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L’Encyclopédie/1re édition/PATRICE, Patriciat, Patricien

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PATRICE, Patriciat, Patricien, s. m. (Jurisprud.) sont des titres d’honneur & de dignité qui ont été la source de la noblesse chez plusieurs peuples.

L’institution du titre de patrice vient des Athéniens, chez lesquels au rapport de Denis d’Halicarnasse, le peuple fut séparé en deux classes, l’une qu’il appelle εὐπατρίδας, patricios ; l’autre δημοτικούς, c’est-à-dire populaires, le menu peuple.

On composa la classe des patriciens de ceux qui étoient distingués par la bonté de leur race, c’est-à-dire dont la famille n’avoit aucune tache de servitude ni autre, & qui étoient les plus considérables d’entre les citoyens, soit par leur nombreuse famille ou par leurs emplois, & par leurs richesses. Thésée leur attribua la charge de connoître des choses appartenantes au fait de la religion & au service de Dieu, d’enseigner les choses saintes ; il leur accorda aussi le privilege de pouvoir être élûs aux offices de la république, & d’interpréter les lois.

Solon ayant été élû pour réformer l’état qui étoit tombé dans la confusion, voulut que les offices & magistratures demeurassent entre les mains des riches citoyens ; il donna pourtant quelque part au menu peuple dans le gouvernement, & distingua les citoyens en quatre classes. La premiere composée de ceux qui avoient 500 minots de revenu, tant en grains que fruits liquides. La seconde, de ceux qui en avoient 300, & qui pouvoient entretenir un cheval de service, c’est pourquoi on les appella chevaliers ; ceux qui avoient 200 minots formoient la troisieme classe, & tout le reste étoit dans la quatrieme.

Romulus, à l’imitation des Athéniens, distingua ses sujets en patriciens & plébéïens ; après avoir créé des magistrats, il établit au-dessus d’eux le sénat auquel il donna l’inspection des affaires publiques ; il composa cette compagnie de cent des plus distingués & des plus nobles d’entre les citoyens. Chacune des trois tribus eut la faculté de nommer trois sénateurs, & chacune des 30 curies qui formoit chaque tribu fournit aussi trois personnes habiles & expérimentées ; Romulus se reserva seulement le droit de nommer un sénateur qui eût la premiere place dans le sénat.

Les membres de cette auguste compagnie furent appellés senatores à senectute, parce que l’on avoit choisi ceux qui, par rapport à leur grand âge, étoient présumés avoir le plus d’expérience, on leur donna aussi le titre de patres, peres, soit par respect pour leur âge, soit parce qu’on les regardoit comme les peres du peuple ; de ce titre patres se forma celui de patricii que l’on donna aux cent premiers sénateurs, & selon d’autres aux 200 ou 300 premiers & à leurs descendans ; on les appelloit patricii, quasi qui & patrem & avum ciere poterant ; ils étoient les seuls auxquels Romulus permit d’aspirer à la magistrature, & exercerent seuls les fonctions du sacerdoce jusqu’en l’année 495 de la fondation de Rome.

Ils étoient obligés de servir de patrons aux plébéiens, & de les protéger dans toutes les occasions.

Les cruautés exercées par les patriciens contre les plébéiens, pour se venger de ce que ceux-ci tâchoient d’anéantir leur autorité, donnerent lieu à la loi agraire, concernant le partage des terres.

La loi des douze tables avoit défendu aux patriciens de contracter mariage avec des plébéiennes, mais cette disposition fut bien-tôt supprimée par le peuple.

Il fut seulement encore défendu par la loi papia, pappæa, aux patriciens d’épouser celles des plébéiennes qui n’étoient pas de condition libre, ou qui exerçoient des métiers vils & deshonorans, tel que celui de comédienne ; les filles qui se prostituoient ou qui favorisoient la prostitution, les filles surprises en adultere avec un homme marié, & les femmes répudiées pour le même crime.

Le nombre des familles patriciennes qui n’étoit d’abord que de cent, s’accrut dans la suite considérablement par les diverses augmentations qui furent faites au nombre des sénateurs.

Romulus lui-même, peu de tems après l’établissement du sénat, créa encore cent sénateurs ; d’autres disent que ce fut Tullus Hostilius.

Quoi qu’il en soit, ces 200 premiers sénateurs furent appellés patres majorum gentium, chefs des grandes familles, pour les distinguer des 100 autres sénateurs qui furent ajoutés par Tarquin l’ancien, que l’on appella patres minorum gentium, comme étant chefs de familles moins anciennes & moins considérables que les premieres.

Ce nombre de 300 sénateurs fut long-tems sans être augmenté, car Brutus & Publicola, après l’expulsion des rois, n’augmenterent pas le nombre des sénateurs ; ils ne firent qu’en remplacer un grand nombre qui manquoient.

Ceux qui furent mis par Brutus & autres qui vinrent ensuite, furent appellés patres conscripti, pour dire que leur nom avoit été inscrit avec celui des premiers ; & insensiblement ce titre devint commun à tous, lorsqu’il ne resta plus aucun des anciens sénateurs.

Gracchus étant tribun du peuple, doubla le nombre des sénateurs, y mettant 300 chevaliers. Sylla y fit encore une augmentation ; César en porta le nombre jusqu’à 900, & après sa mort les duumvirs en ajouterent encore ; de sorte qu’il y en avoit jusqu’à 1000 ou 1200 du tems d’Auguste, lequel les réduisit à 600.

Du terme patres, qui étoit le nom que Romulus donna aux premiers sénateurs, se forma celui de patricii, que l’on donna aux descendans des 200 premiers sénateurs, ou selon quelques autres, des 300 premiers ; on leur donna le titre de patricii quasi qui patrem, avum ciere poterant ; & en effet, dans les assemblées du peuple, ils étoient appellés chacun en particulier par leur nom, & par celui de l’auteur de leur race.

Les familles sénatoriennes, autres que celles qui descendoient des 200 premiers sénateurs, ne tenoient pas d’abord le même rang ; cependant insensiblement tous les sénateurs & leurs descendans furent mis dans l’ordre des patriciens, du-moins Tite-Live remarque que les choses étoient sur ce pié du tems d’Auguste.

Quant aux privileges des patriciens, Romulus avoit attribué à eux seuls le droit d’aspirer à la magistrature.

Ils exercerent aussi seuls les fonctions du sacerdoce jusqu’en l’année 495 de la fondation de Rome.

Les patriciens tiroient la considération dans laquelle ils étoient, de deux sources ; l’une de la bonté & ancienneté de leur race, ce que l’on appelloit ingenuitas & gentilitas ; l’autre étoit la noblesse, laquelle chez les Romains ne procédoit que des grands offices ; mais cette noblesse n’étoit pas héréditaire, elle ne s’étendoit pas au-delà des petits enfans de l’officier.

Mais peu-à-peu les patriciens déchurent de presque tous leurs privileges ; les plébéiens, qui étoient en plus grand nombre, firent tout décider à la pluralité des voix ; on les admit dans le sénat, & même aux plus hautes magistratures, & aux charges des sacrifices ; de sorte qu’il ne resta plus d’autre prérogative aux patriciens que l’honneur d’être descendus des premieres & des plus anciennes familles ; & la noblesse, à l’égard de ceux qui étoient revêtus de quelque grand office, ou qui étoient enfans ou petits-enfans de quelque grand officier.

La chûte de la république, & l’établissement de l’empire, affoiblirent & diminuerent nécessairement l’autorité des familles patriciennes dans les affaires politiques ; mais cette révolution ne les dégrada point d’abord, & elles se soutinrent à peu-près dans toute leur pureté & leur considération, jusqu’au tems où les Grecs d’Europe, d’Asie & d’Alexandrie, inonderent Rome ; il se fit alors une étrange confusion de familles romaines avec les étrangers.

Cette confusion augmenta encore lorsque les empereurs ne furent plus de familles proprement romaines.

Tacite dans le XI. liv. de ses annales, rapporte que l’empereur Claude mit au nombre des patriciens, tous les plus anciens du sénat, ou ceux qui avoient eu des parens distingués ; il ajoute qu’il restoit alors bien peu de ces anciennes familles que Romulus avoit appellées patres majorum gentium ; que même celles qui y avoient été substituées par César, suivant la loi cassia, & par Auguste par la loi brutia, étoient aussi épuisées. On voit par-là combien il s’introduisit de nouvelles noblesses, tant sous César & sous Auguste, que par la création de Claude.

Les guerres civiles qui agiterent l’empire entre Neron & Vespasien, acheverent sans doute encore de détruire beaucoup d’anciennes familles.

Sous l’empire de Trajan, combien d’espagnols ; sous Septime Severe, combien d’afriquains ne vinrent pas s’établir à Rome ; & s’y étant enrichis, firent par leur fortune disparoître les nuances qui séparoient le patricien & le plébéien. Les guerres civiles occasionnées par les différens prétendans à l’empire, & qui épuisoient le plus beau & le plus pur sang de Rome : ces hordes de barbares que les divers concurrens appelloient imprudemment à leur secours, qui soumirent enfin ceux qui les avoient employés à soumettre les autres, & devinrent les maîtres de ceux dont ils auroient toujours dû être les esclaves : la bassesse des sujets qu’une armée élevoit tumultuairement à l’empire, & qui montés sur le trône, donnoient les premieres charges de l’état aux compagnons de leur ancienne fortune, nés comme eux dans l’obscurité : enfin l’anéantissement de la dignité de consul, qui ne fut plus qu’un vain nom depuis la chûte de la république, & sur-tout depuis les Antonins jusqu’à Justinien, après lequel cesse l’ordre chronologique des consuls, ces places étant d’ailleurs souvent occupées par des Grecs, témoin Dion l’historien, Cassiodore & autres ; tout cela fit insensiblement éclipser les familles patriciennes de Rome à mesure que les honneurs passoient aux étrangers.

Mais la principale époque de l’anéantissement des familles patriciennes, fut la prise de Rome par Totila, roi des Goths, l’an 546 ; ce barbare fit abattre une partie des murailles de cette ville, força le peuple à se retirer dans la Campanie, & emmena à la suite de son armée toute la noblesse, c’est-à-dire toutes les familles qui étoient alors réputées patriciennes. Rome fut absolument deserte pendant plus d’un an ; Belisaire y ramena des habitans, mais le second siége par Totila en fit encore périr une grande partie ; ce qui échappa de citoyens distingues, se retira à Constantinople auprès de Justinien. Enfin pour repeupler Rome dans les premiers tems qui suivirent ces desastres, les pontifes & les magistrats furent réduits à y appeller indifféremment Juifs, Goths, Huns, Lombards. Il est bien difficile après tant de ravages & de massacres suivis d’un tel mélange, de reconnoître encore les restes des anciennes familles vraiment patriciennes.

Le peuple qui habite le mont-Esquilin, aux environs de Sainte-Marie-Majeure, prétend descendre seul des anciens Romains ; rien n’est plus pauvre & en même tems plus fier ; on ne voit personne de ce quartier servir comme domestique ; ces gens-méprisent même ceux qui habitent le cœur de la nouvelle ville.

On reconnoît généralement à Rome que les habitans du Trastevere ont plus d’esprit que ceux des autres quartiers ; ils se donnent aussi l’honneur de tenir aux anciens Romains ; mais ils ne font pas attention qu’au tems de la république, leur quartier étoit inhabité ; qu’après l’établissement de l’empire sous Vespasien, il ne fut habité que par des Juifs ; que depuis plus de 800 ans, toutes les séditions ont commencé par le Trastevere, & que le peuple de ce quartier se regarde comme un peu différent du reste de la ville, tellement, qu’en passant la riviere, ils disent qu’ils vont à Rome.

Les familles de Rome qui passent pour très-anciennes, sont les Colonna, Orsini, Conti, Savelli, Frangipani, & quelques autres ; presque tout le reste est famille papale.

Sous les empereurs, notamment lorsque le siége de l’empire fut transféré à Constantinople, Constantin le Grand, pour remplacer les anciens patriciens, inventa une nouvelle dignité de patrice, ou pere de la république, qui n’étoit plus attachée à l’ancienneté ni à l’illustration de la race, mais qui étoit un titre personnel de dignité que l’empereur accordoit à ceux qu’il vouloit honorer ; ce patricial ou dignité patricienne surpassoit toutes les autres. Les empereurs donnoient ordinairement aux patrices le gouvernement des provinces éloignées. Lors de la décadence de l’empire romain, ceux qui occuperent l’Italie n’osant prendre le titre d’empereurs, s’appelloient patrices de Rome ; cela fut très-ordinaire jusqu’à Augustule, & à la prise de Rome par Odoacre, roi des Herules. Il y eut aussi des patrices dans les Gaules, & principalement en Bourgogne & en Languedoc ; quand les Francs conquirent les Gaules, ils y trouverent la dignité patricienne établie. Actius qui combattit Attila, est appellé le dernier patrice des Gaules ; le titre de patrice fut envoyé à Clovis par l’empereur Anastase après la défaite des Wisigoths. Le pape Adrien fit prendre le titre de patrice de Rome à Charlemagne avant qu’il prît la qualité d’empereur. Les rois Pepin, Charles & Carloman, furent aussi appellés patrices de Rome par les papes ; ils ont aussi donné le titre de patrice à quelques autres princes & rois étrangers. (A)

Patrices, Dieux (Mytholog.) patricii dii ; il y avoit huit dieux que les anciens appelloient patrices : Janus, Saturne, le Génie, Pluton, Bacchus, le Soleil, la Lune, & la Terre.