Œuvres complètes de Béranger/Émile Debraux
Pour les autres éditions de ce texte, voir Émile Debraux. Chanson-prospectus pour les œuvres de ce chansonnier.
ÉMILE DEBRAUX e*
Le pauvre Émile a passé comme une ombre,
Ombre joyeuse et chère aux bons vivants.
Ses gais refrains vous égalent en nombre,
Fleurs d’acacia qu’éparpillent les vents.
Debraux, dix ans, régna sur la goguette,
Mit l’orgue en train et les chœurs des faubourgs,
Et roulant roi, de guinguette en guinguette,
Du pauvre peuple il chanta les amours.
Toujours enfant, gai jusqu’à faire envie,
En étourdi vers le plaisir poussé ;
Pouffant de rire à voir couler sa vie
Comme le vin d’un tonneau défoncé ;
Sifflant le sot sous les croix qu’il découvre,
Ou sur son char le grand mal affermi ;
Sans s’informer par où l’on monte au Louvre,
Du pauvre peuple il est resté l’ami.
Mais, dites-vous, il avait donc des rentes ?
Eh ! non, messieurs ; il logeait au grenier.
Le temps, au bruit des fêtes enivrantes,
Râpait, râpait l’habit du chansonnier.
Venait l’hiver ; le bois manquait à l’âtre ;
La vitre, au nord, étincelait de fleurs ;
II grelottait, mais sa muse folâtre
Du pauvre peuple allait sécher les pleurs.
De l’œil des rois on a compté les larmes ;
Les yeux du peuple en ont trop pour cela :
La France alors pleurait l’éclat des armes
Et les grandeurs dont le cours l’ébranla.
Ta voix, Émile, évoquant notre histoire,
Du cabaret ennoblit les échos ;
C’était l’asile où se cachait la gloire :
Le pauvre peuple aime tant les héros !
Bien jeune, hélas ! il descend dans la fosse.
Je l’ai conduit où vieux j’irai demain.
Chantant au loin, des buveurs à voix fausse
Aux noirs pensers m’arrachaient en chemin.
C’étaient ses chants que disait leur ivresse,
Chants que leurs fils sauront bien rajeunir.
De son passage est-il un roi qui laisse
Au pauvre peuple un si doux souvenir ?
De sa famille allégez l’indigence ;
Riches et grands, achetez ce recueil.
À tant d’esprit passez la négligence :
Ah ! du talent le besoin est l’écueil.
Ne soyez point ingrats pour nos musettes ;
Songez aux maux que nous adoucissons.
Pour s’en tenir au lot que vous lui faites,
Le pauvre peuple a besoin de chansons.
e*. Émile Debraux est mort au commencement de 1831, à l’âge de trente-trois ans. Peu de chansonniers ont pu se vanter d’une popularité égale à la sienne, qui, certes, était bien méritée. Les chansons de la Colonne ; Soldat, t’en souviens-tu ? Fanfan la Tulipe ; Mon petit Mimile, etc., ont eu un succès prodigieux, non seulement dans les guinguettes et les ateliers, mais aussi dans les salons libéraux.
L’existence de Debraux n’en resta pas moins obscure ; il ne savait ni se faire valoir, ni solliciter. Pendant la Restauration, il se laissa poursuivre, juger, condamner, emprisonner, sans se plaindre, et je ne sais si une seule feuille publique lui adressa deux mots de consolation. Souvent il fut réduit à faire des copies et à barbouiller des rôles pour nourrir sa femme et ses trois enfants.
Les sociétés chantantes, dites Goguettes, le recherchèrent toutes, et je crois qu’il n’en négligea aucune. Si, dans ces réunions, Debraux se laissa aller à son penchant pour la vie insouciante et joyeuse, il faut dire que par des soins utiles elles adoucirent ses derniers moments, rendus si pénibles par une maladie longue et douloureuse.
Sa pauvre famille n’a obtenu que d’incertains et faibles secours dans la répartition faite par le Comité des récompenses nationales. Pourtant les chansons de Debraux, en contribuant à exalter le patriotisme du peuple, ont concouru au triomphe de Juillet, qu’à son lit de mort, il a salué d’une voix défaillante.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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