Élégies, Marie et romances/Romances

La bibliothèque libre.
◄  MARIE.

ROMANCES.


LE SOIR.


En vain l’Aurore,
Qui se colore,
Annonce un jour
Fait pour l’Amour :
De ta pensée
Toute oppressée,
Pour te revoir
J’attends le Soir.

L’Aurore en fuite
Laisse à sa suite
Un soleil pur,
Un ciel d’azur.
L’Amour s’éveille ;
Pour lui je veille,
Et pour te voir
J’attends le Soir.


Heure charmante,
Soyez moins lente !
Avancez-vous,
Moment si doux !
Une journée
Est une année
Quand pour te voir
J’attends le Soir.

Un voile sombre
Ramène l’ombre :
Un doux repos
Suit les travaux.
Mon sein palpite,
Mon cœur me quitte…
Je vais te voir,
Voilà le Soir !




À TOI


Ô ma vie !
Sans envie
J’ai vu le palais du Roi.
Ma chaumière
M’est plus chère
Quand j’y suis seule avec toi.

Au village
Le jeune âge
N’est heureux que par l’Amour ;
Fuis la ville ;
Trop facile,
Tu m’oublirais à la cour.

Reviens vite !
Tout m’agite.
Eh ! quoi ! je suis seule encor ?
Viens, mon ame,
De ma flame
Partager le doux transport !


L’heure sonne,
Je frissonne…
Voici l’instant du retour !
Moins sévère,
Dors, ma mère !
Et laisse veiller l’Amour.





L’AVEU PERMIS.


Viens, mon cher Olivier, j’ai deux mots à te dire :
Ma mère l’a permis ! ils te rendront joyeux…
Eh ! bien ! je n’ose plus !… Mais, dis-moi, sais-tu lire ?
Ma mère l’a permis, regarde dans mes yeux.

Voilà mes yeux baissés. Dieu, que je suis confuse !
Mon visage a rougi… vois-tu, c’est la pudeur.
Ma mère l’a permis,… ce sera ton excuse :
Pendant que je rougis, mets ta main sur mon cœur.

Tu ne devines pas ! Olivier ! quelle gêne !
Ces deux mots sont si doux ! mon cœur les dit si bien !
Prends-les donc sur ma bouche ; en y touchant à peine,
Je fermerai les yeux, prends vite… et n’en dis rien.




MON BOUQUET.


Non ! tu n’auras pas mon bouquet :
Traite-moi de capricieuse,
De volage, d’ambitieuse,
D’esprit léger, vain ou coquet :
Non, tu n’auras pas mon bouquet.

Comme l’incarnat du plaisir,
On dit qu’il sied à ma figure :
Veux-tu de ma simple parure
Ôter ce qui peut m’embellir,
Comme l’incarnat du plaisir ?

Je veux le garder sur mon cœur ;
Il est aussi pur que mon ame.
Un soupir, un souffle de flame,
En pourrait ternir la fraîcheur…
Je veux le garder sur mon cœur.

Non, non ! point de bouquet pour toi.
L’éclat de la rose est trop tendre ;
Demain tu promets de la rendre.
Demain… qu’en ferais-je, dis-moi ?
Non, non ! point de bouquet pour toi.


LE PORTRAIT.


Petit portrait, tourment de mon désir,
Trait de l’Amour, si loin de ton modèle !
Ombre imparfaite du plaisir,
Tu seras pourtant plus fidèle !

De ta froideur je me plains aujourd’hui ;
Mais si jamais il cesse de m’entendre,
À toi je me plaindrai de lui,
Et tu me paraîtras plus tendre.

Si tu n’as pas, pour aller à mon cœur,
Son œil brûlant et son parler de flamme,
Par un accent doux et trompeur
Tu n’égareras pas mon ame.

Sans trouble à toi je livre mon secret.
S’il était là, je fuirais vite, vite !
Je suis seule… Ah ! petit portrait,
Que n’es-tu celui que j’évite !




LE RÉVEIL.


On sonne, on sonne ! on sonne encore :
C’est lui !… Dieu ! qu’il m’a fait souffrir !
Mais il revient, mais je l’adore :
Éveillez-vous, courez ouvrir !

Embellis-toi, sombre retraite,
Où si souvent il me trouva !
Il va venir… Mon sang s’arrête,
Il tarde encor… Mon cœur s’en va !

Je n’y vois plus… Le ciel se couvre,
Soulève-toi, nuage épais !
J’étends les bras… Mon œil s’entr’ouvre…
Dieu ! c’est un songe… et je dormais.




JE VEUX T’AIMER TOUJOURS.


Idole de ma vie !
Mon tourment ! mon plaisir !
Dis-moi si ton envie
S’accorde à mon désir ?
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.

Donne-moi l’espérance,
Je te l’offre en retour ;
Apprends-moi la constance,
Je t’apprendrai l’amour.
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.

Sois d’un cœur qui t’adore
L’unique souvenir.
Je te promets encore
Ce que j’ai d’avenir.
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.


Vers ton ame attirée
Par le plus doux transport,
Sur ta bouche adorée
Laisse-moi dire encore :
Comme je t’aime en mes beaux jours,
Je veux t’aimer toujours.




LE BILLET.


Quand je t’écris à l’ombre du mystère,
Je crois te voir et te parler tout bas ;
Mais, je l’avoue, en ce lieu solitaire
Tout est tranquille, et mon cœur ne l’est pas
Quand je t’écris.

En vain j’écris : quand l’ame est oppressée,
Le temps s’arrête ; il n’a plus d’avenir !
Non, loin de toi je n’ai qu’une pensée ;
Et mon bonheur n’est plus qu’un souvenir :
En vain j’écris.

Si tu m’écris, je vais t’attendre encore ;
Mais si ton cœur n’est plus tel qu’autrefois,
Fais que toujours, fais que le mien l’ignore !
S’il est constant, dis un mot : je le crois,
Si tu l’écris !




LES TROIS HEURES DU JOUR.


Comme un bouton prêt d’éclore,
D’un seul regard de l’Aurore
Attend le bienfait du jour,
Dans l’âge de l’innocence,
Séduite par l’espèrance,
J’attendais tout de l’Amour !

Comme la fleur imprudente
Se plaît à suivre la pente
Qui l’expose aux feux du jour,
Je m’abandonnai, sans guide,
Au penchant non moins rapide
Qui m’entraînait vers l’Amour !

Comme la fleur desséchée,
Pâle et tristement penchée,
S’effeuille au déclin du jour,
Mon soir touche à ma naissance,
Et je pleure l’espérance,
Qui s’envole avec l’Amour !




REPRENDS TON BIEN.


Quand l’Amitié tremblante
T’abandonna mon sort,
Quand ta main bienfaisante
Me sauva de la mort
Pour la reconnaissance
Je pris l’amour ;
Et moins que ta présence
J’aimai le jour !

Mais ma timide flamme
Fait naître ta pitié.
Est-ce assez pour mon ame
D’une froide amitié ?
Vainement l’espérance
M’a su guérir,
Si ton indifférence
Me fait mourir !


Contre un sort invincible
Je ne veux plus m’armer !
Viens me rendre insensible,
Si tu ne peux m’aimer.
De mon ame asservie
Romps le lien ;
En reprenant ma vie,
Reprends ton bien !




À LA POÉSIE.


Ô douce Poésie !
Couvre de quelques fleurs
La triste fantaisie
Qui fait couler mes pleurs.
Trompe mon ame tendre,
Que l’on blessa toujours !
Je ne veux plus attendre
Mes plaisirs des Amours.

Donne aux vers de ma lyre
Une aimable couleur,
Ta grace à mon délire,
Ton charme à ma douleur.
Que le nuage sombre
Qui voile mes destins,
S’échappe, comme une ombre,
À tes accens divins !


Sois toujours attentive
Sur mes chants douloureux.
D’une pudeur craintive
Enveloppe mes vœux.
Cache l’erreur brûlante
Qui trouble mon bonheur…
Mais, oh ! Dieu ! qu’elle est lente
À sortir de mon cœur !




LE SOUVENIR.


Ô délire d’une heure auprès de lui passée,
Reste dans ma pensée !
Par toi tout le bonheur que m’offre l’avenir
Est dans mon souvenir.

Je ne m’expose plus à le voir, à l’entendre :
Je n’ose plus l’attendre !
Et si je puis encor supporter l’avenir,
C’est par le souvenir.

Le temps ne viendra pas pour guérir ma souffrance !
Je n’ai plus d’espérance !
Mais je ne voudrais pas, pour tout mon avenir,
Perdre le souvenir !




LE PARDON.


Je me meurs, je succombe au destin qui m’accable ;
De ce dernier moment veux-tu charmer l’horreur ?
Viens encore une fois presser ta main coupable
Sur mon cœur.

Quand il aura cessé de brûler et d’attendre,
Tu ne sentiras pas de remords superflus ;
Mais tu diras : « Ce cœur qui fut pour moi si tendre
N’aime plus » !

Vois l’Amour qui s’enfuit de mon ame blessée !
Contemple ton ouvrage, et ne sens nul effroi !
La mort est dans mon sein… Pourtant je suis glacée
Moins que toi !

Prends ce cœur, prends ton bien ! l’amante qui t’adore
N’eut jamais à t’offrir, hélas ! un autre don ;
Mais en le déchirant, tu peux y lire encore
Ton pardon !




MÉDOR.


Aimable chien, fidèle et bon Médor,
Tu restes seul à ta jeune maîtresse !
On m’abandonne… et toi, tu veux encor
Me consoler par ta tendresse.

Cruel amant ! sans regret tu me fuis !
Tu m’as laissée à ma douleur mortelle.
Ingrat ! ton chien ne m’avait rien promis,
Pourtant, il me reste fidèle.

Je le reçus pour gage de ta foi,
Le garderai pour sa reconnaissance.
Hélas ! s’il est moins éloquent que toi,
Il a du moins plus de constance !




IL VA PARLER.


Embellissez ma triste solitude,
Portrait chéri, gage d’un pur amour !
Charmez encor ma sombre inquiétude,
Trompez mon cœur jusques à son retour.

Si quelquefois de mes lèvres tremblantes
J’ose presser ce portrait adoré,
Le feu subtil de ses lèvres brûlantes
Pénètre encor dans mon cœur enivré.

À mes regards ce trésor plein de charmes
Semble répondre et paraît s’animer !
Je crois le voir s’attendrir à mes larmes,
Et je lui prête une ame pour aimer.

Ô de l’Amour adorable prodige !
Son œil se trouble, et ses pleurs vont couler.
Il m’écoutait !… ce n’est plus un prestige.
Il me sourit !… j’écoute !… il va parler !




L’ESPÉRANCE.


Comme une vaine erreur,
Comme un riant mensonge,
S’évanouit le songe
Qui faisait mon bonheur.
Ô douce chimère !
Si tu fuis sans retour,
Dans ta course légère,
Emporte mon amour !

Ce tendre sentiment,
Cette aimable folie,
Ce charme de ma vie,
Sans toi n’est qu’un tourment !
Ô douce chimère !
Si tu fuis sans retour,
Dans ta course légère,
Emporte mon amour !


Déjà pour me punir
D’avoir été trop tendre,
Je consens à te rendre
Un si cher souvenir.
Ô douce chimère !
Si tu fuis sans retour,
Dans ta course légère,
Emporte mon amour !

Que voulez-vous de moi,
Raison trop inflexible ?
Tourment d’un cœur sensible,
Je cède à votre loi !…
Ô douce chimère !
Si tu fuis sans retour,
Dans ta course légère,
Emporte mon amour !




À LA SEINE.


Rive enchantée,
Berceau de mes amours !
Onde argentée,
Image des beaux jours ;
Que ton cours est limpide !
Que ta fuite est rapide !
Ah ! pour mon cœur
C’est l’adieu du bonheur.

Déjà ma lyre
Gémit dans les roseaux ;
Et mon délire
A fait frémir tes eaux.
La nayade plaintive
Se penche sur la rive
Pour m’écouter,
Me plaindre, et m’arrêter.


Cette eau si belle
T’abandonne en courant !
Moi plus fidelle,
Je m’éloigne en pleurant.
Demain celui que j’aime
M’appellera lui-même !…
Vœux superflus !
Je ne l’entendrai plus.

Ah ! dans ta course,
Emporte mes tourmens !
Mais, à ta source,
Retiens tous mes sermens !
Si l’objet que j’adore
Vient m’y chercher encore,
Dis-lui qu’Amour
T’a promis mon retour.




LE TROUBADOUR EN VOYAGE.


« Avec ta gente mie
Où vas-tu troubadour ? »
— « Je vais à ma patrie
Demander un beau jour !

« Salut ! rive enchantée
Qui vis mes jeunes ans !
De mon ame agitée
Reconnais les accens !

« Jadis ma souveraine
À sa cour m’arrêta ;
Et pour si noble reine
Ton troubadour chanta.

« Des belles la plus belle
Tombe en captivité ;
Avais chanté pour elle,
Perdis ma liberté !


« De l’auguste Marie
Déplorai les malheurs.
En ce temps de furie,
On punissait les pleurs…

« Pour charmer ma misère,
Orgueil du troubadour,
J’ai chanté Bélisaire,
Henri quatre et l’Amour.

« N’ai sauvé de ma chaîne
Que ma lyre et l’honneur.
Et l’or, qui tout entraîne,
N’entraîna pas mon cœur.

« Pastourelle naïve
Écouta mes leçons ;
Sa voix tendre et plaintive
Y mêla ses doux sons.

« La jeune enchanteresse,
Écolière d’Amour,
Devint dame et maîtresse
Du pauvre troubadour. »

— « Au lieu de ta naissance,
Dit-elle, conduis-moi ;
Tu m’appris ta romance,
La chanterai pour toi. »


— « Venez donc, gente mie,
Lui dit ton troubadour ;
Allons à ma patrie
Demander un beau jour !

« Lyre ! ma douce lyre !
Obéis à mon cœur !
Le chant que je soupire
Est le chant du bonheur ! »




C’EST LE BONHEUR, C’EST TOI.


Ce n’est pas une vague et trompeuse espérance
Que je dois au sommeil ;
C’est un charme animé, c’est ta douce présence
Qui m’échappe au réveil !

Ton image m’attend ; quand je clos la paupière,
Elle vient me saisir ;
Et l’Amour à ton ame unit mon ame entière
Par le même désir.

Je sens battre ton cœur sur mon cœur qui palpite.
Le ciel s’ouvre pour moi !
Non ! ce n’est plus l’espoir qui me trouble et m’agite,
C’est le bonheur !… c’est toi !




LE SOMMEIL DE JULIEN.


C’était l’hiver, et la nature entière
Portait son deuil, et redoublait le mien :
Je regagnais, à pas lents, ma chaumière,
Les yeux fixés sur celle de Julien !

Un voile noir s’étendit sur la plaine ;
Un triste écho fit aboyer mon chien :
Le vent soufflait, et sa plaintive haleine
Disait aux bois : Julien ! pauvre Julien !

Sur mon chemin je vis la lune errante ;
Qu’elle était sombre en parcourant le sien !
Je contemplai cette clarté mourante,
Moins triste, hélas ! que les yeux de Julien !

Je m’endormis, de tant d’objets lassée ;
Le ciel s’ouvrit !… et je n’entendis rien ;
Mais tout-à-coup la cloche balancée
Me réveilla… sans réveiller Julien.


Quand j’abordai sa sœur silencieuse,
Sa main me dit : « Il repose ! il est bien !… »
Je voulus voir… Une larme pieuse
M’apprit le nom du sommeil de Julien.




À LA NUIT.


Douce Nuit, ton charme paisible
Du malheureux suspend les pleurs.
Nul mortel n’est insensible
À tes bienfaisantes erreurs.
Souvent dans un cœur rebelle
Tu fais naître les désirs ;
Et l’amour tendre et fidèle
Te doit ses plus doux plaisirs.

Tu sais par un riant mensonge
Calmer un amant agité,
Et le consoler en songe,
D’une triste réalité.
Ô Nuit ! pour la douleur sombre,
Et pour le plaisir d’amour,
On doit préférer ton ombre
À l’éclat du plus beau jour.


Comme dans le sein d’une amie
On aime à verser sa douleur,
C’est à toi que je confie
Les premiers soupirs de mon cœur.
Cache-moi, s’il est possible,
L’objet de mon tendre effroi !…
Comme moi s’il est sensible,
Qu’il soit discret comme toi !




CLÉMENTINE À MARIE.


Clémentine, à genoux,
Dans sa mélancolie,
Demandait à Marie
Son amant pour époux.
Tendre avec innocence,
Elle offre en ce séjour,
Sa première espérance
Et son premier amour.

« Au nom de cet amour,
Que mon amant, dit-elle,
Par vous, me soit fidèle
Jusques à son retour !
Je lui garde en mon ame
Un souvenir bien doux,
Et pur comme la flamme
Dont je brûle pour vous.


« Mon ami pour la foi
Combat aux champs d’Asie ;
Ô divine Marie,
Qu’il soit vainqueur pour moi !…
Si jamais l’hyménée
Unit notre avenir,
De sa main couronnée,
Je viendrai vous bénir ! »




L’ÉCHO.


Tout pour l’amour !
Chante le troubadour,
En préludant sur sa harpe sonore.
Tout pour l’amour,
Lui répond, à son tour,
Une voix tendre, au déclin d’un beau jour.
Il le redit, puis il écoute encore :
Et chaque fois il obtient en retour :
Tout pour l’amour !

Brûlant d’amour,
Le jeune troubadour
Poursuit en vain ces accens pleins de charmes ;
En ce séjour
Il n’a parlé d’amour
Qu’avec l’écho des vallons d’alentour !
Espoir trompé fait couler quelques larmes…
Il n’ose plus chanter, le troubadour :
Tout pour l’amour !


Beau troubadour,
Dans un autre séjour
Porte tes vœux, tes chants, ton espérance :
Hélas ! un jour,
J’ai dit : Tout pour l’amour.
En m’égarant aux vallons d’alentour,
J’y chante encor l’amour et la constance ;
Mais l’écho seul me rapporte en retour :
Tout pour l’amour !




L’EXILÉ.


« Oui, je le sais, voilà des fleurs,
Des vallons, des ruisseaux, des prés et des feuillages,
Mais un ruisseau plus pur et de plus verts ombrages
Enchantent ma pensée, et me coûtent des pleurs !

« Oui, je le vois, ces frais zéphirs
Carressent en jouant les naïves bergères ;
Mais d’un zéphir plus doux les haleines légères
Attirent loin de moi mon ame et mes soupirs !

« Ah ! je le sens ! c’est que mon cœur
Las d’envier ces bois, ces fleurs, cette prairie,
Demande en gémissant des fleurs à ma patrie !
Ici rien n’est à moi, si ce n’est ma douleur. »

Triste Exilé ! voilà ton sort !
La plainte de l’Écho m’a révélé ta peine.
Comme un oiseau captif, tu chantes dans ta chaîne :
Comme un oiseau blessé, j’y joins un cri de mort !


Goûte l’espoir silencieux !
Tu reverras un jour le sol qui te rappelle ;
Mais rien ne doit changer ma douleur éternelle.
Mon exil est le monde… et mon espoir aux cieux.




LA PASTOURELLE.


Elle s’en va, la douce Pastourelle ;
Elle retourne où l’attend le bonheur.
« Je ne vis plus !… faut m’en aller, dit-elle ;
Faut m’en aller où j’ai laissé mon cœur.

« Un beau pasteur me le retint pour gage ;
On veut un gage en perdant le bonheur :
M’en vas chercher le gardien et l’ôtage ;
Me faut mourir ou retrouver mon cœur ».

Racontez-nous, Pastourelle naïve,
Votre aventure et celle du Pasteur.
« Non, non, dit-elle, avec sa voix plaintive ;
Ne parlerai qu’en retrouvant mon cœur !

« Sur cette rive où je suis étrangère,
On m’obligeait à chanter le bonheur.
Bonheur perdu rend la voix moins légère,
N’ai jamais su chanter qu’avec mon cœur.


« Tous les matins, ainsi que l’alouette,
Ne m’éveillais qu’en chantant le bonheur ;
Puis du Pasteur j’écoutais la musette,
Et je trouvais un écho pour mon cœur !

Nous faut rester où l’ame est asservie.
Tout est si bien avec mon beau Pasteur !
Il me rendra mon bien, ma voix… ma vie !
Et sur son cœur retrouverai mon cœur. »

Espoir vous guide en ce pélérinage !
Ne pleurez plus, son terme est le bonheur.
L’Amour sourit, l’Amour est du voyage :
Il ira vite, il cherche votre cœur !




LA PÉLERINE.


« Pélerine, où vas-tu si tard ?
Le temps est à l’orage.
Peux-tu confier au hasard
Tes charmes et ton âge ? »
« Hermite, n’ayez point de peur.
Du ciel je ne crains plus la foudre :
Que ne peut-il réduire en poudre
L’image qui brûle mon cœur ! »

« Ô ma fille ! donne un moment
À l’ami qui t’appelle ;
Viens calmer ton égarement
À la sainte chapelle. »
« Hermite, mon ame est à Dieu,
Partout il me suit, il me guide ;
Il m’a dit de fuir un perfide…
Je fuis l’Amour !… Hermite, adieu ! »


« Pélerine, en fuyant l’Amour,
Que la pitié t’enchaîne !
Un malheureux, depuis un jour,
Pleure ici sur sa chaîne. »
« Un malheureux !… c’est un amant !
Mon père, donnez-lui vos larmes.
Blessée au cœur des mêmes armes,
Je mourrai du même tourment ! »

« Ma fille, lève au moins les yeux !
La pitié te l’ordonne.
Cet amant n’est plus malheureux
Si ton cœur lui pardonne. »
Le coupable alors se montra.
L’Amour pria pour le parjure,
L’Hermite effaça son injure,
Et la Pélerine… pleura.




CHANSON CRÉOLE.


N’a plus pouvoir dormir tout près toi dans cabane,
Sentir l’air parfumé courir sur bouche à toi,
Gagner plaisir qui doux passé mangé banane,
Parfum là semblé feu qui brûler cœur à moi.
Moi vlé z’éveiller toi.

Baï moi baiser si doux, n’oser prend’li moi-même,
Guetter réveil à toi… long-temps trop moi languir.
Tourné côté cœur moi, rend-li bonheur suprême,
Mirez l’aurore aller qui près toi va pâlir.
Long-temps trop moi languir.

Veni sous bananiers nous va trouvé z’ombrage ;
Petits oiseaux chanter pendant nous fait l’amour.
Soleil est jaloux moi, li caché sous nuage,
Mais trouvé dans yeux toi l’éclat qui passé jour.
Veni faire l’amour.


Non, non, toi plus dormir, partager vive flame,
Baisers toi semblé miel cueilli sur bouquet fleurs.
Cœur à toi soupirer, veni chercher mon ame,
Prends li sur bouche à moi, li courir dans mes pleurs.
Moi mourir sous des fleurs.




MÊME ROMANCE.


Sur ce lit de roseaux puis-je dormir encore ?
Je sens l’air embaumé courir autour de toi.
Ta bouche est une fleur dont le parfum dévore.
Approche, ô mon trésor, et ne brûle que moi.
Éveille, éveille-toi !

Mais ce souffle d’amour, ce baiser que j’envie,
Sur tes lèvres encor je n’ose le ravir ;
Accordé par ton cœur, il doublera ma vie.
Ton sommeil se prolonge, et tu me fais mourir.
Je n’ose le ravir !

Viens ; sous les bananiers nous trouverons l’ombrage ;
Les oiseaux vont chanter en voyant notre amour.
Le soleil est jaloux, il est sous un nuage ;
Et c’est dans tes beaux yeux que je cherche le jour.
Viens donc faire l’amour !


Non, non, tu ne dors plus, tu partages ma flamme.
Tes baisers sont le miel que nous donnent les fleurs :
Ton cœur a soupiré, viens-tu chercher mon ame ?
Elle erre sur ma bouche et veut sécher tes pleurs.
Cache-moi sous des fleurs !




JONE ET SOPHIE.


L’amour, lui-même, avait formé Sophie ;
Elle vit Jone, et son cœur se troubla.
Le cœur de Jone en la voyant trembla ;
Il en est digne, et l’Amour lui confie
Sophie.

Sans lui parler, il apprend à Sophie
Son doux empire et son naissant espoir.
Bornant sa joie au plaisir de la voir,
Dans le silence, il aime, il déifie
Sophie.

Une rivale est donnée à Sophie,
Non sa rivale en tendresse, en douceur ;
On lui ravit le cœur fait pour son cœur :
L’Amour se voile, et l’amant sacrifie
Sophie.


L’Orgueil en pleurs vient parler à Sophie.
Le plus timide est-il le moins jaloux ?
Amour ! Amour ! tout s’arme contre vous !
Mais qui vous plaint et qui vous justifie ?
Sophie.




LE REGARD.


Cache-moi ton regard plein d’ame et de tristesse,
Dont la langueur brûlante affaiblit ma raison.
De l’amour qu’il révèle il m’apprendrait l’ivresse :
Pour les infortunés son charme est un poison.

Lèves-tu sur mes yeux ta paupière tremblante,
C’est le ciel qui s’entr’ouvre et sourit au malheur.
C’est un rayon divin ! une étoile brillante,
Qui perce la nuit sombre où gémissait mon cœur.

Oui, la douleur s’envole, et mon ame ravie
Suit la douce clarté qui ne peut m’éblouir.
Éviter ton regard, c’est repousser la vie !
Attache-le sur moi !… je ne puis plus le fuir.




LE PREMIER AMOUR.


Vous souvient-il de cette jeune amie,
Au regard tendre, au maintien sage et doux ?
À peine, hélas ! au printemps de sa vie,
Son cœur sentit qu’il était fait pour vous.

Point de serment, point de vaine promesse ;
Si jeune encore, on ne les connaît pas.
Son ame pure aimait avec ivresse,
Et se livrait sans honte et sans combats.

Hélas ! elle a perdu son idole chérie !
Bonheur si doux a duré moins qu’un jour !
Elle n’est plus au printemps de sa vie,
Elle est encore à son premier amour.



FIN.