La Folle Enchère

La bibliothèque libre.
chez la veuve de Louis Gontier (p. T-84).


LA
FOLLE
ENCHERE,
COMEDIE.
A PARIS,
Chez la Veuve de LOUIS GONTIER
ſur le Quay des Auguſtins, à l’Image
ſaint Loüis.

M. DC. XCI.
AVEC PRIVILEGE DU ROI


PREFACE.

Cette petite Comedie a extrémement diverty tous ceux qui en ont veu les repreſentations, & je me ſuis étonnée moy-même que ſans aucune connoiſſance des regles du Theatre, j’aye pû faire quelque choſe qui ait merité du Public une attention favorable : Mais l’eſprit & le bon ſens ſont les meilleures regles que l’on puiſſe ſuivre ; choiſir un bon ſujet, donner des intereſts preſſans à ſes Perſonnages, faire naiſtre des obſtacles à leurs deſſeins, & ſurmonter ces difficultez. Voilà tout ce que je ſçay, & je ne crois pas qu’il ſoit abſolument beſoin d’en ſçavoir davantage, puis qu’avec cela j’ay trouvé le ſecret de réüſſir, peut-eſtre ſuis-je un peu redevable de cet heureux ſuccés à la maniere dont ma Comedie a eſté repreſentée ; je ſouhaite qu’elle plaiſe autant ſur le papier, que ſur le Theatre, pour me pouvoir flater de n’avoir obligation qu’à moy-même des applaudiſſemens qu’on lui aura donnés.


PRIVILEGE DU ROY.

Par Grace & Privilege du Roy, donné à Verſailles le 18. Janvier 1691. Signé par le Roy en ſon Conſeil, du Gono : Il eſt permis à M* V* de faire imprimer, vendre & debiter, une Piece de Theatre de ſa compoſition, intitulée La Folle Enchere, Comedie, pendant le temps de ſix années, à compter du jour qu’elle ſera imprimée pour la premiere fois, pendant lequel temps faiſons tres-expreſſe inhibition & deffenſe à toutes autres perſonnes de quelque qualité & condition qu’elles ſoient, de faire imprimer, vendre ny debiter par tous les lieux & terres de notre obeïſſance ladite Comedie, à peine de quinze cent livres d’amande payable ſans depoſt par chacun des contrevenants, de confiſcation des exemplaires contrefaits, & de tous dépens, dommages & intereſts, & autres peines portées plus au long par leſdites Lettres de Privilege.

Regiſtré ſur le Livre de la Communauté des Marchands Libraires & Imprimeurs de Paris le 27. Janvier 1691. ſuivant l’Arreſt, &c.

Signé L. AUBOIN, Syndic.
Achevé d’imprimer le 8. Février 1691.

ACTEURS.

MADAME ARGANTE.

ERASTE, fils de Madame Argante

ANGELIQUE, Maiſtreſſe d’Eraſte déguiſée en Cavalier.

LISETTE, Domeſtique de Madame Argante.

MONSIEUR DE BONNEFOY, Notaire.

JASMIN, Laquais de Madame Argante.

MERLIN,
CHAMPAGNE,
LA FLEUR,
Valets d’Eraſte.

La Scene eſt chez Madame Argante.

LA
FOLLE
ENCHERE.

COMEDIE.

Scène PREMIERE.


MERLIN, CHAMPAGNE.


MERLIN.

Hé bien Monſieur Champagne, ou diantre venez-vous, vous n’avez que faire icy.

CHAMPAGNE.

Tu ne me dis pas la moitié des choſes.

MERLIN.

Allez vous-en m’attendre où je vous ay dit.

CHAMPAGNE.

Mais ce Caroſſe.

MERLIN.

Il eſt tout preſt.

CHAMPAGNE.

N’y paſſerai-je point en chemin feſant.

MERLIN.

Non ?

CHAMPAGNE.

Mon bonnet coëffé, mes fontanges.

MERLIN.

Tout l’equipage eſt au logis : Va-t’en boureau, & me laiſſe icy.

CHAMPAGNE.

Si quelque choſe manque, Monſieur s’en prendra à moy.

MERLIN.

Rien ne manquera, je t’en réponds.

CHAMPAGNE.

Adieu donc.

MERLIN.

Il faut prendre la Fleur avec toy.

CHAMPAGNE.

Je l’ameneray.

MERLIN.

Ecoute, écoute, ne t’aviſe pas de laiſſer ta mouſtache au moins.

CHAMPAGNE.

Tu as bien fait de m’en advertir, je l’aurois oublié : Voicy Monſieur, je vais t’attendre de pied ferme.



Scène II.


ERASTE, MERLIN.
ERASTE.

Hé bien, verray-je la fin de tout cecy, Angelique demeurera-t’elle encore long-temps déguiſée ſous les apparences trompeuſes d’un autre ſexe que le ſien, je ſuis dans une impatience…

MERLIN.

Allons bride en main, s’il vous plaiſt, l’impatience la plus violente n’avance pas une affaire du moindre petit moment.

ÉRASTE.

Avec quelle dureté, avec quelle prevention ma mere a refuſé de conſentir à mon mariage, ſans vouloir apprendre meſme ny le nom ny la famille de la perſonne que j’aime.

MERLIN.

Mais en revanche Monſieur, avec quelle fermeté, avec quelle grandeur d’ame vous eſtes-vous reſolu à la fourber.

ÉRASTE.

Quelle raiſon peut-elle avoir euë.

MERLIN.

Monſieur elle veut eſtre jeune, en dépit de la nature, en vous mariant vous la feriez grand mere, & le titre de grand’ mere vieillit ordinairement une femme de quinze bonnes années des plus complettes.

ÉRASTE.

Il faudra bien pourtant…

MERLIN.

Oh aſſeurément il faudra bien qu’elle la devienne, vertu de ma vie, vous n’eſtes ny de taille ny d’humeur à mourir ſans heritiers, je vous connois.

ÉRASTE.

Mon pauvre Merlin, je veux tenter aujourd’huy l’execution de ce que nous avons projetté.

MERLIN.

Il faut ſçavoir auparavant au juſte dans quelle ſituation eſt le cœur de Madame voſtre mere pour le petit Comte ſuppoſé.

ÉRASTE.

Elle l’aime à la fureur, je t’en réponds, Angelique eſt charmante dans ce déguiſement.

MERLIN.

Elle s’y plaiſt aſſez à elle-meſme, & je ne ſçay ſi elle a autant d’empreſſement que vous de le voir finir.

ÉRASTE.

Pour moy je ne puis vivre dans l’incertitude.

MERLIN.

On vous en tirera le plutoſt qu’on poura, Madame voſtre mere ne me ſoupçonne point d’eſtre à vous.

ÉRASTE.

Comment le ſoupçonneroit-elle, nous ne venons jamais chez elle, ny toy ny moy, que quand nous ſommes ſeurs de ne la point trouver.

MERLIN.

C’eſt une étrange mere franchement, & la noble averſion qu’elle a pour vous, merite aſſez la petite friponnerie que nous allons luy faire.

ÉRASTE.

Mais crois-tu que Champagne ait aſſez d’eſprit.

MERLIN.

Comment aſſez d’eſprit, c’eſt un de mes éleves, il fera la fauſſe Marquiſe à merveille, ne vous mettez pas en peine, Liſette eſt dans vos intereſts.

ÉRASTE.

J’ay tout lieu de le préſumer.

MERLIN.

Aſſurez-vous-en, & le Notaire de Madame voſtre mere ?

ÉRASTE.

J’ay vaincu ſes ſcrupules, il ne tient plus qu’à de l’argent.

MERLIN.

Il eſt bon homme.

ÉRASTE.

Le meilleur homme du monde, mais il m’a demandé mille eſcus pour me rendre un ſi bon office.

MERLIN.

Mille écus, c’eſt donner les choſes pour rien, je tireray cette ſomme de Madame voſtre mere, & quelque choſe de plus meſme : comme j’avois préveu que nous aurions beſoin d’argent, j’ay déja pris mes meſures, & la machine eſt toute trouvée : Voicy Liſette.



Scène III.

ÉRASTE, LISETTE, MERLIN.
ÉRASTE.

Je t’attendois avec impatience, hé bien ma chere Liſette peus-tu me rendre un compte exact des ſentimens de ma mere, t’a t’elle ouvert ſon cœur, crois-tu ſa tendreſſe allez forte…

LISETTE.

Cela paſſe l’imagination, & je ne ſçais pas ſi vous ne devriez point faire conſcience d’avoir aidé à la mettre dans l’état où elle eſt.

MERLIN.

Comment conſcience ! une mere, parce qu’elle eſt maîtreſſe de tout le bien, ſe croira en droit de faire enrager Monſieur ſon fils, elle luy refuſera ſon conſentement pour un mariage honneſte : Elle ne voudra luy faire aucunes avances ſur ſa ſucceſſion, & moy qui fais profeſſion d’eſtre le vangeur des injuſtices, je verray cela d’un œil tranquile ; non, je ne feray point ce tort à ma reputation, & la bonne Dame apprendra à ſe connoître en gens ſur ma parole.

LISETTE.

Un de mes étonnemens, eſt qu’elle s’y connoiſſe ſi peu, car enfin quelque bon air qu’ait Mademoiſelle Angelique, quelque peu embaraſſée qu’elle ſoit de ſon déguiſement, une fille n’eſt point faite comme un homme, & je m’appercevrois fort bien de la difference.

MERLIN.

Oh diable, tu es une connoiſſeuſe.

ÉRASTE.

Ma pauvre Liſette, garde-toy bien de rien dire qui puiſſe donner à ma mere aucun ſoupçon de la verité.

LISETTE.

Ne craignez rien, je ſuis bonne perſonne, mais dépeſchez-vous de venir au fait, elle pouroit à la fin s’appercevoir que Monſieur le Comte n’eſt qu’une Comteſſe.

ÉRASTE.

Elle a raiſon, il eſt temps d’agir.

MERLIN.

Agiſſons donc, j’y conſens ; allez avertir Angelique de ſe rendre icy. Le Chevalier de Pharnabaſac veut eſtre payé ; elle ſçait ce que cela ſignifie, pour vous attendez mes ordres chez le Notaire, j’iray vous porter les trois cens Louïs moy-meſme. Adieu, voicy bien-toſt les moments qui decideront de voſtre deſtinée.

ÉRASTE.

Si vous me la rendez heureuſe, je vous promets de la partager avec vous.

MERLIN.

Les belles paroles ne couſtent rien.

ÉRASTE.

Ce ne ſont point de ſimples paroles ; tien Liſette, je ſuis fâché qu’il n’y ait que trente piſtolles dans ma bourſe, mais acheptes-en des fontanges, je te prie.

LISETTE.

Voila le plus heureux préſage du monde.

MERLIN.

Monſieur :

ÉRASTE.

Que veux-tu ?

MERLIN.

Ne trouvez-vous point que j’aurois beſoin d’un petit chapeau.

ÉRASTE.

Je n’auray jamais rien qui ne ſoit à toy ſur ma parole.


Scène IV.

LISETTE, MERLIN.
MERLIN.

Te voila aſſez bien en fontangée, à ce qu’il me ſemble.

LISETTE.

L’aimable petit homme que ton Maître.

MERLIN.

Tu ne l’avois jamais trouvé ſi joly.

LISETTE.

Moy je l’ay toujours aimé d’inclination, il faut ſçavoir tous les ſoins que j’ay pris pour mettre l’eſprit de Madame dans la ſituation dont nous avons beſoin pour le ſuccés de noſtre entrepriſe.

MERLIN.

Et penſes-tu qu’il y ſoit, la parlons ſerieuſement, donne-t’elle de bonne foy dans le parfait amour, eſt-elle bien perſuadée…

LISETTE.

Et comment voudrois-tu qu’elle ne le fut pas, elle eſt vieillote & tres coquette : Un jeune garçon, ou qui paroiſt l’eſtre du moins tout des plus beaux, & des mieux faits, s’attache à luy en conter : elle ſeroit bien ennemie d’elle-meſme ſi elle ne le croyoit pas.

MERLIN.

Tu as raiſon.

LISETTE.

Il luy dit qu’elle eſt jeune & jolie, y a-t’il rien de plus facile à perſuader : elle eſt bien contente d’elle depuis quelque temps.

MERLIN.

Et les miroirs ne troublent-ils point un peu ſon petit contentement.

LISETTE.

Bon les miroirs, je parirois qu’elle s’eſt mis en teſte que le gouſt change pour les viſages, & que les plus ridez deviennent les plus à la mode.

MERLIN.

Mais en effet il y a mille Coquettes à Paris qui n’en portent point d’autres. Venons au fait, eſt-elle prevenuë que Monſieur le Comte dépend d’un pere avare ; fâcheux, violent, imperieux, bouru, capricieux, brutal meſme ; il eſtoit bon d’aller juſque-là.

LISETTE.

Comme je ſçais que c’eſt toy qui dois faire ce pere là, j’en ay fait un portrait le plus impertinent qu’il m’a eſté poſſible.

MERLIN.

Fort bien, luy a-t’on fait entendre que ce pere a une fille qu’il aime tendrement, & qu’il veut abſolument avoir mariée avant que de ſouffrir aucun établiſſement à Monſieur ſon fils.

LISETTE.

Nous ne l’entretenons d’autre choſe.

MERLIN.

Fort bien, c’eſt le nœud de l’affaire : Monſieur le Comte a t’il fait connoître adroitement à Madame Argante qu’il a beſoin d’argent.

LISETTE.

Elle en eſt parfaitement perſuadée, mais la Dame eſt avare, je t’en advertis.

MERLIN.

Il n’importe, elle eſt amoureuſe je te réponds de tout, tu n’as qu’à faire la guerre à l’œil, & à nous ſeconder Champagne & moy.

LISETTE.

Voicy Madame, il ſeroit bon qu’elle ne te viſt pas.

MERLIN.

Cela ne gâtera rien, au contraire j’ay une botte à luy porter.



Scène V.

MADAME ARGANTE, LISETTE, MERLIN.
MADAME ARGANTE.

Ah ma pauvre Liſette, je me meurs de chagrin.

LISETTE.

Comment donc Madame, qu’y a t’il de nouveau.

MADAME ARGANTE.

Je n’en puis plus, je ſuis au deſeſpoir, qui eſt cét homme-là ?

LISETTE.

C’eſt ;

MADAME ARGANTE.

Quoy c’eſt ? que veux-tu mon enfant, qui t’ameine icy ?

MERLIN.

C’eſt ma Maîtreſſe qui m’y envoye Madame.

MADAME ARGANTE.

Et qui eſt-elle t’a maîtreſſe.

MERLIN.

La Marquiſe de la Tribaudiere : Madame, j’apportois un billet de ſa part à Monſieur le Comte.

MADAME ARGANTE.

Un billet à Monſieur le Comte ?

MERLIN.

Ouy, Madame, mais je vais dire à ma maîtreſſe que je ne l’ay point trouvé, & que j’ay eu ſeulement l’honneur de faire la reverence à Madame ſa grand’ mere.

MADAME ARGANTE.

Comment grand’ mere, grand’ mere, moy, moy, grand’ mere ; mais voyez un peu cet inſolent ? eſt-ce que j’ay l’air d’une grand’ mere.

LISETTE.

On ne peut pas ſe méprendre plus groſſierement.

MADAME ARGANTE.

Il ſemble que tout ſoit fait aujourd’huy pour me deſeſperer.

LISETTE.

Que vous eſt-il donc arrivé ?

MADAME ARGANTE.

Je viens de rencontrer le petit Comte dans un caroſſe.

LISETTE.

Hé bien Madame,

MADAME ARGANTE.

Mon coquin de fils eſtoit avec luy.

LISETTE.

Quoy, Madame, eſt-ce qu’ils ſe connoiſſent ?

MADAME ARGANTE.

Je ne crois pas ; mais Eraſte aura ſceu que nous nous aimons, il luy va faire cent ſots contes de moy.

LISETTE.

Oh Madame ! il a trop de reſpect :

MADAME ARGANTE.

Luy du reſpect, c’eſt un petit dénaturé qui ne veut pas que je me marie.

LISETTE.

Le petit ridicule.

MADAME ARGANTE.

Il porte exprés des perruques brunes, & il dit par tout qu’il a trente-cinq ans, pour m’empeſcher de paroiſtre auſſi jeune que je le ſuis.

LISETTE.

Le méchant eſprit, il n’en a pas encore vingt, je gage.

MADAME ARGANTE.

Aſſeurément il ne les a pas, & quand je le fis, j’eſtois ſi jeune, ſi jeune, que c’eſt un miracle que je l’aye fait.

LISETTE.

Et le petit ingrat ne vous ſçait point de gré d’avoir fait un miracle.

MADAME ARGANTE.

Je me vangeray de ſon ingratitude, & je veux me dépeſcher de devenir Comteſſe.

LISETTE.

Vous ne ſçauriez prendre un meilleur party.

MADAME ARGANTE.

Tout ce qui m’inquiete, c’eſt que ce petit Comte eſt bien joly homme, & les jolis gens aujourd’huy ſont rarement ſans beaucoup d’intrigues.

LISETTE.

Et quand il en auroit, Madame, il ne devroit vous en paroiſtre que plus aimable : De bonne foy vous accommoderiez-vous d’un amant qui n’auroit aucun ſacrifice à vous faire.

MADAME ARGANTE.

Non, mais je ne voudrois point un mary qui me ſacrifiât à ſes maîtreſſes.

LISETTE.

Ma foy, Madame, je répondrois bien de celuy-cy, & je mettrois ma main au feu qu’il ne vous fera jamais d’infidelité.

MADAME ARGANTE.

Tu vois qu’on luy envoye des billets juſques chez moy.

LISETTE.

Ce n’eſt pas ſa faute :

MADAME ARGANTE.

Je ſçauray bien des choſes avant qu’il ſoit peu.

LISETTE.

Comment donc Madame ?

MADAME ARGANTE.

Il y a une adroite de par le monde, qui depuis quelques jours prend ſoin d’obſerver ſa conduite.


Scène VI.

MADAME ARGANTE, LISETTE, JASSEMIN.
JASSEMIN.

Voila cette groſſe Madame qui fut hier ſi long-temps avec vous.

MADAME ARGANTE.

C’eſt elle qui vient m’apprendre des nouvelles, demeure icy Liſette, & ſi le Comte vient tu l’amuſeras quelques momens.


Scène VII.

LISETTE, ſeule.

Ouy par ma foy, tout cecy pouroit bien ne pas tourner auſſi heureuſement que Monſieur Merlin ſe l’eſt imaginé ; cette femme eſt ſoupçonneuſe, elle cherche à découvrir quelques intrigues de noſtre petit Comte, & elle découvrira, peut-eſtre qu’il ne luy eſt pas poſſible d’en avoir ; mais le voicy.


Scène VIII.

ANGÉLIQUE en habit d’homme, LISETTE.
ANGÉLIQUE.

Eh ! non, non, mon enfant, dis à ta maîtreſſe que cela ne ſe peut, j’ay d’autres affaires, j’ay d’autres affaires, te dis-je : Voila trente fois que je te le repete, fais-moy le plaiſir de ne me plus importuner.

LISETTE.

Vous vous expliquez cruellement, & vous avez, à ce que je vois, plus de bonnes fortunes que vous n’en voulez.

ANGÉLIQUE.

Ah le fatiguant métier que celuy d’un joly homme, je ne le ſuis qu’en apparence, & je n’ay pas un moment à moy, femmes de robe Maltotieres, femmes de qualité bourgeoiſes, on ne ſçait de quel coſté tourner, il y a la femme d’un Banquier qui me perſecute, & par tout où je ſuis il pleut des griſons & des billets de ſa part.

LISETTE.

Voila de pauvres femmes bien mal adreſſées ? eſt-il poſſible que tant de froideur ne rebute point les unes, ou ne faſſent point ouvrir les yeux aux autres, je m’étonne que quelque ruſée n’en devine point la veritable raiſon.

ANGÉLIQUE.

Parbleu je les défie toutes tant qu’elles ſont de la deviner arrivée depuis trois mois ſeulement de la Province la plus reculée, je n’ay commencé à briller dans le beau monde que ſous ce déguiſement, & de l’air dont je fais le jeune homme, je donne aux yeux les plus penetrans à démeſler que je ne le ſuis pas.

LISETTE.

Ouy pour les airs de nos jeunes gens, vous les prenez tous à merveille, & il ſemble que vous les ayez étudiés toute voſtre vie.

ANGÉLIQUE.

Je les copie d’un bout à l’autre, je n’ay de la complaiſance que pour moy, des égards pour qui que ce ſoit, un palſanbleu ne me coûte rien devant des femmes de qualité, meſme je bruſque de ſang froid la plus jolie perſonne du monde ; Je ſuis inſolent avec les perſonnes de robe, honneſte & civil pour les gens d’épée, pour les Abbez je le deſole, je prens force tabac d’aſſez bonne grace, & je ſerois parfait jeune hõme ſi je pouvois devenir yvrogne.

LISETTE.

Il eſt vray, c’eſt la ſeule choſe qui vous manque ; mais toutes ces perfections ne ſerviront de rien pour voſtre affaire, & Madame Argante eſt peut-eſtre détrompée à l’heure qu’il eſt.

ANGÉLIQUE.

Comment ?

LISETTE.

Elle vous a fait épier, & on luy rend compte de tout.

ANGÉLIQUE.

Ah ! je ſçais ce que c’eſt, ſon eſpion eſt à nous, on ne luy dit rien que Merlin n’ait dicté, & les ſoins qu’elle a pris ne ſerviront qu’à la mieux tromper.

LISETTE.

Cela eſt heureux, elle vient de voir Éraſte avec vous.

ANGÉLIQUE.

Nous l’avons bien voulu :

LISETTE.

C’eſt à dire que nous touchons au dénoument.

ANGÉLIQUE.

Je ne l’enviſage qu’avec frayeur, & j’aurois voulu pouvoir eſtre heureuſe ſans le recours de tous les artifices dont nous nous ſervons.

LISETTE.

Ces bons ſentimens excuſent tout ; c’eſt une belle choſe que l’intention.

ANGÉLIQUE.

Merlin ne va-t’il pas venir.

LISETTE.

Apparemment vous eſtes inſtruite de tout ce que vous avez à faire.

ANGÉLIQUE.

Je ſçais mes roolles par cœur.

LISETTE.

Songez à vous en bien tirer, je crois entendre Madame.

ANGÉLIQUE.

Tu ne me diſois pas qu’elle eſtoit au logis, ſi elle nous avoit écoutées.

LISETTE.

Elle pouroit avoir écouté ſans avoir entendu, la ſalle eſt grande, & la bonne Dame n’a pas l’oreille fine ; mais pour plus de ſeureté cachez-vous un moment, & me laiſſez prendre langue ; dépeſchez viſte, la voicy, elle ne paroiſt pas de bonne humeur.



Scène IX.

MADAME ARGANTE LISETTE.
MADAME ARGANTE.

He bien Liſette, il n’eſt point venu ?

LISETTE.

Non, Madame.

MADAME ARGANTE.

Le ſcelerat, il n’a envoyé perſonne.

LISETTE.

Non, Madame.

MADAME ARGANTE.

Petit monſtre de perfidie !

LISETTE.

Voſtre chagrin eſt encore augmenté.

MADAME ARGANTE.

Tu ſçais les termes où nous en ſommes, & tu vois bien par ſes manieres, qu’il ne tient qu’à moy de l’épouſer.

LISETTE.

Hé bien Madame.

MADAME ARGANTE.

Hé bien Liſette, il eſt dans la meſme diſpoſition pour une douzaine d’autres.

LISETTE.

Pour une douzaine d’autres.

MADAME ARGANTE.

Il y a entr’autres une certaine vieille Marquiſe, avec qui l’on dit qu’il a des engagemens tres-forts.

LISETTE.

Hâtez-vous de le prendre Madame, il vous échappera, vous n’avez point de temps à perdre : Le voicy.

MADAME ARGANTE.

Ah ! ma pauvre Liſette, malgré tout ce qu’on m’en a dit, je n’auray pas la force de le quereller.

LISETTE.

La pauvre femme.



Scène X.

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE, LISETTE.
ANGÉLIQUE.

En verité, Madame, il m’a fallu eſſuyer ce matin une fatigante converſation.

MADAME ARGANTE.

Mon coquin de fils aura parlé, je l’avois bien prévû.

ANGÉLIQUE.

Le déplaiſant animal qu’une vieille amoureuſe.

LISETTE.

Le beau compliment à luy faire.

MADAME ARGANTE.

Elles ne vous paroiſſent pas toutes ſi affreuſes, Monſieur, & certaine Marquiſe entr’autres…

ANGÉLIQUE.

Oüy, Madame, juſtement ; c’eſt une Marquiſe qui m’a tant ennuié. La vieille folle.

LISETTE.

N’eſt-ce point elle qui vous envoye chercher juſques icy.

ANGÉLIQUE.

C’eſt elle-meſme apparemment.

LISETTE.

Je ne ſçais point quel âge elle a, mais ſon valet de chambre prend tout le monde pour des grand-meres : Demandez à Madame.

MADAME ARGANTE.

Tay-toy Liſette, on n’a que faire de ſçavoir ces ſortes de bagatelles.

ANGÉLIQUE.

C’eſt une femme qui me deſole, elle me perd de reputation. Comment, Madame, elle publie par tout que je ſuis amoureux d’elle, que je brûle d’impatience de devenir ſon mary.

MADAME ARGANTE.

Il eſt vray que toute la terre en parle de la meſme maniere.

ANGÉLIQUE.

Ce bruit eſt venu juſqu’à vous.

LISETTE.

Vrayment, vrayment, il nous en eſt venu de bien plus terribles.

ANGÉLIQUE.

Quoy Liſette !

LISETTE.

On a fait entendre à Madame, que vous eſtes le Heros de la coquetterie.

ANGÉLIQUE.

Moy le Heros, j’en ſuis le martyr, & malgré toute la tendreſſe que j’ay pour vous, je ſeray forcé de vous quitter, & d’aller faire le reſte de la Campagne.

MADAME ARGANTE.

Le reſte de la Campagne ; que dites-vous ?

ANGÉLIQUE.

Je ſuis accablé d’avantures ; la pluſ-part des jeunes gens ſont à l’armée, toutes les Coquettes de Paris me tombent ſur les bras.

LISETTE.

Et mort de ma vie qu’elles ſont folles, il y a tant d’autres gens qui ne ſçavent que faire ; & la Robe ne fournit-elle pas d’auſſi jolis hommes que l’Epée, il me ſemble pour moy qu’un jeune Advocat en eſté, vaut encore mieux qu’un vieux Colonel pendant le quartier d’hyver.

ANGÉLIQUE.

Tu as raiſon ; mais les femmes du monde raiſonnent-elles, il n’y a que de l’étoille & du caprice dans tout ce qu’elles font.

LISETTE.

C’est à dire que vous eſtes à preſent l’objet de l’étoille & du caprice.

MADAME ARGANTE.

Monſieur le Comte ne vous en allez point, ſi vous ne voulez me deſeſperer.

ANGÉLIQUE.

Dites-moy donc ce que vous voulez que je faſſe.

LISETTE.

Eh pourquoy, tant heſiter vous vous aimez tous deux ; faut-il faire tant de façons. Un bon mariage dans les formes guérira Madame de ſes ſoupçons, & vous poura mettre à couvert des perſecutions qu’on vous fait.

MADAME ARGANTE.

Vous ne répondez point à cela Monſieur le Comte.

ANGÉLIQUE.

C’eſt à moy d’attendre que je ſçache ce que vous en penſez.

MADAME ARGANTE.

Liſette me paroiſt une fille de fort bon conſeil.

LISETTE.

N’eſt-il pas vray ?

ANGÉLIQUE.

Mais Madame, à moins que cette affaire ne ſoit extremément ſecrette.

MADAME ARGANTE.

Elle le ſera ; j’ay un Notaire qui eſt la diſcretion-meſme : Liſette qu’on faſſe dire à Monſieur de Bonnefoy que je le prie de venir icy.

LISETTE.

Voila l’affaire en bon chemin.



Scène XI.

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE.
MADAME ARGANTE.

Je ne ſçais que penſer Monſieur, vous voulez ménager mes rivales, puiſque vous voulez éviter l’éclat.

ANGÉLIQUE.

Moy, Madame ! je les mépriſe toutes ; mais je vous ay parlé cent fois de l’humeur bizare de mon pere, je crains mille obſtacles de ſa part ; que ſçay-je ſi ſon caprice n’iroit point juſqu’à ne pas ſouffrir ce mariage, quelqu’avantageux qu’il me puiſſe eſtre, s’il ne trouvoit en meſme temps un party conſiderable pour ma ſœur. Vous auriez de la peine à croire quel eſt ſon enteſtement là-deſſus.

MADAME ARGANTE.

Je vous aime trop, je crois tout ce que vous me dites, je veux tout ce que vous voulez ; vous n’auriez pas de gloire à me tromper.



Scène XII.

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE, LISETTE.
LISETTE.

Monſieur, voila un Monſieur de Pharnabaſac qui vous demande.

ANGÉLIQUE.

Pharnabaſac, dis-tu Pharnabaſac.

LISETTE.

Oüy, Monſieur Pharnabaſac.

ANGÉLIQUE.

L’étrange homme que Monſieur de Pharnabaſac, de me venir rendre viſite chez Madame…

MADAME ARGANTE.

Vous eſtes le Maiſtre, qu’il vienne ; vous connoiſſez des noms bien heteroclites Monſieur le Comte.

ANGÉLIQUE.

C’est un joüeur, une eſpece de fripon meſme, je vous l’avouë, avec qui je prévois que j’auray du bruit.

MADAME ARGANTE.

Comment du bruit, gardez-vous en bien ; je devine ce que c’eſt, vous luy devez de l’argent.

ANGÉLIQUE.

Oüy, Madame, une bagatelle, trois cens piſtolles qu’il m’a déja demandées avec une inſolence…

MADAME ARGANTE.

Je le crois bien, à ſon nom ſeul je gagerois que c’eſt un brutal : Le voicy, quelle phiſionomie.



Scène XIII.

MADAME ARGANTE,

ANGÉLIQUE, LISETTE,

MERLIN.


MERLIN, déguiſé.

Bon jour Madame, voſtre valet.

ANGÉLIQUE.

Ah Liſette, Merlin eſt yvre, tout eſt perdu.

MERLIN.

J’entre aſſez librement comme vous voyez, mais c’eſt ma maniere, & de tout temps les Pharnabaſacs ont toûjours eſté ſans façon. Bon jour yvrogne, c’eſt toy que je cherche.

MADAME ARGANTE.

Ce Monſieur le Chevalier vient de faire la débauche.

MERLIN.

Non, Madame, mais j’ay bien dîné, & ma paſſion dominante à moy, c’eſt de rendre des viſites ſerieuſes en ſortant de table.

ANGÉLIQUE.

En verité Monſieur de Pharnabaſac, vous prenez auſſi mal voſtre temps.

MERLIN.

Je prens mal mon temps, dites-vous ; parbleu, mon cher, il me ſemble que pour vuider les petits comptes que nous avons enſemble, je ne te puis mieux joindre que dans cette maiſon.

LISETTE.

Il vient au fait, ne vous effarouchez point.

ANGÉLIQUE.

Comment donc, que voulez-vous dire ; il ſemble que vous preniez Madame pour ma Treſoriere.

MERLIN.

Pourquoy non, ſi elle ne l’eſt pas encore, il ne tiendra qu’à elle de la devenir. Voicy une occaſion des plus favorables, Madame, un petit Gentil-homme d’auſſi bon air, vaut aſſez qu’on faſſe quelque choſe pour luy.

ANGÉLIQUE.

Il eſt yvre, Madame, comme vous voyez.

LISETTE.

Son yvreſſe eſt de bon ſens, laiſſez-le faire.

MADAME ARGANTE.

Je le trouve impertinent dans toutes ſes manieres.

ANGÉLIQUE.

Je vais le bruſquer & l’obliger de ſortir.

MADAME ARGANTE.

Le bruſquer ; non, n’en faites rien.

MERLIN.

Quelle petite converſation avez-vous-là tous trois en voſtre petit particulier ? vous parlez de moy ſur ma parole.

ANGÉLIQUE.

Il faut vous debaraſſer de cét yvrogne.

MERLIN.

Le beau brin de femme, morbleu le beau brin de femme !

ANGÉLIQUE.

Je ne m’attendois point à le voir dans cet état.

LISETTE.

Soûtenez la gageure, vous dis-je.

MERLIN.

Je ſuis dans l’admiration depuis les pieds juſqu’à la teſte.

MADAME ARGANTE.

Il a du bon dans ſes manieres.

MERLIN.

Où ce petit fripon là déterre-t’il les beautez, cette Marquiſe encore, elle eſt druë, elle eſt druë.

ANGÉLIQUE.

Il ne ſçait ce qu’il dit.

MERLIN.

Et à propos de cette Marquiſe, tu n’eſt donc plus dans le gouſt de l’épouſer, voila qui eſt finy, tu as bien fait ſi tu ne l’épouſe pas ; pourtant tu ſeras obligé à de grandes reſtitutions.

MADAME ARGANTE.

Comment, Monſieur, des reſtitutions s’il ne l’épouſe point ; expliquez-vous s’il vous plaiſt.

MERLIN.

Ils auront quelques petits comptes à faire enſemble.

MADAME ARGANTE.

Parlez plus clairement je vous prie.

MERLIN.

Il vous en couſtera quelque millier de piſtolles, pour le tirer, des mains de cette Marquiſe.

MADAME ARGANTE.

Faites-moy comprendre cette enigme Monſieur le Comte ?

ANGÉLIQUE.

Je n’y comprends rien moy-même.

MERLIN.

Il eſt engagé au moins ce jeune homme ; mais baſte, ce n’eſt pas-là ce qui m’amene ; parlons d’autres choſes. Hé bien qu’eſt-ce, ces trois cent piſtolles que tu me dois, n’es-tu point las de me faire attendre, Madame va-t’elle me les compter, veux-tu me donner une lettre de change ſur quelqu’une de tes maîtreſſes ?

MADAME ARGANTE.

Sur quelqu’une de ſes maîtreſſes.

ANGÉLIQUE.

Il fait le mauvais plaiſant, Madame, ſi la patience m’échappe une fois…

MERLIN.

Cela m’eſt indifferent moy, ça dépeſchons, je vous prie, j’ay d’autres affaires : Allons, Madame, de l’argent.

MADAME ARGANTE.

Mais vrayment Monſieur, de Pharnabaſac eſt un voleur de grand chemin.

MERLIN.

Vous pouriez vous énoncer plus civilement Madame, voleur de grand chemin ; & morbleu je ſuis chez vous.

ANGÉLIQUE.

Écoutez Monſieur de Pharnabaſac, vous n’eſtes pas en état qu’on vous parle raiſon, ſi pourtant vous continuez à me fâcher, je vous la feray entendre d’une maniere…

MADAME ARGANTE.

Monſieur le Comte, qu’allez-vous faire ?

MERLIN.

Il eſt violent le petit homme.

LISETTE.

Ils s’égorgeront dans voſtre chambre, ſi vous n’y mettez ordre.

MADAME ARGANTE.

Quel ordre y mettre, à moins de luy donner trois cens piſtolles.

ANGÉLIQUE.

Les luy donner, Madame, j’aimerois mieux mille fois…

LISETTE.

Hé le petit mutin ; Madame il n’y a point d’autre party à prendre.

MERLIN.

Non, s’il vous plaiſt Madame, je ne les veux pas recevoir de voſtre main ; je ne pretends pas qu’on diſe que je ſuis un voleur, mais Monſieur me doit trois cent piſtolles, n’eſt-il pas juſte qu’il me les paye. La verité eſt que ſi je ne les ay tout à l’heure d’une façon ou d’une autre, je vous eſtime & vous reſpecte Madame, je ne veux point faire de bruit dans voſtre maiſon, mais j’auray le plaiſir de le tüer à voſtre porte.

MADAME ARGANTE.

Le plaiſir de le tüer, ah juſte Ciel !

MERLIN.

Je me mocque de tout, moy.

MADAME ARGANTE.

Monſieur de Pharnabaſac, je vais vous chercher de l’argent.

ANGÉLIQUE.

Non, Madame, n’en faites rien ; je vous en conjure.

LISETTE.

Dépeſchez-vous, Madame, ce n’eſt pas luy qu’il en faut croire le petit déterminé.

MADAME ARGANTE.

Monſieur le Comte, venez avec moy.

LISETTE.

Hé allez, allez Madame, ne craignez rien, je les ſepareray s’ils ſe veulent battre.

MERLIN.

Nous battre, & morbleu pourquoy nous battre, puiſque Madame nous accorde.

MADAME ARGANTE.

Vous me promettez d’eſtre ſages.

ANGÉLIQUE.

Je ſouſcris à ce que vous voulez, mais je me fais une terrible violence pour vous obeïr.

LISETTE.

Le petit cœur de lyon, allez viſte, Madame, allez viſte.



Scène XIV.

ANGÉLIQUE, LISETTE, MERLIN.
MERLIN.

Est-elle partie ?

LISETTE.

Oüy.

MERLIN.

Il me ſemble que pour un yvrogne, je me ſuis aſſez bien tiré d’affaires.

ANGÉLIQUE.

Pourquoy donc affecter de le paroiſtre ; tu m’as d’abord fort embaraſſée.

MERLIN.

Pourquoy, Madame, c’eſt une petite fantaiſie qui m’a priſe en venant icy, j’ay plus d’un rôle à joüer dans cette Comedie, & l’air & le ton d’un yvrogne déguiſent parfaitement un viſage.

ANGÉLIQUE.

Où eſt Eraſte ?

MERLIN.

Où vous l’avez laiſſé, chez Monſieur de Bonnefoy, ils m’attendent avec les trois cent piſtolles.

LISETTE.

Sans cela il n’y auroit donc rien à faire !

MERLIN.

Non, mon enfant, point d’argent, point de Notaire ; c’eſt la coûtume de Paris.

ANGÉLIQUE.

Ce commencement n’est pas malheureux.

MERLIN.

La Marquiſe de la Tribaudiere attend que le Chevalier de Pharnabaſac ſoit ſorty pour venir prendre ſa place : Nous ferons faire du chemin à Madame Argante en peu de temps.

ANGÉLIQUE.

J’apprehende qu’elle ne ſe rebute.

MERLIN.

Ne le craignez point, j’ay la pratique, & je connois les femmes ; une jeune perſonne ſe reſoud ſans peine à perdre un Amant dans l’eſpoir d’en faire aiſément un autre, mais une vieille amoureuſe craint de lâcher priſe : Ce ſeroit paſſer pour n’y plus revenir.

LISETTE.

La belle morale.

MERLIN.

Elle eſt bien vraye, ſongez donc…

LISETTE.

Songe toy-même à reprendre ton ſang froid : Voicy Madame.



Scène XV.

MADAME ARGANTE,

ANGÉLIQUE, LISETTE,

MERLIN.
MERLIN.

Ouy, je vous le dis naturellement moy, cette Madame Argante eſt mieux voſtre fait qu’aucune autre, une brave femme, belle, bien faite, jeune avec cela, & qui dans les choſes aſſurément fait voir que……… Ah ! Madame, je vous demande pardon, je diſois librement mes petites penſées à ce petit jeune homme, je ſuis ſans rancune, qu’on me doive de l’argent, je le demande, quand je ſuis payé, je n’en demande plus.

MADAME ARGANTE.

Il y a trois cens Loüis d’or dans cette bource Monſieur…

MERLIN.

Ce ſont des Loüis neufs Madame.

MADAME ARGANTE.

Oüy vrayment.

MERLIN.

Valans douze livres dix ſols piece.

MADAME ARGANTE.

Douze livres dix ſols, je n’en ay point d’autres.

MERLIN.

Il ſeroit mal-honneſte que vous payaſſiez les gens en vieille monnoye, cela ſeroit ſuſpect voyez-vous.

ANGÉLIQUE.

Mon cher Monſieur de Pharnabaſac, finiſſons je vous prie ; vous eſtes content, ſerviteur.

MERLIN.

Voſtre valet, adieu juſqu’au revoir : Voila la plus obligeante perſonne que je connoiſſe.


Scène XVI.

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE, LISETTE.
ANGÉLIQUE.

Je ſuis au deſeſpoir de cette aventure, & tout à fait confus de la maniere dont elle ſe termine.

LISETTE.

Bon, confus, eſt-ce que les jeunes gens d’aujourd’huy rougiſſent de ces ſortes de choſes ; il faut regarder ces trois cent piſtolles, comme un échantillon du preſent de nopces que Madame vous fait.

MADAME ARGANTE.

Monſieur de Bonnefoy va-t’il venir ?

LISETTE.

Un de vos Lacquais eſt allé chez luy, voulez-vous que j’en envoye encore un autre, j’ay autant d’impatience que vous & je voudrois déja que tout fuſt ſigné.

ANGÉLIQUE.

Liſette eſt beaucoup dans mes intereſts.

LISETTE.

Vous ne m’en avez pas toute l’obligation, ce n’eſt que par rapport à Madame ; je ſuis franche comme vous voyez.



Scène XVII.

MADAME ARGANTE

ANGÉLIQUE, LISETTE,

JASMIN.


JASMIN.

Monſieur, il y a là-bas une Dame dans un grand Caroſſe doré, qui vous demande.

MADAME ARGANTE.

Une Dame, qui vous demande !

LISETTE.

Il ſemble que ce ſoit icy le Bureau d’adreſſe.

ANGÉLIQUE.

Une Dame qui me demande ; quel contre-temps !

MADAME ARGANTE.

Que ne diſiez-vous que Monſieur n’y eſtoit pas, petit animal ?

JASMIN.

Oh dame, Madame, je ne ſçavois point que vous ne vouliez pas qu’il y fuſt.

ANGÉLIQUE.

Toutes ſortes de malheurs m’arrivent.

LISETTE.

Ne devinez-vous point qui ſe peut eſtre ?

ANGÉLIQUE.

Cela n’eſt pas difficile, un grand caroſſe doré ; c’eſt la Marquiſe aſſurément.

MADAME ARGANTE.

Cette Marquiſe de la Tribaudiere ?

ANGÉLIQUE.

Oüy, Madame.

JASMIN.

Elle dit que vous vous dépeſchiez de décendre, & que vous ne luy donniez pas la peine de vous venir querir.

ANGÉLIQUE.

Ma pauvre Liſette, il faut que tu ailles luy parler, je te prie.

LISETTE.

Que luy diray-je ?

ANGÉLIQUE.

Tu luy diras…… Il vaut mieux que j’y aille moy-même.

LISETTE.

Elle vous enlevera.

MADAME ARGANTE.

Demeurez icy, Monſieur le Comte.

ANGÉLIQUE.

Hé bien donc, Liſette, tu luy diras…

LISETTE.

Ma foy, vous luy direz vous-même. Elle s’eſt impatientée, je croy que la voicy.

ANGÉLIQUE.

C’eſt elle-même ; comment faire ?

MADAME ARGANTE.

Dépeſchez-vous de la renvoyer.



Scène XVIII.

MADAME ARGANTE,

ANGÉLIQUE, CHAMPAGNE

déguiſé en Marquiſe, LISETTE.
CHAMPAGNE.

Ma bonne Dame, voſtre tres-humble ſervante. Sans ce Gentil-homme qui eſt toûjours chez vous, à ce qu’on dit, je ne vous rendrois pas une viſite auſſi hors d’œuvre, que celles-cy.

LISETTE.

Voila une Marquiſe tout-à-fait honneſte.

ANGÉLIQUE.

Ne la bruſquez point, Madame, c’eſt une extravagante.

MADAME ARGANTE.

J’auray bien de la peine à m’empeſcher de luy dire ſon fait.

CHAMPAGNE.

Hé bien, Monſieur, avez-vous bien-toſt finy ; viendrez-vous ? Voſtre pere & mon neveu le Chevalier Jumeau, nous attendent.

MADAME ARGANTE.

En verité, Madame, vous joüez un étrange perſonnage : Courir ainſi aprés un jeune homme.

CHAMPAGNE.

Comment donc, Madame, qu’eſt-ce que cela ſignifie ; ne doit-il pas eſtre mon mary ce jeune homme ?

MADAME ARGANTE.

Voſtre mary ; luy, voſtre mary ?

LISETTE.

Bon, cela commence fort-bien.

MADAME ARGANTE.

Monſieur le Comte, détrompez Madame s’il vous plaiſt.

ANGÉLIQUE.

La détromper, c’eſt là ſa folie, ne vous l’ay-je pas dit.

CHAMPAGNE.

Parlez Monſieur, parlez, quelles meſures gardez-vous, qui vous empeſchent de dire naturellement la verité.

ANGÉLIQUE.

Que me ſerviroit-il de la dire, Madame, ne vous ay-je pas là-deſſus expliqué cent fois mes penſées ?

MADAME ARGANTE.

Il eſt vray, qu’il faut eſtre étrangement enteſtée de chimeres.

CHAMPAGNE.

Comment de chimères ; vous ſouffrez qu’on m’appelle chimeres, Monſieur.

LISETTE.

Si la converſation s’échauffe, la Marquiſe aura ſur les oreilles.

CHAMPAGNE.

Parlez, Monſieur, parlez, n’ay-je pas la parole de voſtre pere ?

ANGÉLIQUE.

Je veux croire qu’il vous l’a donnée.

MADAME ARGANTE.

Quoy, Monſieur !

ANGÉLIQUE.

C’eſt pour cela que je vous recommandois le ſecret.

CHAMPAGNE.

Voſtre ſœur ne doit-elle pas épouſer mon neveu ?

ANGÉLIQUE.

Il me ſemble que j’en ay oüy parler.

MADAME ARGANTE.

Vous ne m’en avez jamais rien dit.

ANGÉLIQUE.

À quoy bon vous entretenir de ces bagatelles.

CHAMPAGNE.

Ne donnay-je pas à mon neveu, le meilleur & le plus beau de mon bien en faveur de ce mariage.

ANGÉLIQUE.

C’est une condition que mon pere exigeoit de vous.

CHAMPAGNE.

Vrayment, s’il ne l’exigeoit pas, ie me garderois bien de me la faire moy-meſme. Vous devez aprés ſa mort, eſtre le maiſtre de tout ſon bien : N’eſt-il pas juſte qu’il cherche à aſſurer la fortune de voſtre ſœur ?

ANGÉLIQUE.

Mon pere a ſes veuës, Madame, & j’ay les miennes.

MADAME ARGANTE.

Tout ce qu’elle dit eſt donc vray, Monſieur le Comte ?

CHAMPAGNE.

Oüy, Madame, & je ne ſuis point une chimere comme vous voyez.

MADAME ARGANTE.

Pourquoy me faire un myſtere de tout cela.

ANGÉLIQUE.

Par quelle raiſon vous en importuner ; ay-je deſſein de ſacrifier ma tendreſſe aux intereſts de ma ſœur.

CHAMPAGNE.

Ah le dénaturé !

ANGÉLIQUE.

Ne ſuis-je pas preſt à déſobeïr à mon pere.

CHAMPAGNE.

Le petit impie !

ANGÉLIQUE.

Et à faire ſerment à Madame, que je me donneray plûtoſt la mort, que de me ſoûmettre à l’épouſer.

CHAMPAGNE.

L’inſolent, à ma barbe oſer s’expliquer de la ſorte.

LISETTE.

Voila ce qu’on peut appeller un ſacrifice dans les formes.

MADAME ARGANTE.

Je ſuis charmée de ſon procedé.

ANGÉLIQUE.

Que je ne veux aimer que vous ſeule au monde.

CHAMPAGNE.

Et la, la, petit garçon, voſtre pere vous rangera ; donnez-vous patience.

ANGÉLIQUE.

Mon père eſt trop raiſonnable, Madame, pour me forcer d’eſtre la victime d’un enteſtement comme le voſtre.

MADAME ARGANTE.

C’eſt une choſe épouventable, de perſecuter de la ſorte un enfant, que vous voyez bien qui ne vous aime point.

CHAMPAGNE.

Et ſy, ſy, Madame, vous devriez rougir de me le débaucher comme vous faites.

MADAME ARGANTE.

De vous le débaucher, Madame, de quels termes vous ſervez-vous, s’il vous plaiſt ?

CHAMPAGNE.

Je me ſert de termes qui conviennent fort au ſujet.

MADAME ARGANTE.

Je pourrois bien me ſervir de la ſeule maniere qu’il y a d’y répondre.

ANGÉLIQUE.

Ah Madame !

LISETTE.

Ne vous emportez point, Madame, Monſieur le Comte vous vangera luy-meſme, & Madame ſera aſſez punie de ne le point épouſer.

CHAMPAGNE.

Je ne l’épouſerois pas moy, j’auray tout fait pour luy : Dis le contraire, petit ingrat, dis le contraire. Argent comptant, pierreries, & ma vaiſſelle-meſme. J’ay ſacrifié tout à tes folles dépenſes, & je te ſouffrirois aprés cela dans les bras d’une autre.

ANGÉLIQUE.

Hé bien, Madame, ſont-ce là des titres pour me forcer à devenir voſtre époux malgré moy ?

LISETTE.

Bon, ſi on épouſoit d’obligation toutes celles qui font ces extravagances, il y a mille jeunes gens qui auroient plus d’une douzaine de femmes.

CHAMPAGNE.

Je n’ay perſonne icy dans mes intereſts, mais ton pere me fera raiſon de tes perfidies, je vais te l’amener, tu n’as qu’à l’attendre, tu n’as qu’à l’attendre.



Scène XIX.

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE, LISETTE.
LISETTE.

Nous amener Monſieur voſtre pere, quelle aubade ! on dit que c’eſt l’homme du monde le plus extraordinaire.

ANGÉLIQUE.

Voila ce que j’apprehendois le plus, je vous l’avouë.

MADAME ARGANTE.

Quelles meſures prendrons-nous ?

ANGÉLIQUE.

Je ne ſçais où j’en ſuis.

LISETTE.

Il n’y a rien de plus embaraſſant.

MADAME ARGANTE.

Ne peut-on point trouver quelque moyen ?

ANGÉLIQUE.

Cherche, invente, ma pauvre Liſette.

LISETTE.

Attendez.

MADAME ARGANTE.

As-tu imaginé quelque choſe ?

LISETTE.

Il me roulle de petits projets dans la teſte : un peu de patience.

MADAME ARGANTE.

Dis nous viſte ce que c’eſt.

LISETTE.

Dites-moy un peu avant toutes choſes, Monſieur voſtre père eſt-il fort enteſté de cette Marquiſe ?

ANGÉLIQUE.

On ne peut pas plus ; mais ſeulement à cauſe de ma ſœur & de ce neveu qui doit l’épouſer.

LISETTE.

Et du bien que la tante aſſure au neveu.

ANGÉLIQUE.

Juſtement.

LISETTE.

Nous ne reduirons jamais ce pere-là.

MADAME ARGANTE.

Par quelle raiſon ?

LISETTE.

Par la raiſon que vous n’avez point de neveu à donner à ſa fille. Si Monſieur voſtre fils eſtoit un garçon à faire les choſes de bonne grace encore on pouroit raiſonner ſur ce principe : Je crois que le voicy ; c’eſt le hazard qui vous l’amene.

MADAME ARGANTE.

Sa viſite me peine autant que celle de la Marquiſe.



Scène XX.

MADAME ARGANTE,

ANGÉLIQUE, ÉRASTE,

LISETTE.
ÉRASTE.

Il court un bruit dans le monde, Madame, qui ne me paroiſt point étrange, & je me ſuis toûjours attendu… Mais que vois-je, ſeroit-ce là le beau-pere que vous me deſtinez.

ANGÉLIQUE.

Eſt-ce vous, Éraſte, qui eſtes le fils de Madame ?

MADAME ARGANTE.

Que cela ne vous ſurprenne point, quoyqu’il paroiſſe déja formé, il n’y a rien de plus jeune.

LISETTE.

Et quoyque Madame ſoit ſa mere, elle eſt pourtant auſſi jeune que Monſieur ſon fils.

ÉRASTE.

Vous faites un bon choix, Madame, je n’auray pas lieu de m’en plaindre apparemment, & le Comte eſt trop gros Seigneur, pour ſe laiſſer gouverner par l’intereſt.

MADAME ARGANTE.

Tant que vous ſerez raiſonnable, je ne chercheray point à vous chagriner.

ÉRASTE.

J’ay tout lieu de le croire ainſi ; mais la Marquiſe, Comte, que dira-t’elle ? Vous ne connoiſſez peut-eſtre pas cette Marquiſe, Madame, c’eſt une terrible femme, & qui a de grandes pretentions ſur Monſieur le Comte.

LISETTE.

Nous ne la connoiſſons pas, elle ſort d’icy, & Madame voſtre mere aura grand beſoin de vous dans cette affaire.

ÉRASTE.

Il n’y aura rien que je ne faſſe pour l’obliger.

MADAME ARGANTE.

C’eſt une folle qui ne ſçait ce qu’elle dit…

LISETTE.

Ma foy, Madame, s’il ne conſent à épouſer la ſœur, le frere ne ſera point pour vous, ſur ma parole.

MADAME ARGANTE.

Mais à moins que ce ne ſoit une neceſſité indiſpenſable…

LISETTE.

Mais outre la neceſſité, Madame, en le mariant de cette maniere, vous n’aurez pas le chagrin que de petits marmots vous appellent ma grand’ maman, & les enfans de Monſieur voſtre fils, ne ſeront que vos neveux.

MADAME ARGANTE.

Tu as raiſon.

LISETTE.

La rencontre eſt tout à fait heureuſe ; il faut qu’il prenne la place du neveu, vous dis-je.

ÉRASTE.

Qu’eſt-ce que la place du neveu, que veux-tu dire ?

LISETTE.

Oüy, du neveu de Madame de la Tribaudiere, par exemple : Il faudroit que vous priſſiez la peine d’épouſer une fort aimable perſonne, qui eſt la ſœur de Monſieur le Comte.

ÉRASTE.

La ſœur du Comte !

LISETTE.

Eſt-ce que vous la connoiſſez ?

ÉRASTE.

Si je la connois !

LISETTE.

Et vous auriez la bonté d’agréer que dans le Contract, Madame voſtre mere vous fiſt une donnation de ſon bien comme à ſon beau-frere ; auriez-vous bien la force de vous y reſoudre ?

ÉRASTE.

Pour faire plaiſir à Madame, je feray tout ce qu’elle voudra.

LISETTE.

Quelle ſoumiſſion !

ANGÉLIQUE.

Ah ! voicy la Marquiſe avec mon pere.



Scène XXI.

MADAME ARGANTE,

ANGÉLIQUE, ÉRASTE, LISETTE, MERLIN déguiſé en vieillard, CHAMPAGNE

déguiſé en Marquiſe.
MERLIN.

He bien, qu’eſt-ce, où eſt-il ce jeune homme ; & morbleu, Madame, n’ayons point de bruit enſemble : Preſtez-moy mon fils pour une demie heure.

MADAME ARGANTE.

Que je vous le preſte, Monſieur, je ne ſçais pas de quels mauvais contes Madame de la Tribaudiere vous a prévenu.

CHAMPAGNE.

Je vous avois bien dit, que je l’amenerois.

MADAME ARGANTE.

Mais je ne ſuis pas cauſe de tout le mépris que Monſieur voſtre fils a pour elle.

CHAMPAGNE.

Vous voyez, Monſieur, comme on me traitte.

MERLIN.

Le mépris ne fait rien à la choſe, Madame, qu’on ſe mépriſe, qu’on ſe deteſte, on ne laiſſe pas ſouvent de s’épouſer. On en vit enſemble plus commodément : Allons, petit drôle, qu’on ſe range à ſon devoir.

ANGÉLIQUE.

Hé de grace, mon pere !

MERLIN.

Tu l’épouſeras.

ANGÉLIQUE.

Ne forcez point mon inclination.

MADAME ARGANTE.

Je ne luy fais pas dire comme vous voyez.

MERLIN.

Il l’épouſera, Madame, ou je ne ſuis pas ſon pere.

MADAME ARGANTE.

Ne vous rendez pas, Monſieur le Comte.

MERLIN.

Voicy tout à propos Monſieur de Bonnefoy mon Notaire, comme ſi je l’avois mandé.

LISETTE.

Voſtre Notaire Monſieur de Bonnefoy : c’eſt bien le noſtre s’il vous plaiſt. L’affaire eſt en bon train, ne fait point trop le difficile.

MERLIN.

Tout ira bien, ne te mets pas en peine.



Scène XXII.

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE,

ÉRASTE, LISETTE, MERLIN, CHAMPAGNE, MONSIEUR

DE BONNEFOY.
MONSIEUR DE BONNEFOY.

À toute l’honnorable compagnie preſente & avenir ; Salut.

MERLIN.

Approchez Monſieur de Bonnefoy, approchez.

MADAME ARGANTE.

Comment, Monſieur, que voulez-vous faire.

M. DE BONNEFOY.

J’allois paſſer chez vous en ſortant d’icy, Monſieur. J’ay ſur moy vos Contracts tout dreſſez, n’y a que les noms qui ſont en blanc.

MERLIN.

Nous ne tarderons pas à les remplir : avec voſtre permiſſion, Madame.

MADAME ARGANTE.

Comment, Monſieur, vous prétendez paſſer vos Contracts dans ma maiſon ? je ne comprends rien à tout voſtre procedé.

MERLIN.

Cela ſera fait dans un petit moment.

MADAME ARGANTE.

Monſieur de Bonneſoy, je déchireray vos papiers.

ANGÉLIQUE.

Hé laiſſez-le faire, Madame, je me tueray plûtoſt que de rien ſigner contre mon ſentiment.

MERLIN.

Oüais, mais voicy un petit fripon, qui devient bien rétif.

CHAMPAGNE.

Vous en étonnez-vous ; c’eſt Madame qui le gaſte.

ANGÉLIQUE.

Hé, mon pere ! rendez juſtice à voſtre choix & au mien ; examinez Madame la Marquiſe ; je luy demande pardon de parler ainſi devant elle : mais enfin, elle m’y reduit ; voyez ſon air & ſes manieres, & regardez ſans prévention les charmes de Madame.

MADAME ARGANTE.

Sans vanité, il y a quelque difference.

MERLIN.

Oüy, Madame de la Tribaudiere a le viſage plus maſle à ce qu’il me ſemble.

ANGÉLIQUE.

Si vous m’avez donné la vie, ne me la rendez point inſuportable.

MERLIN.

Il m’attendrit.

LISETTE.

Courage, Monſieur.

ANGÉLIQUE.

Et ne me contraignez point à la paſſer avec une perſonne que je ne puis ſouffrir.

MADAME ARGANTE.

Qu’il s’énonce agreablement.

MERLIN.

Oüy, vrayment, il s’explique net, qu’en dites-vous ?

CHAMPAGNE.

Je dis que tout cela ne m’étonne point : Vous me l’avez promis, je le veux avoir, ou voſtre fille n’aura ny mon bien, ny mon neveu.

MERLIN.

Ah ! vous l’aurez, Madame, vous l’aurez. Allons, allons, Monſieur de Bonnefoy, j’ay donné ma parole : Elle eſt inviolable. Écrivez.

MADAME ARGANTE.

Il fera bien d’aller écrire dans la ruë.

ANGÉLIQUE.

Hé bien, mon pere, ſi l’établiſſement de ma ſœur eſt une choſe où vous ſoyez ſi ſenſible, il ſe rencontre icy une avanture merveilleuſe.

MERLIN.

Comment ?

ANGÉLIQUE.

Ma ſœur aime tendrement le fils de Madame que vous voyez.

MERLIN.

Ma fille aime Monſieur.

ANGÉLIQUE.

Oüy, mon pere, & Monſieur eſt paſſionnément amoureux d’elle.

MERLIN.

Oüy, mais voicy un amour bien prompt, je n’en avois jamais oüy parler.

MADAME ARGANTE.

Ny moy non plus, vrayment.

ÉRASTE.

Il y a quelque temps, Madame, que je voulus vous ouvrir là-deſſus mon cœur, vous ne voulûtes pas m’écouter.

MADAME ARGANTE.

Quoy, c’eſtoit elle !…

ÉRASTE.

Elle-meſme, Madame, nous en avons parlé cent fois le Comte & moy, ſans qu’il ſçût ce que je vous ſuis. Comme j’ignorois les engagemens où il eſtoit avec vous.

MERLIN.

Je ne m’étonne pas que vous les ayez rencontrés tantoſt enſemble.

MADAME ARGANTE.

Mais, vrayment, cela eſt tout-à-fait extraordinaire.

MERLIN.

Voila des incidens qui veulent dire quelque choſe, Madame la Marquiſe.

CHAMPAGNE.

Ce ne ſont que des chanſons, mais que Madame faſſe pour Monſieur ſon fils, ce que je ſuis preſte à faire pour mon neveu. Je luy donne ſoixante mille écus en faveur de ce mariage.

LISETTE.

Soixante mille écus.

ANGÉLIQUE.

Si jamais je vous fus cher, Madame, il eſt temps de vous declarer.

MERLIN.

Allons, à ſoixante mille écus ce jeune homme.

MADAME ARGANTE.

Et moy je donne deux cent mille francs à Éraſte.

ÉRASTE.

Que j’ay de graces à vous rendre.

MERLIN.

À deux cent mille francs, une fois deux fois, à deux cent mille francs.

ÉRASTE.

Allons, Monſieur de Bonnefoy, rempliſſez du nom de Madame ; & marquez bien les deux cent mille francs.

CHAMPAGNE.

Il me reſte pour deux mille écus.

MERLIN.

Attendez, Monſieur, voicy une enchere. Hé bien, Madame.

CHAMPAGNE.

Oüy, j’ay encore pour deux mille écus de pierreries, que je m’oblige de donner à voſtre fille.

LISETTE.

Allons, ferme, Madame, il ne faut point laiſſer aller un ſi bon marché pour ſi peu de choſe.

MERLIN.

À deux cent ſix mille ſix cent livres à cauſe de la paſſe des écus.

MADAME ARGANTE.

J’en ay pour plus de vingt mille livres, dont je luy donne la moitié.

MERLIN.

À deux cent dix mille livres une fois, deux fois, à deux cent dix mille livres. Écrivez, Monſieur de Bonnefoy ; adjugé à la plus offrante. Ne voudriez-vous point y mettre quelque choſe de plus ?

CHAMPAGNE.

Oüy, Monſieur, c’eſt ainſi que vous me tenez ce que vous m’avez promis.

MERLIN.

Que voulez-vous que je faſſe, Madame ? je ſuis engagé de parole avec vous, j’en demeure d’accord ; mais vous ſçavez que depuis quelque temps, la parole eſt l’eſclave de l’intereſt.

CHAMPAGNE.

Vous n’eſtes pas encore où vous penſez ; je l’auray mort ou vif, & le Chevalier Jumeau mon neveu, n’eſt pas homme à ſouffrir qu’on faſſe un affront de la ſorte à ſa tante de la Tribaudiere.


Scène XXII.

ÉRASTE, LISETTE, MERLIN,

MADAME ARGANTE, ANGÉLIQUE, MONSIEUR

DE BONNE FOY.
ÉRASTE.

Elle ſort fort irritée.

LISETTE.

Vous voila maiſtreſſe du champ de bataille.

MERLIN.

Vous voyez, comme je rends juſtice au merite.

MADAME ARGANTE.

Je n’ay fait tout cecy que pour vous, Monſieur le Comte.

ANGÉLIQUE.

J’y prends autant de part qu’Eraſte, je vous aſſure.

M. DE BONNEFOY.

Il n’y a plus qu’à ſigner.

MADAME ARGANTE.

Allons, Monſieur.

M. DE BONNEFOY.

Non, Madame, ſignez s’il vous plaiſt. Ces Meſſieurs ne ſigneront qu’aprés la fille.

MERLIN.

Oüy, Madame, c’eſt la regle.

MADAME ARGANTE.

Vous ſçavez mieux ces choſes que moi.

MERLIN.

Voila une maladie qui m’a bien donné de la peine. Hé bien, Monſieur, cela eſt-il dans les formes ?

M. DE BONNEFOY.

Il n’eſt plus queſtion maintenant…

MERLIN.

Je vous entends. Hola, Comte accompagnez Monſieur jusqu’au logis ; faites ſigner voſtre ſœur, & l’amenez icy.

MADAME ARGANTE.

Il vaut mieux que nous l’allions trouver tous enſemble.

MERLIN.

Tous enſemble, Madame, non pas s’il vous plaiſt : il y a de certaines bien-ſeances qu’il eſt bon d’obſerver. Je ſuis rigide en diable moy ſur les bien-ſeances.

LISETTE.

Ne vous a t’on pas dit que c’eſtoit l’homme du monde le plus bizarre, & le plus capricieux : laiſſez-le faire de peur de quelque inconvenient.

MADAME ARGANTE.

Il faut vouloir ce que vous voulez ; mais ne tardez pas, Monſieur le Comte.

ANGÉLIQUE.

Je ſeray de retour dans un moment.



Scène XXIII.

MERLIN, LISETTE, ÉRASTE, MADAME ARGANTE.
MERLIN.

Voila un petit drôle aſſez bien tourné au moins.

LISETTE.

On n’a que faire de nous le dire.

MERLIN.

Vous n’avez jamais vû ſa ſœur ?

MADAME ARGANTE.

Non, jamais.

MERLIN.

C’eſt encore un petit charme : Elle luy reſſemble comme deux gouttes d’eau. N’eſt-il pas vray ?

ÉRASTE.

C’eſt la plus adorable perſonne du monde, & je ne ſçais, Monſieur, comment vous exprimer…

MERLIN.

Le plus joly eſprit, vous ſerez charmée d’avoir une belle-ſœur comme elle : car il ne faudra pas la nommer voſtre bru.

MADAME ARGANTE.

Non, vrayment.

MERLIN.

Et je ne prétends pas qu’elle vous appelle ſa belle-mere.

LISETTE.

Cela ſeroit ridicule.

MERLIN.

Le terme de belle-ſœur a quelque choſe de bien plus agreable à l’oreille.

MADAME ARGANTE.

Cela me paroiſt ainſi.

MERLIN.

Il y a quelque choſe de trop ſerieux dans l’autre.

MADAME ARGANTE.

Vous avez raiſon. Que veut cét homme ?



Scène XXIV.

MERLIN, LA FLEUR,

MADAME ARGANTE,

LISETTE, ÉRASTE.


MERLIN.

C’eſt mon Page, Madame, le voila bien éſoufflé.

LA FLEUR.

Ah, Monſieur !

MERLIN.

Qu’as-tu.

LA FLEUR.

Monſieur.

MAD. ARGANTE.

Qu’eſt-ce qu’il y a ?

LA FLEUR.

Madame de la Tribaudiere.

MERLIN.

Qu’a-t’elle fait ?

LA FLEUR.

Elle enleve Monſieur le Comte.

MAD. ARGANTE.

Elle enleve Monſieur le Comte.

LISETTE.

L’effrontée, enlever un homme.

LA FLEUR.

Elle a le diable au corps ; elle enleve auſſi le Notaire. Elle les guettoit au ſortir d’icy.

MERLIN.

Madame de la Tribaudiere enleve mon enfant. Elle l’épouſera.

MADAME ARGANTE.

Comment, Monſieur, elle l’épouſera ?

MERLIN.

Eſt-ce que vous voudriez l’épouſer, vous, aprés un tel affront.

MADAME ARGANTE.

Cela ne deſ-honnore point un jeune homme : il faut faire vos diligences.

MERLIN.

Elles ſeroient inutiles, Madame, cette Madame de la Tribaudiere eſt une étrange femme, & je crains bien qu’on n’ait jamais aucunes nouvelles, ny d’elle, ny de mon fils.

MAD. ARGANTE.

Ah juſte Ciel, que dites-vous !

MERLIN.

Et je ſuis ſi deſeſperé moy-meſme, que je crois qu’on n’entendra jamais parler du pere.

MAD. ARGANTE.

Je meurs de chagrin, ne m’abandonne pas, Liſette ; je vais faire informer de tout cecy.

MERLIN.

Elle aura peine à trouver des témoins.

ÉRASTE.

Que je crains ſon reſſentiment quand elle ſera détrompée.

MERLIN.

Il faudra bien qu’elle prenne patience ; ne ſongez qu’à voſtre bonheur. Vous allez poſſeder Angelique, vous devez eſtre content : Je voudrois de tout mon cœur que la compagnie le fuſt auſſi.

FIN.