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Les Nouveaux Droits de la femme musulmane

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Les Nouveaux Droits de la femme musulmane
E. J. Brill (p. 338-343).


OLGA DE LÉBÉDEW.




LES NOUVEAUX DROITS DE LA FEMME MUSULMANE.
(Vorgelesen von Herrn Ign. Goldziher.)




Au dernier Congrès, que vous avez tenu à Rome, j’ai eu l’honneur de vous parler de la nécessité de relever les droits et la position sociale de la femme musulmane.

J’avais eu, pour cela, recours à l’histoire et je vous avais entretenu de la situation privilégiée des femmes arabes aux temps déjà lointains où la civilisation islamique était à son apogée.

Aujourd’hui je désire vous parler des progrès qu’a faits dans la vie intellectuelle et dans l’opinion des musulmans eux-mêmes, l’émancipation de leurs femmes ; et ceci est, à mon avis, un phénomène bien autrement important que la fortuite apparition dans le monde musulman de quelque femme civilisée et instruite.

De nos jours, c’est l’Égypte qui peut se dire le pays musulman le plus éclairé.

Grâce à son célèbre collège El-Ezhar, où affluent les étudiants de tous les points de l’Orient, elle est devenue le centre religieux des pays musulmans. Grâce aussi à l’influence anglaise et à l’usage de la langue arabe, langue mère de tous les orientaux lettrés, elle peut prétendre à être le centre intellectuel de ces pays. Il en résulte donc naturellement que tous les essais de réforme opérés dans la législation musulmane, proviennent du pays des Pharaons.

Sans nous appesantir sur tous les moyens employés jusqu’ici pour tirer la femme musulmane de sa position vraiment servile, je me bornerai à vous dire un mot des efforts qui, en ces derniers temps, ont été le plus efficacement tentés dans ce but, et de quelques changements survenus à ce sujet dans la législation même. Je veux parler des tentatives de Kassime Émine Bey, qui s’est fait un grand nom comme législateur musulman, et qui travaille au même but que nous-mêmes, je veux dire à l’émancipation de la femme musulmane.

Nous espérons que son dernier livre, intitulé « La femme nouvelle », aura pour effet d’améliorer la position de la femme et d’apporter par là un progrès dans la société musulmane.

Kassime Émine Bey a entrepris de libérer la femme de l’esclavage et de l’ignorance dans lesquels elle végète en ce moment et de rapprocher ainsi la conception de la famille chez les mahométans de celles, si différentes, que s’en font les Européens. Il a formé dans ce but un cercle de musulmans civilisés qui l’aident à propager ses idées. Il a publié plusieurs brochures qui sont consacrées à cette question et il a fondé quelques journaux qui vulgarisent la manière toute nouvelle dont il entend le rôle de la femme et ses devoirs dans la famille et envers la société.

Selon lui, la triste position de la femme est due à la législation musulmane qui ne lui reconnaît presque aucun des droits humains ; la femme mariée dépend (comme vous le savez) entièrement de son mari, et la jeune fille est une créature serve de son père ou de son frère aîné.

La femme musulmane n’est donc jamais libre, à quelque moment de sa vie qu’on la considère.

Les législateurs musulmans l’ont faite esclave ; elle est demeurée telle.

Cela fait dire à Kassime Émine Bey que le droit musulman n’a jamais connu la famille dans le vrai sens de ce mot, et n’a jamais compris le rôle important qu’elle doit jouer dans la société et dans l’État. Prenez, dit-il, un livre de jurisprudence musulmane, quel qu’il soit ; lisez-le : vous n’y trouverez pas un mot sur la famille et sur la place qu’elle doit occuper dans la construction de la société.

La célèbre « Préface » d’Ibn Khaldoun lui-même, est muette à ce sujet. Comme si la famille n’était pas le fondement de toute société !

Il s’en suit que la législation musulmane est bien loin d’atteindre à la perfection ; et de cela, du reste, nos légistes et tous les musulmans civilisés sont persuadés. S’il est vrai, — ajoute notre auteur, — que la civilisation musulmane s’est développée et a disparu avant la découverte des vrais principes des sciences modernes et surtout avant la naissance des sciences sociales, comment s’imaginer que cette sorte de civilisation puisse être un idéal de perfection sociale ?

Comment oser prétendre que nous autres, musulmans, nous n’avons rien à emprunter aux Européens ? Nous ne voulons nullement amoindrir la gloire de nos ancêtres et nier l’importance des progrès qu’ils ont faits dans la science ; mais il serait impardonnable de persister dans nos erreurs et de croire que les premiers musulmans sont arrivés à la perfection. Disons à ce propos ce vers du célèbre Motenébbi : Aucun défaut n’est comparable à l’imperfection de celui qui aurait pu être parfait.

Tout musulman — continue Kassime Émine — doit étudier l’histoire de l’ancienne culture musulmane puisqu’elle sert de base à notre civilisation actuelle, mais il n’est que juste de convenir que bien des principes de cette ancienne culture ont fait leur temps, ne s’adaptent plus aux conditions de la vie moderne, et que même beaucoup de nos institutions reposent sur de faux principes. Si nous jetons un regard rétrospectif sur la vie de famille de nos ancêtres, nous verrons qu’elle a toujours été anormale. Par exemple, pour conclure un mariage il suffisait au mari d’avoir deux témoins ; pour divorcer, au contraire, aucun témoin n’était nécessaire. On se séparait souvent de sa femme sans la moindre raison valable et l’on se remariait autant de fois que l’on voulait, sans même se conformer aux exigences pourtant peu compliquées du Koran.

Cela se faisait dans les commencements de l’Islam et cela continue d’exister de nos jours, mais aucun de nos administrateurs ou de nos légistes ne pense à mettre fin à ce mal révoltant, qui contribue à la dispersion et à la destruction de la famille musulmane.

Ces faits amènent Kassime Émine Bey à conclure que la législation de l’Europe chrétienne concernant la famille et que la famille européenne elle même se trouvent à un niveau incomparablement plus élevé que la famille et la législation musulmanes ; que la famille européenne contemporaine est pour les musulmans un idéal vers lequel ils doivent diriger tous leurs efforts, s’ils veulent acquérir l’indépendance dans l’avenir.

Kassime Émine Bey a le courage d’insister sur cette idée audacieuse dans son livre « La femme nouvelle », et cela, au grand scandale de tous les musulmans « orthodoxes ».

Mais il ne s’en tient pas là : il prétend que la législation musulmane n’a rien compris au rôle de la femme et que, du reste, il n’est pas étonnant qu’elle l’ait traitée si durement, puisqu’elle n’a pas mieux compris certains autres côtés de la vie.

Développant son idée sur les défectuosités de la législation musulmane en général, et en particulier sur son injustice envers la femme, Kassime Émine est d’avis qu’il est indispensable de modifier ou même de supprimer, s’il le faut, la partie du code de l’Islam qui concerne la femme, si l’on veut sauver de la ruine la famille, la société et l’Empire musulman. Il faudrait pour cela, avant tout, donner à la femme une éducation analogue à celle que reçoit la femme européenne, lui enlever ce voile qui pour elle est un linceul et une marque de sa servitude. Le blâme que l’écrivain fait de cet usage barbare et la hardiesse de ses idées sont des indices d’un état d’esprit qui, jusqu’à présent, n’a jamais été remarqué dans les annales de l’Islam.

Il n’est donc pas étonnant que tous les musulmans qui se considèrent comme les gardiens des vraies traditions, se soient élevés, dans leur routine, contre les idées novatrices de Kassime Émine Bey et qu’ils l’aient accusé d’hérésie. Un de ces obscurs fanatiques que la haine poussait contre le réformateur a pu écrire dans un journal que « l’émancipation de la femme musulmane était l’un des buts que poursuivaient avec le plus d’ardeur les peuples chrétiens qui n’ont en vue que la destruction de la religion musulmane, et que, partant, tout musulman partageant de pareilles idées cesserait par là même d’être orthodoxe ».

Il va sans dire qu’une critique de ce genre n’a fait que fortifier les opinions de notre réformateur. Du reste, heureusement pour lui, ses idées ont été accueillies avec joie par les représentants de la classe civilisée des musulmans. Le premier ministre d’Égypte a envoyé à Kassime Émine Bey une lettre ouverte dans laquelle il fait montre de sa sympathie pour les idées nouvelles et où il exprime la nécessité qu’il y a de les faire pénétrer dans le public. Le Mufti de l’Égypte et du Soudan, Mohammed Abdou, et, ce qui est encore plus significatif, le Recteur de l’Académie théologique musulmane El-Ezhar, Sélime El-Bichri, lui ont aussi donné des marques de leur profonde sympathie pour ses idées émancipatrices.

Ces démonstrations sont d’une importance considérable pour l’avenir et marquent, dans le monde musulman, le commencement d’une ère nouvelle.

À ce propos, j’ai le plaisir de pouvoir vous annoncer que les sentiments approuvés par le chef religieux des musulmans d’Égypte pour les innovations de Kassime Émine Bey ont porté leurs fruits et que les réformes sont passées du domaine de la littérature dans celui de l’action. Il a formé, en effet, une commission, dont il est le président, qui se propose de rechercher les moyens de porter remède à la position si précaire de la femme musulmane en lui donnant quelques droits. Les travaux de cette commission ont abouti à la rédaction de onze articles de loi qui ont été approuvés par le Gouvernement et sont déjà en vigueur. Vous me permettrez d’en mentionner quelques-uns.

§ 1) Un mari ne peut se refuser à subvenir à l’entretien de sa femme s’il en a les moyens ; mais s’il n’en a ni les moyens ni le désir, le juge prononcera immédiatement le divorce des conjoints. On agira de même dans le cas où le mari feint la pauvreté. Si, au contraire, il prouve qu’il n’a vraiment pas les moyens d’entretenir sa femme, on lui laissera un laps de temps de quatre mois, et si, au terme de ces quatre mois, il n’est pas en état de le faire, le divorce est prononcé.

§ 2) Si un mari malade ou emprisonnée refuse pour cette raison de subvenir à l’entretien de sa femme, le juge lui accordera un délai suffisant pour guérir ou pour sortir de prison ; si, au bout du terme indiqué, le mari en est incapable, le divorce est prononcé.

§ 6) En cas de disparition du mari, sa femme a le droit de s’adresser au Ministre de la Justice pour le prier de le faire rechercher ; si l’on ne parvient pas à le retrouver, la femme a le droit de se remarier dans un délai de quatre ans, quatre mois et neuf jours, sans même pour cela avoir recours au Juge.

§ 10) En cas de discorde entre les époux, si les moyens indiqués dans le Koran pour l’apaiser restent sans efficacité, l’affaire est portée devant le Juge. Ce dernier choisit deux arbitres dans la parenté ou parmi les voisins des deux époux, et il les envoie chez ces derniers pour tâcher de les réconcilier. S’ils n’y réussissent pas, le divorce est prononcé.

§ 11) Toute femme a le droit de plaider en divorce si son mari la maltraite, c’est-à-dire, s’il l’abandonne sans raison, s’il use avec elle de grossièreté, de mauvais traitements immérités, et, dans ce cas, la femme n’est obligée qu’à prouver la véracité de ses assertions.

Ces nouvelles dispositions de la loi, qui font luire enfin un rayon de lumière dans le ciel si obscur sous lequel a vécu jusqu’à nos jours la femme musulmane, ont mérité les suffrages de tous les mahométans civilisés, en Égypte, et dans les autres contrées islamiques.

Vous vous en réjouirez avec moi ; mais vous joindrez vos voix à la mienne pour faire entendre au Législateur que, comme le héros de Lucain, il n’a rien fait, puisqu’il lui reste à faire : « Nihil actum reputans, si quid superesset agendum » ; et nous espérerons ensemble que ces réformes ne seront que les premiers pas dans le chemin au terme duquel la femme trouvera des droits égaux aux droits de celui qui est encore aujourd’hui son maître.