Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage du Dr Albert Marois

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Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage du Dr Albert Marois
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Témoignage du Dr Albert Marois[1]


Dr Albert Marois.


DR. ALBERT MAROIS, DE la Cité de Québec, médecin et Professeur de Médecine Légale à l’Université Laval de Québec, étant dûment assermenté sur les Saintes Évangiles dépose ainsi qu’il suit : —

INTERROGÉ par le Coroner.


Q. Dr Marois voulez-vous dire quel est le résultat de l’autopsie que vous avez faite sur les cadavres de chaque victime de l’émeute de lundi de la semaine dernière ?


R. Mardi, le deux avril courant, j’ai été chargé par M. le Coroner, de faire l’autopsie des cadavres des victimes de l’émeute. J’ai commencé par l’autopsie de Honoré Bergeron, âgé de quarante neuf ans. Les muscles étaient encore en rigidité cadavérique : la décomposition m’était pas commencée. Le cadavre portait un gilet de laine gris et bleu, un sweater, un gilet en tweed, dans lequel j’ai trouvé une montre en nickel avec chaîne en acier. Tout l’intérieur du gilet était imprégné de sang, surtout du côté droit. Le cadavre portait un pantalon de tweed noir. Dans la poche droite du pantalon il y avait un porte monnaie contenant soixante et six centins et un canif annonce de BB. Lager. Dans la poche en arrière à droite, un trousseau de clefs. Il avait une camisole en laine et une chemise de coton. Tous ces vêtements présentaient dans le dos une petite ouverture correspondant au même niveau d’une blessure faite par le passage d’une balle à peu près vers la neuvième côte, près de l’épine dorsale. En avant, la chemise et la camisole présentaient une ouverture d’à peu près un pouce et trois quarts à deux pouces de diamètre déchiquetée. Le cadavre portait en outre une ceinture abdominale imprégnée de sang, caleçon, bas et bottines. La plupart des vêtements étaient tachetés de sang. En examinant le cadavre on trouve dans le dos, au niveau de la neuvième côte, à droite de la colonne vertébrale, à peu près à deux doigts de la colonne vertébrale, de l’épine dorsale, une petite blessure d’à peu près une ligne de diamètre entourée d’une auréole rougeâtre d’une ligne et demie. Cette blessure, cette ouverture était faite par le passage d’une balle qui a pénétré à travers la neuvième côte et s’est dirigée de bas en haut, a passé à travers le cœur, et de faits, a dilacéré le cœur dans une grande étendue, de sorte que les quatre cavités du cœur étaient ouvertes. La balle a continué sa marche en avant et a passé au travers du sternum, l’os de la poitrine et la peau, en laissant une ouverture d’à peu près deux pouces de diamètre au niveau de la troisième et de la quatrième côte. L’ouverture du sternum se trouve à peu près au niveau de la troisième et de la quatrième côte, laissant une ouverture d’à peu près deux pouces de diamètre. On remarquait des xx esquilles d’os qui projetaient en dehors démontrant que c’était l’ouverture de sortie de la balle. La troisième et la quatrième côte était séparées du sternum ― c’est à dire qu’au lieu d’être adhérentes au sternum, comme le sternum est brisé, elles étaient libres. Avant de conclure à la cause de la mort, je tiens à dire que j’ai été étonné que la Commission d’Enquêtes Militaires, ait cru, pour les besoin de sa cause tronquer le rapport que j’ai fait devant cette Commission de manière à faire un rapport ― le rapport fait par le Général Lessard disant qu’un médecin de Québec a fait rapport que la blessure était faite par une balle explosive. ― ceci était faux. Je n’ai jamais dit ça. Non seulement ça mais dans le Soleil il y a eu de la part du médecin militaire la même assertion. Je veux dire simplement ce que je dis. Ce que je dis c’est que l’intensité de la blessure j’ai dit que cette blessure pouvait être faite soit par une balle explosive ou par une balle à texture malléable. C’est absolument ce que j’ai dit. ― ne connaissant pas la nature des projectiles employés par les militaires, j’étais en droit de dire mon opinion, que ce fut une balle ou non ― non pas que j’aie l’intention de penser que les autorités militaires ont donné des balles xxxxxx explosives ou malléables. ― pas du tout ― seulement je sais par expérience que même les balles ordinaires peuvent être manipulées en limant la chemise de manière que d’une balle ordinaire on peut faire une balle malléable, et c’est ce que je veux dire ― que les blessures trouvées dans le cadavre de Bergeron n’ont pas été faites par une balle ordinaire, une balle dans ce genre-ci qui a été reconnue comme une balle militaire et qui est une balle métallique. C’est impossible que la balle ― cette balle qui a été trouvée chez le blessé, qui a été extraite à l’Hôtel-Dieu ― cette balle ci ne peut pas produire les blessures dont j’ai fait la description. Cette balle a été extraite d’un malade qui a été arrêté immédiatement après sa sortie de l’Hôtel-Dieu, un nommé Bourget, je crois ― qui reste au No 33 dans la rue Massue. D’après son histoire il était là……

INTERROGÉ par M. Picher.


Q. Lorsqu’une balle comme celle-ci est mâchée elle a le même effet qu’une balle explosive ?


R. Lorsqu’on scie l’extrémité à la lime, l’extrémité métallique, en passant un corps dure elle se ramollie et joue le rôle d’une balle malléable à large surface et produit des blessures du genre de celles que j’ai xxx décrites.


Q. Qu’est-ce qu’il faut pour faire ce travail ?


R. Un simple coup de mine. J’ai vu des balles de chasseur qui ont été arrangées dans le même but simplement sciées à l’extrémité. Maintenant je n’ai pas l’intention d’imposer ma compétence, je suis simplement un médecin praticien ― je pratique depuis trente quatre ans et je suis Professeur de Médecine Légale à l’Université Laval. Je m’occupe spécialement de cette branche et ça fait quinze ans que je suis mêlé à la plupart des affaires criminelles de Québec. Dans mon service à l’Hôtel Dieu j’ai vu un bon nombre de cas de blessures par des balles et je dois dire par mon expérience que les blessure que j’ai constatées ne sont pas faites par une balle ordinaire. Et d’ailleurs ― je ne sais pas si j’ai le droit de produire ça ici ― mais j’ai un rapport de chirurgiens militaires américains qui donnent la description des blessures faites par des balles telles qu’on les rencontre dans un hôpital, et la description qu’il donne ne correspond pas du tout aux lésions que j’ai trouvées sur le cadavre.


M. Ed. Picher. — Nous préférerions certainement avoir ce rapport là.


Le Major Barclay. — Je m’objecte absolument à cela. J’ai besoin de transquestionner les personnes qui viennent ici. Si vous voulez avoir vos deux amis américains, amenez les et je les transquestionnerai.


M. Ed. Picher. — M. le Coroner, je comprends que le Major Barclay représente le Département de la Milice du Canada. Nous aussi, les Jurés, nous représentons le peuple à cette enquête qui est faite devant le Coroner, il y a ici les représentants du Procureur Général, M. Lachance et M. Fitzpatrick et il me semble que s’il y a une objection à faire, cette objection doit venir de leur part ou de la part de M. le Coroner. Comme Jury, je demande que le Dr Marois nous donne autant de renseignements que possible. Je ne reconnais aucune autorité de la part de M. Barclay, de venir empêcher de faire la preuve ici. Il me semble que nous, les Jurés, nous n’avons pas à nous faire dicter par M. Barclay qui est ici sur la défensive. Nous ne sommes pas sur la défensive, et nous ne sommes pas non plus sur l’offensive. Nous sommes ici pour nous renseigner, et je conteste le droit de M. Barclay, à tout instant de se lever et de mettre des objections aux questions qui sont posées aux témoins.


Le Major Barclay. — Je peux répondre à Messieurs les Jurés. Étant admis M. le Coroner, je suis ici sur la défensive ― c’est quelque chose de nouveau pour moi, devant le Coroner, de prendre l’attitude d’une personne sur la défensive. J’objecte à toute preuve qui n’est pas légale, et la preuve qu’on veut faire des écrits de ces médecins n’est pas légale.


M. Picher. — M. Barclay, comme Jurés, nous rejetons votre objection.


M. Barclay. — Ça m’a l’air d’être en les mains du Procureur de la Couronne pour dire si j’ai raison dans mon objection oui ou non.


Mtre. Lachance. — M. le Coroner, vous présidez cette enquête comme un Juge préside un Tribunal et nous avons certainement confiance dans votre direction. Nous sommes ici devant votre Tribunal sur les ordres du Département du Procureur Général, pour représenter ni une partie ni l’autre. Nous sommes ici pour vous aider et nous pouvons le faire avec nos faibles moyens à faire toute la lumière possible sur ces tragiques évènements, afin de savoir sur qui retombe la responsabilité, et surtout afin de savoir si nous sommes ici en présence d’une organisation délétère, qui pourrait d’une manière quelconque provoquer de nouveau de semblables abus et une semblable tragédie. Nous n’avons pas d’autre but ni d’autre mission. Je comprends que nous ne sommes pas limités strictement en règle de la preuve comme lorsque nous faisons le procès d’un criminel. Nous sommes ici un peu comme dans une enquête préliminaire, là où le Juge est absolument maître s’il croit dans son fort intérieur qu’en admettant une telle preuve il arrivera à plus de vérité ― de le faire. Nous sommes ici dans une enquête préliminaire. Ce sont les préliminaires d’une enquête criminelle, ce qui se fait ici. Le public sera heureux d’apprendre que ce qui se dit ici ne peut pas servir de preuve dans une autre Cour. Ce n’est pas une preuve devant la Cour Criminelle. Ça ne constitue qu’une information. Dans ces conditions, nous ne venons pas ici pour faire le procès de celui-ci ou de celui-là, nous venons vous aider à trouver toute la vérité d’un côté ou de l’autre. Si ce sont les citoyens ou si c’est la municipalité qui est en faute, nous voulons le savoir ou si c’est le Gouvernement ou ses officiers, qui sont en faute nous voulons le savoir afin qu’à l’avenir nous puissions prévenir des choses semblables.


Le Major Barclay. — Tout ce que je demande, Votre Honneur, c’est que j’aurai moi-même le droit de vous lire les opinions d’experts.


Le Coroner. Je suis ici pour donner justice à tout le monde. Comme l’a dit M. Lachance, le but de l’enquête du Coroner ce n’est pas tant de soutenir des discussions légales que de savoir la vérité.


Le Major Barclay.- C’est ça absolument.


Le Coroner. — Je permettrai au Dr Marois de répondre à M. le Jury Picher.


R. Je vas lire le rapport en anglais. (Le témoin donne lecture du rapport) ― si j’ai fait ces recherches c’est afin de démontrer que n’ayant pas eu l’avantage xxxxxx d’avoir été au front et venant affirmer ici que les blessures que j’ai constatées ne sont pas des blessures faites par des balles ordinaires j’ai trouvé dans un Journal que je pourrai produire si vous voulez, intitulé Surgery Gynecology & Obstetrics No de Janvier mil neuf cent dix huit, un rapport fait par les Docteurs James M. Neff, C.S. les Lieutenant Colonels honoraires R.A.M.C. et le Dr. John J. O’Malley C.S. les Lieutenant Colonels honoraires R.A.M.C. ― ces chirurgiens ont passé une année dans un hôpital de base en France. L’autre partie de l’article parle du traitement à apporter. Je conclus par ces articles que les blessures faites par les armes à feu dans la pratique militaire ou dans la pratique civile sont les mêmes et je ne trouve rien dans la description faite par ces médecins militaires qui rappelle les blessures que j’ai rencontrées sur ces cadavres. Par conséquent j’étais en droit de conclure que ces blessures n’étaient pas faites par une balle ordinaire. Je ne me souviens pas si j’ai dit que c’étaient des balles explosives, ça dépend comment on l’entend, mais j’ai dit que ces blessures avaient été faites par une balle malléable, qui ont détruit sur une large surface les organes. J’ai vu un grand nombre de blessures mais jamais je n’ai vu une blessure aussi considérable que dans le cœur de Bergeron, faite par le passage de la balle. Par conséquent je conclus que Bergeron est mort par suite d’une blessure d’arme à feu qui a dilacéré le cœur au point d’arrêter toute circulation.

INTERROGÉ par M. Picher.


Q. Dans le cas de Bergeron, dans le cas qu’il aurait été frappé par une balle ordinaire, est-ce qu’il serait mort pareil ? ou bien s’il aurait pu avoir une chance de vivre ?


R. Dans la direction qu’il a été xx tiré, il serait mort pareil parce que la balle lui traverse le cœur c’était nécessairement une blessure mortelle ― en second lieu j’ai fait l’autopsie de l’étudiant Tremblay âgé de vingt ans. J’ai vu le défunt Tremblay à l’Hôtel-Dieu étant chirurgien de service au mois d’avril. J’ai été appelé je crois vers minuit et demi pour me rendre là, me disant qu’un blessé était rendu à l’hôpital et qu’on requerrait mes soins. Je suis allé à l’Hôtel-Dieu. Le malade avait reçu les premiers pansements par l’interne de l’Hôtel-Dieu. Il était parfaitement exsangue, il était pâle, sans réaction, pas de pouls. C’était évident qu’il avait saigné énormément. Il avait sa pleine connaissance. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour le ressusciter. Il ne saignait plus plus ― il est mort le matin vers huit heures et quart quelques minutes après mon retour à l’hôpital.

INTERROGÉ par Mtre. E. Nochette.


Q. Auriez-vous objection à dire quelles sont les déclarations que le jeune Tremblay aurait pu vous faire avant de mourir ― vous a-t-il fait part de quelques déclarations ?


Le Coroner. — Si vous voulez bien le Dr va d’abord faire son rapport et vous lui poserez des questions après.


R. D’ailleurs, il n’en n’a pas faites.


Q. Vous a-t-il déclaré à quelle heure il a été frappé ?


R. C’est possible qu’il l’ait dit mais il a été vu avant moi. Cependant il avait sa connaissance lorsque je l’ai vu mais il souffrait tant que je ne lui ai pas demandé. On lui a parlé de sa mère, s’il avait quelque chose à dire à sa mère. On lui a dit qu’il était dangereusement malade et il s’est préparé à mourir. Il n’a pas semblé blâmer personne. Il a dit simplement qu’il était là en curieux ― qu’il était arrivé dans la journée je crois et le soir il était allé à l’École Technique et il s’en allait chez eux à sa maison de pension sur la rue Durocher. C’est en s’en allant là qu’il s’est trouvé là par accident.


Mtre. Lachance. — Est-ce qu’il vous a mentionné le fait qu’il était là avec un de ses cousins.


R. Non.


Mtre. Lachance. Et qu’il aurait été séparé de son cousin ? x


R. Non moi je ne sais rien de cela. Quand j’ai fait l’autopsie, le cadavre ne portait pas ses habits. Il a cinq pieds et neuf pouces. Il était âgé à peu près de vingt ans. Il portait deux blessures, une au dessus du genou gauche, en dessous de la rotule, la palette du genou. ― et la balle a passé directement en arrière. L’ouverture d’entrée était à peu près comme les autres à peu près deux lignes ou trois lignes et demi de diamètre. La balle a fracturé l’os de la cuisse, le fémur et a emporté les vaisseaux, les artères et elle est sortie par une ouverture xxxx d’à peu près, d’un côté sur la largeur elle avait un pouce et demi sur deux pouces de diamètre, laissant une partie des vaisseaux, de l’artère poplitée, largement pliée, et la peau ouverte d’à peu près deux pouces et demi sur un demi pouce de diamètre. La balle avait été presque directement d’en avant en arrière. Il avait une autre blessure…


Mtre. Lachance. — La blessure de sortie était de quelle grandeur ?


R. Elle avait deux pouces et demi par un pouce et trois quarts. Il était blessé également au coude gauche. La balle était arrivée obliquement un peu en dessous du coude présentant encore cette ouverture de la dimension que j’ai mentionnée plus haut et avait pénétré en haut et en arrière fracturant l’os de l’avant-bras, et était passé outre, laissant encore une ouverture de même dimension, deux pouces. Elle a fracturé l’os du coude laissant une ouverture dans la peau d’à peu près deux pouces de diamètre. La cause de la mort dans le cas de M. Tremblay est une hémorragie par blessure de l’artère poplitée.


Interrogé PAR M. LESAGE.


Q. Est-ce que la blessure de Tremblay paraissait être faite par des balles de même nature que celle de Bergeron ?


R. Bien, pour moi la blessure a été faite par des balles semblables. Cependant je dois dire que dans le cas de Tremblay je ne pourrais pas l’affirmer de manière positive, vu la résistance de l’os ― je ne pourrais pas affirmer qu’une balle ordinaire, n’aurait pu causer, par l’écrasement de l’os, une blessure de la peau comme ça. C’est un des cas où je serais prêt à admettre la possibilité de la blessure parce que l’os était près de la peau et cette déchirure de la peau aurait pu être causée par un fragment de l’os.


Le Coroner. — Croyez-vous que si des soins médicaux avaient été donnés au défunt lors de l’accident il aurait pu être sauvé ?


R. Tremblay n’avait pas de raison de mourir. Il s’agissait simplement de mettre une ligature au-dessus de la blessure de Tremblay et il ne serait pas mort.


Le Coroner. On ne lui avait donné aucun soin quelconque lorsque vous l’avez vu la première fois à l’Hôtel-Dieu ?


R. Il n’avait rien eu du tout. xxxxxx Il est arrivé à l’Hôtel-Dieu d’après le rapport de l’interne baignant dans son sang.


Le Major Barclay. — xxxxxx Qui est-ce qui l’a apporté là ?


R. C’est l’ambulance.


Le Major Barclay. — L’ambulance militaire ?


R. Je ne crois pas, je crois que c’est l’ambulance de Québec.


Q. Savez-vous à quelle heure ?


R. C’était vers minuit et demi, parce que vers minuit et quart… ceci est absolument regrettable et démontre l’importance d’avoir quelqu’un de compétent sur un ambulance pour donner les premiers soins. C’est absolument nécessaire ça.


Mtre Lachance. — Était-ce la ville qui avait soin des blessés ?


R. Je dis ça de façon générale. Quand il y a une ambulance pour aller chercher les malades les blessés ou autres, je crois sincèrement que quelqu’un de compétent pourrait accompagner l’ambulance de manière à pouvoir donner les premiers soins, comme dans un cas de fracture ordinaire, lorsque les malades sont transportés par des gens qui ne sont pas compétents, le transport peut faire d’une blessure insignifiante, une blessure grave. Par conséquent je trouve que c’est absolument urgent, absolument nécessaire d’avoir quelqu’un de compétent dans l’ambulance.


Le Coroner. — Si on avait pu requérir les soins d’un médecin des alentours ?


R. N’importe qui qui avait la moindre notion du danger d’une hémorragie aurait pu le faire.


Q. La troisième xxxx autopsie maintenant ?


R. La troisième autopsie est celle du jeune Demeule, âgé de quatorze ans, cinq pieds et un pouce de taille. Ici je dois dire que dans ma déposition devant l’enquête militaire, j’ai fait une erreur sur la direction de la blessure. Au lieu de dire que la blessure se dirigeait d’avant en arrière, j’ai dit qu’elle était dirigée d’arrière en avant. En référant à mes notes je me suis aperçu que je m’était trompé, ― c’est-à-dire que Demeule a été frappé par en avant. Il portait un capot d’étoffe avec dans la poche extérieure un mouchoir, une blouse de serge noire, chemise noire, camisole, une paire de bas en cachemire, un pantalon court en tweed, caleçon de coton. Tous ses vêtements étaient perforés à la partie correspondante des blessures trouvées. La blessure de Demeule a frappé la poitrine obliquement sur la troisième côte, à trois ou quatre travers de doigts du sternum. Elle a pénétré sous la peau et a passé dans la poitrine entre la quatrième et la cinquième côte. Elle a passé à travers le poumon, la base du poumon, à travers le muscle du diaphragme, c’est-à-dire le muscle qui sépare la poitrine du ventre laissant là une ouverture assez large, au delà d’un pouce de diamètre. La balle a dilacéré le lobe droit du foie, et est sorti en arrière vers la dixième et la onzième, la fracturant, laissant une ouverture de sortie d’à peu près de même dimension entre la dixième et la onzième côte, c’est-à-dire à peu près deux pouces de diamètre comme les autres. La mort de Demeule est due aussi à une hémorragie occasionnée par le poumon et la rupture du foie. Il avait du sang dans la poitrine et l’abdomen. ― hémorragie causée par le passage d’une balle.

INTERROGÉ par M. Lesage.


Q. Dr était-il possible par des soins immédiats d’un médecin de prévenir la mort ou s’il a été blessé mortellement.


R. Il était blessé mortellement. — Maintenant, Alexandre Bussières, vingt cinq ans, cinq pieds et six pouces de taille. Il portait un imperméable gris fer, une blouse noire dans laquelle j’ai trouvé un sac à tabac, une carte d’annonce, et il portait un faux col avec une cravate en soie rouge et noire et entre l’habit et le gilet, la garde de sa chaîne de montre. Il n’avait pas de montre et pas de chaîne de montre, seulement que la garde qui restait dans les habits. Dans le pantalon il n’y avait rien, pas un sou. Il y avait un mouchoir blanc portant les initiales B. Il portait un caleçon, scapulaire et médaille. Il était connu sous le nom de Hamel. J’ai fait l’autopsie sous le nom de Hamel mais son nom est Bussières. Il avait une bague en or avec une pierre améthyste, des bas de laine noire marqués A. B. Encore dans ses habits j’ai trouvé une ouverture correspondante à l’ouverture d’entrée et de sortie de la balle. La balle a pénétré dans le dos. Une ouverture d’à peu près deux lignes de diamètre entre la quatrième et la cinquième côte. Elle a passé à travers le corps de la quatrième vertèbre dorsale en se dirigeant par conséquent de droit à gauche et de bas en haut. Elle a passé à travers le poumon en le dilacérant et est sortie de la poitrine au travers la troisième et la quatrième côte par une ouverture d’à peu près deux pouces de diamètre. Elle a pénétré dans le côté interne du bras et en arrière. L’ouverture dans le haut avait à peu près cinq pouces de longueur sur deux pouces et demi de largeur, l’ouverture d’entrée dans le bras. Elle a passé à travers les xxxx muscles du bras, dans la partie postérieure du bras et est sortie du côté externe par une ouverture d’à peu près de même dimension. Les muscles de la partie postérieure du bras étaient déchiquetés. La cause de la mort de Bussières a été une hémorragie causée par la lésion du poumon.

INTERROGÉ par Mtre. Paul Drouin.


Est-ce que dans le cas de Bussières la blessure a été causée par une balle de même nature que celle de Bergeron ?


R. D’après moi, les trois, Demeule Bussières et Bergeron ont été blessés par des balles semblables et je suis d’opinion que ces balles étaient de texture malléable parce qu’une balle ordinaire n’est pas capable de produire les lésions qu’on a constatées.


Q. Est-ce qu’ils seraient morts quand même si c’avait été des balles ordinaires ?


R. Non, pas nécessairement, parce que il arrive assez fréquemment que les balles ont pénétré de bord en bord dans le poumon. Ça peut atteindre un vaisseau et produire une hémorragie considérable ; j’ai vu plusieurs cas de blessures de poumon sans qu’il y ait eu de mort, mais ici malheureusement le poumon a été dilacéré et il y a eu hémorragie considérable et l’hémorragie est certainement la cause de la mort.


Mtre. Lavergne. Par la nature de la blessure est-ce que des soins immédiats pouvait le sauver ?


R. Nullement.

INTERROGÉ par Mtre. E. Rochette.


Q. Les déclarations que le jeune Tremblay vous a faites,…


R. Pratiquement, il n’en a pas faites, parce que d’abord je ne lui en ai pas demandé. Il est possible que vous interrogiez l’interne de l’Hôtel-Dieu ― mais je ne crois pas qu’il ait fait de déclarations autre chose que de dire : C’est rien de valeur, j’étais là absolument accidentellement. Il a dit aussi : J’étais en bonne santé ce matin et me voilà mourant. ― je passais, je m’en allais chez-moi. C’est ce qu’il a dits.

INTERROGÉ par le Major Barclay


Q. Dans cet article que vous venez de lire à Messieurs les Jurés, M. le Docteur, est-ce que les deux médecins américains ont parlé de ricochets ?


R. Non.


Q. Ils n’ont pas parlé de la nature d’une balle xxxx par ricochets ?


R. Non.


Q. Vous êtes certain de ça ?


R. Oui, je peux produire le journal lui-même il n’en est pas question.


Q. Dans le cas d’un ricochet, ça change tout de suite les décès ?


R. Ça peut évidemment changer. Mais une chose qui est certaine c’est que dans le cas de Demeule et dans le cas de Bergeron il ne peut pas être question de ricochets. Quand la balle a frappé sur une côte, la balle n’a pas pu avec la vitesse qu’elle avait, produire les lésions que j’ai rencontrées.


Q. Êtes-vous un expert dans la matière de la vitesse des balles ?


R. Non je ne suis pas un expert, mais l’expérience que l’on a, c’est facile de voir quand une balle passe de travers ou de long. Ça se rencontre à bien des places xxxxxx j’ai eu occasion de voir des balles de chasseurs par exemples où les balles étaient malléables avaient produit des lésions absolument semblables comme celles que j’ai rencontrées.


Q. N’étant pas un expert comment pouvez-vous dire…


R. Ça dépend de ce que vous entendez par expert, ― je suis médecin.


Q. Si vous n’êtes pas un expert dans les affaires de balistique et la vitesse des balles comment pouvez-vous dire que c’est impossible pour une balle à une certaine vitesse de faire les blessures constatées chez Demeule ?


R. Parce que dans le même article que je vous ai cité les médecins disent là que quelque soit la vitesse dxxx’entrée et de sortie ça ne semble pas faire grand chose.


Q. Maintenant la balle que vous avez montré aux Jurés de qui avez-vous pris ça ?


R. De M. Bourget qui est venu à l’Hôtel-Dieu de Québec. Il m’a expliqué qu’il se trouvait devant les soldats et qu’il s’est couché derrière un poteau et qu’il s’est mis en arrière et que cela a passé à travers son chapeau ― je calcule que c’est vrai aussi ― la balle n’a pas pu l’atteindre directement ― une balle qui serait arrivé sur lui avec la vitesse ordinaire aurait passé outre. Elle a passé à côté.


Q. Avec votre impartialité vous jurez que cela a l’air comme si c’était une balle limée ?


R. Je vous demande pardon.


Q. C’est ça que j’ai compris.


R. Ce n’est pas ce que j’ai dit.


Q. Je vous demande pardon si j’ai mal compris ― je retire cela ― j’ai pris ça en note ― c’est peut-être ma faute de français.


R. J’ai produit une autre balle pour leur montrer comment les chasseurs faisaient.


Q. Alors Docteur si par hasard M. Demeule a été frappé également comme M. Bourget par une balle qui a traversé d’abord un poteau est-ce que cela n’aurait pas produit les effets que vous constatez ?


R. Non Monsieur.


Q. Pourquoi ?


R. Parce que l’ouverture d’entrée aurait été autre. Si la balle avait touché quelque chose pour se déformer x elle aurait fait une ouverture d’entrée correspondante à l’ouverture de sortie. L’ouverture d’entrée indique que la balle était absolument intacte.


Q. Dans les mesures dont vous avez parlé vous avez dit que le diamètre était à peu près de deux pouces et deux pouces et demi ?


R. Non, je n’est pas été au delà de deux pouces excepté pour la blessure du bras. Je n’ai pas été absolument, mathématiquement prêt, parce que xxxx ayant à faire d’autres autopsies ce n’est pas moi qui a pris les mesures. J’avais ça dans mes notes. Ce n’est pas mathématiquement vrai mais je crois que la limite des deux pouces est correcte, dans le plus grand diamètre.


Q. Alors n’ayant pas de mesure exact peut-être que deux pouces peut être exagéré ?


R. Je ne crois pas, je n’admets pas ça.


Q. Vous n’en êtes pas certain.


R. Je dis que deux pouces ce n’est pas exagéré. S’il y a quelques chose, c’est plus grand que ça. ― mais je voulais tenir compte des circonstances. Maintenant pour la blessure du bras je vous ai dit qu’il y avait de quatre à cinq pouces. Il y avait un pouce de diamètre sur la longueur.


Q. Laquelle ?


R. Sur le bras.


Q. Maintenant prenons le cas de Tremblay. Vous dites qu’on a fracturé…


R. On a fracturé le fémur.


Q. Alors selon vos amis américains il est tout à fait naturel xxxxxx que la sortie soit plus grande que l’autre ?


R. C’est précisément pourquoi j’ai fait la distinction entre cette blessure et les autres, et même avant que j’aie lu l’article de ces Messieurs je savais par expérience que quand une balle frappe un os, une partie peut être emportée ou faire balle et surtout sur la peau comme ça, ça peut produire une déchirure. C’est pourquoi j’ai manifesté immédiatement mon doute parce que je veux rester absolument dans la vérité.


Q. Dans ce cas là il n’y a rien qui vous indique que c’était une balle malléable ?


R. Dans ce cas, là, non. Ça peut être une balle malléable, mais ça peut ne pas l’être. Maintenant il faut bien s’entendre, parce que une balle malléable aurait pu produire les lésions que j’aurais pu trouver.


Q. Mais rien n’indique que c’est l’un ou l’autre ?


R. D’une manière positive, non, parce que cette blessure peut à la rigueur faire par une balle qui n’est pas malléable.


Q. Prenons maintenant le cas de Demeule. Si j’ai bien compris votre témoignage, cette balle a cassé la dixième et la onzième côte ?


R. Elle les a fracturées.


Q. Était-ce comme ouverture de sortie, ― pas comme ouverture d’entrée ?


R. C’était déchiré. Elle a pénétré dans la peau vers la troisième côte et elle a pénétré dans la poitrine. Là je ne pourrais pas dire au juste.


Q. De sorte que dans tous les cas la sortie serait plus grande que l’entrée ?


R. Évidemment, toujours.


Q. Pour la même raison, parce que ça frappe un os ?


R. Parce que ça frappe un os et puis je vous indique que dans le cas de Demeule que c’était une balle malléable parce que elle a fait dans le muscle qui sépare le ventre de l’estomac, une ouverture d’au-delà un pouce de diamètre et elle a dilacéré au moins presque lacéré la moitié du lobe droit du foie. Le passage d’une balle qui n’est pas déformée ne peut pas produire cela.


Q. L’entrée est grande aussi ?


R. Pas du tout, elle avait le même diamètre, toutes les ouvertures d’entrées étaient à peu près du même diamètre.


Q. Celle de Demeule n’était pas plus grande que les autres ?


R. Non.


Q. xxxxxx Êtes-vous certain de ça ?


R. J’en suis certain puisque que je l’ai juré.


Q. Maintenant dans l’affaire de Bussières, lui aussi avait deux côtes de cassées.


R. Fracturées. Dans le cas de Bussières, je vous ai dit que la balle était rentré entre la quatrième et la cinquième côte, qu’elle avait pénétré à travers le corps de la quatrième vertèbre dorsale et qu’elle a dilacéré le poumon et elle est sortie par la troisième et la quatrième côte en avant. Là la côte était fracturée. xxxxxxxx


Q. Naturellement la sortie était plus grande que l’entrée ?


R. Évidemment.


Q. Docteur avez-vous jamais vu l’effet des balles militaires à courte distance ?


R. Non Monsieur.


Q. Avez-vous quelque chose pour prouver que ces quatre là ont trouvé leur mort aux mains des militaires ? plutôt qu’aux mains d’autres personnes ?


R. Ah non, ah non, cela ne me regarde pas du tout.

INTERROGÉ par Mtre. Lachance.


Q. Est-ce que vous avez eu à traiter ou à constater déjà des blessures faites par des balles explosives ?


R. Non, bien ça dépend ce que vous entendez par là.


Q. Les soft nose comme on appelle ?


R. Oui. J’ai servi comme chirurgien à l’Hôtel-Dieu ça fait quinze ans et il y a souvent des accidents de chasse. Alors on a un délabrement considérable par ces plaies comme ça. Ça c’est dans mon service à l’Hôtel-Dieu naturellement. Je fais le service à l’année et je fais quatre mois par année. J’ai eu connaissance de ces accidents là qui sont survenus au cours de mon service. Chaque fois que j’ai eu des accidents de chasse qui avaient été causés par des balles, cela produit des dégâts considérables. La raison pour laquelle je me suis convaincu que ces blessures là n’ont pu être faites par des balles à xxxxxxxx chemise métallique et que jamais je n’ai rien vu de semblable.


Q. Alors avec votre expérience et avec les cas que vous avez traités et que vous avez suivis, les blessures causées par des balles malléables, des balles soft nose, vous avez trouvé, d’après votre déclaration ce matin qu’il y avait correspondance entre les symptômes de ces cas là et les symptômes que vous avez trouvés sur les cadavres ?


R. Les lésions produites sur les cadavres que j’ai mentionnées.


Q. Vous en avez vu de ces blessures là depuis que vous êtes médecin ?


R. Depuis que je pratique comme médecin assurément.


Q. Depuis une trentaine d’années ?


R. Assurément


Q. Vous avez constaté que sur trois des x cadavres à tout évènement, il y avait des os brisés ou fracturés par le passage de la balle ?


R. Il y en avait dans les quatre.


Q. Vous avez fait une distinction dans l’un d’eux ?


R. Si on doit faire une distinction c’est parce qu’il y a une incertitude. Je suis venu ici pour dire franchement ce que je pense et pas autre chose.


Q. Mais dans le cas des trois autres à part de Tremblay est-ce que la fracture des os et des côtes par le passage des balles aurait pu affecter ou briser cette balle de manière à en faire pour ainsi dire une balle soft nose et occasionner la blessure de sortie ?


R. Chaque fois qu’une balle malléable touche à un corps dur elle s’affaisse, elle s’aplatit et alors elle produit les lésions mentionnées.


Q. Prenons une balle ordinaire de carabine avec une enveloppe métallique intacte, une fois tirée comme celle-là une balle qui aurait pénétré au travers le corps d’une personne et qui aurait rencontré des os comme vous l’avez constaté, est-ce que cette balle aurait pu produire ― est-ce qu’elle aurait pu se briser de manière à produire les blessures de sortie que vous avez constatées ?


R. Oui.


Q. Vous êtes certain de ça ?


R. Oui.


Et le témoin ne dit plus rien.


La présente enquête est alors ajournée au lendemain 10 avril, 1918 à 9.30 A. M.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.