Épaves (Prudhomme)/Sur une Tombe

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ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 77-79).


SUR UNE TOMBE


Jentends toujours monter de cette affreuse tombe
Le son lugubre et sourd de la terre qui tombe
Et croule sur ce jeune corps.
Ce son n’a plus voulu sortir de mon oreille ;
Il me poursuit le jour, la nuit il me réveille,
Il m’obsède comme un remords.


Je crois toujours ouïr la morte solitaire
Qui, sentant croître l’ombre et s’amasser la terre,
Les conjure d’attendre un peu ;
Près de s’évanouir si douce est la lumière !
Mais la nuit et le sable ont chargé sa paupière,
Au soleil elle a dit adieu.

Elle écoute : elle entend s’éloigner sa famille ;
Ils rentrent au foyer, tes frères : pauvre fille,
Va seule dans l’éternité…
Toute seule, ô terreur ! Ô spectacle qui navre :
Dans l’âme la torture, et dans l’œil du cadavre
Le sommeil vide, illimité.

Car ces êtres jumeaux n’ont plus même fortune :
L’un rend paisiblement à la source commune
Les éléments qu’il avait pris ;
L’autre dans l’infini s’épouvante et frissonne,
Et, veuve du regard, ne reconnaît personne
Au vague empire des esprits.


Qui donc souhaite à l’âme une essence immortelle
Devant l’horizon noir que la funèbre pelle
Ouvre au songe sous le gazon ?
C’est plutôt le néant cent fois que je préfère,
À moins que l’enfant mort puisse oublier sa mère
Et la verdure et la maison.