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Mme Desbordes-Valmore à Bordeaux

La bibliothèque libre.
Marcel Mounashe-Picamilh (p. T-47).


Paul COURTEAULT
PROFESSEUR À LA FACULTÉ DES LETTRES
DE L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

Mme Desbordes-Valmore
à Bordeaux
BORDEAUX
Marcel MOUNASTRE-PICAMILH
45, Rue Porte-Dijeaux, 45
1923

Mme Desbordes-Valmore à Bordeaux




Extrait de la Revue historique de Bordeaux
(Mars-Avril et Mai-Juin 1923)


Tiré à 100 exemplaires, dont 75 mis dans le commerce.


Paul COURTEAULT
PROFESSEUR À LA FACULTÉ DES LETTRES
DE L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

Mme Desbordes-Valmore
à Bordeaux
BORDEAUX
Marcel MOUNASTRE-PICAMILH
45, Rue Porte-Dijeaux, 45
1923

Mme DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX



Depuis que Sainte-Beuve, il y a quelque cinquante ans, la révéla au grand public et la mit à sa place, à côté des plus grands noms de l’époque romantique, on a beaucoup écrit sur Marceline Desbordes-Valmore. On a conté plusieurs fois sa « vie douloureuse » ; on a exhumé d’elle un grand nombre de lettres, sans épuiser, d’ailleurs, la source de sa vaste correspondance. Chose curieuse, ses biographes n’ont presque pas parlé du séjour qu’elle fit à Bordeaux. Elle y habita pourtant assez longtemps : quatre années entières, d’avril 1823 à avril 1827[1]. Elle a beaucoup aimé Bordeaux, elle l’a beaucoup regretté. La place qu’elle lui a faite dans ses vers et dans ses lettres nous fait un devoir, à l’occasion du centenaire de sa venue dans notre ville, de préciser ce point de sa biographie.

S’il fallait en croire Marceline, les liens qui la rattachaient à Bordeaux remonteraient fort haut. Du côté paternel, elle affirmait être issue d’une famille protestante qui y habitait au xviie siècle. Chassée par la révocation de l’Édit de Nantes, cette famille se serait réfugiée à Genève, d’où elle était originaire[2]. Deux de ses membres, Jacques et Antoine Desbordes, qui étaient imprimeurs-libraires, allèrent se fixer en Hollande, à Amsterdam, où ils amassèrent une grande fortune en publiant des livres français. Ils éditèrent Rabelais, Malebranche, Voltaire. Mais, ce qui vaut surtout la peine d’être signalé ici, c’est de leur atelier que sortirent, en 1721, la première édition des Lettres Persanes, donnée comme soi-disant imprimée À Cologne, chez Pierre Marleau, en 1730 la troisième, en 1734 la première des Considérations. Jacques et Antoine Desbordes auraient été les grands-oncles d’Antoine-Félix Desbordes, le peintre en blasons, en voitures et en ornements d’église établi à Douai et père de Marceline. S’il faut en croire une lettre qu’elle écrivait à Sainte-Beuve, ils seraient morts centenaires, auraient été millionnaires et auraient offert à leur petit-neveu leur immense fortune, à la condition que lui et les siens se fissent protestants. Et très noblement Antoine-Félix Desbordes aurait refusé. L’histoire estelle bien authentique ? Sainte-Beuve en doutait déjà et pensait qu’elle pouvait avoir subi, dans l’imagination de l’enfant, « quelque chose de la transformation propre aux légendes ». M. J. Boulenger est encore plus sceptique : il constate que les libraires Desbordes semblent n’avoir fait à aucun moment de brillantes affaires et qu’ils moururent, l’un en 1742, l’autre en 1753. Il en conclut que Marceline n’eut peut-être pas du tout de grands-oncles en Hollande[3] ; mais la légende, si légende il y a, était fortement établie dans la famille, car elle est confirmée par Constant Desbordes, le frère de Félix.

Ce qui est plus certain, c’est que Marceline, née à Douai le 20 juin 1786, vint à Bordeaux pour la première fois avec sa mère, Catherine Desbordes, vers 1800. Elle était de ne âgée de 14 ans environ. Catherine Desbordes paraît avoir été une femme fort peu raisonnable. La brouille s’était mise dans le ménage, où la misère s’était installée à la suite de la Révolution, qui avait ruiné le peintre en blasons et en ornements d’église. Sa femme eut l’idée, passablement extravagante, de s’en aller à la Guadeloupe, afin « de retrouver un parent qui, plusieurs fois, avait appelé quelqu’un des siens pour lui rendre quelque chose de la patrie ». Elle partit avec sa fille, sans trop savoir où elle allait. Elle n’avait pas le sou. Pour se procurer un peu d’argent, elle consentit, sur le conseil d’une amie, à mettre son enfant au théâtre. Marceline débuta comme ingénue au théâtre de Lille. Puis elle joua à Rochefort et enfin à Bordeaux, au Grand-Théâtre. Une note manuscrite, conservée dans les papiers de famille et composée d’après les souvenirs de Marceline, nous fait connaitre un incident de ce séjour. La directrice du Grand Théâtre était la fameuse Suzanne Latappy. Elle payait fort mal ses artistes. L’enfant lui ayant demandé un léger acompte sur ce qui lui était dû, elle lui donna un soufflet en lui disant qu’à son âge on n’avait pas besoin d’acompte. « Deux jours passèrent sans que le pain entrât dans leur humble refuge, et quand Marceline voulut sortir pour s’en procurer, elle tomba évanouie. Une jeune actrice, Mlle Tigé, sa voisine, lui offrit tout ce dont elle pouvait disposer et la sauva ainsi que sa mère[4]. » L’aventure est-elle bien authentique ? M. Boulenger remarque que la note qui nous l’a conservée a été rédigée par le mari de Marceline, Prosper Valmore, acteur tragique et écrivain solennel à l’excès. Il se pourrait qu’il ait dramatisé les choses à plaisir[5]. Quoi qu’il en soit, Marceline et sa mère quittèrent Bordeaux pour aller à Pau, puis à Toulouse, à Tarbes, à Bagnères et enfin à Bayonne, où une dame chez qui elles logeaient leur avança l’argent nécessaire au voyage projeté. Elles retournèrent alors à Bordeaux et s’y embarquèrent pour la Guadeloupe à la fin de 1801. Marceline garda le souvenir de ce premier séjour dans notre ville. Lorsqu’elle y revint, en 1823, elle l’évoqua dans une pièce de vers, Le Retour à Bordeaux, où son âme tendre a rappelé le lointain passé avec une joie mélancolique et exprimé en termes touchants le bonheur qu’elle éprouvait à fixer enfin — du moins elle le croyait — sa destinée errante[6].

Elle avait alors trente-sept ans. Elle avait abandonné le théâtre, où elle avait eu de brillants succès. Elle avait eu aussi de grandes douleurs, qui avaient fait jaillir en elle la source vive de la poésie. Son cœur était infiniment tendre, son âme essentiellement romanesque. À dix-sept ans, elle avait commencé d’aimer. À vingt-deux, elle avait conçu pour un jeune homme une passion folle et en avait eu un enfant, qui naquit le 24 juin 1810 et mourut à cinq ans, le 10 avril 1816. Son amant l’avait abandonnée. Qui était cet amant, qu’elle appelle dans ses vers Olivier ? On a depuis longtemps cherché son nom. On s’est égaré sur de fausses pistes. Parmi ces pistes, il en est une qu’il convient de rappeler, car elle est bordelaise. Dans un feuilleton des Débats, paru en 1896, Jules Lemaître a cru que « le jeune homme » de Marceline est Louis-Marie-Auguste de Martin du Tyrac, comte de Marcellus, qui fut député de la Gironde de 1815 à 1823 et pair de France. Mais, vers 1810, époque où se place la liaison, Marcellus avait trente-quatre ans ; il n’était pas dans le jeune àge, comme le laisse entendre Marceline. Elle parle aussi de sa « jeune gloire » littéraire ; or, en fait de gloire, Marcellus n’en avait que pour avoir publié à Bordeaux la Vie de M. Marlin de Bonnefond, curé de Marmande. On a parlé de son fils, qui fut secrétaire d’ambassade à Constantinople et à Londres, et qui a fait des vers. Mais il n’avait que quinze ans lorsque naquit l’enfant de Marceline. On ne peut supposer qu’il l’ait séduite à quatorze ans. M. Boulenger, qui a montré ces invraisemblances[7], a mis en avant le nom de Latouche, l’éditeur des poésies d’André Chénier. En fait, l’énigme reste encore indéchiffrée.

Abandonnée par son séducteur, Marceline avait épousé, le 4 septembre 1817, un acteur, plus jeune qu’elle de sept ans, François-Prosper Lanchantin, connu au théâtre sous le nom de Valmore. Elle dit l’avoir entrevu tout enfant, à Bordeaux, lorsqu’elle y était venue en 1800. C’était un fort joli garçon, mais un artiste assez médiocre. Elle l’aima de toute son âme. Elle ne vécut plus, dès lors, que pour « l’illustre Valmore » et pour ses enfants. Ils en eurent d’abord deux : Hippolyte, né à Paris le 2 janvier 1820, et une fille, Ondine, née à Lyon le 1er novembre 1821, dont la naissance décida sa mère à abandonner le théâtre[8]. Elle la laissa en nourrice, aux environs de Lyon, lorsque le ménage quitta cette ville pour venir se fixer à Bordeaux.

Il y arriva au printemps de 1823. Valmore était engagé au Grand-Théâtre pour trois ans comme premier rôle dans la comédie et la tragédie. Son père, André-Prosper Lanchantin, écrivait de Paris, le 9 décembre 1823, à sa belle-fille : « Je suis bien aise que Prosper ait accepté, surtout dans la circonstance où nous sommes. Non seulement il n’aurait pas trouvé mieux, mais à coup sûr jamais aussi bien : une belle ville, la certitude du paiement pendant trois ans et moi, l’espoir de vous aller rejoindre[9]. » La même lettre nous apprend que le ménage logea d’abord rue de la Grande-Taupe, no  7[10]. En 1826, il était rue Montesquieu, no  21[11]. C’est de ce dernier logement que Marceline parle dans une lettre à son oncle Constant, du 28 février 1826, en l’invitant à venir les rejoindre : « Un balcon de deux cents pas, où se trouve une chambre qui vous appelle[12]… ». Ce balcon « de deux cents pas » est celui de la grande maison construite en 1801 par l’architecte Godefroy, en forme de rotonde, à l’angle de la rue Montesquieu et du cours de l’Intendance, et qui porte aujourd’hui le no  16.

Prosper Valmore débuta au Grand-Théâtre, le lundi 5 mai 1823, dans le Menteur. Edmond Géraud, qui était chargé de la critique dramatique au Mémorial bordelais[13], publia, le 7 mai, un feuilleton, plutôt élogieux, sur ce début. Il loua les dehors brillants de l’acteur, « jeune homme de taille avantageuse, d’une figure très agréable et d’une physionomie intéressante », son débit net et nuancé. Mais il nota qu’à la fin du troisième acte, il avait « une dégaine commune » et que cela suffit à imposer silence aux bravos. Au total, il lui parut capable de tenir les premiers rôles d’une manière distinguée, au moins dans la comédie. Le 9 mai, Valmore remercia Géraud de ce jugement indulgent[14]. Les débuts suivants furent moins heureux. Dans son compte-rendu de La femme jalouse, Géraud note quelques mouvements de chaleur et aussi d’une véritable sensibilité, mais ajoute que « son premier début dans le Menteur est ce qu’il nous a donné de mieux jusqu’ici[15] », Dans la comédie de Monsieur de Crac, il le trouva « un peu lourd[16] ». S’il fut meilleur dans L’Éducation ou les Deux Cousines, de Casimir Bonjour, il ne parut pas à son avantage dans Gaston et Bayard, la tragédie de de Belloy et se montra « négligẻ et inégal » dans Le Mariage de Figaro. Il fut médiocre aussi dans la reprise des Comédiens, de Casimir Delavigne, où les Bordelais avaient applaudi Desforges[17]. Enfin Géraud résumait ainsi son opinion dans son compte-rendu du « bénéfice » de Valmore, le 29 décembre, où l’artiste ne parut pas d’ailleurs : « J’ai déjà dit que, dans ses rôles les plus ternes, cet acteur avait au moins des éclairs d’un talent très distingué ; mais j’ai remarqué de trop longues éclipses ; je lui ai reproché de n’être pas toujours en scène et de laisser quelquefois errer son esprit dans les espaces imaginaires[18] ». Le Kaléidoscope d’Arago confirme Géraud. En particulier, il trouve que Valmore était mauvais dans la tragédie. Géraud et Arago tempèrent, d’ailleurs, leurs critiques par une bienveillance qui ressemble fort à de l’indulgence. On sent qu’ils ont voulu ne pas trop contrister Marceline, qui, on le sait, avait une admiration sans mélange pour le talent de son mari. Mais il ne faut pas douter qu’ils préféraient celui de la femme.

Valmore avait été mis par son métier en relations avec Edmond Géraud. Marceline ne tarda pas à faire, elle aussi, la connaissance du poète. Le 17 juin 1823, Lorrando écrivait à ce dernier qu’il espérait le rencontrer, le soir, chez Mme Paul Nairac : « Nous y verrons, ajoutait-il, la dixième Muse ». Marceline avait donc été introduite, grâce à Sophie Gay, qui l’avait recommandée à la maîtresse de la maison, dans ce salon de la rue du Palais-Gallien, 27, où se retrouvaient tous les beaux esprits de Bordeaux. Géraud a plusieurs fois mentionné dans son journal la présence de Marceline à ces réunions et donné quelques détails intéressants sur la part qu’elle y prenait. Il écrivait, le 24 juillet 1824 :

Soirée passée chez Mme Nairac, où se trouvaient Garat, Mme Desbordes-Valmore, son beau-père, Mme Vendure, etc. On y conte des histoires de fantômes, de pressentiments et de rêves étranges, madame Marceline surtout, qui raconte fort bien. On lui a fait lire mes poésies et ma nouvelle du Gabeur : elle trouve, dit mademoiselle Nairac, que cela est désespérant de clarté. Pauline, qui était avec moi, s’amusa ce soir là au point d’oublier sa fille jusqu’à onze heures[19].

Géraud nous a conservé deux traits qui prouvent que Marceline n’était pas toujours la Muse larmoyante qu’on s’imagine parfois. Si elle avait renoncé au théâtre, elle savait, à l’occasion, se souvenir qu’elle avait été actrice et cantatrice, et elle s’en souvenait pour amuser ses amis. Géraud écrit en octobre 1825 :

Voici un couplet que madame Desbordes-Valmore chante très plaisamment sur l’air de : Femmes, voulez-vous éprouver… ? Il est, dit-on, de M. de Jouy, lequel a voulu imiter le genre de versification propre aux commis marchands de la bonne ville de Paris :

Adèle, je t’ai vie hier ;
Tu avais ton chapeau aurore ;
Avec ce hussard qui te perd,
Tu allais au bale de Flore.
O Adèle ! ô objet charmant !
Méfie-toi de ces bons apôtres.
Fille qui a en un amant,
Peut peu à peu en avoir d’autres[20].


Marceline, si elle fit pleurer souvent les invités de Mme Nairac, savait aussi parfois les faire rire. Et voici un échantillon de son art de conter :

C’est Mme D. V. qui nous racontait l’autre jour l’anecdote suivante : Mlle Bourgoin, artiste du Théâtre-Francais, vivait avec M. Chapsal, célèbre chimiste, et l’un des grands dignitaires de la cour de Bonaparte. Elle en avait même un enfant. Un jour qu’elle entendait plusieurs personnes de sa société s’entretenir de ce qu’elles voulaient demander à l’empereur, et préparer d’avance leur discours : « Et toi, mon fils, dit-elle à son petit bambin, comment parleras-tu au grand Napoléon ? Tiens, voici ce que tu auras de mieux à lui dire :

Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire[21]. »

Marceline ne dédaignait pas de divertir ses amis bordelais en leur débitant jusqu’à des potins de coulisses.

Dans le salon de la rue du Palais-Gallien, elle rencontra Alfred de Vigny au cours du séjour qu’il fit à Bordeaux de juillet à novembre 1823. Elle l’y entendit lire des fragments d’Éloa. Une lettre de Sophie Gay, du 10 août, la mit au courant du roman ébauché entre le poète et sa fille Delphine, et brusquement interrompu par l’opposition que Mme de Vigny avait faite au mariage. Marceline dut s’enflammer au récit de cette passion traversée. Elle chapitra Vigny de son mieux et la mère l’en remercia. « J’ai reçu, lui écrivait-elle le 14 octobre, une lettre charmante de l’auteur ; mais comme il met les numéros de travers, elle ne m’est parvenue qu’après des courses sans fin. J’aurais été désolée de la perdre, car elle contient des choses ravissantes pour vous. J’avais bien prévu qu’il vous sentirait comme moi ; c’est la personne du monde la plus sensible à la grâce et à l’esprit[22]. » Vigny avait, en effet, cédé au charme de Marceline. Il ne l’oublia pas. Le 8 mai 1824, il écrivait de Paris à son ami Édouard Delprat : « Annoncez-moi à Mme Desbordes-Valmore dont on me parle souvent ici et à qui j’enverrai un ange[23]. » On sait que Vigny appelait Mme Desbordes-Valmore le « plus grand esprit féminin de notre temps[24] ».

La lettre déjà citée de Sophie Gay nous apprend que Marceline avait « le bonheur » de voir souvent à Bordeaux Delprat, le cousin d’Émile Deschamps et que sa fille aînée, la future Mme O’Donnell, était l’amie de Georgina. Georgina, c’était la fille de Mme Nairac. Marceline, elle aussi, devint vite son amie et elle l’aima de cette tendresse fougueuse qu’elle mettait dans ses affections. De son côté, la jeune fille aima Marceline. J’imagine qu’elle devait être assez romanesque et que les confidences qu’elle reçut lui inspirèrent de la pitié et de l’admiration. Elle dut trouver belle cette passion malheureuse qui avait dévasté le cœur et la vie de Mme Desbordes-Valmore. Elle rêva d’éprouver, elle aussi, les joies et les tortures de l’amour. Georgina Nairac avait l’âme romantique. Que furent ses entretiens avec Marceline sous les ombrages de Lormont, où les Nairac avaient une propriété ? On ne le saura jamais, mais on le devine un peu. En effet, Marceline a dédié à la jeune fille une grande pièce de vers, où elle se peint avec l’habituel désordre de ses sentiments. Elle débute par de sages conseils : Georgina, sous l’influence de sa grande amie, s’est laissé aller à rêver d’amour. Marceline la conjure de résister à cette tentation, à laquelle elle a eu le malheur de céder : « Ah ! prends garde à l’amour… » Et puis, elle fait un retour sur elle-même et lui peint avec une douloureuse complaisance la passion qu’elle a éprouvée : « Mais tu n’as pas souffert, etc[25]. » La deuxième partie de la pièce, la plus longue, dut faire oublier à Georgina le début. Cette amitié si tendre fut brisée. Mlle Nairac mourut, le 6 janvier 1825[26], et cette mort nous a valu les beaux vers que voici :

Regret

Des roses de Lormont la rose la plus belle,
Georgina près des flots nous souriait un soir ;
L’orage dans la nuit la toucha de son aile,
Et l’aurore passa, triste, sans la revoir.

Pure comme une fleur, de sa fragile vie
Elle n’a respiré que les plus beaux printemps.
On la pleure, on lui porte envie :
Elle aurait vu l’hiver ; c’est vivre trop longtemps[27].


Lormont, où elle avait aimé Georgina, lui a encore inspiré une pièce moins triste : elle y a fixé le souvenir d’une soirée d’été où de belles jeune filles, sans doute les invitées de Mme Nairac, dansaient sur les bords de la Garonne, au coucher du soleil[28].

Quand elle arriva à Bordeaux, Marceline avait déjà publié quatre volumes : en 1819, des Élégies, Marie et Romances, rééditées en 1820 ; Les Veillées des Antilles, nouvelles en prose (1821) et un second recueil de Poésies (1822). Edmond Géraud avait lu ce recueil et il a porté, dans son journal, à la date du 18 juillet 1823, un jugement plutôt sévère sur ces élégies qui « sont toujours des épanchements, des effusions d’une âme tendre et rêveuse, mais où rien n’est assez arrêté pour satisfaire le bon sens ». Il reprochait à l’auteur de ne pas « savoir s’asseoir ». « Ses grâces, disait-il, ont quelque chose de si fugitif et de si vaporeux qu’elles ne laissent que bien peu de traces après elles. Comment retenir, d’ailleurs, ce qu’on a souvent tant de peine à comprendre[29] ? » Géraud, qui avait eu, à vingt ans, son accès de fièvre romantique, qui avait, sous l’Empire, sacrifié au genre troubadour, commençait à s’effrayer des progrès de l’école nouvelle. Son esprit clair et précis, nourri des classiques, se défiait de tout ce qui était vague et nébuleux, et les effusions de Marceline, avec ce je ne sais quoi d’inachevé dans l’expression qui les caractérise, ne pouvaient le contenter. La critique se mêle à l’éloge dans le compte-rendu qu’il donna aux Annales de la Littérature et des Arts du volume d’Élégies et poésies nouvelles, qu’elle fit paraître chez Ladvocat en 1825. L’auteur, disait-il, « paraît avoir une oreille très sensible et très exercée, un tempérament délicat, et cette disposition mélancolique dont s’accommode si bien le talent qu’elle cultive ». On ne peut lui refuser « une imagination vive et passionnée ». « Déjà même elle partageait avec quelques autres dames la gloire d’être placée la première dans un genre où il n’est plus permis de citer que ceux qui excellent. » Mais il y a chez elle trop d’inégalités, trop d’à peu près. « L’amour seul ne révèle pas tous les secrets de la Muse ; il faut encore joindre les efforts d’un travail studieux et se défier surtout des pièges de la facilité. » En somme, la lecture des Élégies rappelle un peu « l’effet de ces verres d’optique à travers lesquels on ne regarde pas longtemps sans avoir les yeux troubles et fatigués ». Géraud loue, d’ailleurs, dans l’Indiscret « un mérite de clarté, de précision et d’énergie… une fermeté de ton et une vigueur de coloris qui, suivant l’expression de Montaigne, nous fiert d’une si vive secousse » ; la pièce intitulée Souvenir lui semble « écrite d’un style qui respire la passion sans blesser la justesse » ; dans les deux élégies à sa sœur, on croit entendre « les soupirs et les plaintes de Phèdre elle-même » ; le Soir d’été est « un morceau délicieux ». En faisant un choix dans les poésies de Mme Desbordes-Valmore, on pourrait composer un petit volume qui serait un chef-d’œuvre ; mais l’auteur a besoin d’apprendre « le métier[30] ». Le jugement est d’un critique délicat et pénétrant, d’un ami qui sait réserver son indépendance.

Des relations assez intimes s’étaient, en effet, établies entre eux. Les manuscrits d’Edmond Géraud contiennent une première rédaction, de la main de Marceline, d’une pièce, L’Orage, qu’elle imprima dans le recueil publié en 1830 chez Boulland et qui fut écrite à Bordeaux[31]. On y trouve aussi deux lettres à Mme Géraud qui méritent d’être citées :

Je desire vivement apprendre, Madame, que rien n’a troublé votre tranquillité et que votre charmante Élodie n’a été, comme tous les enfans, qu’un peu émue du changement de la saison. Vingt fois le jour leurs petits traits s’altèrent et se remettent. J’ai des transes et des tourmens qui me font deviner et partager les votres.

J’irai, Madame, vous remercier moi-même de la grâce que vous mêlez au souvenir dont vous honorez la personne au monde qui en est le plus touchée.

Marceline D.-Valmore.
Bordeaux, le 14 février [1826][32].

Un mot de réponse, en grâce, Madame, sur les intentions de Monsieur Géraud. J’ai osé disposé de son petit chef-d’œuvre d’Albert[33] pour une Muse chantante du plus grand talent. Mr Camille Pleyel va imprimer ou graver un recueil de six romances ou doit régner la belle Rocheloise. Mais vous verrez le scrupule qui s’impose au timide auteur à cause des pensionnats auxquels ses romances sont en partie destinées. Je n’ai pas besoin de soleil pour me trouver partout où vous êtes, Madame, et je suis pénétrée de la grace qui vous entoure. Pardonnez-moi si je finis si vite de vous remercier et de vous dire que personne n’est mieux que moi votre affectionnée.

Mme Desb. Valmore[34]

La lettre suivante, inédite aussi, que Marceline écrivait à Edmond Géraud, se rapporte sans doute au même projet de Pleyel :

Vous pouvez être, Monsieur, dans un plein repos, elle sera bleue. J’ai des remerciemens à vous offrir pour la charmante Laure[35] qui est notée. Mais on s’étonne à Paris que vous nous traitiez toutes en infidèles. Et moi je suis sûre que vous ne parlez que des dames d’autrefois.

Si madame Géraud voulait me rendre une peu gaie, elle me permettrait de l’embrasser, mais non pas en cérémonie ; tendrement, sincèrement comme elle en inspire l’envie. J’aurais bien envie d’écrire plus long-temps, mais votre Inès ne veut pas.

Je suis, Monsieur, votre affectionnée.

Mme Desb. Valmore[36].

Ces relations affectueuses avec les Géraud ont été une des joies de Marceline durant son séjour à Bordeaux. Elle fréquentait à Belle-Allée, l’agréable propriété qu’ils possédaient à La Bastide. Elle a souvent franchi le pont de pierre, alors tout neuf, pour y conduire ses enfants. Ils y jouaient avec Élodie, la fille de Géraud, sous les beaux ombrages dont leur mère gardait un délicieux souvenir.

Marceline connut aussi intimement un journaliste qui a laissé un nom à Bordeaux dans le mouvement littéraire et politique de la Restauration, Jacques Arago. Fils de l’illustre astronome et physicien François Arago, frère d’Emmanuel, qui joua un rôle dans la Révolution de 1848, né en 1790 à Estagel (Pyrénées-Orientales), après avoir couru le monde, il s’était fixé à Bordeaux en 1822 et y dirigea le Kaléidoscope. Il fit de cette revue mondaine une feuille d’opposition libérale, ce qui lui valut par deux fois d’être condamné à la prison. Mais il y réserva une assez large place aux lettres et à la poésie. Mme Desbordes-Valmore se prit pour lui d’amitié[37]. Elle l’appelle familièrement Jacques dans sa correspondance. Arago avait pour elle une grande admiration. Il la rangeait parmi « les poètes de Bordeaux », à côté de Géraud et de Lorrando. Dans un article publié sous ce titre, il parlait de « cette douce et séduisante poésie qui a placé Mme Desbordes-Valmore au premier rang de nos poètes élégiaques[38] ». Il lui adressait des vers, à la suite d’une maladie, sur sa convalescence[39]. À propos des poésies de Mme Amable Tastu, il clarait : « Pour nous, nous ne mettons aucune femme au-dessus de Mme Desbordes-Valmore[40]. » Supposant un dialogue entre lui-même et un abonné, il écrivait : « Notre feuille vous amuse donc ? — Beaucoup. — Nos vers ? — En général, ils sont piquants, bien tournés. — Ceux de Mme Desbordes ? — Oh ! eux-là, je les dévore[41]. » Arago accueillit, en effet, dans sa revue de nombreuses poésies de Marceline. On trouve, imprimées dès 1826 dans le Kaléidoscope, des pièces qui furent recueillies par l’auteur dans son volume de 1830 : La Novice, La jeune Châtelaine, Les deux Ramiers[42], Le Bon Ermite, Le Ver luisant, Un bruit d’autrefois, Aux enfans qui ne sont plus, Le Mendiant, Le Petit oiseleur, le Bouquet sous la Croix, Pèlerinage, Regarde-le, Le Sage et le Dormeur, L’Oraison, La première caplivité de Béranger, Les Cloches du soir. Mais le Kaléidoscope, contient, de plus, une pièce, publiée depuis comme inédite : Trilby ou le Lutin d’Argail, inspirée à Marceline par le conte de Charles Nodier, écrite à Lyon en février 1823[43]. Enfin on y trouve deux pièces qui n’ont pas été recueillies : Le Marinier bordelais, « air national » chanté par M. Lafont au concert du vendredi 14 avril 1826, œuvre de circonstance qui n’ajoute rien à la gloire de Marceline[44] et un Nocturne imité de Thomas Moore[45], différent de celui qu’a publié M. Boyer d’Agen avec une pièce intitulée Méhul, qui fut écrite à Bordeaux en mai 1823[46]. Le Kaléidoscope contient aussi des vers de Valmore, car Valmore rimait, hélas ! La pièce À celle que j’aime, dont Marceline confia à son amie Pauline Duchambge une copie mise au net par son mari et qu’elle appelait un « monument de sa tendresse », publiée comme inédite par M. Boulenger[47], parut en 1827 dans la revue d’Arago[48]. Elle est détestable, et une autre pièce, Le Bal, « par Valmore, artiste dramatique à Lyon[49] » ne vaut pas mieux. C’est sans doute pour être agréable à Marceline qu’Arago imprimait les élucubrations de son époux.

Ce que fut la vie de Marceline à Bordeaux, sa correspondance permet de l’entrevoir. En y arrivant, elle tomba malade. Elle y fait allusion dans une lettre du 18 août 1823 à Antoine-Gabriel Jars, un ami lyonnais très dévoué, où elle dit qu’elle a abandonné la moitié de sa vie à la fièvre, « devenue son ennemie intime ». Elle ajoute :

J’ai reçu vos deux jolies romances. J’espère les chanter bientôt chez une dame fort aimable dont je dois l’amitié à Mme Gay[50]. C’est la seule personne, l’unique que je voie à Bordeaux, où je vis dans une retraite encore plus décisive qu’à Lyon.

Elle corrigeait une pièce, La Goutte d’eau, qu’elle avait soumise à Jars et rêvait d’écrire une comédie ; mais son mari l’en avait dissuadée, « en mettant dessus les œuvres de Molière », « Je deviens rouge de honte, ajoutait-elle, et vous sentez que je vais me cacher dans une élégie où je parle au moins selon mon cœur[51]. » Elle eût voulu aller à Lyon chercher Ondine, qu’elle y avait laissée en nourrice. Mais Valmore s’y était opposé. Elle avait heureusement trouvé une occasion pour ramener l’enfant.

La situation de son mari, qui apparaissait si sûre à son beau-père, devint subitement très précaire. Le directeur du Grand-Théâtre, Fourès, venait de mourir, le 8 août 1823[52], et elle se demandait avec angoisse si Valmore resterait à Bordeaux l’an prochain, « Je tremble que pour cette cause nous ne soyons forcés de quitter une ville que j’aime mieux qu’aucune autre de province. Plaignez un peu mon errante destinée[53]… » Sous l’obsession de la même idée, elle écrivait, le 28 septembre, à Mlle Mars :

Depuis que nous sommes à Bordeaux, je rêve de six mois en six mois l’espoir de vous y voir arriver, parce que ce bruit court dans le public[54] et qu’il n’intéresse ici personne que moi. À quoi tient-il donc que ce soit toujours une fausse joie… ? Je ne vois pas sans quelque frayeur les obstacles qui s’amassent devant la rentrée de Valmore aux Français… Votre appui vaudrait tous les droits, s’il y en avait… Si vous pensiez qu’il y a quelque espoir fondé pour Valmore, ayez la bonté de le dire à mon père[55]

Le besoin d’argent fut, durant toute sa vie, l’angoisse perpétuelle de Marceline. En décembre 1825, elle reçut de Latouche une lettre qui devait, semble-t-il, lui mettre du baume au cœur. Mme Récamier l’avait désignée au duc Mathieu de Montmorency qui, récemment élu à l’Académie française, avait fait savoir qu’il voulait abandonner son traitement à un littérateur malheureux. Marceline refusa l’aumône dans une lettre très adroite à Mme Récamier[56]. On peut penser que l’opinion de son ami Arago ne fut pas étrangère à ce refus. Le directeur du Kaléidoscope avait tourné en ridicule dans sa revue l’élection académique du noble duc. Mme Récamier, d’ailleurs, ne se découragea pas : en janvier 1826, elle lui fit avoir une pension du roi Charles X[57]. Cette pension, dont le brevet mit un mois à lui parvenir, la rendit heureuse. « Me voilà riche ! » écrivait-elle à son oncle Constant et elle lui offrait une partie de l’argent qui lui tombait du ciel pour faire le voyage de Paris à Bordeaux, où elle songeait aussi à installer son beau-père :

Pourquoi ne voudriez-vous pas de mon argent pour ce voyage ? C’est bien joli de me retrancher quelque chose du plaisir qu’elle me causerait ? En avez-vous ? avez-vous une pension ? Si elle ne me sert pas à faire ce qui me charme le plus, je vous déclare que je la rends[58].

Il ne semble pas, du reste, que Constant Desbordes soit jamais venu à Bordeaux. Mais Valmore père y était en juillet 1824.

On sait que la grande ambition de Marceline fut, toute sa vie, d’assurer à son mari une situation digne de son talent, sur lequel elle se faisait les plus naïves illusions[59]. Son rêve était de le voir entrer aux Français : elle estimait que là seulement était sa place, et pour l’y voir elle se fût décidée à quitter Bordeaux. Mais, disait-elle, « on ne veut pas de nous à Paris[60] ». Au moment où elle faisait cette triste constatation, Valmore avait terminé son engagement de trois ans au Grand-Théâtre. Prat, qui en avait pris la direction en avril 1824, l’avait rengagé pour un an[61]. Il avait joué les pièces du répertoire tragique et comique alors à la mode, L’École des vieillards de Casimir Delavigne, Jeanne d’Arc de Soumet, Sylla de de Jouy, Le Tasse, drame historique d’Alexandre Duval, Pauline brusque et bonne de Dumersan, L’Agiotage, de Picard et Empis, L’homme habile de d’Épagny, et aussi Sémiramis et Alzire de Voltaire, Eugénie de Beaumarchais, Alhalie, avec les chœurs de Gossec, Tartufe. La critique continuait de lui être sévère. Géraud et Arago signalaient, toujours avec quelques indulgentes réserves, ses défauts habituels. Géraud constatait qu’il avait eu de succès dans l’École des vieillards[62], mais s’étonnait de ses « mouvements onduleux » dans le rôle de Joad. Il avouait qu’il avait eu « de beaux mouvements dans Alzire, mais demandait pourquoi il éprouvait le besoin de s’affubler d’un grand manteau à l’espagnole. Le rôle « gigantesque » de Léonidas — une tragédie d’actualité en 1826 — il l’avait joué en matamore, disait Arago, que son philhellénisme rendait pourtant indulgent pour la pièce de Pichat. Et si le même Arago louait Valmore sans réserves de son interprétation de Tartufe, il faut sans doute l’expliquer par le plaisir qu’éprouva le journaliste libéral à voir sur la scène, en 1826, le chef-d’œuvre de Molière. Quant au Tasse, le drame d’Alexandre Duval tomba lourdement, le 19 mars 1827, par la faute de Valmore. Il fallait à Marceline toute sa tendresse aveugle pour se faire illusion sur son mari.

Tandis qu’il plastronnait sur les planches, elle s’absorbait dans les soins du ménage et de ses enfants. L’aîné, Hippolyte, avait trois ans à son arrivée à Bordeaux ; Ondine était un bébé de deux ans. Un troisième, une fille, Inès, naquit dans notre ville le 29 novembre 1825[63]. La mère s’occupait d’eux avec une sollicitude passionnée et inquiète.

De ce peu que je sais je vous instruis moi-même ;
Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime ;
Je vous aide à chercher les mots les plus touchans,
Pour charmer votre père attendri de vos chants.
Je vous dis : « Aimez Dieu, car lui seul nous protège,
Lui seul vous aime, enfans, comme si les grandeurs
À vos fronts ingénus attachaient leurs splendeurs :
Il prête sa lumière à notre humble cortège ;
Et pour nous soutenir, sur les bords du chemin,
Devant nous il étend son invisible main[64].

Elle les menait au Jardin public, « vert comme porée, grand, superbe et tranquille » ; elle leur apprenait, sous les grands arbres, les jeux de son enfance, ceux auxquels elle avait elle-même joué à Douai, dans la maison de la rue Notre-Dame et dans le cimetière voisin[65]. C’est pour ces chers petits qu’elle rêvait une fortune meilleure et une destinée plus stable. On se plaît à penser que c’est à Bordeaux qu’elle commença d’écrire pour ses enfants, qu’elle composa pour Hippolyte L’Écolier, Le Petit ambitieux et Le Petit peureux, imprimés dans le recueil de 1830[66] et pour la petite Inès, L’oreiller d’un enfant, qu’elle donna en 1831 à la Revue provinciale de Lyon.

Marceline était naturellement en rapports avec les camarades de son mari. Son beau-père, dans une lettre, la charge de ses amitiés pour le comédien Constant[67]. Elle a pu assister, au Grand-Théâtre, au concert qu’y donna, le 5 janvier 1826, Liszt, pianiste prodige de douze ans. Elle dut être aussi présente à celui du 19 juin, où Mme Montano reçut du public bordelais un accueil enthousiaste[68]. Elle se lia avec la cantatrice, qui devint une de ses amies. Elle connut aussi une autre actrice qui avait alors un grand succès, Mme Herdlizca. À Paris, dans sa jeunesse, elle avait eu l’occasion de voir un artiste bordelais illustre, le chanteur Garat. Il s’était offert à lui donner des leçons au moment où elle entra à l’Opéra-Comique. À Bordeaux, elle se souvint de lui et composa en son honneur deux romances : l’une, de style troubadour, publiée sous le titre : Garat à Bordeaux, dans le recueil de 1830[69], l’autre retrouvée dans les Albums à Pauline et qu’a imprimée M. Boyer d’Agen[70]. Elle y évoquait la jeunesse du chanteur qui fut la coqueluche de l’époque du Directoire et du premier Empire. Garat était mort à Paris le 1er mars 1823 : les deux pièces de Marceline paraissent donc être des hommages posthumes à sa mémoire. Mais elle connut à Bordeaux son frère consanguin, Jean-Dominique, chanteur, lui aussi[71].

Elle prenait des leçons d’anglais avec un original, nommé Williams, qui faisait admirablement les puddings, qui s’imaginait que l’âme d’un de ses cousins avait passé dans le corps de son chien Azor, et que les polissons poursuivaient dans les rues. « Plein d’excentricité, de naïveté, de ridicule et de bon sens, raconte Hippolyte Valmore, il allait jusqu’à croire que, pendant un voyage du Havre à Bordeaux, partout on le havé pris pour un Francé[72]. » Marceline s’était attachée à son professeur : elle l’appelait en plaisantant « ce gros Parisien, le plus indulgent des hommes[73] ». Elle le suivit par la pensée et par le cœur dans ses voyages et ses traverses, car ce Williams avait le tempérament d’un errant. En 1827, il avait quitté Bordeaux pour aller à Toulouse[74]. En août 1830, Marceline le retrouva à Lyon. Il venait de Paris et s’en allait à Marseille chercher quelque moyen de gagner Alger. Elle le recommanda à Lyon à Léon Boitel[75], à Marseille à Frédéric Lepeytre :

C’est un pauvre pèlerin, d’un caractère si candide, malgré son âge, que j’appelle sur lui l’intérêt de ceux qui en ressentent un peu pour moi et qui se trouvent sur la route aventureuse de ce digne homme… Depuis douze ans que je connais l’honnête M. Williams, j’ai eu tant de fois l’occasion de le plaindre et d’estimer son infortune que c’est un bonheur pour moi quand je peux arracher quelque épine à sa route. Ce qui peut lui arriver de mieux, c’est un climat sans hiver, et je recommande (à Dieu) son passage à Alger[76].

Williams alla mourir misérablement à l’hôpital d’Alger. Ses dernières

pensées furent pour Marceline, dit Hippolyte Valmore[77].

Parmi les amis bordelais de Marceline, il faut encore citer Cécile Rémy, une vieille amie, qui avait été jadis, dit-on, celle de Fabre d’Églantine et qui tenait un cabinet de lecture, fossés de l’Intendance, n° 39[78]. Marceline le fréquentait et c’est là sans doute qu’elle se tenait au courant des productions nouvelles. Elle-même, d’ailleurs, produisait. Le 28 février 1826, elle annonçait à son oncle Constant l’envoi d’un poème, Le Pauvre Pierre, à lui dédié, qui parut dans le recueil de 1830[79] et qu’elle avait d’abord communiqué au Dr Alibert : « Vous le recevrez dans peu de jours, lui écrivait-elle, avec d’autres poésies, dans lesquelles M. de Latouche, qui ne se lasse pas d’être toujours bien pour nous, choisira ce qu’il faut livrer à l’impression pour satisfaire à la demande de M. Ladvocat[80]. » Le 24 mai suivant, elle envoyait à son ami Duthillœul, à Douai, celui qui, en mai 1824, lui avait adressé des fleurs cueillies sur les remparts de sa ville natale, qui inspirèrent à Marceline son élégie La Fleur du sol natal, des « poésies inédites », en lui disant d’en disposer comme il voudrait[81]. Le 21 juin, elle adressait à son oncle Les Deux Ramiers et s’informait de ce que Latouche faisait de ses vers :

On m’a dit que M. de Latouche avait les vers que je destinais à l’impression et qu’il trouve mieux de garder pour une autre fois. Il ne nous écrit pas, et je ne veux pas le fatiguer de nos lettres, mais dites-lui, en le remerciant mieux que je ne le ferais moi-même, qu’il devrait me faire envoyer une épreuve pour que je voie comme on m’arrange, car ils font tout cela comme si j’étais morte. Il faut qu’il obtienne de M. le libraire qu’il fasse mettre deux lignes en note au bas du Lépreux, que cette faible-copie est un hommage (ou quelque chose comme cela) rendu à l’auteur du Lépreux de la cité d’Aoste. Et à propos, si le Pauvre Pierre n’est pas adressé à M. Alibert, croyez-vous qu’il soit content ? Arrangez cela selon son goût, car, d’un autre côté, c’est bien peu de chose à lui offrir. Je suis très confuse et presque affligée des soins et des peines que prend pour nous M. de Latouche… Mon oncle, adieu, je vous quitte pour aujourd’hui. Ces stupides des rues crient la condamnation à mort d’un malheureux. Comme c’est agréable à entendre !… Ah ! les vilains crieurs des rues ! Mon oncle, il faut que je vous quitte et que je fasse du bruit avec des meubles[82]

La sensible Marceline était, on le voit, adversaire de la peine de mort. Elle n’eut jamais, d’ailleurs, d’idées arrêtées en matière de politique. Mais elle aimait la liberté et son âme tendre compatissait à toutes les infortunes. C’est à Bordeaux qu’elle publia, en février 1829, dans le Kaléidoscope, la pièce sur La première captivité de Béranger, envoyée de Lyon à Jacques Arago[83].

En septembre 1825, elle avait vu passer à Bordeaux le général Foy, qui revenait avec sa femme des eaux des Pyrénées. Il descendit à l’hôtel de France, rue Esprit-des-Lois. Il y reçut les hommages des libéraux bordelais, à qui il exprima ses regrets de la mort récente de Balguerie-Stuttenberg. Il visita incognito la ville. Mais sa présence ayant été connue, il fut l’objet, le 5 septembre, d’une manifestation organisée en son honneur par les musiciens amateurs de la Société du Muséum. Ils lui donnèrent le soir, après le spectacle, une sérénade et la foule cria : Vive le roi ! vive la Charle ! vive le général Foy ! tandis qu’on lui offrait une couronne de lauriers et d’immortelles. La police laissa faire. Le lendemain, mercredi 7 septembre, le général et sa famille s’embarquèrent sur le bateau à vapeur la Marie-Thérèse. La foule se pressait sur le quai. Le général gagna le bateau à pied et fut l’objet d’une ovation enthousiaste. Les musiciens amateurs, placés sur le pont, jouèrent, à son arrivée, Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille, tandis qu’on criait encore : Vive le général Foy ! L’ancre fut levée au son des symphonies « qui retentirent dans toute la rade et annoncèrent le départ du héros législateur[84] », Marceline se souvint de cette réception triomphale lorsque, à la mort du grand orateur, survenue le 25 novembre suivant, elle écrivit Un jour de deuil, où elle se représente disant à son petit garçon :

Vous l’avez vu passer sur un plus beau rivage :
De ses jours courageux prolongeant les hasards,
Il allait d’un ciel pur essayer les regards ;
Oh ! rappelez-vous bien les traits de son visage !
La pâleur de son front faisait déjà frémir
Tous les cœurs qu’à présent vous entendez gémir.
Sur ses pas chancelants quelle foule empressée !
Que d’amour ! Sa grande âme en était oppressée.
N’oubliez pas ce jour, le plus beau de nos jours ;
Nourrissez-en mes pleurs, et parlez-m’en toujours !

Et l’enfant répondait :

Toujours je m’en souviens, ma mère ; sur la rive,
Mon père qui courait m’élevait dans ses bras ;
L’homme qu’on adorait n’avait point de soldats,
Il avait ses enfants, et l’on criait:« Qu’il vive !
Qu’il vive ! il est l’ami du peuple vertueux ! »
Moi, je criais aussi ; car je voyais ses yeux
Répondre avec douceur à ces âmes contentes
Qui jetaient devant lui leurs clameurs éclatantes.
On suivit son navire, on le couvrit de fleurs;
Il détourna ses yeux comme en cachant ses pleurs.
Partout des chants français appelaient son sourire:
Son sourire était triste; il paraissait nous dire :
« Adieu ! vos vœux bientôt me seront superflus ! »

Cette pièce de circonstance fut publiée dans le recueil de 1830[85]. Elle a été certainement composée à Bordeaux, et Marceline dut la communiquer à son ami Arago, à qui elle était faite pour plaire.

Au mois d’avril 1827, Valmore avait terminé son engagement au Grand-Théâtre sur une représentation de L’homme habile, qu’il eût été, disait le Mémorial, « assurément très capable de bien jouer » s’il s’était donné la peine d’approfondir le rôle[86]. Il partit pour Lyon, où le directeur du théâtre, Alexis Singier, qui avait eu les Valmore dans sa troupe de mars 1821 à avril 1823, le rengageait. Il fallut donc quitter Bordeaux. Ce fut pour Marceline un véritable déchirement. Elle l’exprima dans une pièce À mes Enfans, que publia d’abord le Kaléidoscope[87] :

Oui, nous allons encore essayer un voyage.
Avril est né d’hier, il vole au fond des bois:
Doux avril ! on entend partout sa jeune voix ;
Partout ses doigts légers déroulent le feuillage.
La nature s’habille; il faut prendre l’essor :
A l’ombre de ma vie abritez votre sort,
Innocens pélerins, suivez ma destinée…

Elle évoque le moment où elle quitta Lyon, en avril 1823 :

Quand j’emportai vos jours loin d’un ciel sans chaleur,
Je vous couvais encore, ô ma jeune famille,

</noinclude>

Et je sentais naître ma fille Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur[88]. </poem>

Puis aux brouillards de Lyon elle oppose le ciel plus doux de Bordeaux et au logis encore inconnu, la chère maison qu’elle habite :

Il faut partir. Ce toit qu’il fut doux d’habiter,
Qui nous couvrit l’hiver, il faut donc le quitter.

Du moins gardera-t-elle de Bordeaux un tendre souvenir :

Mais en rendant mes jours à ma tremblante étoile,
Soit qu’un doux aquilon fasse frémir ma voile,
Soit que d’un ciel brûlant me consume l’ardeur,
J’aimerai des vallons la fraîche profondeur ;
Ma pensée en soupire, et le saule, et l’yeuse,
Et près du clair ruisseau la paisible fileuse,
Le bois qui la vit naître et la verra mourir,
Me rendront des tableaux qu’il est doux de nourrir.
Aux coteaux de Lormont j’avais légué ma cendre ;
Lormont n’a pas voulu d’un fardeau si léger ;
Son ombre est dédaigneuse au malheur étranger ;
Dans la barque incertaine il faut donc redescendre.
Venez, chers Aleyons, pressez-vous sur mon cœur ;
Jetez un tendre adieu vers la rive sonore :
doux aquilon fasse frémir ma voile,
Je le sens, quelque vœu nous y rappelle encore,
Quelque regard nous suit, plein d’un trouble rêveur.
Adieu… ma voix s’altère et tremble dans mes larmes ;
Enfans, jetez vos voix sur l’aile des zéphyrs :
Dites que j’ai pleuré, dites que mes soupirs
Retourneront souvent à ces bords pleins de charmes :
Là de quatre printemps j’ai respiré les fleurs.
Ainsi partout des biens ; ainsi partout des pleurs[89] !

Ce n’était pas là l’effusion poétique d’une imagination exaltée. Marceline regrettait Bordeaux, son paysage, son soleil, ses amis. Nous en avons la preuve dans une lettre inédite qu’elle écrivait de Lyon, le 5 décembre 1827, à Mme Edmond Géraud :

Votre lettre m’a rendue heureuse, Madame ! Elle m’a prolongé l’accueil și doux à recevoir de vous-même et que je n’oublierai nulle part. Il y a sur votre lettre un reflet de Belle-Allée et de vos beaux yeux qui enchantent tout ce qu’ils regardent.

Ne croyez pas avoir découvert de l’ingratitude dans ma plainte sur Lormont. D’abord Belle-Allée n’en est point. J’ai de l’ordre dans mes émotions de cœur. Mais il y a dans ce nom de Lormont une douleur que je ne rendrai jamais et un charme qui m’y fait toujours revenir, même pour m’en plaindre. J’y ai vu Georgina… elle s’inclinait déjà… je l’aime absente comme je l’aimais alors. Vous l’avez vue pour me pardonner de vous en entretenir. Croyez-vous que ce soit là de l’ingratitude ? Madame, votre cœur a trop d’esprit pour que les nuances vous échappent. Voyez-vous au naturel, je vous en prie ; vous ne m’en aimerez qu’un peu plus, il me semble. J’ai quitté Bordeaux avec un déchirement de cœur dont la fatigue dure encore ; un cri, c’est bien peu quand on est vraiment arraché à ce que l’on choisirait pour la vie et le reste !

Adieu, Madame, j’ai trop à regarder dans le passé pour me plonger souvent dans l’avenir, qui est à Dieu !… Mais quand j’y tourne les yeux, je vous y cherche toujours et il faut que vous restiez convaincue que c’est avec le sentiment de la plus tendre reconnaissance. J’y mettrai de la patience, si j’ai quelquefois le bonheur d’apprendre que vous êtes là dans vos jardins poétiques, cultivant votre Élodie, à qui je souhaite un sort digne d’elle et de ses parens qui me sont bien chers.

Marceline Desb. Valmore.

Je voudrais bien ne faire jamais d’autres vers que ceux qui plaisent le mieux à votre pure imagination.

Mais hélas ! sur cette terre,
Où l’homme ne vit qu’un jour,
Il n’est ni croix ni rosaire
Qui guérisse de l’amour[90].

Le solitaire qui dit cela, connaît passablement le cœur humain ! Je suis à genoux devant sa pitié… et la vôtre, Madame, ne peut s’en séparer.

Lyon, le 5 décembre 1827.

Mes enfans demandent à embrasser Elodie et voudraient bien la voir demain[91].


Mais, parmi les amis qu’elle avait laissés à Bordeaux, il en est un auquel elle garda un souvenir particulièrement fidèle. C’est Jean-Baptiste Gergerès. Il était célibataire et vivait avec ses deux sœurs. Marceline avait trouvé chez lui un accueil très affectueux. Elle mit à contribution l’influence que lui donnaient ses fonctions de substitut du procureur du roi. Elle avait confiance dans sa nature « bienveillante et bienfaisante ». En novembre 1824, elle lui recommandait une « bonne demoiselle », « très pieuse, excellente fille, mais fille et alors bavarde dans sa dévotion. Elle a vécu soixante-quatorze ans. C’est dire qu’elle a beaucoup souffert. Si je vais à cet âge, il me semble que j’aurai moins peur de l’enfer et que mes péchés seront tout noyés dans mes pleurs[92]. » Le 7 avril suivant, c’est en faveur de son mari qu’elle le sollicite. Prat, le directeur du Grand-Théâtre, faisait des difficultés pour garder Valmore, dont il n’était pas sans doute très satisfait. Marceline tremblait que son mari ne perdît sa situation. Elle savait qu’Emérigon, le président du tribunal civil, connu comme un dilettante distingué, l’illustre avocat Louis-Marie-Joseph de Saget et son frère le médecin pouvaient tout sur le préfet de la Gironde, le baron d’Haussez, et elle ne doutait pas que celui-ci imposât sa volonté à Prat. L’intervention de Gergerès fut-elle décisive ?

Du reste, cher Gergerès, sans me mêler dans ce dédale, essayons le dernier moyen d’être utile à un homme que quelque talent (assez pour jouer des tyrans), un caractère honnête et une position affreuse rendent intéressant pour ceux qui pensent to their fellow sufferers[93].


En tout cas, Valmore resta à Bordeaux. La situation du ménage n’en était pas moins misérable. Le 12 mai, il était menacé de voir ses meubles saisis pour une note de dix francs impayée. Marceline s’adressa de nouveau à Gergerès. La demande était délicate ; elle s’en tira de la plus aimable façon :

On tient à me faire laisser mon humble hommage à votre bonne ville de Bordeaux, cher Gergerès, et c’est de bien bon cœur, attendu que j’y suis forcée. On vient me saisir, et je paye. Je souhaite que cet argent passe par vos mains, afin que vous ayez l’extrême bonté de m’éviter de courir à un bureau que je ne sais où prendre. On m’a dit, en me remettant ce madrigal, ce matin, qu’il fallait payer dans le jour, ou être saisie dans mes meubles, qui ne sont pas à moi. Faites donc, je vous en supplie, porter bien vite cette petite somme de 10 francs, car je ne sais où les adresser. Je vous aime, je vous embrasse et je vous espère quand vous passerez, pour que je vous demande pardon de me croire tant votre amie[94].

Une autre fois, il s’agit d’un livre que Gergerès lui a prêté, Édouard, roman de Mme de Duras, paru en 1825. Elle trouve médiocre ce « frère déshérité d’Ourika ». Et elle termine sa lettre par une allusion à la pension qu’elle vient de recevoir :

Mais voilà ma bourse et voilà une dette qui me pèse. Et si j’allais être riche demain, que ferais-je ? J’achèterais un mouton énorme que je ne ferais jamais tondre, et des poules que je ne ferais jamais tuer[95]

Le 29 janvier 1826, elle revient à la charge en faveur de sa vieille protégée, « cette grande, grande femme », qui est au lit, « étouffant sous ses soixante-quinze années », et pour laquelle elle demande à Gergerès une carte, sans doute du bureau de bienfaisance. Et elle termine joliment sa requête :

Au secours donc ! C’est moi que vous servirez, et j’irai au ciel avant vous pour le dire. D’ailleurs, il y a un grand livre pour attraper les ingrats. Si j’étais de ce nombre, je ne me souviendrais pas si bien que c’est à vous seul que je peux recourir, quand je vois un être souffrant à protéger. Vous êtes le bon ermite Aubry, et moi je suis le chien[96].

Le 8 juin, c’est pour son frère Félix, un assez triste sire, qu’elle sollicite. Elle conte à Gergerès son aventureuse existence de soldat invalide et demande pour lui « une petite place », « Je pleure pour mon frère depuis l’âge de dix ans », conclut-elle[97]. En septembre 1826, Gergerès était en villégiature à Bagnères. Il eût été heureux d’y avoir la visite de son amie. Elle aussi eût été heureuse « de retourner dans ces belles montagnes » où elle avait passé, avec sa mère, au cours de son aventureuse jeunesse. « Si vous y rencontrez, disait-elle, une petite fille aux longs cheveux blonds flottants, couverte de bouquets et baisant tous les moutons qu’elle approche, appelez-la. Marceline ». Elle ajoute :

J’ai lu des vers de Sigoyer qui sont, en vérité, bien beaux, bien harmonieux. Il les adresse à M. de Lamartine qui n’en a pas fait de plus purs ; mais il veut toujours croire qu’il meurt de mélancolie et je me réjouis de l’idée qu’il se porte à merveille[98].

Ces vers étaient ceux qu’Antonin de Sigoyer avait publiés, le 7 mai

1820, dans la Ruche d’Aquitaine, au lendemain du jour où arrivèrent à Bordeaux les premiers exemplaires des Méditations.

Quand Marceline eut quitté Bordeaux, elle resta en relations avec Gergerès. Dans son livre sur La jeunesse de Mme Desbordes-Valmore, Pougin a publié quatre lettres à Gergerès ; M. Boyer d’Agen en a donné 57 dans son volume de Lettres inédites, parmi lesquelles se trouvent les sept, datées de Bordeaux, que j’ai déjà utilisées. Ce gros dossier provient des papiers de Gergerès conservés par Mme Descrambes et Mlle Claverie et communiqués à M. l’abbé Fraikin, qui a transcrit le texte de ces lettres d’après les originaux[99].

Ces relations, loin de se relâcher par l’éloignement, se resserrèrent avec les années. Le ton de ces lettres est tout à fait intime. Marceline appelle son correspondant « bon Gergerès », « mon bon Gergerès », « mon cher et bon Gergerès », « bon frère », « cher », « mon bon ami », « mon cher frère », « mon bon frère », « mon bon ami et frère », « cher ami et bon frère », « cher frère en poésie, en charité, en amitié pure ». Et quand on connait sa sincérité, ce ne sont pas là de vaines formules. Je ne sais si on en trouverait d’aussi significatives dans ses lettres à ses autres amis.

Cette correspondance, qui se poursuivit jusqu’à la fin de 1852, permet de suivre Marceline dans sa vie toujours errante. Un douloureux refrain y résonne presque à chaque page le regret d’avoir quitté Bordeaux et de n’y pouvoir revenir. Ce regret, qu’elle exprimait le 5 décembre 1827, dans sa lettre à Mme Géraud, elle le faisait entendre le même jour à Gergerès :

Adieu ! car, bien que je vous aime, vous n’êtes pas le seul qui m’attiriez par la pensée à ce charmant Bordeaux, où il ne manque que des bancs hospitaliers dans les promenades, des Savoyards ramoneurs surveillés par la ville, et de l’eau ! de l’eau ! de l’eau !… autre part que dans la rivière. Attendez, je vois cela, je crois, en latin : Onda ! Onda ! Onda ! Onda ! Onda ! Onda !… plus ou moins. Vous les arrangerez. Mais vos incendies glacent de terreur et d’étonnement, par le peu d’eau qui coule. Vous souvenez-vous de ce tapage d’artistes que nous fîmes, un soir, à vos oreilles, en criant : « Des bancs ! des Savoyards ! des pompes ! » Je mourais de fatigue[100].

En dépit de ces inconvénients, dont elle plaisantait d’ailleurs, Bordeaux restait la ville de ses rêves. Elle écrivait de Lyon, le 17 février 1835 :

Je veux que vous me donnez… un détail de tout Bordeaux, de Bordeaux, illuminé de soleil, pavé de sable blanc et d’huitres, et rose du reflet de son vin qui calme et anime l’esprit[101].

Et de Rouen, le 17 août 1832 :

N’ayez point d’effroi, pour vous, du fléau qui parait menacer Bordeaux. Il n’est vraiment dangereux que pour les intempérants et les trembleurs. Vos habitants et leurs maisons sont d’une propreté si ravissante qu’il n’ira pas s’y fourrer ; et l’air, mobilisé sans cesse par les mouvements de la mer, balayera cette affreuse haleine[102]

En décembre 1833, Valmore est de nouveau engagé à Lyon : « Je n’ai plus de sang au cœur, écrit-elle. Moi, je pleure Bordeaux : vous y êtes[103] ». Et le 1er juillet 1839, encore de Lyon, à la nouvelle de deuils qui ont frappé Gergerès :

J’ai pleuré sur vos larmes… Bordeaux et ceux qui me l’ont rendu cher repassent si souvent devant mes yeux que j’ai appris ces morts précoces comme si j’avais vu, la veille, ceux si promptement disparus… Cette tristesse même m’attire et m’attirera encore plus puissamment à ce Bordeaux toujours si brillant, si mélancolique, si rêveur, si chantant, et tout à la fois si pieux et si sombre pour moi[104].

Ce qu’elle regrettait donc, ce n’était pas seulement les joies qu’elle avait eues à Bordeaux, c’était aussi les souvenirs douloureux qu’elle en avait emportés. Sans se lasser, elle ressasse à chaque lettre la même idée, « Votre Bordeaux m’a gâté toutes les autres villes, » écrit-elle le 11 février 1829[105]. Et le 16 mai :

Vous avez besoin de croire que tout Bordeaux me contentait. La propreté, l’élégance, le goût, toutes vos façons vives et bienveillantes, le peu d’amis que j’y ai laissés, tout cela me tient à la mémoire et forme un grand contraste avec ma vie actuelle… Dites à vos aimables sœurs que je n’ai pu découvrir à Bordeaux que Caula (ou Colat), rue Sainte-Catherine, qui tient des soies et des cordonnets passables pour le travail des perles. Il ne faut pas les employer trop gros, et avoir soin de les cirer avec de la cire blanche. Les trois bouts sont les meilleurs et les plus unis ; mais ces jolis petits ouvrages ressemblent à toutes les petites joies de la vie. Les fils cassent, les perles roulent : adieu[106] !…

En juin 1831, elle eut un vague espoir de revenir dans notre ville :

À propos de moi et de mes épreuves, dont j’ose à peine vous parler dans un pareil moment[107], vous savez done que j’ai eu, comme un éclair, le vif espoir de retourner à Bordeaux. Tout semblait y concourir et jamais désappointement n’a été plus complet et plus rapide[108].

L’année suivante, en mars 1832, elle quittait Lyon pour Rouen, où son étoile la tirait « comme des cerfs-volants ». Et elle gémit :

Puisqu’il fallait enfin remettre cette frêle barque aux vents, pourquoi ne pas nous ramener à Bordeaux[109] ?

En mai 1834, elle est de nouveau à Lyon, où la « sévère destinée » l’a ramenée de force, « comme traînée à la torture ». Au moment de quitter Rouen, Valmore avait reçu des offres pour Bordeaux et Gergerès s’était employé à faire aboutir l’affaire. « J’ai pleuré, dit Marceline, de cette chance perdue, car vous savez que j’adore Bordeaux et que, forcée encore de quitter Paris, j’eusse été bien heureuse de me réfugier dans cette ville de mon choix. C’est trop tard[110]. » En octobre, Valmore qui, lui, se plaisait à Lyon, aurait, dit sa femme, accepté « non Paris qu’il refuse à jamais, mais Bordeaux ou Toulouse », et « une amitié » sondait à cet égard les dispositions du directeur de notre Grand-Théâtre[111]. Un an après, Gergerès s’offrait à faire aboutir la chose et Marceline l’en remerciait :

… J’accepte vos bons offices auprès de la direction de Bordeaux. Valmore vous en remercie d’avance et pencherait, de préférence à toutes les villes de France, vers celle où des liens d’amitié ont résisté à l’absence[112]

En septembre 1840, Valmore est à Bruxelles, où il a été engagé au théâtre de la Monnaie. Sur le point d’aller le rejoindre, sa femme pense encore à Bordeaux :

Libres de choisir, Valmore et moi, nous quitterions Paris qui ne va pas à nos maux et à nos goûts solitaires ; et ce serait Bordeaux, avant tous les pays, où nous ramèneraient nos souvenirs de cœur. Voilà ce qui est vrai et ce que nous avons dit cent fois. Je vous ressaisirai avec une joie infinie, bon Gergerès. Vos sœurs ont laissé des souvenirs doux et vivants dans le cœur de mes enfants, et je les aime comme des anges. Ce climat doux et plein de soleil enchante encore mon imagination. En voilà donc plus qu’il n’en faut dire pour vous donner une idée de mon penchant fidèle vers Bordeaux[113].

Et elle continue sur ce ton, affirmant que Valmore, qui a maintenant quarante-sept ans, accepterait de jouer à Bordeaux les pères nobles et demandant à Gergerès s’il y aurait quelque espoir pour lui au Grand-Théâtre. Le même refrain revient dans une lettre du 27 novembre 1841[114]. À partir de cette date, Marceline perd l’espoir de revenir jamais dans la ville qu’elle aime tant. Son mari a trouvé à Paris une situation assez fragile : il est régisseur à l’Odéon[115]. Mais c’est surtout l’éducation de ses enfants qui la retient dans la capitale. En 1845, la santé de sa plus jeune fille, Inès, la « petite Bordelaise », donnant à la mère de vives inquiétude, c’est à Bordeaux qu’elle songe de nouveau :

Notre chère Inès est toujours si malade qu’un voyage seul à Bordeaux (à la lettre) rendrait la santé perdue à l’ombre de mes chagrins… Nul changement ne survient dans la santé de ma chère Inés. Il lui faudrait Bordeaux et son soleil[116].

Gergerès s’offrait de nouveau. Ondine écrivait, le 31 octobre 1846, à son père :

Je reçois à l’instant une seconde lettre de M. Gergerès, toute flamme pour nos projets méridionaux. Selon lui, une petite ville, comme nous la désirons, est trop peu comme ressources. Il ne comprend que Bordeaux et veut faire tous ses efforts pour nous y caser. Je vais lui répondre longuement et entamer quelque chose de sérieux de ce côté[117].

Ondine était alors sous-maîtresse à la pension Bascans-Lagut. Mais le projet n’aboutit pas : le 4 décembre 1846, Inès était emportée par la phtisie. En décembre 1852, le bon Gergerès faisait encore une offre : Valmore pourrait revenir au Grand-Théâtre. Mais Marceline objectait qu’il lui serait impossible de s’accommoder du directeur Walter[118]. Valmore avait, du reste, abandonné la scène : il était, depuis le 1er septembre, attaché à la rédaction du catalogue de la Bibliothèque nationale, aux appointements de 1.300 francs[119]. On le voit, la nostalgie de Bordeaux fut, pendant plus de vingt ans, une des pensées constantes de Marceline. Elle la ramenait toujours vers la ville où elle avait passé quatre années, qui, à distance, lui apparaissaient comme heureuses.

Sa correspondance avec Gergerès permet encore de la suivre dans les vicissitudes de sa douloureuse existence. Elle l’entretient de son état de santé, de sa fièvre et de son « insomnie dévorante » à Lyon, en 1829[120], de sa pauvreté, de ses meubles et de son argenterie qu’elle est obligée de vendre[121], des travaux « de son cher métier de mère et de femme pauvre », de la mort de son vieil ami le Dr Alibert, de la maladie de son cher mari[122], de ses difficultés d’argent, « ce vil métal », de la malhonnêteté d’un individu qui lui a extorqué un manuscrit, l’a vendu pour rien à un éditeur parisien et dont elle n’a pas touché un sou[123], des 759 francs que lui a donnés Charpentier pour Les Pleurs et des 1.200 que lui a valu L’Atelier d’un peintre[124]. Le 9 mars 1840, elle lui apprend enfin une bonne nouvelle, une pension de 1.200 francs, obtenue de Louis-Philippe par Villemain[125]. Elle lui conte les journées de juillet 1830 à Lyon, les émeutes d’ouvriers, la crise terrible que traversa le ménage à la suite de la Révolution de 1848, les angoisses que lui cause la situation lamentable de son mari[126].

Elle lui parle souvent de ses enfants, que Gergerès avait vus tout petits. Le 6 février 1828, elle écrit de Lyon :

Hippolyte grandit beaucoup. Il danse avec ses sœurs et les fait tourner. S’il pouvait les empêcher de penser[127] !

Et le 14 décembre :

Vous seriez content d’Hippolyte, je crois. Son intelligence s’ouvre et reçoit toutes les instructions de son âge avec une sorte d’amour, et il est bon comme vous l’avez connu. Ces anges me font une petite cour d’amour où la poésie se glisse quelquefois. Ils composent des vers à mourir de rire, et Valmore n’y tient pas. D’après tout ceci, vous jugez qu’il y a mille moments heureux pour moi, dans cette retraite mélancolique[128]

Le 11 février 1829 :

Il [Hippolyte] devient si raisonnable, excepté quand il se traîne en chien et déchire son habit de drap de zéphyr ; mais, quand il se tient droit, j’éprouve un grand bonheur à voir comme il grandit et comme il embellit. Robinson dans son île n’aura pas eu des enfants plus naïfs, car les miens vivent en l’air ou dans une tour de cartes de fées, ils ne voient les hommes qu’au loin, traversant les ponts et la chaussée. Je ne les sors jamais, ou je les accompagne, pour les aider à ramasser des cailloux au bord du Rhône[129]

Et le 12 septembre :

Voilà mes enfants que je vous présente, trois petits avocats en chemise qui sortent du bain et qui peuvent attester que je n’ai pas beaucoup de temps à prendre sur mes soins pour eux. Un jour, peut-être, vous m’en présenterez de tout pareils, pour vous justifier de m’avoir fait attendre. Je ne demande pas mieux que d’écouter leurs raisons[130].

En janvier 1830, Hippolyte vient d’avoir la scarlatine. Cela ne l’empêche pas de faire usage de ses petits doigts pour écrire, sans orthographe, une lettre de jour de l’an à Gergerès, où il lui dit qu’il l’aime de tout son cœur.

Son style n’est pas du Chateaubriand, mais il est allé tout seul et vous rirez. Ma fille a tenu compagnie à son frère, dans sa maladie rouge ; et je ne savais pas à quel lit courir, nuit et jour, durant trois semaines d’alarmes, que vous pourrez comprendre, sans grand récit. Mais vous savez que les mères sont fortes et que je n’ai pas été même indisposée à mon poste. Après leur chère convalescence, mon tour est venu. J’ai dévoré les souffrances d’un panaris, et je me revois gardant encore ma fille, tombée malade de la variole[131]

Au printemps de 1831, ses enfants et elle ont eu la coqueluche :

Valmore en a perdu la voix pendant six semaines : et ce fléau contagieux, qui règne encore ici sur Hippolyte, a été couronné par la faillite et la fermeture du théâtre[132]

Au début de 1835, Inès a eu la rougeole, à Lyon :

Mes enfants vont à l’école. Je suis toujours seule, si ce n’est dans leurs maladies. Ma petite Inès vient d’avoir la rougeole et cela m’a fait, à moi, un bien infini de la veiller[133]

En 1836, c’est encore Inès qui lui a donné du souci. Elle écrit, le 1er juillet :

J’ai passé tristement l’hiver. Ma chère Inès, une petite Bordelaise passionnée pour son pays, a lutté un mois contre une croissance si prompte et mêlée d’une maladie si grave que j’ai été moi-même malade de frayeur et de fatigue. Dieu me l’a laissée, Gergerès, et n’a pas voulu de moi qui m’étais offerte si ardemment en sa place. Elle est en pleine convalescence présentement et à l’unisson de santé avec mes deux autres chers enfants, qui se feraient tant de joie de vous revoir. Jugez si votre souvenir est dans celui qui leur reste de Bordeaux[134] !

Hippolyte a grandi. En 1832, Marceline l’avait mis à Grenoble dans une institution où l’avait fait entrer Pierquin de Gembloux[135]. Mais en 1837, elle l’a rappelé près d’elle :

Mon cher fils est avec nous ; je n’ai pu me résoudre à le renvoyer à Grenoble. Il achèvera sous nos yeux son éducation. Il est bien des pieds à la tête, et au dedans comme au dehors. C’est encore un ange, et il sera un honnête homme. Les mathématiques, les langues, le dessin, voilà son lot. Sobre, intègre, soumis, ce sera son père dans une carrière plus régulière et meilleure. Ses soœurs sont deux petites saintes vous les aimerez bien. They speak english all days. They bloom on the prayer and love[136].

Au début de 1838, le ménage a de nouveau quitté Lyon et est à Paris, d’où Marceline écrit, le 14 février :

Hippolyte rêve déjà beaucoup à vous serrer les mains qu’il se rappelle si pleines de gâteaux. Inès vous ouvre ses bras, pour vous remercier de l’asile des vôtres. Je lui ai raconté cet événement de son enfance. Jugez si je vous ai fait une amie de cette petite Bordelaise, toute passion et tout soleil. Ma blonde et gracieuse Line se ressouvient de tout et pleure toujours. Hélas ! cette charmante fille pleure déjà tout ce qui est loin et tout ce qui s’en va[137].

En 1843, au lendemain du succès de la Lucrèce de Ponsard, à l’Odéon, elle espère qu’elle aura, « provisoirement du moins, un répit contre la famine ».

C’est l’ange descendu aux pleurs d’Agar dans le désert. Mon fils, notre cher Ismaël, aura un peu d’eau : par combien de sueurs son pauvre et adorable père l’achète-t-il[138] ?

L’année suivante, Ondine, qui a vingt-trois ans, « vient de passer bravement et victorieusement ses examens scientifiques. C’est une petite fille sage, comme une nonne volontaire, de qui l’esprit sérieux n’ôte pas une grâce à notre petite Bordelaise[139]. »

Le ménage est resté à Paris, à cause des enfants. Et Marceline semble le regretter, car, dit-elle, « en quel pays du monde ma chère Ondine n’eût-elle pas abrité son intelligence avec plus d’avantage ? » Elle demandait l’appui de Gergerès pour faire entrer son mari à la Compagnie d’Orléans[140]. Enfin, après 48, Ondine trouva une situation plus rémunératrice que son poste de sous-maîtresse. Armand Marrast la nomma inspectrice des écoles de la Seine. Marceline annonça la bonne nouvelle à Gergerès le 26 avril 1849 :

Hippolyte est aux appointements, travaillant ferme, à la façon du laboureur qui sème le blé sain. Moi, je n’ai perdu que 1.200 francs dans cette mêlée. Le lambeau qui me reste, c’est le fil de la Vierge qui nous laisse flotter au-dessus de l’abyme.

Ondine est dame inspectrice d’un quart des pensionnats de Paris. C’est très honorable, mais bien fatigant pour cette chère et petite colombe qui est revenue au toit paternel. Je voudrais bien lui en voir un conjugal. Pleine de grâce et de vertus solides, ce serait une bénédiction qui satisferait son père. Elle n’y songe pas ; elle travaille toujours et pense aux fleurs[141].

On sait qu’Ondine, après avoir été aimée de Latouche et de Sainte-Beuve, épousa, en janvier 1851, un avocat, Jacques Langlais, député de la Sarthe, et mourut, le 12 février 1853, à trente-et-un ans, emportée par la même mal que sa sœur[142].

Ces citations montrent l’intimité qui ne cessa jamais d’exister entre Marceline et Gergerès. Mais il y avait entre eux d’autres échanges que de nouvelles. Gergerès lui envoyait de ses vers ; elle les trouvait « d’un vrai qui déchire ». Elle lui en envoyait des siens, qu’elle avait écrits « sans les avoir composés », « venus comme cela dans un de ces moments d’amour triste dont on mourrait peut-être, si l’on ne fondait en larmes, en poésie[143] ». Ces vers, qu’elle adressait à Bordeaux, elle les appelait joliment « une alouette » qu’elle tenait par les ailes et à qui elle allait « donner la volée par la poste[144] ». En juin 1833, Gergerès lui fit imprimer une pièce, L’Attente[145], dans la nouvelle revue bordelaise de Lacour, La Gironde[146], à laquelle il donna lui-même un compte-rendu du livre en prose de Marceline, L’Atelier d’un peintre. Il y disait que ce livre « sera bientôt ce que les Anglais appellent une lecture favorite ; il ne peut, d’ailleurs, qu’ajouter à la réputation bien établie d’une femme qui, après avoir placé son nom au rang des plus belles illustrations poétiques de son sexe, peut désormais marcher l’égale de nos plus intéressants romanciers[147] ». Le 6 mai 1834, elle se plaignait que Gergerès n’eût pas fait imprimer dans La Gironde un second envoi qu’elle lui avait adressé. Il s’agissait de la pièce intitulée Dans la rue, où elle avait peint avec une indignation farouche une sanglante émeute d’ouvriers lyonnais[148]. Le royaliste Gergerès avait dû la trouver un peu trop « socialiste ». Il continuait, d’ailleurs, à signaler ses productions : le 28 juin 1839, elle le remerciait d’un article qu’il avait publié sur son roman Violette[149]. En décembre 1842, elle lui envoyait son recueil de poésies Bouquets et prières, en s’excusant de ne pas l’avoir dédicacé, faute d’argent pour affranchir le volume. « Faites-en vendre deux à Bordeaux », ajoutait-elle, et encore :

Mettez-les sur votre fenêtre, aux rayons du beau soleil de Bordeaux, parmi les fleurs de vos sœurs et leurs prières aussi, plus dignes de monter[150].

Gergerès rendit compte du livre, et elle l’en remercia avec son effusion ordinaire[151]. En 1847, Gergerès songea à se faire éditer à Paris. Il s’agit sans doute de son recueil de poésies édifiantes, Le culte de Marie, publié en 1849. Ce qui est certain, c’est qu’il envoya son manuscrit à Marceline, qu’elle le lut et relut « ligne par ligne, avec l’attention du cœur », qu’elle fut touchée « de ce style simple, solennel et vrai qui est la grâce de la croyance » et qu’elle ajouta, par-ci par-là, un mot, non « pour ajouter à l’esprit du livre, mais pour le saluer, car, disait-elle, il me soulageait de mes larmes[152] ». Gergerès ne lui envoyait pas seulement des vers. Il lui expédiait, en 1833, du café, qu’elle avait reçu avec enthousiasme :

Me voici devant vous : comment vous portez-vous ? Ah ! qu’il est doux et utile de respirer et de dire à quelqu’un « merci » quand on étouffe de ce besoin. Pourtant, l’heure qui le renouvelle tous les jours est une des plus douces de ces heures d’agitation : celle où je prends le café qui réveille un peu de gaîté et beaucoup de reconnaissance en moi, mon bon Gergerès, qui ne peux vous le dire que si tard et de si loin ! Je l’ai reçu enfin, ce suave don de votre amitié. Je le bois, je le bois seule, avare et fière d’avoir quelque chose en toute propriété. Je vous rends grâce, une bonne fois, de cette possession unique :

Comme une erreur plus tendre, elle a sa volupté[153] !

Mais Gergerès était collectionneur. Il demandait à Marceline des autographes d’hommes célèbres, choisis parmi les innombrables lettres qu’elle recevait. Toujours généreuse, elle lui en expédiait un paquet, en novembre 1837 et lui écrivait, le 11 avril 1838 :

Je vous fais avec une vraie joie le sacrifice des deux petits papiers auxquels je tenais le plus et de ce que j’ai aimé le mieux dans mon enfance : Grétry et Mlle Mars.

Et elle y joignait, par surcroît, un autographe de Sophie Gay et un autre de son intime amie, Pauline Duchambge, la musicienne charmante qui mettait ses romances en musique[154].

Marceline se plaisait aussi à donner à Gergerès des nouvelles des personnes qu’elle avait connues à Bordeaux. En août 1827, elle reçut à Lyon la visite de l’impresario de Mme Montano, qui lui dit qu’elle était à Grenoble, à l’hôtel des Trois Rois et dans la misère, « en gage ». Cela lui navra le cœur et lui donna une grosse migraine[155]. Elle la suivit dans sa carrière et fut heureuse d’apprendre à Gergerès, le 6 février 1828, que « cette sirène » lui avait écrit de Naples, où elle avait beaucoup de succès[156]. Le 3 août suivant, elle lui annonce que la cantatrice est à Lyon :

Voilà Montano tout près de moi. Qu’avez-vous de mieux à faire que de bien la recevoir et moi par-dessus le marché[157] ?

Malheureusement, ce séjour à Lyon a été « tout de travers ».

Mille entraves l’ont empêchée de s’y faire entendre. Je ne sais, mais je crains pour elle un sort déplorable. Elle n’a plus de santé, pas d’engagements, pas d’appui. Pauvre rossignol ! Je l’ai vue triste, et je sentais qu’elle en avait toutes les raisons du monde. Aussi je l’étais moi-même[158].

Gergerès, qui était un dilettante, s’enquit du sort de Mme Montano : « Je ne sais où elle est passée, lui répond Marceline, le 11 février 1829. Inconcevable fille[159] ! »

Elle demandait, par contre, à Gergerès des nouvelles des amis qu’elle avait connus à Bordeaux, des camarades de son mari, Matis et Constant, de son vieux professeur d’anglais Williams, du chanteur Garat, de Cécile Rémy. Le 17 février 1835, elle se plaint qu’il ne lui écrit plus : « Cela me fait de la peine ». Le 10 décembre suivant, elle s’excuse de son silence à son égard[160]. Elle continue à s’intéresser à Édouard Delprat, dont elle a appris, en février 1829, le mariage :

Bien qu’il soit heureux, nous l’aimons toujours, et surtout bien qu’il nous oublie. Nous ne serons jamais détachés de Bordeaux, c’est une chose arrêtée. Il faut encore que vous me disiez des nouvelles de M. Mestre[161]. Est-ce une amitié perdue ou endormie ? Le voyez-vous ? Il a été si bon pour nous. Nous y tenons par la reconnaissance[162].

En 1829, Mlle Mars, son amie, était à Bordeaux. Elle n’y avait pas été aussi bien accueillie du public que les fois précédentes. Elle avait cinquante-quatre ans. C’était une raison, pensait Marceline. « Si vos enfiévrés savaient que Mlle Mars a cinquante-quatre ans, peut-être qu’ils la tueraient. » Gergerès avait été très affligé de cet accueil. Mme Desbordes-Valmore prend pourtant la défense du public bordelais :

Sachez que, de toute la province, le public de Bordeaux est le plus délicat, le plus gracieux dans ses adoptions, celui dont la tenue soit la plus décente et le tact le plus fin. Ne vous étonnez pas que je l’aime et que je le regrette, du fond de mon cœur ; car ce n’est pas le public de Bordeaux qui vient d’outrager ce que la scène possède de plus parfait, il l’a au contraire noblement défendue et protégée. Mais qui peut guérir une telle blessure ? Non, non, la gloire ne vaut rien puisqu’elle est amère, même à Mlle Mars, et j’en suis toujours pour mes moutons et mes vallées tranquilles[163].

Elle avait aussi conservé un fidèle et doux souvenir de l’accueil des Géraud. En voici des preuves nouvelles. Elle écrivait de Lyon à Gergerès :

Heureux habitants de Belle-Allée, que le même ombrage vous protège toujours et que la petite Elodie n’en connaisse pas d’autre[164] !

Le même lien [la reconnaissance] m’attache au souvenir de M. et Mme Géraud. Voulez-vous bien leur dire, Gergerès, que je suis avare de tous ces fils qui me lient par le cœur[165] ?

Aussi, lorsqu’elle apprit la mort du poète, survenue le 21 mai 1831, elle partagea la douleur de Gergerès et le deuil de sa veuve :

L’événement qui vous frappe, bon Gergerès, dans votre plus intime amitié, m’a troublée de surprise et de douleur. Tous vos souvenirs se sont réveillés en moi, comme si je vous voyais vous-même : et vos larmes, votre pâleur, ce triste silence qui suit la perte irréparable de ce qu’on aime, tout m’est entré dans l’âme avec le regret personnel que j’éprouve de ne plus chérir dans M. Géraud qu’un ami pour toujours absent. Je vous assure que le serrement de cœur que j’en éprouve me rapproche bien tristement, depuis cette triste nouvelle, de vous, Gergerès, que je sens bien malheureux, et de la charmante femme qu’il avait tant de peine à quitter. Comme elle reste à plaindre ! pauvre petite mère d’Élodie ! Personne ne la regarde, dans le présent et dans l’avenir, avec plus d’attendrissement que moi, croyez-le. J’ai déjà connu tant de chagrins que je les devine tous. Aussi, je ne consolerais pas Mme Géraud, mais je l’entendrais, si j’étais auprès d’elle.

Je ne pourrais pas, dans ce moment, mettre assez d’ordre dans mes idées pour vous envoyer rien qui fût digne d’être jeté sur la tombe d’un poète. J’aimais M. Géraud pour quelque chose de pareil qui se trouvait dans nos âmes, une mélancolie qu’il cachait mieux que moi, et une ardeur vraie et profonde qui brûlait, qui charmait ou qui consolait sa vie, et je crois le voir devant moi qui me dit : « Oui, vous ne vous trompez pas ! » Mais il me le dit avec le calme du ciel à présent, et nous sommes tous, cher ami, plus troublés, plus malheureux que lui. Quel dommage de s’en aller ainsi un à un ! Que je plains surtout sa femme, elle qui était aimée !

Vous aurez plus tard l’hommage bien dur de mes regrets. Il s’y mêlera toujours un doux sentiment, celui de la reconnaissance, car il m’a conduite et menée lui-même à Belle-Allée, moi, pauvre étragère. Croyez bien aussi que le souvenir de Bordeaux m’est ineffaçable[166].

Cet hommage que Gergerès sollicitait, Marceline le lui envoya sous forme d’une élégie Aux mânes d’Edmond Géraud, qui n’est pas, il faut l’avouer, une de ses meilleures pièces. Elle a été publiée en 1833 dans le recueil intitulé Les Pleurs. M. de Bordes de Fortage possède la copie, de la main de Marceline, que reçut Gergerès ; une autre copie est conservée dans les manuscrits de Géraud.

Il est enfin un Bordelais illustre à qui Mme Desbordes-Valmore a témoigné une ardente sympathie. C’est Peyronnet. Marceline, on le sait, n’eut jamais, en politique, d’autre opinion que celle de son cœur et de sa pitié. Elle avait plaint Béranger captif, acclamé le général Foy, le grand orateur libéral. Elle devait pleurer sur les ouvriers de Lyon, parcourant les rues en criant leur faim, drapeau noir en tête et tombant sous les balles des soldats, et plus tard, en 1848, chanter la Révolution et le citoyen Raspail, « martyr humanitaire ». En 1833, elle s’attendrissait sur la destinée du comte de Peyronnet, ministre de Charles X, enfermé au fort de Ham, où il devait rester six ans. Peyronnet était l’auteur de la loi sur la presse qui avait valu à Béranger la prison. Mais Peyronnet était poète et ami de Gergerès. Celui-ci avait fait, en août-septembre 1833, le voyage de Bordeaux à Paris et à Ham pour voir le prisonnier. Il en profita pour rendre visite à Marceline. Il se présenta chez elle, rue de Lancry, no  12 ; elle était sortie. Il n’était que deux heures ; elle devait rentrer à quatre. Il revint à cinq heures. « Cette fois, écrit-il dans son journal, je l’ai rencontrée avec son mari et ses enfants ; nous avons longuement causé de leur situation bien pénible, de leur incertitude sur l’avenir, de Bordeaux, de nos amis communs et de vingt autres sujets intéressants. À six heures un quart, je les ai quittés pour aller dîner à la hâte. » Gergerès, grand amateur de théâtre, passa sa soirée à l’Opéra. À la porte, il acheta « deux portraits lithographiés de l’acteur Bouffé et de Mme Desbordes-Valmore, qu’on a étrangement défigurée ». Quelques jours après, il la revit et s’invita à dîner chez elle : « J’ai trouvé, écrit-il, ces excellents amis dans une mansarde avec leurs deux enfants, et j’ai paru leur faire plaisir en m’asseyant à leur table. Nous avons beaucoup causé de Bordeaux, de la mort de M. Valmore père, de la fin plus triste encore de Mlle Delprat…[167], du projet de faire un vaudeville pour le Gymnase sur un trait charmant de la vie du duc de Richelieu, etc. J’ai promis à la bonne Marceline de lui envoyer du café[168], et, en vérité, je le dois bien, car elle m’a comblé de bontés et m’a fait don de son dernier ouvrage, intitulé Les Pleurs, dont j’ai lu devant elle quelques pièces parfaites de grâce et de sensibilité[169]. »

C’est à la suite de cette visite que Marceline connut l’infortune de Peyronnet. Trois mois après, elle lisait une notice que Gergerès avait consacrée au prisonnier de Ham et qui lui « ouvrait le cœur » :

J’ai pleuré !… J’ai trouvé, de lui, un article charmant dans un journal d’éducation : mais je ne peux ranger (sic) mes larmes sur un malheur si grave et si profond. Il aurait de grandes élégies autour de sa prison, si les âmes stupéfaites de sa destinée pouvaient se lire et se voir. Moi qui peux souffrir et soupirer sur les boulevards, je n’ose plus me croire à plaindre quand je regarde une prison. C’est ce que je n’ai jamais compris ; mon cœur et ma tête éclatent quand j’y pense longtemps, et, hier encore, j’ai vu la tête du Tasse[170]

Cette comparaison de Peyronnet et du Tasse, c’est Gergerès qui l’avait suggérée à Marceline au cours de sa visite à Ham, il avait remarqué dans la cellule de son ami une « écritoire, ronde de support et garnie de cinq petits vases de cuivre pour l’encre, le sable, etc. » C’était, paraît-il, l’encrier du Tasse ; volé en Italie par un soldat français, il avait été remis à M. Delpire, officier de la garde impériale, puis commandant du château de Ham, qui en avait fait cadeau à son prisonnier[171]. De plus, Gergerès avait fait lire à Peyronnet des vers de Mme Desbordes-Valmore, sans doute des pièces des Pleurs, qu’elle venait de lui donner. Peyronnet écrivit à Marceline, qui en informa aussitôt Gergerès :

En envoyant à votre illustre prisonnier les tristesses de mon cœur, vous ne saurez peut-être pas que vous m’avez fait éprouver une émotion terrible de surprise et d’attendrissement. J’ai reçu un élan de l’âme de M. de Peyronnet. Je vous assure, Gergerès, que j’ai senti son âme près de moi dans des vers, des lignes et des mots dont l’impression sur mon âme est aussi ineffaçable que son malheur. Le malheur est donc sublime[172].

Peyronnet lui disait :

C’est à toi de pleurer, c’est à moi de souffrir.
Pleure et tes pleurs sacrés allègeront mes chaînes…
Et pendant que je lutte avec le malheur, toi,
Toi, Sapho, toi, Tyrtée, anime et soutiens-moi !

Et Marceline lui répondit par des vers, « et des larmes aussi qui voulaient passer entre les grilles » :

Quoi ! c’est d’une prison que sort cette lumière !
Incline-toi, mon âme, au pied de ce flambeau.
C’est la religion qui soulève un tombeau.
C’est l’attente qui veille au fond de sa prière.
Nuls verrous entre l’homme et Dieu[173]

En octobre 1834, elle lui adresse de nouveaux vers, considérant « comme un devoir la dette au prisonnier ». Et elle écrit à Gergerès :

Vous savez comme il a grandi dans mon âme, depuis son exil de ce monde. Je le plains, je l’aime, je l’honore et, puisque vous croyez qu’une créature si humble et si malheureuse que moi puisse verser une ombre de discrétion consolante dans une si longue infortune, j’ai osé lui écrire[174].

Ces vers, c’était l’Élégie à M. de Peyronnet, où elle faisait allusion à l’encrier historique :

Et dans ce don sacré du Tasse
Il reste de l’encre et des pleurs.

Elle en avait adressé l’ébauche à Gergerès. Le 17 février 1835, elle lui écrivait :

Ne laissez pas paraître dans la Gironde les vers incomplets pour M. de Peyronnet ; je les ai envoyés tout corrigés à la Revue du Nord, à Lille, où j’ai lu plusieurs fois des articles si remarquables de cet homme infortuné. Si vous le voulez, je vous les enverrai moins indignes du sentiment qui me les a fait écrire[175].

Un an plus tard, elle s’inquiète du prisonnier de Ham :

Vous ne dites rien de M. de Peyronnet. Je suis consternée de le savoir malade et enfermé. Gergerès, quel courage dans cette âme ! Mes prières tombent par terre, je le vois bien ; car il est encore là, et rien ne change. Le malheur est en plomb, Mme Géraud le sait bien[176].

Gergerès, lui aussi, se lamente sur le sort de son ami, et elle fait chorus

avec lui :

Ce que je comprends tout aussi parfaitement, c’est votre douleur sur M. de Peyronnet et votre douleur de le sentir là-dedans. Ah ! voilà des maux immenses. Je désire du fond et de toute l’énergie de mon âme que ceux qui les causent en perdent le pouvoir. Dieu ne veut pas que la cruauté règne…[177]

Enfin, le 20 octobre 1836, elle apprend que « le Tasse », dont « l’état chancelant » la préoccupait[178], est enfin sorti de prison. Et sa joie, une joie toujours inquiète, d’ailleurs, s’exhale dans ces lignes à Gergerès :

Votre cœur ne vient-il pas de s’ouvrir à une grande joie ? Le passé laisse-t-il place à une émotion pure, Gergerès, et la liberté enfin, n’est-ce pas toujours la liberté ? Après cette noble victime de tous les dévouements, après le salut de mon âme à la veille saisissante de sa délivrance, c’est à vous que j’ai pensé et c’est à vous que j’écris, afin que ce peu de lignes, en ces troubles de bonheur amer, rencontrent vos yeux humides, j’en suis sûre, du même attendrissement. Je ne doute pas de cette nouvelle. Ce serait trop affreux[179].

La correspondance de Marceline et de Gergerès s’arrête au 9 décembre 1852. Mme Desbordes-Valmore mourut le 23 juillet 1859. L’année même de sa mort, un Bordelais d’adoption, Charles Monselet, disait d’elle dans sa Lorgnette littéraire :

Mme Desbordes-Valmore a joué pendant quelque temps la comédie en province ; elle y était insuffisante. Le rôle de muse lui convient mieux. Elle n’a pas de rivale pour faire parler l’enfance, et ses vers naissent vraiment du cœur[180].

Ce jugement, qui trop longtemps a fait loi, est franchement insuffisant et injuste. Marceline n’a pas été seulement l’auteur des pièces enfantines reproduites dans toutes les anthologies. En dépit de ses inégalités, des imperfections de sa forme, elle est un grand poète, parce qu’elle eut, à un degré exceptionnel, la sincérité, qui est l’âme du lyrisme. Deux thèmes, l’amour et la douleur, ont fait résonner son âme comme une lyre et lui ont inspiré de ces vers immortels dont Musset a dit qu’ils sont « des purs sanglots ». Bordeaux a le droit d’être fier d’avoir été une des sources de cette inspiration. Elle l’a aimé, elle s’y est plu, elle l’a regretté, elle y a noué des amitiés auxquelles elle est restée fidèle. Après Douai, sa ville natale, c’est le seul lieu auquel elle ait voué une tendresse passionnée et constante. Elle eût voulu y vivre, elle eût voulu y mourir :

Aux coteaux de Lormont j’avais légué ma cendre ;
Lormont n’a pas voulu d’un fardeau si léger…

  1. Dans une étude sur Mme Desbordes-Valmore à Lyon, M. Auguste Bléton a cru que Marceline et son mari étaient à Lyon le 16 mai 1821, ce qui supposerait qu’ils avaient quitté Bordeaux à cette date (Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, 1893, p. 7). MM. J. Boulenger (Marceline Desbordes-Valmore, 1909, p. 252) et Lucien Descaves (La Vie douloureuse de Marceline Desbordes-Valmore, 1911, p. 137) ont cru aussi à ce voyage à Lyon et à un retour à Bordeaux huit mois plus tard. En fait, les Valmore n’ont pas quitté Bordeaux. M. Eugène Vial, dans son récent travail sur Marceline Desbordes-Valmore à Lyon, a établi que le Valmore qui débuta à Lyon, le 16 mai 1824, était le beau-père, et non le mari de Marceline (La Connaissance, juin 1921, p. 448).
  2. C’est Hippolyte Valmore, le fils de Marceline, qui le dit, sans doute d’après sa mère. (Poésies, éd. Lemerre, t. II, p. 371, n.)
  3. Boulenger, op. cit., p. 26-27.
  4. A. Pougin, La jeunesse de Mme Desbordes-Valmore, 1898, p. 39-41.
  5. Boulenger, p. 37-38.
  6. Poésies, éd. Lemerre, t. I, p. 188-192, — M. Francis Jammes a consacré à l’embarquement à Bordeaux de Marceline et à son départ pour les îles l’élégie XV de son recueil Le Deuil des Primevères.
  7. Boulenger, p. 117-118.
  8. Ce fut avec une satisfaction profonde : « Ne plus jouer la comédie est un genre de bonheur que je ressens jusqu’aux larmes », écrivait-elle de Bordeaux à son oncle Constant le 24 juin 1823 (Boulenger, p. 261).
  9. [Boyer d’Agen]. Œuvres manuscrites de Marceline Desbordes-Valmore, Paris, 1921, in-8o, p. 225.
  10. Aujourd’hui rue Lafaurie-de-Monbadon, n° 13.
  11. Lanchantin-Valmore à Mme Desbordes-Valmore. 11 février 1826 (Œuvres manuscrites, p. 222).
  12. Pougin, p. 150.
  13. Il signait P.
  14. Cette lettre inédite se trouve dans les papiers d’Edmond Géraud, conservés par Mme Pierre Meller.
  15. Mémorial bordelais, 18 mai 1823.
  16. Ibid., 23 juin 1823.
  17. Ibid., 6, 13 juillet, 9 août 1823.
  18. Mémorial bordelais, 29 décembre 1823. Cf. les appréciations identiques du Journal de Lyon, signalées par E. Vial (La Connaissance, juin 1921, p. 441).
  19. Maurice Albert, Un homme de lettres sous l’Empire et la Restauration, Paris, [1893]. p. 234.
  20. Maurice Albert, p. 240. — Cf. L. Descaves, op. cit., p. 135-136.
  21. Maurice Albert, p. 229.
  22. Léon Séché, Alfred de Vigny, t. II, p. 35-37, 45-49.
  23. C’est-à-dire un exempiaire d’Éloa. — Cf. L. de Bordes de Fortage, Lettres inédites d’Alfred de Vigny, p. 26.
  24. Boulenger, p. 302.
  25. Poésies, éd. Lemerre, t. I, p. 112-113.
  26. Cf. P. Meller, Essais généalogiques, Nairac, p. 8.
  27. Poésies de Mme Desbordes-Valmore. (Paris, Boulland, 1830, 3 vol.), t. II,
    p. 117. — Ed. Lemerre, t. I, p. 163.
  28. Les danses de Lormont (Poésies, éd. Lemerre, t. II, p. 358-359).
  29. Un homme de lettres sous L’Empire et la Restauration, p. 223-224.
  30. Annales de la Littérature et des Arts, Ve année, t. XVIII, ccxxviie livraison samedi 12 février 1825. Paris, 1825, in-8o, p. 255-264.
  31. Poésies, éd, Boulland, t. II, p. 157.
  32. Mss. d’Edmond Géraud, lettres originales, p. 196.
  33. Il s’agit d’Albert de Novalaise, romance de Géraud, datée de juillet 1822, restée inédite et dont le thème fait songer au fameux duo de Mireille :

    Albert de Novalaise,
    Aimable troubadour,
    À gente Rochelaise
    Ainsi parlait un jour :

    « Si ton père, Héloïse,
    T’enferme en un couvent,
    Je me ferai d’Église
    Pour te voir plus souvent.

    S’il te condamne à vivre
    Dans le château de Rhé,
    En geôlier, pour te suivre,
    Je me déguiserai.

    Aux flancs d’une galère
    S’il cache tes appas,
    Je prendrai, pour te plaire,
    La rame des forçats.

    Si d’aller en Galice
    Il t’impose la loi,
    Je ceindrai le cilice
    Pour partir avec toi.

    Enfin s’il te marie
    Au comte de Cholet,
    J’oublierai ma patrie.
    Pour être ton varlet. »

    Dès que ce mariage
    Hélas ! fut terminé,
    Albert devint le page
    De l’époux suranné.

    Et l’adroite comtesse
    Unit, depuis ce jour,
    Grand renom de sagesse
    À doux péché d’amour.

    (Mss. d’Edmond Géraud, Variantes, p. 625.)

  34. Sans date [fin 1826 ou début de 1827]. (Mss. d’Edmond Géraud, lettres originales, p. 206).
  35. Il s’agit du Songe de Pétrarque, romance où Géraud met en scène Laure apparaissant à son poète pour lui faire de funèbres adieux.
  36. Mss. d’Edmond Géraud, lettres originales, p. 207. — J’exprime ma vive et respectueuse gratitude à Mme Pierre Meller, qui a bien voulu me communiquer et me laisser publier ces trois lettres, dont Hippolyte Valmore, dans une lettre du 14 décembre 1869, avait demandé à Mme Jardel de Larroque, fille d’Edmond Géraud, l’autorisation de prendre copie.
  37. Arago quitta Bordeaux après 1830 et se fixa à Rouen, où Marceline le retrouva (lettre à son fils Hippolyte, 30 décembre 1832, dans Marceline Desbordes-Valmore. Lettres inédites recueillies et annotées par son fils Hippolyte Valmore (1812-1857), préface de Boyer d’Agen. Paris, 1912, p. 237).
  38. Kaléidoscope, t. III, p. 228-232, 300-304.
  39. Ibid., t. II, p. 73-74.
  40. Kaléidoscope, t. V, p. 223-224.
  41. Ibid., t. II, p. 237.
  42. Elle envoya ces vers le 21 juin 1826 à son oncle Constant en disant qu’elle les avait faits « cet hiver d’après nature ; ils étaient bien jolis et amoureux comme en plein été » (Pougin, p. 161).
  43. Kaléidoscope, t. II, p. 217-218. Cette pièce a été retrouvée par M. Boyer d’Agen dans les Albums à Pauline et publiée par lui (Œuvres manuscrites de Marceline D.-V., p. 56-58).
  44. Kaléidoscope, t. III, p. 146-147.
  45. Ibid., t. II, p. 265-266.
  46. Boyer d’Agen, op. cit., p. 58, 73-74.
  47. Boulenger, p. 217-218.
  48. Kaléidoscope, t. XI, p. 241-242.
  49. Ibid., t. XIV, p. 193.
  50. Mme Paul Nairac.
  51. Pougin, p. 141-143.
  52. Detcheverry, Histoire des théâtres de Bordeaux. Bordeaux, 1860, in-8o, p. 232.
  53. Pougin, loc. cit.
  54. Mlle Mars ne vint à Bordeaux qu’en avril 1827, après le départ des Valmore.
  55. Corresp. intime de Mme D.-V. publiée par B. Rivière (Paris, 1896, 2 vol. in 8o), t. I, p. 11-12.
  56. Pougin, p. 145. — Boulenger, p. 179-181.
  57. Pougin, p. 154. — Boulenger, p. 259. — Cf. aussi une lettre de jour de l’an de Marceline à Mme Récamier, datée de Bordeaux, 30 décembre 1826 (Lett. inéd., p. 338-339).
  58. Pougin, p. 147-153.
  59. Cf. sa lettre à son oncle, du 24 janvier 1825, citée par Boulenger, p. 252-253
  60. À Constant Desbordes, 21 juin 1826 (Pougin, p. 159-160).
  61. Mémorial bordelais, 16 avril 1826.
  62. La pièce de C. Delavigne fut jouée trente fois à Bordeaux.
  63. Voici son acte de naissance : « Le vingt-neuf novembre mil huit cent vingt-cinq, à dix heures du matin, est comparu le sieur François-Prosper Lanchantin, dit Valmore, âgé de trente-deux ans, artiste dramatique, demeurant rue Montesquieu, no  21, lequel nous a présenté une enfant du sexe féminin, née ce matin, à sept heures, de lui déclarant et de dame Marceline-Félicité-Josèphe Desbordes, âgée de trente-neuf ans, son épouse, et auquel il donne les prénoms de Blanche Inès. Fait en présence des sieurs Jean-Angel-Ignace Ferrand, âgé de soixante-dix ans, propriétaire, même maison, et Jean Serre, âgé de quarante-neuf ans, marchand, fossés de l’Intendance, no  36. Lecture faite du présent, le père et les témoins ont signé avec nous,
    Valmore, père, Ferrand, J. Serre.
    L’adjoint du maire : B. de Baritault. »

    (Arch. de l’État-civil de Bordeaux, 1825. N. 1e section, no  1234).

  64. À mes Enfans, pièce écrite en avril 1827, au moment de quitter Bordeaux
    (Poésies, éd. Boulland, t. II, p. 55).
  65. Pougin, p. 150. Cf. L. Descaves, op. cit., p. 10-17.
  66. T. II, p. 285 ; t. III, p. 235 et 251.
  67. Boyer d’Agen, op. cit. p. 224.
  68. Mémorial bordelais, 21 juin 1825.
  69. T. II, p. 109-112.
  70. Lettre à Gergerès, 14 décembre 1828 (Lettres inédites, éd. Boyer d’Agen, p. 32)
  71. Œuvres manuscrites, p. 50-51.
  72. Ibid., p. 25, note 1.
  73. Ibid., 30 août 1827, p. 25.
  74. Ibid, p. 42.
  75. Lettre du 30 août 1830, cité par E. Vial, op. cit. (La Connaissance, juin 1921, p. 463-464).
  76. Lettres inédites, p. 90-91.
  77. Lettres inédites, p. 32, n. 3.
  78. Aujourd’hui cours de l’Intendance, 57. — Cf. Pougin, p. 208.
  79. T. III, p. 59-86.
  80. Pougin, p. 148.
  81. Ibid., p. 158.
  82. Pougin, p. 161-163.
  83. Poésies, éd. Boulland, 1830, t. III, p. 195-202.
  84. Indicateur, 5, 6, 7 septembre 1825.
  85. T. III, p. 171-172.
  86. Mémorial bordelais. 20 avril 1827.
  87. T. VIII, p. 241-243.
  88. Elle exagère. On a vu qu’Inès ne naquit que le 29 novembre 1825.
  89. Poésies, éd. Boulland, t. II, p. 51-60. — Éd. Lemerre, t. I, p. 135-140.
  90. Citation de L’Ermite de Sainte-Avelle, la célèbre romance d’Edmond Géraud.
  91. Mss. d’Edmond Géraud, Varia, p. 211. — Communiqué par Mme Pierre Meller.
  92. Boyer d’Agen, Lettres inédites, p. 18.
  93. Ibid., p. 19.
  94. Ibid., p. 19-20.
  95. Lettres inédites, p. 20. — La lettre, sans date, est de janvier 1826.
  96. Ibid., p. 20-21.
  97. Ibid., p. 21-23. La démarche n’aboutit pas. Plus tard, Marcelline obtint, par la protection de Martin du Nord, que Felix Desbordes fût reçu à l’hospice de Douai, où il mourut le 26 mai 1851 (cf. Boulenger, p. 352-357).
  98. Ibid., p. 23-25.
  99. Boyer d’Agen, Lettres inédites, p. 7-9. — Une copie, due à Hippolyte Valmore, forme les 202 pages d’un des quatre volumes in-8o manuscrits, où le fils de Marceline a transcrit les lettres de sa mère (ibid., p. 18, n. 1).
  100. Lettres inédites, p. 28.
  101. Pougin, p. 209.
  102. Lettres inédites, p. 48.
  103. Ibid., p. 53.
  104. Ibid., p. 59-60.
  105. Ibid., p. 34.
  106. Lettres inédites, p. 35-36.
  107. Allusion à la mort d’Edmond Géraud.
  108. Lettres inédites, p. 44.
  109. Ibid., p. 46.
  110. Pougin, p. 204.
  111. Lettres inédites, p. 55.
  112. Ibid., p. 57.
  113. Lettres inédites, p. 71.
  114. Ibid., p.73. — Cette lettre fut écrite peu après un voyage de Gergerès à Paris, où il alla voir les Valmore. Marceline écrivait le 12 octobre à Ondine : « Gergerès est affligé de ne pas te voir à ce voyage ; il veut tous nous fixer à Bordeaux. Beau rêve ! » (Ibid., p. 305.)
  115. Ibid., p. 78.
  116. Ibid., p. 81, 83.
  117. J. Boulenger, Ondine Valmore, 1909, p. 139.
  118. Lettres inédites, p. 87.
  119. L. Descaves, op. cit., p. 253.
  120. Lettres inédites, p. 33, 35.
  121. Ibid., p. 45 (3 juin 1831).
  122. Pougin, p. 230-232 (25 novembre 1837).
  123. Lettres inédites, p. 29 (6 février 1828).
  124. Ibid., p. 50 (4 décembre 1833).
  125. Ibid., p. 70. — Cf. Boulenger, Marceline D.-V, p. 260.
  126. Ibid., p. 42 (22 novembre 1830), 86 (26 avril 1849).
  127. Lettres inédites, p. 30.
  128. Ibid., p. 32.
  129. Ibid., p. 34.
  130. Ibid., p. 37
  131. Lettres inédites, p. 41.
  132. Ibid., p. 45.
  133. Pougin, p. 207.
  134. Lettres inédites, p. 60.
  135. L. Descaves, p. 156.— Cf. Lettres inédites, p. 236 et suiv.
  136. Pougin, p. 233 (25 novembre 1837).
  137. Lettres inédites, p. 65-66.
  138. Ibid., p. 79 (5 mai 1843).
  139. Ibid., p. 80.
  140. Ibid., p. 82-83 (4 janvier 1846).
  141. Lettres inédites, p. 86-87.
  142. Boulenger, Ondine Valmore, p. 61.
  143. Lettres inédites, p. 33-34 (11 février 1829).
  144. Ibid., p. 37 (12 septembre 1829).
  145. Cf. Poésies, éd. Lemerre t. I, p. 99-100.
  146. T. I, p. 44.
  147. T. I, col. 651-653.
  148. Pougin, p. 204.
  149. Lettres inédites, p. 69.
  150. Ibid., p. 75-76.
  151. Ibid., p. 77 (24 janvier 1843).
  152. Ibid., p. 85.
  153. Ibid., p. 50.
  154. Pougin, p. 240.
  155. Lettres inédites, p. 26.
  156. Ibid., p. 30.
  157. Ibid., p. 31.
  158. Ibid., p. 32.
  159. Ibid., p. 34.
  160. Ibid., p. 32, 35, 42, 63, 67. — Pougin, p. 208, 241.
  161. Théodore Mestre, maire de Saint-André-de-Cubzac de 1818 à 1840, fondateur de la première école mutuelle en Gironde.
  162. Lettres inédites, p. 38.
  163. Lettres inédites, p. 39.
  164. Ibid., p. 30 (6 février 1828).
  165. Lettres inédites, p. 38 (12 septembre 1829).
  166. Ibid., p. 43-44.
  167. Marceline y faisait allusion dans une lettre à Gergerès du 11 février 1829. (Lettres inédites, p. 31).
  168. C’est l’envoi dont elle parle dans sa lettre du 4 décembre 1833.
  169. J. Fraikin, Voyage d’un légitimiste bordelais à Paris et à Ham en 1833 (Revue historique de Bordeaux, 1914, p. 384-385).
  170. Lettres inédites, p. 51 (4 décembre 1833).
  171. J. Fraikin, loc, cit., p. 389.
  172. Lettres inédites, p. 52 (23 décembre 1833).
  173. Pauvres fleurs, 1839, p. 131.
  174. Lettres inédites, p. 53-54 (18 octobre 1834).
  175. Pougin, p. 208.
  176. Lettres inédites, p. 57-58 (16 octobre 1835).
  177. Lettres inédites, p. 58 (fin décembre 1835).
  178. Ibid., p. 60 (1er juillet 1836).
  179. Ibid., p. 61.
  180. Cité par L. Descaves, p. 210.