À une jeune fille poète (Laprade)

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II

À une jeune fille poète


 
Si j’étais jeune fille, et si, dans ma saison,
J’étais belle et poëte,
Pour chanter, j’aimerais mieux un nid de pinson
Qu’un trépied de prophète ;
Je saurais peu quel vent pousse l’humanité
Et quel trône vacille ;
Mais je dirais son nom à chaque fleur, l’été,
Si j’étais jeune fille.

Je n’aurais jamais lu nos apôtres nouveaux ;
Aimant ce qu’ils méprisent,
Moi, j’irais par les bois dérober aux oiseaux
Les secrets qu’ils se disent ;

J’irais, comme une sœur du peuple harmonieux
Qui vole et qui babille,
Saluer avec lui chaque aube dans les cieux,
Si j’étais jeune fille.

Sans avoir demandé le secret de la foi,
Sans connaître le doute,
Comme une eau qui s’enfuit sur sa pente, ainsi moi,
Je courrais sur ma route.
Si le siècle s’agite en des nuits sans sommeil,
Si nul phare n’y brillé,
Je l’aurais ignoré !… Je verrais le soleil,
Si j’étais jeune fille.

L’air des champs me ferait rêver, rire ou sauter,
Tout heureuse de vivre ;
La fauvette serait-mon seul maître à chanter,
Les prés seraient mon livre ;
Comme en un frais écrin je ferais là mon choix ;
Et sous une charmille,
J’irais parer ma lyre avec les fleurs des bois,
Si j’étais jeune fille.

La cigale aux bluets parle dans les sillons,
Aux grands blés l’alouette ;
L’âtre se réjouit d’écouter les grillons :
Car tout a son poëte.
Moi, je serais, — bien mieux qu’un écho des docteurs. —

La voix de la famille ;
Et mes vers chanteraient ce que rêvent nos sœurs,
Si j’étais jeune fille.

Car il est deux trésors qu’on ne peut appauvrir,
Qu’on creuse à fantaisie ;
Il est deux ruisseaux purs d’où coule, sans tarir,
Toute la poésie :
La nature et le cœur. — Deux célestes forêts !
La musique y fourmille ;
J’y chercherais la mienne, et je l’y trouverais,
Si j’étais jeune fille.

Mais je donnerais tout, renom déjà fondé,
Peuple ému de m’entendre,
Pour un seul mot de l’être à qui j’aurais gardé
Ma chanson la plus tendre ;
Je jetterais mon luth pour tenir, tout le jour,
Sa main sous ma mantille…
Le génie est bien beau ! — J’aimerais mieux l’amour,
Si j’étais jeune fille.