριός νόμος[2], qui, confirmant les principes de la loi salique, exclut définitivement les filles de la couronne de France.

Charles le Bel en 1324, Philippe de Valois en 1328, résidèrent à Saint-Germain. Faut-il, hélas ! ajouter que le Prince Noir, après avoir ravagé tout le pays, brûlait le château en 1347 ? Il est vrai que Jean II, quatre ans après, l’avait déjà fait réparer, et que Charles V « moult fit réédifier notablement li chastel de Saint-Germain, » à ce que nous rapporte Christine de Pisan. Ce roi, que la postérité décora du nom de sage, quoiqu’il ne l’ait pas toujours été, témoin son mariage avec une princesse de Bourbon qu’il épousa parce qu’elle était très belle, dédaignant l’héritière de Savoie qui l’était moins, — Charles le Sage, puisqu’il faut l’appeler par son nom, demeura longtemps à Saint-Germain. Charles VI et Isabelle de Bavière, que les Français, toujours portés à jouer sur les mois, avaient bien raison de nommer Jézabel, y étaient en 1386 et en 1390. Le connétable de Clisson fut au moment d’y périr, en 1391, sous les coups d’assassins dirigés par Pierre de Craon. Henri V, roi d’Angleterre, le vainqueur d’Azincourt, aidé dans ses conquêtes par l’infâme trahison d’Isabeau et du duc de Bourgogne, s’emparait en 1419 du fort de Meulan et du château de Saint-Germain ; mais bientôt les Anglais étaient chassés de Saint-Germain et de toute la France sous le règne de Charles VII Chose bizarre, connue par manière de compensation, si le défunt roi de France était fou, le roi d’Angleterre d’alors était imbécile.

En 1514, François d’Orléans, comte d’Angoulême et depuis François Ier, épousait à Saint-Germain Claude de France, fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, « madame Claude, laquelle fut très bonne et charitable, et douce à tout le monde, et ne fit jamais déplaisir à aucun de sa cour ni de son royaume. » Cette princesse, que son époux rendit si malheureuse, avait apporté une bien belle dot à la France : « les deux plus belles duchés de la chrestienté, dit Brantôme, qui estoient Milan et Bretaigne, l’une venant du père, l’autre de la mère ! Quel héritage, s’il vous plaît ! » C’est encore au château de Saint-Germain que Henri II venait au monde le 31 mars 1518. En 1530, François Ier en sortait pour aller au-devant de ses deux fils, Henri et Charles, qu’il avait donnés en otages à Charles-Quint et rachetés avec l’aide de son allié Henri VIII, roi d’Angleterre. Henri II passa presque toute sa vie au château de Saint-Germain.

Depuis Henri II, Saint-Germain vit naître deux rois de France, Charles IX et Louis XIV ; de remarquables événemens s’y accomplirent et s’y préparèrent encore, mais je m’arrête : c’est le règne de Henri II qui a vu se produire le fait mémorable dont nous avons cherché à réunir ici les particularités éparses dans un grand nombre de mémoires et de chroniques, je veux parler du duel entre les sires de Jarnac et de La Chasteigneraye. Cet événement m’avait toujours paru l’un des épisodes les plus dramatiques du XVIe siècle ; c’est aussi, comme j’aurai à le montrer, un des plus curieux exemples de l’influence exercée sur nos mœurs par ces coutumes chevaleresques dont notre législation a si longtemps gardé les traces. Je vais donc essayer de retracer ce qui se passa à Saint-Germain alors qu’un roi de France permit pour la dernière fois[3] qu’un plaid[4] vint à chéer devant lui, en gage de bataille.


I

Ce fut une bien grande affaire à la cour de Henri II que ce duel à outrance entre deux gentilshommes pleins de valeur, entre deux courtisans accomplis, liés depuis leur enfance par une étroite amitié[5] : c’était une circonstance sans exemple que cette rencontre en camp mortel amenés par la haine de deux favorites de rois, accomplie avec toute la procédure et le cérémonial de l’ancienne chevalerie ; Aussi l’effet que ce duel produisit fut-il considérable non-seulement à la cour, mais dans le public.

François Ier régnait ; il aimait la duchesse d’Etampes[6]. Diane de Poitiers[7], depuis connue sous le nom de duchesse de Valentinois, avait captivé le cœur du dauphin. Rivales en beauté, en influence, ces deux femmes ambitieuses et jalouses se détestaient cordialement : Diane était toujours prête à protéger les adversaires de Mme d’Etampes ; celle-ci était non moins empressée à accueillir les ennemis de Diane. Il suffisait que la maîtresse du roi passât pour voir d’un bon œil l’amiral de Chastillon, depuis le célèbre Coligny, et les seigneurs appartenant au culte réformé, pour que la maîtresse du dauphin fut liée avec le comte d’Aumale[8], le connétable de Montmorency et le maréchal de Brissac, connus pour leur haine contre ceux de la religion.

La cour était partagée en deux camps par l’antagonisme de ces deux puissances ; il y avait assez d’attrait, il y avait assez d’intérêt à mériter les bonnes grâces de l’une ou de l’autre pour comprendre comment la jeune noblesse devait épouser chaudement leurs opinions et leurs querelles. Néanmoins les charmes et la séduction de Diane, qui régnaient sans partage sur le cœur de Henri malgré la beauté et l’esprit de la dauphine Catherine de Médicis, et qui gardèrent leur empire jusqu’à la mort de ce prince, devaient souvent l’emporter sur la femme qu’aimait François Ier, fort inconstant de sa nature et peu fidèle à sa maîtresse.

Parmi les favoris du roi et les familiers du dauphin, on remarquait à la cour deux jeunes seigneurs connus l’un et l’autre par leur bonne mine, leur bravoure à la guerre et leur amitié : c’étaient les sires de La Chasteigneraye et de Jarnac. Le premier, quoique fort aimé de François Ier, était particulièrement attaché au dauphin Henri et à la duchesse de Valentinois ; le second figurait surtout à la cour de la duchesse d’Etampes. Ce sont les héros de cette histoire ; il est nécessaire avant tout de les faire connaître.

François de Vivonne, puîné de la maison d’Amville[9], fils d’André de Vivonne, grand-sénéchal de Poitou, avait beaucoup de crédit auprès du roi François Ier, au point de disposer des offices royaux ; sa famille était issue de la grande et illustre maison de Bretagne. Les Vivonne portaient l’hermine dans leurs armes. Quoique le fils aîné d’André de Vivonne, Charles, eût reçu en héritage D’Amville, La Chasteigneraye et d’autres belles terres, et que François eût eu Ardellay et autres lieux, toutefois on appelait ce dernier à la cour le « seigneur de La Chasteigneraye. »

À l’âge de dix ans, son père le donna au roi, suivant l’expression de l’époque, et le roi le prit pour un de ses enfans d’honneur. C’était alors une position des plus recherchées ; un enfant d’honneur était plus que page de la chambre. Vivonne excellait dans les exercices du corps, que François Ier aimait beaucoup aussi. Il était des plus adroits à la course et à la lutte. — Le roi, qui était né à Cognac, disait souvent : « .Nous sommes quatre gentilshommes de la Guienne : La Chasteigneraye, Sausac, d’Esse et moi, qui courons à tous venans. » Après la paix de Crespy, signée en 1544, toute cette jeunesse guerrière, fatiguée de son repos, employait ses loisirs à faire des armes, à se battre en duel ou à monter à cheval. L’escrime surtout était son occupation favorite. À cette époque, on considérait les maîtres italiens[10] comme les plus habiles ; Hiéronime, Francisque, Le Flamand et le sire d’Aymar de Bordeaux étaient aussi très en renom. La réputation de La Chasteigneraye comme tireur d’armes était universelle ; il avait travaillé à Rome avec le célèbre Patenostrier, et à Milan avec Tappe. Dans les assauts, dans les fréquens duels qu’il avait eus, il recherchait toujours les corps à corps, où sa taille et sa vigueur lui donnaient beaucoup d’avantage. Les combats à outrance à pied admettaient en effet cette sorte de luttes où les armes devenaient à peu près inutiles. Dans ces combats, avec le haubert qui couvrait la poitrine, rien n’était plus facile que de marcher sur un adversaire qu’on savait devoir terrasser à la lutte. On le serrait de près : s’il rompait et qu’on parvint à le pousser jusqu’à la barrière[11], à le jeter hors de la lice, il était vaincu ; s’il ne reculait pas, on cherchait à le saisir à bras-le-corps, afin de lui rendre inutile l’usage de son épée ; puis, après l’avoir fait tomber en l’entraînant à terre, on le perçait de coups de dague aux défauts de l’armure[12]. Souvent, dans la chute, les combattans perdaient leurs dagues ou couteaux d’Ecosse, qu’on plaçait dans la bottine ou gamache, le long de la jambe droite, sans les y fixer. Cette lutte de gladiateurs prenait alors quelquefois un caractère repoussant, témoin ce qui se passa à Sedan, quand le baron d’Hoguerre tenait le sire de Feudilles sous lui : il était parvenu à lui enlever son morion, dont il lui donnait de grands coups dans la figure, et l’avait blessé en plusieurs endroits ; il chercha ensuite à lui crever les yeux et à l’étouffer en lui emplissant la bouche de sable, ce qui força enfin Feudilles à crier merci[13] !

Vivonne avait usé du corps à corps dans son duel avec M. de Saint-Gouard, auquel il donna généreusement la vie. Quand deux chevaliers combattaient, le bacinet en tête, avec la visière que seuls ils avaient droit de porter[14] et devaient avoir baissée, la poitrine armée d’un épais jac[15] par-dessus le haubert, avec une rondache sur le bras gauche, il ne pouvait pas y avoir de feintes de l’épée, comme dans les rencontres ordinaires ; la parade proprement dite ne se pratiquait pas, et l’on comprend que la force du corps devait naturellement triompher, sauf le recours aux bottes secrètes que les maîtres enseignaient. Je ne parle ici que des combats à pied, car les rencontres à cheval, avec la lance, se bornaient à un choc brutal entre les deux cavaliers, qui ne devaient pas s’éviter, « ains chercher à se toucher en pleine poitrine, » soit pour se désarçonner, soit, quand le fer et le bois de lance de l’un étaient plus durs que la cuirasse de l’autre, pour se traverser de part en part, ainsi que cela était arrivé plusieurs fois[16]. Les duels à cheval, comme on voit, étaient donc moins savans encore que les duels à pied.

Le, roi François Ier appelait Vivonne son filleul ou son nourrisson, et l’aimait beaucoup, non-seulement pour son caractère aimable et ses qualités personnelles, mais aussi pour sa brillante valeur. Vivonne était compagnon des sires de Vieilleville et de Bourdillon, braves soldats s’il en fut, et qui devinrent maréchaux de France. On disait dans la prose rimée du temps :

La Casteneraye, Vieilleville et Bourdillon
Sont les trois hardis compaignons.

Cependant il était plus avancé qu’eux, et déjà chamberlan et gentilhomme de la chambre, qu’ils portaient encore le titre d’écuyers. Vivonne s’était fort distingué au camp d’Avignon, et dans la campagne de Piémont il avait été grièvement blessé au bras droit à l’assaut de Coni[17]. Le dauphin, depuis Henri II, qui l’appréciait et l’aimait plus encore peut-être que le roi (car Vivonne était l’un des seigneurs les plus assidus à la cour de Diane), l’avait emmené au ravitaillement de Landrecies et lui avait donné son guidon à porter. La Chasteigneraye le détacha de sa hampe, se le mit bravement en écharpe autour du corps, pour ne point en être embarrassé, « pouvoir mener les mains » et combattre : il fut blessé dans cette affaire, et l’on parla beaucoup de sa vaillance. Il reçut aussi une blessure au ravitaillement de Thérouanne. Suivant les contemporains, La Chasteigneraye passait pour un homme charmant, généreux, serviable, qui se faisait aimer, mais aussi peut-être un peu trop craindre de tout le monde. On lui reprochait en effet d’être trop haut à la main, scallabreux et querelleux. Enfin, pour terminer le portrait, laissons parler son neveu[18], le sire de Brantôme : « Mon oncle, dit-il, estoit fort craint, car il avoit une très bonne et très friande espée. Il estoit extrêmement fort, n’estoit ni trop haut ni trop petit ; il estoit d’une très belle taille, nerveux et peu charnu. Bien estoit-il un peu brunet, mais le teint fort beau, délicat et fort agréable, et pour ce en son temps fust-il bien voulu et aymé de deux très grandes dames de par le monde, que je ne dis. » Pour qu’il pût bien faire fortune, son père, qui l’aimait tendrement, avait l’habitude, dans son enfance, de lui faire prendre avec tout ce qu’il mangeait de la poudre d’or, d’acier et de fer. Ce régime avait été indiqué au sénéchal « par un grand médecin de Naples, quand il y fut avec le roi Charles VIII. »

Tel était l’homme qui figurait en première ligne parmi les compagnons du dauphin Henri. En regard de Vivonne, ce qu’on pouvait appeler, — qu’on nous passe l’expression, — le parti de la duchesse d’Etampes trouvait un zélé défenseur dans Guy Chabot, fils de Charles, seigneur de Jarnac, de Monlieu et de Sainte-Aulaye. Sa maison pouvait être considérée comme l’une des plus grandes et illustres de France, d’Italie, de Flandre et d’Allemagne. Il faisait, en qualité d’enfant d’honneur, partie de la cour ainsi que Vivonne, avec qui il était fort lié et s’était, disons-le en passant, souvent mesuré à la lutte, ou en faisant assaut dans les salles d’armes. Son père l’avait mis auprès du roi dès sa plus tendre enfance. François Ier l’appelait familièrement Guichot. Il ne le cédait pas en courage à Vivonne, mais n’était renommé, comme son ami, ni par sa grande adresse aux exercices du corps, ni par son amour pour les duels. Plus âgé de dix ans que Vivonne, il avait bien servi dans les guerres d’Italie, et s’était particulièrement distingué à Crémone avec Bonnivet. Jarnac était beau-frère de la ducbesse d’Etampes[19] et l’un de ses familiers ; il inclinait, comme Anne, pour les idées religieuses nouvelles[20] ; aussi comprend-on qu’il dut s’aliéner la sympathie de Diane, qui était très passionnément catholique. Monlieu, c’était le nom qu’on lui donnait souvent à la cour, avait une jolie figure, se faisait remarquer par son élégance et la recherche de sa toilette. Les intrigues d’amour, où il était fort heureux, mais où il ne brillait point par sa discrétion, formaient son occupation presque exclusive.

Un jour, causant familièrement à Compiègne avec Vivonne, celui-ci lui dit devant le dauphin : » Je ne m’explique pas, Guichot, comment tu peux être aussi gorgias[21] et glorieux avec les revenus que je te connais, car ils ne sont pas lourds. » Monlieu répondit que Mmedc Jarnac, sa belle-mère[22], avait beaucoup de bontés pour lui, et que, son père ne pouvant rien refuser à sa femme, il avait soin de bien faire sa cour à cette dernière, obtenant par ce moyen tout l’argent qu’il lui fallait. Il n’y avait rien que de fort innocent dans cette réponse ; mais le dauphin en glosa avec Diane, qui, y trouvant un moyen de médire du beau-frère de Mme d’Étampes, en parla en termes très outrageans pour Mme de Jarnac, femme fort respectable et respectée. Quelques méchans répétèrent perfidement la chose, qui ne tarda pas à se propager, et Jarnac ; apprit qu’on l’accusait de s’être vanté d’avoir les bonnes grâces de sa belle-mère. Il est plus facile d’imaginer que de décrire son désespoir. Furieux d’une aussi atroce accusation et ne sachant à qui s’en prendre, puisque le dauphin seul pouvait en être coupable, il déclara que quiconque avait tenu ce propos ou voudrait le soutenir « estoit meschant et en avoit vilainement menti ; » puis il se rendit précipitamment au château de son père, où, se jetant à ses pieds, il protesta de toutes les forces de son âme indignée contre la criminelle interprétation donnée à ses paroles. À la longue, à forge de supplier, de protester, le pauvre Jarnac parvint à le persuader de son innocence, et il retourna à Paris, où se trouvait la cour alors, pour y chercher vengeance en poursuivant la réparation de l’injure qui lui avait été faite.

Le dauphin Henri était le premier auteur ou instigateur de la calomnie : c’était en plein sur lui que le démenti tombait. Il vit bien vite, aux regards des courtisans, qu’il était blâmé et jouait un rôle humiliant. Que se passa-t-il alors ? L’histoire ne nous le dit pas, mais il est probable que les propos avaient été tenus par la grande-sénéchale, et que le dauphin ne voulut pas la désavouer. Quoi qu’il en soit, je ne doute pas que La Chasteigneraye, honteux pour Henri de la cruelle situation qu’il s’était faite, bien aise sans doute de plaire à la favorite, pensant peut-être, il faut le croire, que Jarnac n’oserait pas s’exposer à une mort certaine en le provoquant, oublia son ancienne amitié et commit une très mauvaise action en disant tout haut partout qu’il était prêt à répondre à Monlieu, « attendu que c’était en parlant à lui-même que Guichot s’était cyniquement vanté d’une conduite coupable qu’il avait trouvé bon de nier plus tard. »

Vivonne et Jarnac firent toutes les diligences nécessaires, en se conformant aux prescriptions du code sur les duels alors en vigueur, pour obtenir que le roi leur accordât le camp. François Ier, qui les aimait tous deux, reçut leur demande et la soumit à son conseil privé ; l’affaire y fut débattue. En définitive, le roi leur refusa le combat, disant « qu’un prince ne devait jamais permettre chose de laquelle on ne pouvait espérer bien, comme d’un tel combat[23]. »

François était sans doute guidé par de très bons sentimens ; cependant c’était le cas ou jamais d’appliquer l’édit de Philippe le Bel, qui régissait encore les duels à cette époque. On lit en effet dans le Forumulaire des combats à outrance à la mode de France, suivant l’ordonnance du roi Philippe, etc. : « Pour qu’il chée gaige de bataille, il faut que l’assaillant ou demandant dise qu’il ne peut prouver par tesmoins ne autrement que par son corps, en champ clos, comme gentilhomme et preudhomme doit faire, en présence de moy son juge et prince souverain, et alors doit gecter son gaige de bataille. » Philippe, en terminant cette ordonnance, qui indiquait les cas dans lesquels le combat judiciaire était permis, s’exprimait ainsi : «… Or faisons à Dieu prière qu’il garde le droict à qui l’Iia… Qui se plainct et justice ne trouve la doit de Dieu réquérir : que si, pour son interest, sans orgueil et maltalent, ains seulement pour son bon droict, il requiert bataille, ja ne doit redouter engin ne force, car Dieu nostre seigneur Jésus-Christ, le vrai juge, sera pour lui. »

N’était-ce pas bien le cas d’appliquer cette ordonnance dans l’espèce ? En effet, entre l’imputation de Vivonne et le démenti de Jarnac, quel tribunal pouvait prononcer ? Il n’y avait pas eu de témoins de leur colloque, car Vivonne, en bon courtisan, pour mettre le dauphin hors du débat, affirmait que c’était en parlant à lui, et seul à seul, que Jarnac avait tenu le propos qu’il niait aujourd’hui. Cependant, malgré les efforts des deux adversaires, le roi était demeuré inflexible. Un bien long espace de temps se passa durant lequel La Chasteigneraye dut beaucoup souffrir du reproche d’avoir aussi indignement compromis l’honneur de Mme de Jarnac, et Monlieu, plus encore peut-être de ne pouvoir tirer vengeance de l’accusation calomnieuse dont il était l’objet.

Les écrits contemporains ne m’ont fourni aucun détail sur la conduite de Jarnac et de sa famille, ni sur ce que lit La Chasteigneraye depuis la décision du conseil privé jusqu’à la mort de François Ier, qui eut lieu en 1547. On raconte seulement que Pierre Strozzi ne se fit pas scrupule de conseiller à La Chasteigneraye de se débarrasser de Jarnac in ogni modo (de toute manière), c’est-à-dire en l’assassinant. Il alla jusqu’à lui offrir 100,000 écus qu’il avait à la banque de Venise, où il proposait à La Chasteigneraye de se retirer, afin de laisser le temps de se passer à la colère du roi, qui serait très grande, non-seulement en raison de la « défense rompue, » mais aussi parce que Jarnac était parent et protégé de la duchesse d’Etampes. Il paraît que les sentimens religieux de Strozzi n’étaient pas plus édifians que ses principes de loyauté. Quand il fut blessé à mort devant Thionville, M. de Guise, qui se trouvait auprès de lui en ce moment, le voulait admonester pour son salut : » Quel Jésus, s’écria Strozzi, mort-dieu ! venez-vous me ramentevoir ici ? Je regnie Dieu ! ma feste est finie ! »


II

Quand Henri II fut monté sur le trône, Vivonne reproduisit incontinent la demande que le défunt roi avait opiniâtrement rejetée en menaçant les deux adversaires des peines les plus sévères, s’ils se recherchaient. Henri II, jaloux de condescendre aux désirs de Vivonne et voulant en finir aussi avec cette affaire désagréable pour lui-même, permit que le combat eût lieu.

La position de Jarnac à la cour était fort triste ; il avait presque tout le monde contre lui. Depuis la mort de François Ier, sa protectrice était exilée : cet arrêt d’exil avait été un des premiers actes du règne de Henri, ou pour mieux dire de Diane, qui au reste, — c’est une justice à lui rendre, — se borna à envoyer dans ses terres la duchesse d’Etampes et à remplacer dans les fonctions qu’elles occupaient toutes les créatures de l’ancienne favorite.

Il est curieux d’étudier la minutieuse procédure, aux formes tout à fait judiciaires, que les deux champions durent suivre pour pouvoir arriver enfin aux mains ; je n’en donne ici, pour abréger, que les pièces principales. Quelque longs, au surplus, qu’en furent les préparatifs, ce duel peut être considéré comme l’un des combats à outrance les plus promptement expédiés dont l’histoire ait conservé le souvenir. Les formes employées dans cette circonstance étaient celles que la jurisprudence ordonnait dans les rencontres en camp mortel. On se rappelle que François Ier et Charles-Quint se défièrent pendant plus d’un an, et qu’ils échangèrent de nombreux cartels[24] sans jamais pouvoir s’entendre ni sur le champ, ni sur les armes, ni sur les autres formalités. — L’affaire entre les sires de Mérode et de Bénavidès, à Mantoue, donna lieu à d’interminables discussions, aux dissertations et mémoires les plus savans sur la question de décider si les champions adapteraient à leurs cuirasses une certaine pièce de fer que le sire de Bénavidès, défendeur, exigeait ; le combat, en définitive, n’eut pas lieu. Je citerai encore pour leurs procédures les duels des sires de La Perrine et de Tinteville, et de Veniers contre Sanzay, tous les deux avec la permission et sous les yeux de François Ier, en 1537. Dans le premier cas, le sire de La Perrine entra seul en lice, son adversaire fit défaut : Sanzay et Veniers au contraire se battirent très bien, et le roi finalement les sépara en jetant son bâton doré dans la lice. Même issue d’un combat qui eut lieu en 1522 à Valladolid, devant Charles-Quint, entre deux gentilshommes aragonais, Pedro Torilla et Jieronimo Anca. Il n’est pas sans intérêt non plus de lire le défi ou défiance qu’adressa Louis, duc d’Orléans, à Henri IV, roi d’Angleterre, en 1402, et toutes les écritures qui en résultèrent.

Ces affaires donnaient presque toujours lieu à d’interminables contestations. Telles étaient les chicanes mises en usage quelquefois et les difficultés auxquelles les droits respectifs des parties pouvaient servir de prétexte, que Brantôme cite un gentilhomme qui se vantait d’avoir fait attendre son adversaire, pendant deux années, par des subtilités sans cesse renouvelées sur les diverses conditions du combat. Le droit absolu[25] qu’avait le défendeur d’imposer au demandeur toutes les armes qu’il voulait, et cela en nombre illimité, avait aussi pour effet d’occasionner d’incalculables dépenses à ce dernier, qui était obligé de se munir de tous les chevaux, harnais de guerre, armes à pied ou à cheval, qu’il plaisait à l’imagination de son adversaire d’inventer. En outre, les frais, les vacations, citations, les indemnités dues aux hérauts d’armes, aux notaires, etc., étaient très considérables ; aussi le pauvre gentilhomme dont parle Brantôme avait en deux ans dépensé cent mille écus et s’était ruiné ; il reçut en outre un bon coup d’estoc en m ; nière de consolation. Ce droit de choisir les armes allait jusqu’à l’absurde : non-seulement les inventions les plus bizarres étaient admises, mais à la dernière heure le soutenant pouvait encore imposer des armes nouvelles[26] dont il n’avait pas été question dans la liste, et cela avait toujours lieu, afin de dérouter et gêner un adversaire qui, ignorant les armes dont on ferait usage en champ clos, n’aurait pas eu le temps d’étudier la manière de s’en servir. Brantôme rapporte que, dans une de ces affaires, le demandeur était borgne de l’œil gauche ; or, dans la liste des armes laissée par le défendeur, celui-ci avait stipulé très exactement que les deux combattans porteraient un morion couvrant hermétiquement la partie droite du visage, et conséquemment l’œil droit, de sorte qu’ainsi armé l’assaillant aurait été obligé d’entrer en lice absolument sans y voir. On a peine à concevoir comment dans cette affaire les parrains et confidens (c’était le nom qu’on donnait alors aux témoins ou seconds des duels) passèrent plusieurs jours à délibérer gravement une telle condition, qui ne fut définitivement rejetée qu’après les débats les plus vifs.

La lettre que Vivonne adressa à Henri II dès son avènement au trône était ainsi conçue :


AU ROY MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

« Sire,

« Ayant entendu que Guichot Chabot, estant à Compiegne sous le règne du feu roy, a dit que quiconque l’accusoit de s’estre vanté d’avoir eu les bonnes grâces de sa belle mère estoit meschant et malheureux ; sur cela, sire, avec vostre bon vouloir et plaisir, je réponds qu’il a meschamment menty, car il s’en est vanté à moi plusieurs fois.

« FRANÇOIS DE VIVONNE. »


Quelques jours après, Vivonne écrivit au roi une seconde lettre :

«… Sire, je vous supplie très humblement me donner champ à toute outrance, dedans lequel j’entends prouver par armes, audit Guichot Chabot, ce que j’ai dit et que je maintiens…, afin que par mes mains soit vérifiée toute l’offense qu’il a faite à Dieu, à son père et à justice.

« FRANÇOIS DE VIVONNE. »

Jarnac avait donné le premier démenti, en raison de quoi Vivonne le poursuivait comme demandeur et assaillant, et Jarnac demeura défendeur et soutenant, ce qui lui donnait le choix désarmes. Celui-ci adressa alors au roi le cartel[27] suivant :


AU ROY MONSEIGNEUR.

« Sire,

« Avec vostre bon plaisir et congé, je dy que François de Vivonne a menty de l’imputation qu’il m’a donnée, de laquelle je vous parlay à Compiègne, et pour ce, sire, je vous supplie très humblement qu’il vous plaise ly octroyer le combat à toute outrance.

« GUY CHABOT. »

Outre ce cartel, Jarnac écrivait à l’évêque de Béziers, qui était des favoris du roi et près de sa personne, pour le prier d’appuyer sa demande :

« Monsieur,

« La signature de cette lettre vous fera croire et dire en assuerance, partout où vous vous trouverez, que, touchant le différend d’entre La Chasteigneraye et moy, s’il plaist au roy nous donner lieu en ung coing de son royaume pour vuyder nostre différend par armes, je les porterai si braves, et moy encore plus, que je monstreray, dedans le lendemain au combat, la bonne nourriture que j’aye eue du feu roy François, fit que je tiens du roy mon seigneur que La Chasteigneraye n’a la bombe si forte que je ne l’arreste d’une livre de fer. Votre serviteur très humble,

« GUY CHABOT. »

Le cartel de Jarnac avec cette lettre ayant été montré à La Chasteigneraye, celui-ci envoya au roi cet autre cartel :

« Sire,

« Il vous a plu, par cy-devant, entendre le différend d’entre Guichot Chabot et moy, sur lequel j’ay lu une lettre signée de son nom, par laquelle il offre d’entrer dès demain dedans le champ, et porter armes si braves, et lui encore plus, qu’on cognoistra la nourriture qu’il a reçue du feu roy et de vous,se vantant de m’arrester d’une livre de fer. Et pour ce, sire, qu’il monstre venir au point que tousiours j’ay pourchassé, je vous supplie très humblement qu’il vous plaise me donner champ en vostre royaume, à toute outrance, pour combattre sur notre différend.

« FRANÇOIS DE VIVONNE. »

Ce placet lu au conseil du roi, on y arrêta enfin une résolution ainsi formulée :

« Il a été ordonné que cette présente lettre sera montrée et signifiée audit Chabot par un héraut d’armes du roy, pour à icelle respondre et dire ce que bon lui semblera.

« Fait au conseil du roy, tenu à l’Isle-Adam, le 23 d’avril 1547.

« DE L’AUBESPINE[28]. »


Guienne, héraut d’armes du roi, à la diligence de La Chasteigneraye, ainsi qu’il résulte de son procès-verbal, se rendit le 25 du même mois à Limours chez la duchesse d’Etampes, où il croyait trouver Jarnac ; mais il n’y rencontra que sa femme et plusieurs gentilshommes à la duchesse, entre autres son écuyer, le sire du Pin, MM. de Grelure et de Ville, auxquels il communiqua les pièces dont il était porteur ; puis, rebroussant chemin, il vint à l’Isle-Adam rendre compte de sa mission. Le lendemain 20 avril, il trouvait Jarnac à Saint-Cloud, et lui signifiait le cartel de La Chasteigneraye. Jarnac lui répondit qu’il était le très bienvenu, que lui, Jarnac, se trouvait fort heureux du consentement que le roi voulait bien lui accorder de se mesurer enfin avec son ennemi, qu’avant tout il voulait surtout accomplir la volonté de sa majesté, pour laquelle son affection et son dévouement étaient sans bornes. C’est en présence des sieurs de La Hargerie, de La Rochepozay, de Fontenilles et de plusieurs autres gentilhommes, que Guienne déclare « avoir baillé la présente signification audit Chabot. » Son procès-verbal fut porté au conseil privé du roi, à Saint-Germain-en-Laye. Plusieurs princes, les sieurs connétable et maréchaux de France, et autres seigneurs et capitaines, y avaient été appelés. Les termes respectueux de la réponse de Jarnac y furent unanimement approuvés. La majorité des arbitres présens insistaient pour que le combat n’eût pas lieu ; Henri, qui toujours avait favorisé La Chasteigneraye, en décida autrement. En conséquence, les lettres en forme de patente de camp[29] furent expédiées. Bretagne, héraut d’armes de France, se transporta, le 13 juin, rue Saint-Honoré, au domicile de Jarnac, qu’il trouva en compagnie du capitaine Casi, de George de Beauregard, de bon d’Asnières et de Laurent de Cossard, et lui signifia ces patentes, ainsi qu’un nouveau cartel où La Chasteigneraye, après avoir répété dans les termes les plus grossiers ses allégations injurieuses contre Jarnac et sa belle-mère, ajoutait :

« Guichot Chabot, je vous envoyé la patente de camp qu’il a plu au roy m’octroyer, dedans lequel je vous prouveray avec armes effectives que vous me baillerez (mais quelles soient en gentilhomme d’honneur) que vous m’avez dit que vous aviez, etc. ; j’entends que vous me faciez, entendre, dans quatre jours, à Paris, aux Tournelles, où je seray, ou procureur pour moy, de quoy je me dois pourvoir.

« En tesmoin de quoy j’ay signé la présente en présence de monseigneur soussigné, le 12e jour de juin mil cinq cens quarante-sept.

« FRANÇOIS DE VIVONNE.

« Nous, FRANÇOIS DE LORRAINE, comte d’Atonale, avons été présent à ce que dessus. »

Jarnac, qui n’attendait que le moment de signifier à son adversaire sa liste de chevaux et d’armes, envoya incontinent à Vivonne le commandement qui suit par Angoulème, héraut d’armes du roi :

« François de Vivonne, pourvoyez-vous des armes que vous devez porter au jour qui sera député.

« Premièrement, vous vous pourvoirez d’un courcier, d’un cheval turc, d’un genest et d’un courtaut.

« Item, vous vous pourvoirez, pour armer vostre courcier, d’une selle de guerre, d’une selle de jouste et d’une selle qui soit à deux doigts de haut, et l’arçon bas devant, mais qu’elles ayent deux bourlets derrière, et d’une selle qui n’ait point d’arçon derrière.

« Item, que lesdits chevaux soient fournis desdites selles, spécifiant que ledit genest ait davantage une selle à la genette et une à la caramane, et le turc, une selle à la turquesque et une selle à la française, avec deux doigts d’arçon derrière et l’arçon bas devant.

« Item, que le courtaut ait davantage une selle à la française et une autre selle sans arçon derrière et sans bourlet derrière, mais l’arçon devant avec sa rencontre à demy-cuisse.

« Item, que lesdits chevaux se puissent armer avec des bardes d’acier et de toutes pièces, comme chanfrain de fer, flancars et crouppière de fer, et un chanfrain attourné de fer.

« Item, que pour lesdits quatre chevaux, vous soyez pourveu de les pouvoir armer de toutes pièces d’acier, et de bardes de cuir, et de caparaçon de mailles, et les resnes couvertes de lames, et de les mettre en point comme si vouliez entrer en cour d’une bataille, et vous en pouvoir aider avec telles armes que vous pourriez combattre en jouste.

« Item, vous pourvoirez, pour vous armer, de toutes les pièces qu’il faut pour armer un homme d’armes, avec pièces doubles et simples de jouste et sans jouste.

« Item, vous pourvoirez d’un harnais à la légère de toutes pièces.

« Item, vous pourvoirez de toutes sortes d’armes de mailles qui se peuvent porter.

« Item, vous pourvoirez d’un escu et d’une salade à la génetaire.

« Item, vous pourvoirez d’une targue à l’albanaise, et de boucliers et targues de toutes sortes que l’on se puisse aider à pied ou à cheval.

« Item, vous pourvoirez de toutes sortes de gants de fer, de maille, de lames d’acier, tant des doigts comme du demeurant de la main, de prise et sans prise.

« Item, vous pourvoirez de vos armes, vous et vos chevaux, de toutes sortes et façons qu’il est possible s’armer et user, et accoustumées en guerre, en jouste, en débat et en champ clos.

« Plus des armes qui ne sont accoustumées en guerre, en jouste, en combat et en camp clos, je les portera y pour vous et pour moy, me réservant tousjours d’accroistre ou diminuer, de clouer ou desclouer, oster ou mestre dedans le camp, à mon plaisir, ou de me mettre en chemise, ou plus ou moins, selon qu’il me semblera.

« Fait à Paris le seiziesme jour de juin mil cinq cens quarante-sept.

« GUY CHABOT. »

Angoulème[30] se transporta au domicile de Vivonne, où il rédigea ce procès-verbal :

« Aujourd’huy seiziesme de juin mil cinq cens quarante-sept, estant en la ville de Paris, à la requeste de Guy Chabot, sieur de Monlieu, je Engoulesme, héraut d’armes du roy, me suis transporté pardevers et à la personne de François de Vivonne, sieur de La Chasteneraye, lequel j’ay trouvé en la rue Saint-Antoine, logé en la maison de Simonne des Rües, veufve de Jean des Prez, valet de chambre en son vivant du deffunt roy, environ l’heure de sept heures du soir avant le soleil couché. Auquel j’ay baillé les articles signez dudit Chabot, dont copie est cy-dessus contenue et collationnée par moy à son propre original sain et entier, où est déclaré ce dont ledit de Vivonne se doit pourvoir au jour député pour combattre sur le différent d’entr’eux, ainsi qu’il a esté ordonné par le roy, Lequel de Vivonne m’a fait response que sans préjudice de ses droits il accepte le contenu desdits articles cy-dessus transcrits, desquels je luy ay fait lecture de mot à mot, en présence de monsieur le baron de Curton et plusieurs autres gentilshommes, et spécialement de Guillaume Payen et Jean Trouvé, notaires royaux de Paris.

« Fait les jours et an que dessus par moy héraut susdit ; — signé Engoulesme. Et lecture faite de la lettre, ledit Vivonne m’a dit seulement ces mots : « Jarnac veut combattre mon esprit et ma bourse ! »

Vivonne faisait allusion à l’énormité des dépenses où allait l’entraîner l’obligation de se pourvoir des chevaux, harnais et armes diverses que le commandement de Monlieu lui enjoignait de se procurer. Jamais ses ressources n’y auraient pu suffire, si le roi, dont il s’était, au vu de tous, constitué le champion, n’était venu à son secours.

Déjà, un mois ou cinq semaines avant le duel, La Chasteigneraye ne sortait jamais sans être accompagné de cent ou cent vingt gentilshommes portant ses couleurs. « Il faisoit, dit Vieilleville, une piaffe à tous odieuse et intolérable, et une dépense si excessive, qu’il n’y avoit prince à la cour qui le pût égaler ; elle montoit à plus de 1,200 écus par jour. Heureusement pour lui que le roi, qui l’aimoit, lui en avoit donné les moyens. » Quant à Jarnac, au lieu de parader, il écoutait les conseils du capitaine Casi, fort expérimenté en fait de duels, et comme l’événement l’a prouvé, il s’en trouva bien. C’est sur l’avis du capitaine et de son maître d’armes qu’il obligea au dernier moment Vivonne à mettre au bras gauche (celui du bouclier) un brassard qui empêchait absolument ce bras de plier, « ains le faisoit tenir roide comme un pau[31]. » Vivonne, ayant été blessé au bras droit, dont il souffrait encore, perdait ainsi tout moyen de lutter avec Jarnac et de le terrasser. Le comte Martinengo, en se battant sur le pont du Pô contre un autre officier italien, avait introduit la même clause dans le combat.

Le jour de la rencontre fut fixé au 10 juillet. Les deux adversaires durent d’abord choisir leurs parrains. Chose à noter, Vieilleville nous apprend que le roi ne voulut pas permettre à M. de Vendôme d’être celui de Jarnac. M. de Boisy, grand écuyer, le remplaça. Le comte d’Aumale secondait La Chasteigneraye. Les confidens de celui-ci furent M.M. de Montluc, d’Aurielle, de Fregozzi et le comte Berlinghieri ; ceux de Jarnac, M.M. de Clervaut, de Castelnau, de Carrouge et d’Ambleville.

La confiance de Vivonne passait toute mesure. « La Chasteigneraye ne craignoit son ennemi non plus que ung bon le chien[32] ; » mais il fut trompé dans son attente. « Il se montra grandement coupable, dit Montluc, d’outrecuidance et de vanterie ; il passa fort légèrement par l’église et la messe avant le combat. Il eut peu de souci d’implorer son Dieu et de l’appeler à son ayde. Quant à Jarnac, il ne faisoit autre chose que hanter les églises, les monastères, les couvens, faire prier pour luy et se recommander à Dieu, faire ses pasques ordinairement, et surtout le jour du combat, après avoir ouy la messe très dévotement. Du despuis, il s’en désista bien pour accomplir le proverbe : Passato il pericolo, gabbalo il santo[33] ; car il se fit huguenot très ferme. »

Quelques jours avant le combat, le roi et toute sa cour s’étaient rendus à Saint-Germain-en-Laye. Henri II voulut que le champ clos eût lieu dans cette ville, et décréta qu’il y assisterait. Le connétable, sire de Montmorency, ordonna toutes les mesures nécessaires, et choisit pour le champ un préau situé vers la partie orientale du château, dans l’endroit où se trouve aujourd’hui le boulingrin. Le sire de Montmorency était encore connétable en 1559, et présidait conséquemment au tournoi où Henri II fut blessé à mort par M. de Lorges, sire de Montgommery. On donna aux estacades les dimensions indiquées par les règlemens[34] ; des tribunes furent élevées parallèlement à la grande face des barrières ; les deux tentes ou trefes[35] des combattans furent placées à la droite et à la gauche du roi aux deux extrémités de la lice : les tourelles des poursuivans d’armes, aux quatre angles de l’enceinte ; celle du roi d’armes avait été pourvue de son échelle. Il avait été nécessaire aussi de prendre des mesures extraordinaires de police pour empêcher la foule d’envahir l’enceinte réservée, car une multitude immense était arrivée, dès le matin, de Paris à Saint-Germain, attirée par la curiosité et par un temps magnifique. Cette multitude fut cause d’un grand scandale au moment où les deux champions entrèrent en lice[36]. Une troupe d’hommes sans aveu et de mauvais sujets, arrivés sur les lieux dans l’espoir d’y exercer leur industrie, se rua sur les tentes où La Chasteigneraye avait fait préparer un souper magnifique pour y fêter ses amis après le combat, tant il se croyait sûr du succès. En un instant, tout y était mis au pillage : « les potaiges et entrées de tables respandus, mangés et dévorés par une infinité de harpaille ; la vaisselle d’argent de cuysine et riches buffets, empruntés de sept ou huit maisons de la cour, dissipés, ravis et volés avec le plus grand désordre et confusion du monde ; et pour le dessert de tout cela, cent mille coups de hallebarde et de baston départis sur tous ces gens, Suisses et valets de cour, par les capitaines et archers des gardes et prévost de l’hostel qui y survindrent[37]. » C’était la petite pièce avant la tragédie ; mais revenons aux affaires sérieuses.

Excepté M. de la Roche-sur-Yon[38], aucun prince du sang ne demeura près du roi en cette circonstance ; tous suivirent M. de Vendôme[39], qui s’était retiré, blessé que Henri lui eût interdit de servir de parrain à Monlieu. L’histoire ne dit pas si Catherine de Médicis était présente au combat ; mais la belle Diane, la sœur du roi, sa tante Marguerite de Valois, les princesses et la plupart des dames de la cour n’avaient eu garde de manquer l’occasion d’assister au sanglant spectacle qui se préparait.

Comme on le verra, Jarnac au dernier moment, avait décidé que le duel aurait lieu à pied ; c’était au surplus depuis longtemps la coutume que l’on suivait pour les rencontres. À en juger par la longue liste des dames et des filles d’honneur de la reine et des princesses, telle que nous l’ont laissée les contemporains, on doit supposer que les tribunes étaient brillamment garnies. Une foule de seigneurs et de braves gentilshommes, qui tous s’étaient distingués dans les armées et firent parler d’eux plus tard dans les guerres de religion, que les loisirs de la paix avaient ramenés à la cour, étaient présens au combat. Le comte d’Aumale, le prince de La Roche-sur-Yon, les maréchaux de Saint-André et de Sedan, MM. de Brissac, de Biron, de Tavanne et de Montluc, les cinq fils du connétable[40] et le marquis de Villars, son frère, l’amiral de Châtillon, MM. D’Esse de Charny, de Brion, de Vieilleville, de Bourdillon, et tant d’autres guerriers illustres par leur naissance, leur valeur, attendaient avec émotion l’issue de cette rencontre, depuis si longtemps prévue.

Parmi cette foule de courtisans, où Jarnac comptait fort peu d’amis, personne ne doutait que Vivonne ne remportât facilement la victoire[41]. Le spectacle empruntait à la présence du roi et de la famille royale une solennité inusitée ; aussi le connétable ne négligea-t-il rien pour suivre avec toute la pompe possible le cérémonial prescrit pour la circonstance par l’ancienne législation.


III

Au lever du soleil, le 10 juillet 1547, le héraut d’armes Guienne cria aux deux extrémités de la lice :

« Aujourd’huy, dixiesme de ce présent mois de juillet, le roy, nostre souverain seigneur, a permis et octroyé le camp libre et seur, à outrance, à François de Vivonne et au sieur de Monlieu, deffendant et assailly, pour mettre fin par armes au différent d’honneur dont entr’eux est question.

« Parquoy je fais à sçavoir à tous, de par le roy, que nul n’ait à empescher l’effet du présent combat, n’y aider ou nuire à l’un ou à l’autre des combattans, sur peine de la vie. »

La lice était double, l’espace vide entre la première et la seconde barrière était occupé par les gens du connétable et les archers de la garde du roi. Il y avait à chaque extrémité du camp une porte pour laisser passage aux combattans. Il y avait une porte aussi au-dessous de la tribune du connétable. À la droite de cette tribune, quatre sergens de la prévoté et l’exécuteur des hautes œuvres, avec force cordes, faisaient prévoir les outrages sinistres que la loi réservait au cadavre du vaincu. Sous la tribune du juge du camp, une table couverte d’un drap d’or supportait un missel, un crucifix et un te igitur ; un prêtre se tenait silencieux à côté.

Aussitôt après le ban ou publication du héraut, Vivonne sortit de son hôtel, accompagné de son parrain et de ses amis, au nombre de plus de cinq cents, vêtus de ses couleurs, blanc et incarnat. Devant lui, on portait son écu et son épée, et, plus en avant, l’image de saint François sur une bannière ; le cortège était précédé de tambourins et de trompettes sonnant des aubades. La colonne fit le tour de la lice, ce qui s’appelait honorer le dehors du camp ; puis l’écu de Vivonne, peint de ses armes, fut attaché à un pilier planté à la droite de la tribune royale. François de Vivonne, seigneur de La Chasteigneraye, portait d’hermine au chef de gueule. Reçu à la barrière de droite par le connétable, avec les formalités accoutumées, après qu’il eut fait ses déclarations, il fut introduit dans le trèfe de droite, pour y rester jusqu’à son entrée au camp.

On amena ensuite Jarnac avec le même cérémonial. Il était accompagné de son parrain et de cent vingt gentilshommes revêtus de sa livrée, blanc et noir. Une bannière avec l’image de la sainte Vierge marchait en avant. Jarnac était, comme Vivonne, armé de toutes pièces, excepté le dessus, que ses écuyers portaient devant lui, ainsi que son épée et sa rondelle. Après que le cortège eut honoré le dehors du camp, toujours musique en tête, on suspendit l’écu de Jarnac au pilier de gauche, près de la tribune du roi. Guy Chabot, seigneur de Jarnac, portait d’or, à trois chabots de gueule posés en paux : 2, 1. La barrière de gauche ouverte à sa requête, il entra dans son pavillon, pour y demeurer jusqu’à l’appel du combat[42]. « Et ce fait, fut procédé par leurs parrains et leurs confidens à l’accord du camp et des armes défensives. »

Il n’y eut point de difficultés pour l’accord du camp ; les procurations furent échangées et mises au greffe par-devant les hérauts. On convint que si les épées se rompaient, il en serait procuré d’autres. M. d’Aumale fut requis de procéder à la concordance des armes. Les confidens entrèrent alors dans les tentes de chacun des combattans, et restèrent avec eux pour leur tenir compagnie. À sept heures et demie commença la concordance désarmes. MM. de Villemareuil, d’Urfé, le baron de La Garde et de Saint-Julien s’avancèrent en bon ordre, trompettes sonnant, tambourins battant. Ils portaient un gousset[43] de mailles, et s’arrêtèrent devant la tribune du roi, le connétable et maréchaux présens ; là, le comte d’Aumale examina et accepta le gousset comme armes visitées, après l’avoir fait mesurer à un autre, pour servir à La Chasteigneraye.

MM. de La Vauguyon, d’Urfé, le baron de La Garde et de Saint-Julien apportèrent de même un gantelet de fer pour la main droite, lequel fut visité par les parrains de Vivonne et accepté comme ci-dessus. Dans cette occasion, M. d’Aumale dit qu’il allait protester contre les armes défensives non usitées que Jarnac se proposait d’exiger, et dont il était avisé, ajoutant que « la perte du tems qui pourroit estre faite sur le discord fust au préjudice dudit de Monlieu. » A quoi M. d’Urfé répondit assez fièrement « qu’il resterait encore six heures du jour au sieur de Jarnac après qu’il aurait eu la victoire sur son ennemi ! » Il était alors dix heures.

Bientôt après fut apporté au même lieu, avec le même cérémonial et présens les mêmes juges, par les sieurs de Brion, de Lévis, d’Urfé, de La Garde et de Saint-Julien, deux brassards pour le bras gauche ; on pria M. d’Aumale d’en choisir un pour La Chasteigneraye. Le prince protesta avec beaucoup de force, disant que ce n’étaient point armes usitées, et déclara ne pouvoir les accepter ; mais, le cas référé devant le connétable et les maréchaux, il en fut décidé autrement, en raison du dernier paragraphe de la liste d’armes signifiée par Jarnac. La Chasteigneraye prit donc l’un des brassards et rendit l’autre.

Le fils du sieur d’Urfé, avec les autres amis de Monlieu déjà nommés, apportèrent alors deux épaulettes pour le bras gauche ; l’une des deux fut également choisie par l’assaillant, et l’autre rendue à l’assailli. Puis M. de Saint-Vanray et les amis du défendeur présentèrent un grand bouclier d’acier avec une pointe d’un quart de longueur et bien acérée, à quoi M. d’Aumale répondit que La Chasteigneraye ne s’était pas pourvu d’un bouclier de cette forme. Les juges du camp décidèrent que l’assaillant se procurerait une rondache pareille, ou se servirait de celle qu’il avait. Alors, pour trancher la difficulté, Monlieu proposa à son adversaire de choisir entre deux autres boucliers qu’il lui offrit : La Chasteigneraye prit l’un des deux.

Le fils de M. de Lorges et les précédens apportèrent un gantelet de fer pour la main gauche, qui fut accepté. Enfin MM. de Courtinier et de Beaumont, avec le même cortège et cérémonial, présentèrent successivement, — le premier, un jac de mailles, le deuxième, deux morions qui furent reçus par M. d’Aumale sans difficultés.

Toutes les armes défensives étant accordées, un héraut cria le ban suivant :

« Or oyez, or oyez, or oyez, seigneurs, chevaliers et escuyers, et toute manière de gens ! — De par le roy, je fais exprés commandement à tous que si tost que les combattans seront au combat, chacun des assistans ait à faire silence et ne parler, tousser, ny cracher, ny faire aucun signe du pied, de main ou d’œuil, qui puisse aider, nuire ny préjudicier à l’un ny à l’autre desdits combattans. Et davantage je fais exprès commandement de par le roy à tous, de quelque qualité et grandeur qu’ils soient, que pendant et durant le combat ils n’ayent à entrer dans le camp, ny à subvenir ny à l’un ny à l’autre desdits combattans, pour quelque occasion et nécessité que ce soit, sans permission de messieurs les connestables et mareschaux de France, à peine de la vie. »

La Chasteigneraye, assaillant, armé de ses armes, fut aussitôt conduit par M. d’Aumale, pour honorer l’intérieur du camp, suivi de ses confidens et de sa compagnie, musique en tête, avec hérauts et poursuivans d’armes, lesquels tenaient en main leur bâton bleu surmonté d’une croix d’or ou d’argent. Après lui, Jarnac, assailli, fut mené par M. le grand écuyer, en compagnie de ses témoins et amis, trompettes sonnant, tambourins battant, pour rendre les honneurs à l’intérieur de la lice, précédé également par les hérauts et poursuivans d’armes. Devant lui, on portait les armes offensives du combat : quatre épées que tenaient MM. d’Urfé, de La Garde, de Saint-Julien et de Cezay, — quatre daguettes à savoir : deux grandes et deux petites, — dont étaient chargés M.M. de Saint-Vanray et de Beaumont.

Les deux cortèges ayant défilé successivement au pied de la tribune royale, chacun des combattans s’agenouilla sur un carreau de velours et d’or ; là, après avoir entendu les représentations du prêtre commis à cet effet, ils prêtèrent, entre les mains du connétable, sur les saints Évangiles, le serment qu’on va lire :


SERMENT DE L’ASSAILLANT.

« Moy, François de Vivonne, jure sur les saincts Évangiles de Dieu, sur la vraye croix de Nostre-Seigneur, et sur la foy de baptesme que je tiens de luy, qu’à bonne ni juste cause, je suis venu en ce camp pour combattre Guy Chabot, lequel a mauvaise et injuste cause de se défendre contre moi. Et outre que je n’ay sur moy ny en mes armes paroles, charmes ny incantations desquels j’aye espérance de grever mon ennemy et desquels je me veuille aider contre luy, mais seulement en Dieu, en mon bon droit, en la force de mon corps et de mes armes. »


SERVANT DE L’ASSAILLI.

« Moy, Guy Chabot, jure sur les saincts Évangiles de Dieu, sur la vraye croix de Nostre-Seigneur et sur la foy du baptesme que je tiens de luy, que j’ay bonne et juste cause de me défendre contre François de Vivonne, et outre que je n’ay sur moy ny en mes armes paroles, charmes ny incantations desquels j’aye espérance de grever mon ennemy, et desquels je me veuille aider contre luy, mais seulement en Dieu, en mon bon droit et en la force de mon corps et de mes armes. »

Les combattans ayant été ramenés ensuite chacun à son siège, vis-à-vis l’un de l’autre, on procéda à l’accord des armes offensives en présence du roi, du connétable et des maréchaux de France. Ces armes consistaient en deux épées ordinaires et portatives. La garde de ces épées était faite à une croisée et à pas-d’âne, puis venaient quatre daguettes bien épointées, deux pour chaque combattant ; en outre, deux épées de rechange étaient confiées au connétable pour remplacer celles qui se rompraient. Les épées furent mises aux mains des deux adversaires, et les daguettes mises en leur lieu. Leurs confidens se retirèrent alors ainsi que leurs parrains, en prenant congé d’eux et les exhortant à bien faire. Presque aussitôt le héraut d’armes de Normandie, qui était au centre de la lice, cria trois fois à haute voix : « Laissez aller les bons combattans ! » puis s’éloigna. Un silence de mort se fit à l’instant au sein de l’assemblée.

Les deux champions marchent résolument l’un vers l’autre, La Chasteigneraye l’épée haute et à pas précipités, Jarnac avec plus de calme, le bouclier contre la poitrine et l’épée prête à parer le coup de tête. Ce fut le premier que lui porta Vivonne ; mais Jarnac change la parade, le reçoit sur sa rondache, et, en voltant, riposte par un coup qui atteint son adversaire entre le gousset de mailles et le haut de sa bottine. L’assistance entière pousse un cri aussitôt étouffé, l’attention redouble ; La Chasteigneraye domine sa douleur et gagne sur Jarnac, dans l’intention évidente de le saisir, « entrant sur lui de pied et de main. » Il reçoit à la jambe gauche déjà entamée un terrible coup de revers qui lui fait au jarret une profonde blessure[44]. On voit Vivonne chanceler, son épée lui échappe, il tombe, inondant la terre de son sang. Une émotion inexprimable se manifeste dans les tribunes, au sein de la foule rassemblée autour des lices. Les amis de Vivonne poussent des imprécations, ceux de Jarnac triomphent ; les gardes ont peine à réprimer le mouvement général ; enfin le silence se rétablit.

Jarnac immobile contemplait son ennemi en silence. Vivonne était là à sa discrétion. « Rends-moi mon honneur, lui dit Monlieu, et crie à Dieu mercy et au roy de l’offense que tu as faite ! » Vivonne cherchait à se relever, mais en vain ; il lui était désormais impossible de quitter la place. Jarnac, le laissant étendu sur la terre, s’avance vers la tribune royale, lève sa visière, et, mettant un genou en terre : « Sire, dit-il, je vous supplie que je sois si heureux que vous m’estimiez homme de bien ; je vous donne La Chasteigneraye : prenez-le, sire, et que mon honneur me soit rendu ! Ce ne sont que nos jeunesses qui sont cause de tout cecy ; qu’il n’en soit rien imputé à luy ni aux siens aussi pour sa faute, sire, car je vous le donne. » Le roi garde le silence. Jarnac alors se frappe la poitrine avec son gantelet, et levant les yeux au ciel, dit : « Domine, non sum dignus ; ce n’est pas à moi, c’est à vous, mon Dieu, que je dois la victoire ! » Puis il s’approche de Vivonne et le conjure de se rendre. Celui-ci, dans un effort suprême, parvient à se dresser sur un genou et fait mine de vouloir frapper Jarnac de sa dague : « Ne te bouge, s’écrie Jarnac, ou je te tuerai ! — Tue-moi donc ! » réplique noblement La Chasteigneraye, et il retombe épuisé, rendant des flots de sang de sa blessure. Jarnac, sans se décourager, conjure de nouveau le roi, les mains jointes, de faire grâce à Vivonne ; mais Henri, impassible encore cette fois, ne veut rien répondre. Alors, s’approchant de son adversaire, qui était gisant tout de son long (après avoir eu toutefois la précaution d’éloigner avec la pointe de son épée celle de Vivonne, qui était à terre, et l’une de ses daguettes sortie du fourreau), Jarnac lui dit : « Chasteigneraye, mon ancien compagnon, reconnais ton Créateur, et soyons amis. — Sire ! s’écrie-t-il ensuite d’une voix émue et suppliante, sire ! voyez ! il se meurt ! Pour l’amour de Dieu, prenez-le ! » Cette scène avait produit dans l’auditoire la plus pénible sensation : on était touché de la généreuse conduite de Jarnac, de l’affreuse situation de son adversaire. Le connétable et les maréchaux intercédèrent à leur tour auprès du roi en faveur de Vivonne : « Si le roi n’intervient pas, disaient-ils, Jarnac est obligé d’achever le blessé, puis de traîner son cadavre hors de la lice, afin de le livrer au bourreau… Quel spectacle douloureux pour les princesses, pour les dames de la cour, pour les amis de Vivonne ! Il étoit temps que sa majesté prît un parti, car il perdoit tout son sang ; si on ne lui portoit secours, il ne tarderait pas à rendre le dernier soupir. » Cependant Jarnac s’était tourné vers la duchesse de Berri[45], sœur du roi, qu’il voyait attendrie ; il prie en grâce cette princesse, que ses qualités rendaient populaire, de fléchir Henri. À l’appel de cette voix chérie, le roi paraît se réveiller de la stupeur où le résultat du combat l’a plongé ; il prête l’oreille à la douce prière de Marguerite ; enfin il se laisse toucher. « Jarnac, me le donnez-vous ? dit-il. — Oh ! oui, sire, répond Monlieu ; je vous le donne pour l’amour de Dieu et pour l’amour de vous ; suis-je pas homme de bien ? — Vous avez fait votre devoir, Jarnac, et vous est votre honneur rendu. Qu’on enlève le seigneur de La Chasteigneraye. »

Vivonne fut emporté hors de la lice sans connaissance et dans un état pitoyable ; mais le lendemain, revenu à lui, il arrachait les appareils que les médecins avaient posés sur ses blessures, et peu de temps après il expirait en proie à une excitation nerveuse que rien ne put calmer.

La question de savoir si Jarnac triompherait et ferait parade de sa victoire, comme l’usage en était établi, fut discutée séance tenante devant le roi. Henri, je regrette d’avoir à le dire, opinait pour qu’il en fût ainsi ; mais le parrain de Monlieu, d’accord avec lui d’ailleurs, supplia le roi de dispenser le vainqueur, en raison de son ancienne amitié pour Vivonne, d’une aussi cruelle obligation. Si l’on doit en croire Brantôme, Jarnac agit prudemment en résistant à la volonté du roi et aux instances du connétable, qui, obligé par position de sauvegarder les usages de la chevalerie, insistait pour que le vainqueur triomphât suivant la forme indiquée[46] par les règlemens. Les partisans de La Chasteigneraye étaient en effet dans la plus grande exaltation ; il ne fallait qu’un prétexte pour amener un esclandre. « Les amis de mon oncle, dit le sire de Bourdeille, estoient en mesure, non-seulement de desfaire la troupe du seigneur de Jarnac, et lui avec elle, mais de fausser les gardes du camp, les juges, voire tout le reste de la cour ensemble. » Le séditieux va même assez loin pour ajouter : « Ah ! que si de ce temps-là la noblesse françoise fust esté aussy bien apprise et exporte aux esmeutes et séditions, comme elle l’a esté depuis les premières guerres, il ne faut doubler que ces braves gentilshommes, sans aucun respect ny signal de M. d’Aumale, n’eussent joué la partie toute entière[47] ! »

On a peine à comprendre comment Henri II a pu oublier sitôt son favori, qui avait de nombreux amis ailleurs qu’à la cour et parmi les mécontens, comment il a incliné pour faire triompher Jarnac, alors que le vaincu qui mourait pour sa cause était agonisant. Henri, sans se faire le moins du monde prier, traita Monlieu en vainqueur, et ne montra aucun scrupule à l’accabler de prévenances et d’éloges : « Vous avez combattu comme César, lui dit-il, et parlé comme Aristote. » On reproche aussi à Henri d’avoir trop tardé à séparer les combattans. La première blessure reçue par Vivonne suffisait pour que l’honneur fût satisfait. Personne ne se méprenait sur le motif du duel ; on savait Jarnac tout à fait innocent du propos criminel que son ancien ami lui avait imputé[48] ; on ne doutait pas que le roi ne fut le seul coupable, et que le dévouement de La Chasteigneraye pour Henri ne fut la raison qui lui avait mis les armes à la main. Il ne fallait donc pas laisser continuer l’affaire, de crainte qu’elle ne devînt irréparable. On est forcé de reconnaître, — et tous les témoignages historiques que j’ai consultés s’accordent pour le faire entendre, — que Henri joua un triste rôle dans cette histoire ; plusieurs écrivains de l’époque ont même été jusqu’à prétendre que la main de Dieu s’était montrée dans le genre de mort du roi, qui périt dans un combat singulier[49].

Après le duel, Monlieu alla faire ses prières à Notre-Dame de Paris ; il remercia la sainte Vierge, sa bonne patronne, de la protection qu’elle lui avait accordée ; il suspendit ses armes dans l’église, où elles demeurèrent longtemps. On ne doit pas oublier de dire, à sa louange, qu’avant de consentir à monter à la tribune du roi, où Henri l’attendait pour lui adresser ses félicitations, le brave Jarnac s’assura que La Chasteigneraye était sorti de la lice. Ronsard a célébré la conduite de Monlieu dans une de ses odes. Le comte d’Aumale fit élever un tombeau magnifique à La Chasteigneraye, qui mourait à vingt-huit ans, laissant une fille unique âgée de trois ans, et qui se maria depuis avec M. de L’Archaut[50]. Quant à Mme de La Chasteigneraye, elle épousa en secondes noces M. de La Force. Henri, désespéré de la mort de son favori, jura qu’il n’autoriserait plus jamais d’épreuves en camp mortel. Aussitôt après le combat, il quitta Saint-Germain et vint demeurer à Paris, chez Baptiste Gondy.


IV

Telle fut en France la dernière application des lois lombardes. Aux combats judiciaires succéda bientôt la licence des duels particuliers, qui, pendant deux siècles, a plus fait verser de sang en Europe, et surtout en France, qu’il n’en avait été répandu dans les duels en champ clos depuis leur origine. Quoi qu’on pense de cette législation singulière, qui pendant plusieurs siècles a régi le duel en France, le récit qu’on vient de lire a pu montrer qu’à côté d’inconvéniens sérieux, elle avait quelques avantages. La solennité dont elle entourait le combat, les formalités qui le précédaient, les difficultés qui souvent le rendaient impossible, étaient autant de garanties contre les abus qu’eût pu faire redouter l’espèce de sanction légale accordée au duel. Aussi que l’on compare un instant l’époque des combats en champ clos à l’époque de désordre qui la suivit, que l’on étudie dans ses diverses applications cette jurisprudence chevaleresque, et l’on reconnaîtra que son influence a souvent été salutaire.

On sait que les combats en champ mortel avaient toujours marché, dans notre pays et longtemps avant Pépin le Bref, de front avec les jugement de Dieu proprement dits, c’est-à-dire avec les jugemens par la froide[51], l’eau bouillante et les fers rouges. La première de ces épreuves était permise à la noblesse, qui seule avait le port et l’usage des armes ; la seconde était réservée aux vilains. Des dérogations à ces principes exclusifs s’y introduisirent cependant avec le temps ; ainsi l’on vit de très grands personnages rechercher spontanément le jugement de Dieu pour prouver leur innocence. Quant au duel entre gens de main morte et de condition servile, il lui aussi toléré quelquefois, mais sous la réserve que les combattans n’emploieraient pas des armes de gentilshommes[52].

Sous les rois des premières races, une bonne partie des duels judiciaires avaient l’honneur des dames pour motif, témoin le combat de Lancelot en faveur de Gondeberge, reine de Lombardie, que raconte Grégoire de Tours ; celui entre Gontran et le jeune Ingelger, comte d’Anjou, qui défendit la belle comtesse de Gastinois, sa marraine ; l’affaire du comte de Barcelone Bernard, accusé d’avoir recherché d’amour l’impératrice Judith, épouse de Louis le Débonnaire ; enfin, mais dans des temps plus modernes, le célèbre duel du sire de Carouge contre Jacques Le Gris, accusateur de la dame de Carouge, et tant d’autres encore.

Malgré les lois de Charlemagne, les duels continuèrent avec fureur et impunité sous le règne de ses successeurs. Cependant, vers l’an 1032 et grâce aux efforts de l’église, cette sanglante passion semble s’affaiblir, les combats des seigneurs entre eux cessèrent presque entièrement : ce fut l’époque dite de la trêve de Dieu, et elle était bien nommée, car ce n’était pas la paix, mais une simple suspension d’armes. Les combats singuliers recommencèrent en effet de plus belle sous les règnes de Philippe-Auguste, de Louis VIII et de Louis IX. Chose à remarquer, les évêques permettaient les duels alors[53] ; bien plus, les prêtres eux-mêmes étaient autorises à combattre. On lit dans les registres d’un concile de la province de Normandie, tenu à L’Isle-Bonne sous le règne de Philippe-Auguste, que «… les prestres ne se doivent combattre en duel sans la permission de leur évesque, » preuve que cette autorisation pouvait leur être accordée. Le sage Louis IX lui-même, dans la première année de son règne, voulut qu’on assignât devant lui plusieurs causes de gages de bataille ; on peut citer entre autres, à ce propos, l’affaire d’un chevalier français, dont l’histoire n’a pas gardé le nom, contre le comte de La Mark, Hugues de Lusignan, dit le Brun, « accusé, suivant la chronique, de foy mentie, de trahison et de plusieurs autres crimes énormes. » Cela se passait en 1243. Cependant, par une ordonnance de 1260, le saint roi se décida à abolir les duels. « Nous défendons, dit cette ordonnance, partout notre roiaume les batailles en toutes querelles, et au lieu de batailles nous mettons preuves par chartes et tesmoins. » Cette loi, reproduction presque textuelle de celle qu’avait rendue Charlemagne quatre cents ans auparavant, ne fut pas mieux respectée ; Louis IX mort, on n’en tint plus compte.

« Sous le règne de Philippe le Hardy, fils de sainct Louis, dit un ancien auteur, cette infernale coustume des duels reprit nouvelle force, de manière que la Fiance étoit de tous costez pleine de sang et de carnage de la noblesse qui se massacrait et s’entr’égorgeoit ainsi que bestes fauves, et la moindre parole de travers se vuidoit les armes à la main. » Ne pouvant empêcher les duels, Philippe voulut pourtant essayer de les restreindre, et fit dans cette pensée, avec le sire de Beaumanoir, le traité des cas où le duel est permis, en les limitant à quatre, et le défendant sous tout autre prétexte et dans toute autre circonstance. En 1303, nouvelle interdiction des combats singuliers d’une manière absolue et sous peine de mort par Philippe le Bel ; mais ces belles résolutions ne durèrent pas cette fois encore, et comme toujours la volonté du souverain fut obligée de céder devant la pression de l’opinion et les exigences du point d’honneur.

Trois ans plus tard, Philippe le Bel se vit forcé d’adopter la politique de son père et de régler les rencontres en proscrivant tout autre duel que le combat en camp clos, qu’il ne permettait d’ailleurs, conformément aux principes de l’ordonnance de 1283, que dans un certain nombre de cas. C’est de là que provient le célèbre formulaire de 1306, qui fut suivi fidèlement dans toutes ses dispositions jusqu’au règne de Henri II, et que la cour des pairs du royaume prit pour base de tous ses arrêts[54].

En parcourant l’innombrable série des demandes de combats à outrance soumises au parlement de Paris pendant ces deux cent quarante et une années et sous les règnes consécutifs de douze rois, on en trouve presque autant de rejetées que d’admises. Indépendamment de ce motif très réel de diminution pour les combats singuliers, les difficultés de tous genres, le sort affreux réservé au vaincu, les dépenses considérables que le demandeur ne pouvait éviter, les entraves de toute nature que le Formulaire de Philippe le Bel avait inventées pour décourager et fatiguer les parties, enfin la faculté souveraine du juge du camp d’arrêter le combat au dernier moment, durent éviter ou atténuer les résultats de bien des duels, qui sans tout cela se fussent terminés par la mort de l’un des champions ou même de tous les deux. On comprend donc que, sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII, on ait eu sérieusement la pensée de revenir aux duels judiciaires.

« Depuis la célèbre affaire de Jarnac et de La Chasteigneraye, dit un écrivain du XVIIe siècle[55], comme si l’interdiction des combats en camp clos eust includ une permission de se battre en champ libre et ouvert, les duels ont commencé de s’authoriser par l’usage et impunité jusques au temps du roy deffunct, auquel se trouvèrent des courtisans faisant gloire de se rendre redoutables aux autres, comme les géans des premiers siècles, et lors, comme l’on veit les duels honorez de louanges exquises et consacrez à l’éternité par l’érection de magnifiques statues, glorieuses inscriptions et superbes épitaphes, il y eut presse à mourir si précieusement. Toutesfois cette ambition ne saisissait encore que les âmes plus altières ; le commun de la noblesse mesme, celle irai ne hantoit point la cour, usoit de quelque retenue… Mais les esprits ayans esté effarouchez par ces dernières guerres civiles, la noblesse, retirée en sa maison depuis la paix, s’est portée à tout ce qu’elle a pensé la pouvoir rendre redoutable, et à ceste fin, chaque gentilhomme a fait de sa salle de festins une salle d’escrime, et de ses enfans une compagnie de gladiateurs (dès lors aucuns jugèrent ce qui en adviendroit). Cette jeunesse, au bout de cinq ou six ans, a voulu tenter si elle manierait aussi heureusement son espée que ses florets ; seulement, par un vain désir de se faire cognoistre, les jeunes y ont embarqué les vieux, qui ont creu estre obligez de vérifier le proverbe que jamais bon cheval ne devient rosse ; puis nostre nature se porte facilement au mal, et plus facilement encore à l’excès du mal jà receu et pratiqué. De là sont sortis les grands et funestes accidens que nous avons veus. Pour empescher que ce mal ne passast plus avant, le roy heureusement régnant y a faict, n’a pas longtemps, apporter par sa cour le parlement un remède véritablement grand et puissant. »


L’événement a prouvé que le remède ne pouvait pas guérir le mal. La civilisation seule était appelée à le faire disparaître.

Il n’entre pas dans notre plan de raconter ici, même brièvement, les principaux combats à outrance qui se sont succédé depuis le règne de Philippe le Bel jusqu’au règne de Henri II. C’est sur les combats sans règles qui suivirent ce dernier règne que notre attention doit encore un moment se porter. Le contraste entre ces sanglantes rencontres et le mémorable duel de Saint-Germain nous servira de conclusion.

Après le combat de Jarnac et La Chasteigneraye survinrent, sous Henri III, ces tristes rencontres où l’on ne se faisait pas toujours scrupule de brûler la cervelle à son adversaire au moment où il mettait l’épée à la main, ou de le faire attendre, sur la route qu’il devait suivre pour arriver sur le terrain, par des valets chargés de l’assassiner. C’est dans l’histoire des duels, à coup sûr, la période la plus regrettable et la plus sanglante.

Le premier combat où les témoins, s’ennuyant d’être paisibles spectateurs d’un duel, voulurent y prendre part – fut celui des seigneurs de Caylus, de Maugiron ci de Livarot, contre d’Entraguet, de Ribérac et de Schomberg. Caylus et Entraguet devaient se battre par jalousie, pour une dame de la cour. Ils avaient chacun amène pour témoins, — le premier, Maugiron et Livarot, — le second, Ribérac et Schomberg. Arrivés sur le terrain, Ribérac provoque Maugiron et le force à mettre l’épée à la main ; alors Schomberg et Livarot, trouvant ridicule de rester là sans rien faire, se mirent aussitôt en garde et commencèrent à se combattre. L’issue du combat fut terrible : Maugiron et Schomberg restèrent morts sur la place ; Ribérac, grièvement blessé, mourut le lendemain à l’hôtel de Guise, où on le transporta après l’affaire ; Livarot et Caylus, très gravement atteints, furent déposés à l’hôtel de Boissy, voisin de l’endroit où l’on s’était battu (le duel avait eu lieu dans la rue des Tournelles, au faubourg Saint-Antoine). Quant à Entraguet, qui seul n’avait rien, il se sauva et se cacha, craignant avec raison la colère de Henri III, qui certes ne pouvait lui pardonner la mort très probable de Caylus. Ce jeune favori du roi traîna pendant dix-huit jours encore, et, comme Livarot, mourut de ses blessures. La Taille, qui a décrit ce duel, nous donne de curieux détails. « Henri, dit-il, aimoit tant Caylus, que durant sa maladie il lui portoit les bouillons lui-même, ayant promis cent mille francs aux chirurgiens s’ils le luy pouvoient guérir, et à ce beau mignon cent mille escus pour luy faire avoir courage, nonobstant lesquelles promesses il mourut, ayant toujours à la bouche ces mots : « Ah ! mon roy ! ah ! mon roy ! » sans parler autrement de Dieu et de sa mère. À la vérité, le roy portoit à luy et à Maugiron une merveilleuse amitié, car il les baisa tous deux morts, fit tondre leurs restes, emporter et serrer leurs blons cheveux, osta à Caylus les pendans de ses oreilles que luy mesme auparavant lui avoit donnez et attachez de sa propre main. » L’auteur, en terminant le récit de ce duel, dit que « si on le compare avec tous les autres connus alors, on devoit le trouver pire que le plus mauvais, de quelque façon qu’on put le prendre : sur six combattans, cinq moururent. »

Le second combat où les témoins mirent aussi l’épée à la main ne se termina pas plus heureusement : ce fut celui du baron, depuis maréchal de Biron, contre le seigneur de Carancy, fils de M. de La Vauguyon. Dans cette rencontre, MM. de Loignac et de Janissac étaient témoins de Biron ; M. de Carancy avait avec lui MM. d’Estissac et de La Bastide. Ce duel eut lieu par jalousie pour l’héritière de Gaumont, qu’ils n’épousèrent au surplus ni l’un ni l’autre. MM. de Carancy, d’Estissac et La Bastide furent tués tous les trois. On a remarqué que M. de Loignac, qui resta longtemps, et après tous les autres, sur le terrain, pour attendre le dernier soupir de son adversaire, vit son fils et son petit-fils successivement tués en duel.

Je ne parlerai que pour mémoire de la rencontre entre Saint-Just et Fossé, qui se battirent à cheval et à l’épée : — Fossé, blessé, désarmé, fut très déloyalement tué par son adversaire ; — du duel de M. de Bréauté contre un Hollandais qu’il vainquit. Le combat fut de vingt contre vingt, et eut lieu auprès de Hertogen-Bosch ; les Français furent vainqueurs. Ce fut le premier exemple d’un duel au pistolet ; on se battit à cheval. Bréauté, après l’affaire, fut pris et tué par des soldats ennemis. Nous ne ferons aussi que rappeler, en passant, les duels de Villemur et de Fontaine en 1602, de Varaigne et de L’Artigue, même année, qui se tuèrent tous les quatre, ceux du comte de Saut avec Nantouillet, des barons de Bressieux et de Balagny, où les sieurs de Nantouillet et de Bressieux restèrent morts sur le terrain. Comme on le sait, sous Richelieu, les peines de plus en plus sévères de la loi contre les duels, souvent appliquées sans pitié, ne changèrent rien à l’état des choses, et l’on continua en France, malgré la loi, malgré le cardinal, malgré le bourreau, à se battre pendant toute la durée du XVIIe siècle.

Je n’ai voulu qu’indiquer quelques traits de l’histoire des combats singuliers dans notre pays, depuis la période carlovingienne jusqu’à la mort de Henri IV. De cette dernière époque à nos jours, il y aurait une très intéressante monographie à écrire ; mais les exemples que je viens de citer prouvent suffisamment que la suppression des combats judiciaires, déterminée sous Henri II par le duel de Jarnac et de Vivonne, eut de funestes conséquences. Cette décision, que le regret de la mort de son favori avait inspirée au roi, coûta bien cher à la France et fit couler à flots dans notre pays le sang le plus noble et le plus précieux. Pour en revenir à notre principale histoire, j’ajouterai que le chagrin de Henri II ne l’empêcha point de se faire sacrer quinze jours après le duel de Saint-Germain. Ayant eu l’idée tant soit peu originale d’inviter à son sacre Charles-Quint comme vassal de la couronne de France en sa qualité de comte de Flandre, l’empereur Charles, avec qui il ne fallait pas plaisanter, répondit qu’il y viendrait avec cinquante mille hommes. Peu s’en fallut qu’il ne tint parole.


Le Prince DE LA MOSKOWA.

  1. Célèbre loueur de chevaux et d’ânes.
  2. C’est le nom que lui donnait déjà l’historien grec Agathias dans le Vie siècle.
  3. Je ne veux pas que des gens érudits et scrupuleux m’objectent ici que le duel à outrance entre les sires d’Hoguerre et de Feudilles eut lieu deux ans après, sous le règne de Henri, car je répondrais que ce prince avait refusé le camp aux deux adversaires. C’est à Sedan, en dehors de la juridiction royale, que ce combat, fort peu chevaleresque d’ailleurs, se terminait, sans mort d’homme, le 29 août 1549. — Sedan était alors une souveraineté indépendante de la couronne. Depuis le commencement du siècle, la famille de Bouillon en avait fait l’acquisition ; Robert de la Marck, duc de Bouillon, maréchal de France, en était souverain en 1549. Richelieu la réunit à la France.
  4. Anciennement on appelait en France les gages de combat le plaid de l’espée, placitum ensis.
  5. La Chasteigneraye et Jarnac étaient même un lieu païens ; une demoiselle de Jarnac, grand’tante de celui-ci, s’était mariée avec l’aïeul de La Chasteigneraye.
  6. Mlle d’Heilly, Anne de Pisseleu. Malgré les maux infinis qu’elle causa à la France par sa haine pour le dauphin Henri, qu’elle chercha à contrecarrer dans toutes ses opérations militaires, la duchesse d’Etampes eut le mérite de beaucoup encourager le roi dans son goût pour les lettres. Elle était fort instruite ; on l’appelait « la plus belle des savantes et la plus savante des belles. »
  7. Veuve de Louis de Brézé, comte de Maulévrier, grand-sénéchal de Normandie. On appela, pour ce motif, Diane la grande sénéchale, jusqu’au moment où Henri II lui donna le duché de Valentinois, ce qui n’eut lieu qu’en 1548.
  8. Claude de Lorraine, tige de l’illustre maison de Guise, père de François de Guise et grand-père du Balafré.
  9. Son frère aîné s’appelait Charles ; il laissa une postérité masculine.
  10. Les Italiens ont été non-seulement les plus habiles maîtres en fait d’armes, mais longtemps aussi les plus expérimentés casuistes en matière de duels.
  11. Si, en rompant, en voltant ou en sautant, on venait à toucher l’estacade ou la barrière, on était vaincu.
  12. Ainsi fit Bayard dans son duel contre Alonzo de Soto-Mayor.
  13. Suivant une autre chronique, le duc de Bouillon sépara finalement les combattans, par le motif que personne n’avait bien distinctement entendu que Feudilles eût demandé merci. Celui-ci, quoique vaincu, n’en continua pas moins à servir, et (soit dit en passant pour l’honneur de sa mémoire), lors du siège de Coni, commandé par le maréchal de Brissac, étant monté des premiers sur la brèche, il fut tué bravement « au plus haut. »
  14. Les écuyers n’avaient pas le droit « de porter chapel de fer avec visière. »
  15. Le jac était une espèce de casaque militaire qu’on mettait par-dessus le haubert ; il était fait d’un grand nombre de peaux de cerf appliquées les unes sur les autres, et garni intérieurement de bourre et de linge, ce qui en faisait un vêtement fort incommode, mais que l’épée ne pouvait percer.
  16. Du Villars nous apprend que le sieur de Montchal, joutant en Piémont avec le chevalier Carafa, neveu du pape Paul IV, perça d’un coup de lance la selle de guerre armée, le brassard et la cuirasse de son adversaire d’outre en outre. « Horrible coup et plus grand que celuy qu’on raconte de Pyrrhus ! »
  17. D’un coup d’arquebusade, lorsque l’amiral d’Annebaut l’assiégea.
  18. Une sœur de La Chasteignoraye, Anne de Vivonne, avait épousé François, vicomte de Bourdeille, et en avait eu Pierre de Bourdeille, plus connu sous le nom de Brantôme, né en 1540.
  19. Il avait épousé en 1540 Louise de Pisseleu, sœur d’Anne.
  20. Après la mort de François Ier, la duchesse se fit, dit-on, secrètement calviniste, entraînant par son exemple beaucoup de seigneurs de la cour. Jarnac fit comme elle.
  21. Gorgias, c’est-à-dire vêtu richement.
  22. Cette belle-mère était Madeleine de Pontguyon, Femme jeune encore et séduisante, qui avait épousé le vieux sire de Jarnac, père de Monlieu, en secondes noces.
  23. « Et la chose mis en délibération au privé conseil, bien que plusieurs apposassent diverses opinions, celle du roi fut de leur dénier le combat, pour plusieurs belles et grandes raisons, disant qu’un prince, » etc. (Voyez La Colombière.) Brantôme ajoute : « Il le refusa bien aussi pour une autre raison que je ne dis pas. »
  24. C’est à Burgos que l’empereur reçut les premiers cartels de François Ier et de Henri VIII. Le héraut porteur de celui du roi de France se nommait Guienne ; le héraut d’armes anglais s’appelait Clarence.
  25. L’édit de 1307 l’établit formellement.
  26. Il les apportait en double sur le terrain.
  27. Cartel, du mot latin chartula.
  28. L’ordonnance était écrite au bas du cartel de Vivonne.
  29. Un extrait de ces lettres suffira pour en indiquer la forme. — « Henry, par la grâce de Dieu, roy de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. — Comme cy devant François de Vivonne, seigneur de La Chasteigneraye, et Guy Chabot, seigneur de Monlieu, sont entrés en différend sur certaines paroles importantes et touchant grandement l’honneur de l’un et de l’autre…, savoir faisons que nous sommes protecteur des gentilshommes de nostre royaume, et que, pour ce…, avons permis et octroyé… que, dans trente jours…, lesdits Chabot et de La Chasteigneraye se trouvent en personne là par où nous serons, pour là, en nostre présence, ou de ceux lesquels à ce faire nous commettrons, se combattre l’un l’autre à toute outrance en champ clos, et de faire preuve de leurs personnes, l’une à l’encontre de l’autre, pour la justification de l’honneur de celuy auquel la victoire en demeurera, et sur peine, pour le vaincu, d’estre réputé non noble, luy et sa postérité à jamais, et d’estre privé des droits, prééminences, privilèges et prérogatives dont jouissent et ont accoutumé jouir les nobles de nostre royaume, et autres peines en tels cas accoutumées. Et leur sera nostre présente permission vouloir et intention signifiée par l’un de nos hérauts et rois d’armes… Si donnons en mandement à tous nos justiciers et officiers, etc., car tel est nostre bon plaisir. Donné à Saint-Germain-en-Laye le 11 juin 1547, et de nostre règne le premier. HENRY.
  30. Les rois et hérauts d’armes portaient des noms de provinces ou de villes, tels que Guienne, Bretagne, Angoulème, etc. Les poursuivans d’armes, qui leur servaient d’aides de camp, portaient des noms « de gaillardise, de bonne rencontre ou de mots joyeux, comme Pleinchemin, Joli-Cœur, La Verdure, Claire-Voye, Ver-Luisant, Sans-Mentir, etc. » Le roi d’armes avait deux hérauts sous son commandement ; chacun de ceux-ci, deux poursuivans d’armes.
  31. Pau, pal, signifie pieu, colonne ; c’est un terme de blason.
  32. Carlois, secrétaire du maréchal de Vieilleville.
  33. « Le péril passé, on se moque du saint. »
  34. « Item, voulons et ordonnons que toutes lices de gaige de bataille ayent à sçavoir : quarante pas de large et quatre-vingt pas de long. » (Formulaire déjà cité, art. XVIII.)
  35. Trefe, vieux mot français pour désigner le pavillon du chevalier qui doit combattre en champ clos.
  36. Il était déjà fort tard, et le soleil près de se coucher.
  37. Voyez les Mémoires de Vieilleville.
  38. Charles de Bourbon.
  39. François de Vendôme, vidame de Chartres, premier prince du sang.
  40. Malgré les prières ni les exhortations de François Ier mourant, Henri, aussitôt monté sur le trône, avait rappelé le connétable de Chantilly, où il était, et lui avait donné la position qu’occupait l’amiral d’Annebaut, lequel fut à son tour remercié et éloigné des affaires ; M. d’Aumale avait remplacé au conseil le cardinal de Tournon ; enfin M. de Saint-André était arrivé à la plus grande faveur. Vivonne avait reçu aussi une marque non équivoque de l’amitié de son maître : le roi l’avait nommé colonel-général de l’infanterie française.
  41. Telle était la réputation de la Chasteigneraye comme tireur d’armes, que Brantôme raconte qu’un officier piémontais ayant porté la nouvelle de sa mort dans sa compagnie, un de ses camarades lui donna un démenti, s’écriant « qu’il estait impossible qu’un si vaillant homme et qui avoit les armes si bien en main eust été tué ainsy d’un sien non pareil ! » Ils se battirent, et le porteur de la nouvelle fut occis. “Quelle bizarrerie de ce capitaine ! ajoute Brantôme, et quelle obligation mon oncle lui en debvoit dans l’autre monde ! »
  42. Le formulaire de Philippe le Bel avait tout prévu. On lit en effet, art. XXIII : « Quand tout sera en point…, les conseillers, sans plus attendre, s’en partent, et laissent à chacun combattant sa bouteillette pleine de vin et un pain lié en une touaillette. » Il faut croire qu’on n’oublia point ces précautions, car, je l’ai dit, les préparatifs du combat durèrent toute la journée, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil.
  43. Petite braie ou culotte de mailles en fer.
  44. Ce n’était pas un coup de traître que cette botte, comme on l’a cru à tort et tant répété depuis : en plusieurs rencontres, elle avait été employée et ne pouvait donc pas même être considérée comme une botte bien secrète. Dans le duel entre MM. de Genlis et Des Bordes, qui avait eu lieu aussi à Saint-Germain, M. Des Bordes eut un jarret coupé, dont il demeura estropié et boiteux. Dans une autre rencontre près de Rome, au Monte-Rotondo, un capitaine italien assénait à M. de Bouillon, gentilhomme gascon,un grand coup d’estramaçon sur le jarret, qui le fit tomber sans qu’il pût se relever.
  45. Mme Marguerite de France, depuis duchesse de Savoie. « Cette princesse fut si parfaite en sçavoir et sapience, qu’on lui donna le nom de Minerve de la France. » (Brantôme.)
  46. « Qu’il se pourmenât par le camp, à mode de triomphe, ni trompettes sonnantes, tabourins battans.
    « Item voulons que le vainquent triomphe, s’il n’a essoine (blessure, empêchement) de son corps. » (Formulaire, etc., art. XXIII.)
  47. Brantôme s’avance beaucoup en parlant ainsi. L’opposition, que la disgrâce d’un grand nombre de seigneurs et les destitutions opérées sous l’influence de Diane avaient exaltée, s’était prononcée pour Jarnac. La victoire, dans l’hypothèse qu’aborde Brantôme, eût été pour le moins contestée.
  48. Il existe une requête adressée au roi par Madeleine de Poutguyou, dame de Jarnac, où elle demande justice contre La Chasteigneraye, et supplie sa majesté qu’avant de permettre le duel,j elle autorise une poursuite en calomnie. On ne fit pas droit à cette demande, que l’événement d’ailleurs rondit inutile.
  49. C’est-à-dire dans un tournoi. On fit ce pentamètre, à l’occasion de l’événement, sur Henri, qui était brave comme son père et avait échappé 8 la mort dans bien des combats :
    Quem Mars non rapuit, Martis imago rapit.
  50. On trouve, dans le récit des fêtes qui eurent lieu à la cour en 1581, lors du mariage du duc de Joyeuse avec Mlle de Vaudemont, que Mme de L’Archaut dansa avec M. de Joyeuse.
  51. L’eau froide d’un étang ou d’une rivière. On y jetait le patient pieds et poings liés ; s’il disparaissait, on le déclarait coupable ; s’il surnageait, son innocence était reconnue.
  52. « Les roturiers, dit Favyn, ne pouvoient combattre qu’avec l’escu et le baston simple sans estre ferré ni garny d’aucune alumelle. » Voyez aussi dans Alciat les curieux détails d’un duel judiciaire entre Jacotin Plouvier et Mahuot, deux bourgeois de Valenciennes. Voyez aussi l’ordonnance de l’ancien échiquier de Normandie, et beaucoup d’autres preuves.
  53. « L’an 1100, un duel fut ordonné, par Geoffroy du Magne, évêque d’Angers, entre les moines de L’abbaye de Saint-Serge d’une part et un nommé Engelard avec ses consorts de l’autre. » L’an 1301, par arrêt du parlement de Paris, il est jugé que l’évêque de Saint-Brieux ayant adjugé gage de combat contre l’ordonnance du roi dans l’affaire entre Guillaume de Bois Rousseau et Jehan de Pleuveudrin, qui s’étaient injuriés, ses procédures seraient cassées et annulées, « attendu qu’en matière d’injures il n’écheoit gage de bataille. » (Chron. de Belleforêt et Arrêts des parlemens.
  54. La cour ne permettait les combats, ainsi que nous l’avons dit, que dans quatre circonstances seulement : (Formulaire des combats à outrance, etc.)
    « Premièrement, nous voulons et ordonnons qu’il soit chose notoire, certaine et évidente, que le maléfice soit advenu, et ce signifie l’acte où il apperra évidemment homicide, trahison ou autre vray semblable maléfice par évidente suspicion.
    « Secondement, que le cas soit tel que mort naturels en deust ensuivir, excepté cas de larrecin, auquel gaige de bataille ne chiet point, et ce signifie la clause par quoi peine de mort s’en deust ensuivir.
    « Tiercement, qu’ils ne puissent estre punis autrement que par voye de gaige, et ce signifie la cause en trahison reposte, si que celuy qui l’amoit fait ne se pourroit défendre que par son corps.
    « Quartement, que celuy que on peut appeller soit diffamé du fait par indices ou présomptions semblables à vérité, et ce signifie la cause des indices. »
  55. Le sieur de Treslan, dans son Avis au roy concernant les duels, 1604. — Il est un autre Avis du même auteur sur la présentation de l’édit de sa majesté sur la damnable coutume des duels prononcé au parlement de Toulouse. Les avis et remontrances au roi sur la question des duels furent très fréquens à cette époque. On peut citer sur la matière l’ouvrage de M. de Balagnyn 1612, et le discours de messire Pierre de Fenolliet, évêque de Montpellier, prédicateur ordinaire de sa majesté durant la tenue des états, le 26 janvier 1615.