Voyages, aventures et combats/Tome 2 - Chapitre 14

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Alphonse Lebègue, Imprimeur-éditeur (Tomes 1 & 2p. 143-154).

XIV


La Confiance, serrée de près, se débarrasse de toutes ses voiles hormis les huniers, laisse arriver plat vent arrière, assure d’un coup de canon le pavillon anglais hissé en poupe, revient lof sur bâbord, et met en panne.

De son côté la Sibylle, qui ne semble pas ajouter une foi bien entière dans notre prétendue nationalité, fait porter quelques quarts pour nous tenir toujours sous la volée, laisse tomber à l’eau quelques-uns des prétendus ballots qui encombrent les sabords de sa batterie, démasque à nos yeux sa formidable ceinture de canons et vient prendre la panne à bâbord à nous.

À peine les deux navires sont-ils établis sous cette même allure que le capitaine anglais nous demande d’où nous venons, pourquoi nous l’avons approché de si près sous tant de voiles, etc.

L’interprète qui occupe la place de Surcouf tandis que celui-ci, placé à ses côtés, lui souffle ses réponses, répond que nous venons de Londres, que nous avons justement reconnu la Sibylle à son déguisement ; que si nous nous sommes approchés avec tant d’empressement, c’est que nous avions une bonne nouvelle à apprendre à son capitaine.

— Quelle est cette nouvelle ? nous demanda l’Anglais toujours sur ses gardes.

— Celle de votre promotion, commandant, à un grade supérieur. On ne parle que de cela à l’amirauté, il paraît aussi, dit-on, que la Sibylle doit être rappelée sous peu. Mais ceci, je vous le répète, n’est qu’un on-dit, tandis que votre nomination peut être considérée comme une chose officielle.

Cette réponse, transmise par l’interprète avec un imperturbable sang-froid et un ton de conviction parfaitement joué, dénotait de la part de Surcouf une profonde connaissance du cœur humain. En effet, le capitaine de la Sibylle, ébloui par l’annonce de la bonne fortune qui lui arrivait, commença, on put facilement le remarquer à l’expression de son visage, à abandonner ses premiers soupçons. Toutefois, l’habitude du devoir l’emporte encore un instant en lui, et il reprend son interrogatoire :

— Mais pourquoi n’avez-vous pas répondu plus tôt à mes signaux ? hèle-t-il de nouveau.

— D’abord, capitaine, parce que les signaux ont été changés ; ensuite parce que le livre de tactique et les pavillons ont été en partie détruits dans le combat que nous avons eu à soutenir.

— Ah ! quel combat avez-vous donc eu à soutenir ?

— Un terrible s’il en fut jamais, contre un corsaire bordelais que nous avons enlevé à l’abordage sur la côte de Gascogne. Je me suis même permis, capitaine, en vous envoyant les paquets que l’on m’a remis pour vous, d’y joindre deux caisses de bouteilles de cognac provenant d’un second corsaire français qui, après un nouveau et épouvantable combat, est tombé en notre puissance.

— Ah ! très bien, dit le vieux capitaine de la Sibylle, qui, en songeant sans doute au mal que nous avons causé aux Français, et peut-être bien aussi au cognac qu’il va recevoir, sourit agréablement à notre interprète.

Toutefois, le vieux marin est tellement familiarisé avec les devoirs de sa profession qu’il ne peut s’empêcher de s’écrier avec un reste de défiance :

— C’est une chose réellement bizarre comme votre navire ressemble à un corsaire français !

— Mais c’en est un, capitaine ! et un fameux, encore ! celui que nous avons capturé sur la côte de Gascogne. Comme les corsaires de Bordeaux sont les meilleurs marcheurs du monde, nous l’avons préféré à notre bâtiment pour continuer notre voyage. Notre intention est, Dieu aidant, de poursuivre et de prendre Surcouf.

— Un fameux coquin ! s’écria le commandant de la Sibylle.

— À qui le dites-vous ? capitaine. Nous savons qu’il croise en ce moment dans ces parages-ci, et qu’il y cause un tort considérable au commerce anglais… Oh ! nous le prendrons… nous l’avons juré !

Pendant que cette conversation avait lieu entre notre interprète et le capitaine anglais, les hommes du canot commandés par l’enseigne Bléas se mettent tout à coup à pousser des cris de détresse : en effet, leur embarcation, presque toute remplie d’eau, est sur le point de couler.

Nous hélons immédiatement la frégate pour la supplier d’envoyer secourir nos hommes, car nos autres embarcations, encore plus abîmées par les boulets et la mitraille que celle qui coule en ce moment, sont tout à fait hors d’état de tenir la mer.

Comme le sauvetage de naufragés est le plus impérieux et le premier devoir du marin, dans quelque position qu’il se trouve et à quelque nation qu’appartiennent les malheureux en danger, deux grands canots se dirigent immédiatement de la Sibylle pour venir au secours de l’enseigne Bléas et de ses matelots.

— Sauvez seulement nos marins, crie l’interprète. Quant à nous, nous allons courir un bord et les prendre en revenant ainsi que le canot.

Pour courir ce bord, la Confiance laisse tomber sa misaine, hisse ses perroquets, son grand foc, borde sa brigantine et gagne ainsi de l’avant sur la frégate. Ce prétexte trouvé par Surcouf était un trait de génie.

— Messieurs, nous dit-il en laissant joyeusement éclater toute sa joie, voyez donc comme ces Anglais, que nous sommes réellement coupables de ne pas aimer, sont bons garçons !… Les voilà qui aident nos hommes à monter à bord ! Bon ! Voilà Kerenvragne qui a une attaque de nerfs !… Et Bléas… messieurs ! Bléas qui s’évanouit ! Quels charmants drôles !… Je me ressouviendrai d’eux ! Ils ont joué leurs rôles à ravir ! À présent, voici le moment venu de jeter le masque… Nos amis sont sauvés… et nous aussi… Maintenant, attention à la manœuvre… Toutes les voiles dehors ! Oriente au plus près… bouline partout… Et toi, mousse, apporte-moi un cigare allumé.

La brise du large était alors dans toute sa force. Jamais, non, jamais, la Confiance ne se conduisit plus noblement que dans cette circonstance : on eût dit, à voir sa marche rapide, qu’elle avait la conscience du danger auquel nous étions exposés.

Quant à nous, fiers de monter un pareil navire, nous regardions avec une admiration pleine de reconnaissance l’eau filer le long de son bord, écumante et rapide comme la chute d’un torrent.

Aussi, avant que la sibylle ait deviné notre ruse, qu’elle nous ait tiré sa volée, embarqué ses canots et orienté sur nous, sommes-nous presque déjà hors de la portée de ses canons.

La chasse commença aussitôt et dura jusqu’au soir, mais avec un tel avantage en notre faveur que, quand le soleil disparut, nous n’apercevions déjà presque plus

Malgré l’heureuse issue de notre stratagème et la façon presque miraculeuse dont nous avions échappé à l’ennemi, Surcouf n’était pas de bonne humeur ; son cœur souffrait d’avoir été obligé de plier devant l’Anglais, et le sacrifice de l’enseigne Bléas et des gens de l’embarcation lui pesait.

Nous cinglions donc le lendemain de notre rencontre avec la Sibylle, ce jour était le 7 août 1800, vers le Gange, lorsque l’on entendit la vigie du mât de misaine crier :

— Oh ! d’en bas ! oh !

— Holà ! répondit le contremaître du gaillard d’avant en dirigeant tout de suite son regard vers les barres du petit perroquet.

— Navire ! crie de nouveau la vigie.

— Où ?

— Sous le vent à nous, par le bossoir de bâbord, quasi sous le soleil !

— Où gouverne-t-il ?… reprit le contremaître.

— Au nord !

— Est-il gros ? Regarde bien avant de répondre.

— Très gros !

— Eh bien, tant mieux ! dirent les hommes de l’équipage. Les parts de prise seront plus fortes.

L’officier de quart, qui, l’œil et l’oreille au guet, écoutait attentivement ce dialogue, se disposait à faire avertir notre capitaine alors retiré dans sa cabine, lorsque Surcouf, l’ennemi juré de toute formalité et de tout décorum, apparut sur le pont. Surcouf, qui voyait, savait et entendait tout ce qui se passait à bord de la Confiance, s’élança, sa lunette en bandoulière et sans entrer dans aucune explication, sur les barres du petit perroquet. Une fois rendu à son poste d’observation et bien en selle sur les traversins, il braqua sa longue-vue sur l’horizon. L’attention de l’équipage, excitée par la cupidité, se partagea entre la voile en vue et Surcouf.

— Laissez arriver ! mettez le cap dessus ! s’écrie bientôt ce dernier en passant sa longue-vue à M. Drieux.

Un charivari infernal suit cet ordre ; la moitié de l’équipage, qui repose en ce moment dans l’entrepont, se réveille en sursaut, s’habille à la hâte sans trop tenir compte de la décence, et envahit précipitamment les panneaux pour satisfaire sa curiosité ; en un clin d’œil, le pont du navire se couvre de monde : on s’interroge, on se bouscule, on se presse en montant au gréement, chacun veut voir !

Surcouf réunit alors son état-major autour de lui et nous interroge sur nos observations. Ce conseil improvisé ne sert pas à grand-chose. Chacun, officier, maître, matelot, donne tumultueusement son avis ; mais cet avis est en tout point conforme à celui de notre commandant : c’est-à-dire que le navire en vue est à dunette, qu’il est long, bien élevé sur l’eau, bien espacé de mâture ; en un mot, que c’est un vaisseau de guerre de la Compagnie des Indes, qui se rend de Londres au Bengale et qui, en ce moment, court bâbord amure et serre le vent pour nous accoster sous toutes voiles possibles. À présent, ce navire doit-il nous faire monter à l’apogée de la fortune, ou nous jeter, cadavres vivants, sur un affreux ponton ? C’est là un secret que Dieu seul connaît ! N’importe, on risquera la captivité pour acquérir de l’or ! L’or est une si belle chose, quand on sait, comme nous, le dépenser follement.

— Tout le monde sur le pont, hèle Surcouf du haut des barres, où il s’est élancé de nouveau, toutes voiles dehors !

Puis après un silence de quelques secondes :

— Du café, du rhum, du bishop. Faites rafraîchir l’équipage !… Branle-bas général de combat ! ajouta-t-il d’une voix éclatante.

— Branle-bas ! répète en chœur l’équipage avec un enthousiasme indescriptible.

Au commandement de Surcouf, le bastingage s’encombre de sacs et de hamacs, destinés à amortir la mitraille ; les coffres d’armes sont ouverts, les fanaux sourds éclairent de leurs lugubres rayons les soutes aux poudres ; les non-combattants, c’est-à-dire les interprètes, les médecins, les commissaires aux vivres, les domestiques, etc., se préparent à descendre pour approvisionner le tillac de poudre et de boulets, et à recevoir les blessés ; le chirurgien découvre, affreux cauchemar du marin, les instruments d’acier poli ; les panneaux se ferment ; les garde-feu, remplis de gargousses, arrivent à leurs pièces ; les écouvillons et les refouloirs se rangent aux pieds des servants, les bailles de combat s’emplissent d’eau, les boutefeux fument : enfin, toutes les chiques sont renouvelées, chacun est à son poste de combat !

Ces préparatifs terminés, on déjeune. Les rafraîchissements accordés par Surcouf font merveille ; c’est à qui placera un bon mot ; la plus vive gaîté règne à bord ; seulement cette gaîté a quelque chose de nerveux et de fébrile, on y sent l’excitation du combat !

Cependant le vaisseau ennemi, du moins on a mille raisons pour le présumer tel, grandit à vue d’œil et montre bientôt sa carène. On connaît alors sa force apparente, et la Confiance courant à contre-bord l’approche bravement sous un nuage de voiles.

À dix heures, ses batteries sont parfaitement distinctes ; elles forment deux ceintures de fer parallèles de trente-huit canons ! Vingt-six sont en batterie, douze sur son pont !… C’est à faire frémir les plus braves ! Une demi-lieue nous sépare à peine du vaisseau ennemi.

— Mes amis, nous dit Surcouf, dont le regard étincelle d’audace, ce navire appartient à la Compagnie des Indes, et c’est le ciel qui nous l’envoie pour que nous puissions prendre sur lui une revanche de la chasse que nous a donnée hier la Sibylle ! Ce vaisseau, c’est moi qui vous le dis, et je ne vous ai jamais trompés, ne peut nous échapper !… Bientôt il sera à nous : croyez-en ma parole ! Cependant, comme la certitude du succès ne doit pas nous faire méconnaître la prudence, nous allons commencer d’abord par tâcher de savoir si tous ses canons sont vrais ou faux.

Le brave et rusé Breton fait alors diminuer de voiles pour se placer au vent, par son travers, à portée de 18. À peine cette manœuvre est-elle opérée, qu’un insolent et brutal boulet part du bord de l’ennemi pour assurer ses couleurs anglaises. À cette sommation d’avoir à montrer notre nationalité, un silence profond s’établit sur la Confiance.

— Imbécile ! s’écrie Surcouf en haussant les épaules d’un air de pitié et de mépris.

Apostrophant alors l’ennemi comme s’il eut été un adversaire en chair et en os, notre capitaine se met à débiter, avec un entrain et une verve qui faisaient bouillir d’enthousiasme le sang de l’équipage dans ses veines, un discours, en argot maritime, qui est resté comme le chef d’œuvre du genre.

Surcouf parlait encore, lorsque l’Anglais, irrité de notre lenteur à obéir à ses ordres, nous envoya toute sa bordée.

— À la bonne heure donc ! s’écrie notre sublime Breton radieux ; voilà qui s’appelle parler franchement. À présent, mes amis, assez causé. Soyons tout à notre affaire.

Alors après les trois solennels coups de sifflet de rigueur, le maître d’équipage Gilbert commande :

— Chacun à son poste de combat !

Et le silence s’établit partout.

La bordée de l’Anglais nous avait, est-ce la peine de le dire, parfaitement prouvé que les trente-huit canons qui allongeaient leurs gueules menaçantes par ses sabords étaient on ne peut plus véritables et ne cachaient aucune supercherie.

Une chose qui nous surprit au dernier point et nous intrigua vivement fut d’apercevoir sur le pont du vaisseau ennemi un gracieux état-major de charmantes jeunes femmes vêtues avec beaucoup d’élégance et nous regardant, tranquillement abritées sous leurs ombrelles, comme si nous n’étions pour elles qu’un simple objet de curiosité !

Ce vaisseau, malgré les couleurs qui flottaient à son mât, appartenait-il donc à la riche compagnie danoise ? Car le Danemark étant alors en paix avec le monde entier, et protégé par l’Angleterre, à qui il rendait en sous-main tous les services imaginables, ses navires parcouraient librement toutes les mers, surtout celles de l’Inde. Mais alors pourquoi nous avoir envoyé sa bordée ? Probablement parce que, beaucoup plus fort que nous, et nous considérant comme étant en sa puissance, il tenait à rendre un service à l’Angleterre son amie. Cela pouvait être.

D’un autre côté, nous nous demandions si ce n’était pas par hasard un vaisseau trompeur ? Mais non, cela n’est pas probable, car alors, au lieu de faire parade du nombreux équipage qui encombre son pont, il l’aurait en ce cas dissimulé avec le plus grand soin.

— Ah ! nous dit Surcouf, qui partage lui-même nos incertitudes, je croyais ce John-Bull un East-Indiaman… Voici à présent de nombreux officiers de l’armée de terre qui se montrent sur son pont, et rendent cette supposition invraisemblable… Enfin, n’importe, reprend le Breton après un moment de silence en broyant, sans s’en douter, son cigare entre ses dents, qu’il soit ce qu’il voudra, peu nous importe ! L’essentiel, pour le moment, c’est de nous en emparer ! Ainsi donc, hissons le pavillon français en l’assurant d’un coup de canon.

Cet ordre, qui rend le combat inévitable, est exécuté.

Alors Surcouf appelle l’équipage autour de lui, et, je me souviens de ce discours comme si je l’avais entendu prononcer hier, il lui parle ainsi :

— Mes bons, mes braves amis ! vous voyez sous notre grappin, par notre travers, et voguant à contre-bord de nous, le plus beau vaisseau que Dieu ait jamais, dans sa sollicitude, mis à la disposition d’un corsaire français !… Ne pas nous en emparer, et cela vivement, tout de suite, serait méconnaître la bonté et les intentions de la Providence et nous exposer, par la suite, à toutes ses rigueurs. Sachez-le bien, ce portefaix qui nous débine à cette heure contient un chargement d’Europe qui vaut plusieurs millions ! Il est plus fort que nous, direz-vous, j’en conviens ; je vais même plus loin, j’avoue qu’il y aura du poil à haler pour l’amariner. Oui, mais quelle joie quand, après un peu de travail, nous nous partagerons des millions ! Quel retour pour vous à l’île de France ! Les femmes vous accableront tellement d’œillades, d’amour et d’admiration, que vous ne saurez plus à qui répondre… Et quelles bombances ! Ça donne le frisson, rien que d’y penser !

À cette perspective d’un bonheur futur si habilement évoqué, un long murmure s’éleva dans l’équipage. Surcouf reprit :

— Prétendre, mes gars, que nous pouvons lutter avec ce lourdaud-là à coups de canon, c’est ce que je ne ferai pas, car je ne veux pas vous tromper ! Non !… nos pièces de six seraient tout à fait insuffisantes contre ses gros crache-mitraille !… Pas de canonnade donc, car il abuserait de cette bonté de notre part pour nous couler ! Voilà la chose en deux mots : Nous sommes cent trente hommes ici, comme eux sont aussi à peu près cent trente hommes là-bas… Bon ! Or, chacun de vous vaut un peu mieux, je pense, qu’un Anglais ! Vous riez, farceurs… Très bien !… Une fois donc à l’abordage, chacun de vous expédie son English… Rien de plus facile, n’est-ce pas ? D’où il s’ensuivra qu’au bout de cinq minutes il n’y aura plus que nous à bord. Est-ce entendu ?

— Oui, capitaine, s’écrièrent les matelots avec enthousiasme, ça y est ! à l'abordage !…

— Silence donc ! reprit le Breton en apaisant à grands coups de tout ce qui se trouva sous sa main ce tumulte de bon augure. Laissez-moi mettre à profit le temps qui nous reste, avant que nous abordions l’ennemi, pour vous expliquer mes intentions. Une fois que l’on comprend une chose, cette chose va toute seule. Or donc, nous allons rattraper le portefaix en feignant de vouloir le canonner par sa hanche du vent : alors je laisse arriver tout d’un coup, je range la poupe à l’honneur ; puis, revenant tout de suite du lof, je l’aborde par-dessous le vent… pour avoir moins haut à monter ! Quant à ses canons, c’est pas la peine de nous préoccuper de cette misère… Nous sommes trop ras sur l’eau pour les craindre… les boulets passeront par-dessus nous !… À présent, sachez que d’après mes calculs, et je vous gardais cette nouvelle pour la bonne bouche, nos basses vergues descendront à point pour établir deux points de communication entre nous et lui… Ce sera commode au possible ! une vraie promenade. C’est compris et entendu ?

— Oui, capitaine ! s’écria l’équipage.

— Très bien. Vous êtes de bons garçons ! Par-dessus le marché, je vous donne la part du diable pendant deux heures pour tout ce qui ne sera pas de la cargaison.

À cette promesse magnifique, l’équipage ne pouvant plus modérer la joie unie à la reconnaissance qui l’oppressait poussa une clameur immense et frénétique qui dut retentir jusqu’au bout de l’horizon.