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Épigrammes (Théocrite, Leconte de Lisle)/1869

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Épigrammes
Traduction : Leconte de Lisle, 1869



ÉPIGRAMMES






I

Anathème aux Muses et à Apollôn


Ces roses pleines de rosée et ce serpolet touffu sont offerts aux Hélikôniades. À toi, ces lauriers au noir feuillage, Paian Pythien, car c’est pour toi qu’ils ont poussé sur la Roche Delphienne. Quant à ce bouc cornu, au poil blanc, qui broute l’extrémité des rameaux du térébinthe, il ensanglantera l’autel.






II

Anathème à Pan, par Daphnis


Daphnis à la peau blanche, qui chante des hymnes bucoliques sur une belle syrinx, a consacré à Pan ces roseaux troués, cette houlette, un javelot aigu, une peau de faon, et le sac de cuir dans lequel il portait des pommes autrefois.


III
Sur Daphnis le Chevrier


Tu dors, Daphnis ! Tu reposes sur un monceau de feuilles ton corps fatigué, et les pieux que tu as récemment plantés sont encore sur les hauteurs. Mais Pan est sur ta piste, ainsi que Priapos qui enroule le lierre aux fruits jaunes sur ta tête charmante. Ils vont entrer tous deux dans ton antre. Sors de l’assoupissement du sommeil, éveille-toi et fuis !






IV


Chevrier, va vers ce lieu où croissent les chênes, tu y trouveras une statue de figuier, avec son écorce, récemment sculptée, à trois jambes et sans oreilles. Une clôture sacrée l’entoure, et un ruisseau intarissable, qui s’échappe des rochers, fait verdir de tous côtés les lauriers et les myrtes, et les cyprès odorants. Une vigne, lourde de grappes, l’environne d’une guirlande ; les merles printaniers y font entendre les sons variés de leurs voix sonores, et les fauves rossignols répondent par le doux gazouillement de leurs gosiers. Assieds-toi là, supplie le charmant Priapos que je cesse d’aimer Daphnis, et dis-lui que je veux lui sacrifier un beau chevreau. S’il refuse, que j’obtienne Daphnis, et je lui sacrifierai trois victimes : une génisse, un bouc velu et un agneau sevré. Mais, plutôt, que le Dieu bienveillant m’exauce !






V

Symphonie


Veux-tu, au nom des Muses, me jouer un air harmonieux sur une double flûte ? Moi, je toucherai du pektis, et Daphnis nous charmera en jouant de sa syrinx enduite de cire ; et, nous tenant auprès de cet antre dont le seuil est caché par de grandes herbes, nous empêcherons de dormir Pan aux pieds de chèvre.






VI

Sur Thyrsis le chevrier pleurant une chèvre
qu’un loup a dévorée.


Ô malheureux Thyrsis, que te sert-il de rougir tes yeux à force de larmes ? Elle s’en est allée, la petite chèvre ; elle s’en est allée dans le Hadès, la belle petite, car un loup féroce l’a saisie avec ses griffes, tandis que les chiens aboyaient. Que te sert-il de pleurer, puisqu’il ne te reste d’elle ni un os, ni même un peu de cendre ?






VII

Sur Nikias le médecin


Il est parti pour Milètos, le fils de Paian, afin d’habiter avec un homme guérisseur de maladies, avec Nikias, qui, tous les jours, lui fait des offrandes et lui a élevé une statue de cèdre odorant, pour laquelle il avait offert un grand prix à l’habile Hèétiôn, et celui-ci a mis tout son art dans cet ouvrage.






VIII

Épitaphe d’Orthôn


Le Syracusain Orthôn t’avertit de ceci, ô Étranger : Ne voyage jamais, étant ivre, par une nuit orageuse. C’est pour l’avoir fait que je repose sur une terre étrangère, et non dans ma patrie aux nombreux habitants.




IX

Sur Kléonikos, naufragé à Thasos


Ô homme, ménage ta vie, et ne navigue pas hors de saison, car la vie humaine est brève. Malheureux Kléonikos ! tu te hâtais d’aborder à la riche Thasos, avec des marchandises de Kélésyria, avec des marchandises, ô Kléonikos ! mais tu as passé la mer comme les Péléiades se couchaient, et tu t’es englouti avec les Péléiades.






X

Sur Xénoklès, qui avait dédié aux Muses un groupe en marbre.


Xénoklès vous a élevé ce beau monument marmoréen, Déesses, à toutes les neuf ! Il est musicien, personne ne dira le contraire ; et, loué pour son talent, il n’oublie pas les Muses.




XI

Épitaphe d’Eusthénès le physiognômoniste


Tombeau d’Eusthénès, l’habile physiognômoniste, qui lisait la pensée dans les yeux. Il était étranger, et ses amis l’ont enseveli sur une terre étrangère ; mais il était chanteur d’hymnes aussi, et ils l’aimaient beaucoup. À sa mort, tout s’est passé décemment. Bien que pauvre, il avait donc de vrais amis.






XII

Sur un trépied consacré à Dionysos par Damotélès


Damotélès le Khorège, ô Dionysos, celui qui a dédié ce trépied au plus aimabie des Dieux heureux, n’a pas réussi dans les chœurs d’enfants, mais il a vaincu avec un chœur d’hommes. Il tend au Beau et au Bien.




XIII

Sur une statue d’Aphrodita Ouranienne.


Ce n’est pas Kypris populaire ; implore cette Déesse en la nommant Ouranienne. C’est un anathème de la chaste Khrysogona, consacré par elle dans la maison d’Amphiklès, dont elle partage la vie et dont elle a des enfants. D’année en année, leur destinée a été plus heureuse, car ils ont toujours commencé par t’honorer, ô Vénérable ! Et les mortels prospèrent qui ne négligent pas les Immortels.






XIV

Épitaphe d’Eurymédôn.


Tu as laissé un fils enfant, et, mort toi-même pendant ta jeunesse, on t’a élevé ce tombeau. Maintenant, ta place est parmi les hommes divins, et tes concitoyens honoreront ton fils, sachant qu’il est né d’un homme de bien.




XV

Sur le même.


Je saurai si tu honores les Bons, ô voyageur ! ou si tu les confonds avec les Mauvais. Dis donc : — Heureux ce tombeau, puisqu’il repose, léger, sur la tête sacrée d’Eurymédôn ! —






XVI

Sur une statue d’Anakréôn.


Regarde bien cette statue, ô Étranger, et dis, quand tu seras de retour dans ta demeure : — J’ai vu, à Téôs, une image d’Anakréôn, le plus grand des anciens poëtes. — Et ajoute : — Il aimait les jeunes hommes. — Et tu auras raconté exactement l’homme tout entier.






XVII

Sur Épikharmos.


Ceci est en langue Dôrique, et cet homme est Épikharmos qui inventa la comédie. Ô Dionysos, les étrangers établis dans Syrakousa t’ont consacré sa statue, afin d’honorer leur concitoyen. Il avait des paroles en abondance ; il a dit beaucoup de maximes utiles. Une grande reconnaissance lui est due.






XVIII

Épitaphe de Kleita, nourrice de Mèdéios.


Le petit Mèdéios a élevé sur le bord de la route ce tombeau à sa nourrice Thrakienne, et il y a inscrit : — Tombeau de Kleita. — C’est ainsi que Kleita aura été récompensée d’avoir nourri ce jeune homme. Pourquoi ? Parce qu’elle aura été utile jusqu’à la mort.






XIX

Sur Arkhilokhos.


Arrête et regarde Arkhilokhos, l’ancien poëte, l’lambique, dont la gloire immense a pénétré l’Orient et l’Occident. Certes, il était aimé des Muses et du Dèlien Apollôn, car il fut savant et harmonieux, soit qu’il fît des vers, soit qu’il chantât sur la lyre.




XX

Sur une statue de Peisandros, auteur de la Hèrakléide.


Cet homme est le premier des anciens poëtes, Peisandros de Kameira, qui chanta le fils de Zeus, prompt à l’action, le vainqueur du lion, et il a aussi chanté ses autres combats. Or, afin que tu le saches, le peuple l’a placé ici, fait de bronze, bien des mois et bien des années après sa mort.






XXI

Sur Hippônax.


Ici repose l’artiste Hippônax. Si tu es mauvais, n’approche pas de ce tombeau ; si tu es honnête et né d’un père irréprochable, tu peux t’y asseoir en sûreté, et même y dormir.






XXII


Il y a un Théokritos de Khios ; mais moi, Théokritos, qui ai fait ce livre, je suis un des nombreux habitants de Syrakousa, fils de Praxagoras et de l’illustre Philinna. Et ce livre ne contient rien que je n’aie conçu.






XXIII

Épitaphe de Péristéris.


Entre toutes les enfants de son âge, et toute jeune, cette enfant s’en est allée vers Aidès, pleurant, la pauvre petite, un frère âgé de vingt mois et mort au berceau. Hélas ! Péristéris, que ta destinée a été déplorable ! Et que les Dieux ont placé de grandes tristesses auprès des hommes !






XXIV

Sur le changeur Kairos.


Cette table est aux citoyens et aux étrangers. Prends ce que tu y as mis : le caillou a complété ton compte. Qu’un autre use d’un prétexte ; quant à Kairos, il compte l’argent d’autrui, pour qui veut, même pendant la nuit.




XXV

Épitaphe de Glauka.


L’inscription dira quel est ce tombeau et ce qu’il renferme : — Je suis le tombeau de Glauka qui fut illustre.



fin des œuvres de théocrite