Émile Zola : l’homme & l’œuvre/Zola plagiaire

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Zola plagiaire

J’eusse voulu m’épargner cette exécution littéraire ; je n’aime pas ce genre de besogne, mais comme l’accusation a été portée par quelques journaux et qu’elle a été maintenue par quelques écrivains, je n’ai pas le droit de m’y soustraire. Peu d’auteurs échappent à cette insinuation ; tout homme qui fait métier d’écrire croit qu’on lui a pris son bien ou qu’on a emprunté celui d’un autre : tout le monde est voleur, excepté lui. Pour moi, je répète le secret de la femme aux œufs, mais sans en augmenter le nombre ; tant on m’en a dit et tant j’en redis : le compte y est. Zola, peu inventeur de son naturel, est très imitateur dans son naturalisme ; sa méthode littéraire, il l’avoue lui-même, décalque absolument celle de Claude Bernard, en la corsant, je l’ai signalé, en plusieurs endroits, d’emprunts scientifiques faits au docteur Lucas et à d’autres savants ; ses premiers ouvrages : les Contes à Ninon et la Confession de Claude rappellent, non seulement les Contes et la Confession d’un enfant du siècle, d’Alfred de Musset, mais moulent, autant qu’un ordinaire calligraphe peut reproduire les caractères d’imprimerie, le style et le genre d’un maître ; l’Assommoir décroche, dans le sublime de Poulot, ses noms les plus suggestifs et ses scènes les plus alcooliques ; Germinal rappelle, par son style et son socialisme, les Misérables de Victor Hugo ; le Rêve est un pastiche effacé de Notre-Dame de Paris, la Débâcle un thème amplifié et gonflé de l’épisode de Waterloo des Misérables ; le Ventre de Paris et Pot-Bouille doivent au Paris inconnu de Privat d’Anglemont, aux Convulsions de Paris de Maxime Ducamp et à des études de d’Haussonville et de Vitu, la meilleure et la plus saine partie de leurs renseignements ; et, pour ne pas prolonger outre mesure la liste des sources où a surabondamment puisé Zola, qui n’a pas voulu surcharger ses livres, en les citant, qu’il me suffise de dire qu’il n’y a de lui et bien de lui que les longs détails descriptifs, linguistiques et surtout pornographiques qui sont la grosse pièce, non pas résistante, mais alléchante de ses livres. La Terre, œuvre de basse et ignoble calomnie du paysan, est une déjection de En rade de Huysmans et d’une pièce de vers de Rollinat, ce frère raffiné et délicat de Baudelaire et la Bête humaine, une pâle et répugnante copie d’un roman de George Moore. La Paix sociale, organe de la ligue nationale de l’athéisme, ayant publié dans son premier numéro du 2 juin 1888 les Amours d’un homme laid, par Mme Berton, née Samson. À son début l’auteur réclama la priorité de l’idée développée dans une Page d’amour ; Émile Zola répondit : « Monsieur le rédacteur, veuillez publier cette lettre dans le prochain numéro de la Paix sociale. Je n’ai jamais lu le roman de Mme Berton-Samson et j’ignorais jusqu’à ce jour l’existence de l’auteur et de l’œuvre. Émile Zola.

Voici le travail comparatif fait par l’auteur des Amours d’un homme laid et publié à la suite de la lettre :


Les
Amours d’un homme laid
Roman
de Mme Berton, née Samson

Page d’Amour
Roman
de Émile Zola

Une jeune veuve sage et douce ; elle a une petite fille, cette petite fille est maladive.

Cette petite fille s’appelle Jeanne.

La jeune veuve fait venir un docteur prés de sa petite fille. Ce docteur est un homme jeune et marié.

La jeune veuve a un vieil ami qui veut l’épouser. Un amour platonique naît entre le docteur et la jeune veuve.

La petite Jeanne a une affection passionnée pour son docteur. La femme du docteur est légère et mondaine.

La jeune veuve épouse son vieil ami.

Une jeune veuve sage et douce ; elle a une petite fille, cette petite fille est maladive.

Cette petite fille s’appelle Jeanne.

La jeune veuve fait venir un docteur près de sa petite fille. Le docteur est un homme jeune et marié.

La jeune veuve a un vieil ami qui veut l’épouser. Un amour platonique naît entre le docteur et la jeune veuve.

La petite Jeanne a une affection passionnée pour son docteur. La femme du docteur est légère et mondaine.

La jeune veuve épouse son vieil ami.


Toutes ces imputations et d’autres encore que ferait naître un examen plus approfondi de l’œuvre de Zola peuvent être vraies, mais ce qu’il y a de certain, c’est que si l’on réunissait ensemble tous les documents scientifiques et professionnels qu’il a semés dans ses œuvres, cela en formerait presque les deux tiers, et le reste serait composé au moins par moitié de descriptions faites de main de maître et de détails scabreux ou inutiles. Rochefort, dans l’Intransigeant, à propos de sa nomination d’officier à la Légion d’honneur, lui a consacré cette fin d’article : « Je n’ai pour M. Zola qu’un enthousiasme modéré ; ses livres, qui sont quelque chose comme des romans de corporation, ne représentent pour moi que des séries de tableaux noués bout à bout, qui font de ses Rougon-Macquart comme un musée Grévin où les dessous du cœur humain sont à peine indiqués. Je donnerais tous les volumes d’Émile Zola pour la Sapho d’Alphonse Daudet, qui est, à mon avis, le chef-d’œuvre du roman contemporain, et comme style et comme subtilité, en même temps que profondeur d’analyse. M. Zola, qui vise à cette exactitude ultra-consciencieuse qu’il a appelée naturalisme, est souvent d’une ignorance enfantine des choses les plus connues. Dans cette description du paradoxe, il écrit cette énormité : « les lézards couvaient leurs œufs ». Dans Nana, il parle d’un cheval de course qui, débutant à trente contre un, finit par tomber à cinq, et il dit « qu’il monte à la cote ».

« Dans son Altesse Eugène Rougon, il ouvre le livre par la lecture du procès-verbal d’une séance du Corps législatif, que l’un des secrétaires débite d’une voix monotone, quand tout le monde sait que le procès-verbal de la veille n’est pas lu, attendu que ce travail tiendrait naturellement toute la séance. Il va jusqu’à désigner dans Une page d’amour Shang-Haï, qui est un port de Chine, comme une ville du Japon. Sou exactitude fourmille donc d’affirmations des plus inexactes ; mais enfin je ne lui ferai jamais l’injure de le comparer à Quesnay… Eh bien ! Quesnay est commandeur de cette Légion d’honneur où M. Zola n’est qu’officier. Si bien que pour le public et pour M. Zola lui-même, Lucie Herpin, Maxime Ducamp et beaucoup d’autres sont ses supérieurs. À sa place j’aurais infiniment mieux aimé ne pas être décoré du tout, ce qui ne m’eût fait l’inférieur de personne. »

L’Année dans un fauteuil, revue de 1888, en trois actes et vingt-cinq tableaux précédés d’un prologue, par Jules de Marthold, décors et costumes de Job, Lebègue et Loron, in-4o, couverture coloriée et nombreuses gravures dans le texte, quatre-vingt-huit pages, a pour compère Émile Zola, et comme principal personnage un immortel qui, sous prétexte de le préparer aux visites académiques, lui fait subir une critique mordante et spirituelle de son genre et de son œuvre ; je cite, comme conclusion de ce paragraphe, le huitième tableau : Émile aux enfers, p. 81 :


CHŒUR DES OMBRES

C’est Émile ! c’est Émile !
Prouvons-lui notre amitié.
Ne faisons, l’esprit subtil,
Rien à moitié
Pour Émile !

Émile, ravi. — L’accueil est favorable.

L’immortel. — Attendez, attendez. Cela va vous donner un avant-goût des visites.

Balzac, de très haut. — Tiens, c’est… Bonjour.

Émile. — À qui ai-je l’honneur… ?

Balzac. — Sapristi ! Vous me connaissez assez pour pouvoir me reconnaître.

Émile. — Oh !… L’auteur de la Comédie humaine. Mille pardons !

Gastineau. — Mille, Émile, ce n’est pas trop.

Héloïse. — C’est à vous à qui l’on doit le Bonheur des Dames ?

Abélard. — Héloïse !…

Émile. — Oui, mademoiselle.

Héloïse. — Et Une page d’amour ?

Émile. — En effet.

Héloïse — Une seule ? pourquoi pas deux ? C’est ça qui aurait vraiment fait le bonheur des dames. Enfin une vaut mieux que pas du tout !

Abélard. — Tais-toi donc, ma bonne amie.

Rétif de la Bretonne, avec un juste orgueil. — Mon continuateur.

M. de Buffon. — Il s’intitule naturaliste. Alors, que suis-je ?

Jean-Jacques. — Et moi, donc ! Ce n’est pas sa Confession de Claude !…

Daguerre. — Il fait d’excellente photographie.

Bayart. — Oui, sur papier.

Stendhal, à bouche fermée. — Et sans le concours de la lumière.

G. Planche. — Pourtant, c’est un bon critique, pas trop indulgent, pas trop juste…

Nicolardot, — C’est aussi mon avis.

Cambronne. — Écoutez, maître, votre Terre est un de ces ouvrages… Ah ! quel ouvrage ! Il y a surtout un mot là dedans, un mot qui m’a remué jusqu’aux entrailles.

Vitilius. — Votre Ventre de Paris m’a produit le même effet.

Ninon de Lenclos. — Merci pour vos Contes. On n’est pas plus galant, mon petit.

Zoïle. — Toute ma sympathie à vos Haines.

Hachette. — Eh ! bonjour, monsieur Émile. Vous avez donc tout à fait abandonné le commerce ?

Émile. — Mais non, pas du tout ! au contraire !

Alcibiade. — Oui, comme il sait couper la queue de son chien !

Monselet. — C’est un Parisien de la Cannebière ! Té ! Barbastoul ! Zette la sonde ! Que touces-tu ? Je tais la réponse, craignant un tollé général.

Sapho. — Vous savez, votre Nana. Tout à fait ça ! J’en pâmais ! Et je m’y connais !

Louvet de Couvray. — C’est très bien, Nana.

Le divin marquis (de Sade) — Un peu fade, un peu mièvre.

Le calife Omar. — En quelle langue écrit ce monsieur ?

La Bruyère. — On dit que c’est en français.

Noël et Chapsal. — Oh ! en français !

Voltaire. — On dit tant de choses !

Beaumarchais. — La calomnie ! la calomnie !

H. Monnier. — Très original, votre Pot-Bouille, très original, malgré les réminiscences.

Regnard. — C’est comme votre Rabourdin universel.

Rachel à Racine. — Et Renée. N’est-il pas vrai, mon doux poète ?

Racine, embarrassé. — Ce n’est pas tout à fait la même chose.

André Gill. — Et j’apprends, maître, que vous vous destinez à l’Académie, vous l’aquafortiste de l’Assommoir ! Émile, tu nous lâches !

Lamartine, indigné.Le Rêve ! Monsieur, votre rêve, quel cauchemar !

Reinach, attendri. — Que j’aurais de Joie à vivre si j’avais votre Argent ! Mais on m’a tout pris, tout, jusqu’aux viscères !

Lamennais, sévère. — On brise avec le pape, monsieur ; on renverse le roi, monsieur ; on fait des fautes, mais on ne commet pas la Faute de l’abbé Mouret ! On est indifférent, mais on n’est pas naturaliste !

La Fontaine demande rêveur à Florian : — La Bête humaine ! Qu’est-ce ? J’en ai fait parler beaucoup, mais je n’ai jamais connu celle-là. Pourrait-on en tirer quelque parti ?

Florian, montrant Émile. — La voilà ; oh ! non, aucun, illustre maître, elle déshonorerait toutes les autres.

Napoléon, consultant toutes ses cartes.La Conquête de Plassans ! En quel siècle, par quel peuple a été faite cette conquête ? Soult !

Soult. — Sire !

Napoléon, nerveux.Conquête de Plassans ! Savez-vous ?… Non !

Joséphine souriant. — Sire, vous mettriez tous vos maréchaux et tous vos officiers sur les dents qu’ils ne pourraient vous répondre ; les femmes seules, et en se cachant, se risquent à cette Conquête de Plassans ; c’est un roman, un peu plus cru et surtout de plus mauvaise société encore que ceux du Directoire.

Napoléon III. — Heureusement qu’après la Curée, la Débâcle a emporté tout cela dans un torrent fangeux et sanglant.

Ricord. — Plus heureusement encore que, dans cette nombreuse famille de tarés, de pourris, de névrosés, de v…., il y a eu un médecin assez dévoué pour soigner toutes ces maladies physiques et morales. Émile a fini par où il aurait dû commencer, il a fait soigner par un Rougon-Macquart toutes les lèpres honteuses des Rougon-Macquart. Faute d’un médecin, venu trop tard, il nous a fallu subir toute cette famille et toute sa peste ! Je me connais en mal, je l’ai assez pratiqué, il n’y a rien de pis à guérir que les grands et les gros maux !


Toutes les Ombres :


Pauvre Émile ! Pauvre Émile !
Son air, vraiment, fait pitié.
Nous avons mis dans le mille ;
Rien à moitié
Pour Émile.