Voix d’Ionie/Vision de Midi

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Voix d’Ionie
Voix d’IonieMercure de Francele Délire de Tantale ; Pasiphaé ; Galatée ; les Noces d’Atalante ; la Sagesse d’Ulysse ; précédées de quelques poèmes (p. 11-16).
Non vendo nisi amantibus coronas.
(Inscription d'une marchande de fleurs, au Musée de Nîmes.).


La-bas, où la Loire se vêt
d'un manteau d'osiers et de sables,
par la plaine des peupliers
que baigne une brume de fable,
où l'air verdoie et poudroie
du rêve des choses réelles,
nous avons cueilli, à brassée, la joie,
de les savoir si belles !

Là-haut, la causse enflammée
y joignit ses fleurs de lavande ;
par la brèche d'Ardèche embaumée,
sous les branches qui pendent,
ivres encore de l'air des sommets
nous t'apportons en offrande
nos voix, nos fleurs, nos cœurs, nos rêves déclamés,
pour ce frêle éventaire d'aubes, d'ors et de sangs,
élargi devant nous en gloire de couchant,
rieuse Bouquetière que nous aurions aimée,
qui ne vendais, dis-tu, de fleurs qu'aux seuls amants.

Tantôt, sur cette plaine où nous allions descendre,
— double moire nouée en méandres,
blanc rose et bleu clair — fleuve et route
semblaient lier en vastes guirlandes
les bois et les vignes ; or on doute
si ce paysage n'est pas ton œuvre,
Tresseuse d'antiques couronnes:
n'a-t-il ri pour nous seuls le beau fleuve?

et le baiser du vent
n'effleura-t-il nos bouches de lèvres toujours neuves?
Tresse-nous en tes roses qui saignent
tous les bluets du firmament !
— il n'en mentira pas ton enseigne :
Je ne vends mes bouquets qu'aux amants.


Que dis-tu ? Car ton ombre vive
parle et rit sous l'arcade romaine ;
midi pèse, là-bas, au feuillage immobile ;
la rivière en fuyant entraîne
le regard, et mes yeux qui la suivent
se referment comme aux feuillets d'un livre...
Rêvé-je, Fleur de vie?
Voix qui parle et qui raille,
ce flot de joie sans terme m'enlace et me ravit!...
Je m'étais accoudé à même la pierre chaude ;
là-haut, surgie des frondaisons bleu d'émeraude,
rose et d'or la grande arche coupe le ciel bleu tendre;
Voix de la vie, je suis comme ivre de t'entendre:

tu es grave dans le silence radieux,
comme la voix de ceux qui sourient et qui savent,
comme l’accent tremblé des aveux, des adieux…
et tu poses tes mains légères sur mes yeux,
Clarté du bel été :

« Vois ! »… et c’est mieux qu’un rêve et mieux
qu’une réalité :
« Vois ! »… — et je t’écoutais —
« Le jour s’ouvre comme un portail
sur le jardin des heures à vivre ;
c’est calme et tiède comme un mail,
ardent et pur comme un beau livre ;
le vent fait mobile l’espace,
le ciel, là-haut, mire la mer ;
que si ton âme n’est pas lasse,
si ta lèvre n’est pas amère,
tout est pour toi, rayons et roses,
corolles d’or, claires ombelles,
ô Pensée amoureuse des choses ;
Mais les fleurs ne se tendent qu’aux mains éprises d’elle.


Alors j'ai baisé sur la bouche
ta gloire aux lèvres humides
du baiser fécond et farouche
d'Amathonte et de Cnide,
Heure d'or ! qui, posant de tes mains
sur mes tempes en fièvre
ton diadème de jasmin,
offrais à mes lèvres tes lèvres...

Voix claire et parfaite et rieuse,
musique et rayon et parfum,
je t'écoute, en cette ombre d'yeuses,
me redire des rêves défunts;
bien que j'ouvre les yeux et m'éveille
aux bruits d'une vaine journée,
mon rêve à jamais s'émerveille :
comme d'une fleur donnée
par quelque main qui dans l'ombre
fut tiède et légère en la mienne...
Bouquetière, m'as-tu apporté d'outre-tombe
une asphodèle élyséenne?

N'importe! j'en garde le trophée
et je retrouve tes paroles,
cependant que tes doigts de fée
tressent dans l'ombre des corolles :

« Il n'est pas pour tous, le Poème
virtuel et joyeux des saisons
qui courbent en diadème
la floraison des horizons ;
et n'est vive que l'âme qui porte en soi
l'ardeur du rêve qui la crée :
chacun doit mériter sa joie,
la vie est banale et sacrée ;
mais l'Heure dieudonnée est exigeante et belle :
Elle ne tend ses fleurs qu'aux mains éprises d'elle. »