Épitres rustiques/04

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Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 303-304).

IV

SIMPLE BILLET

à madame ***.

Quatre mots seulement, s’il se peut moins encore :
C’est demain que l’on part sans attendre l’aurore.
De ce rude pays coureurs aventureux,
Nous allons voir là-haut un cloître de Chartreux
Dont la ruine pend au bord du précipice.
Rien n’est beau, nous dit-on, comme ce vieil hospice
Qui de son toit croulant domine l’horizon.
Charlemagne y passa trois jours en oraison.
Quand, avec tous ses preux, dans les gorges voisines,
Il vint exterminer les bandes sarrasines.
La cascade qui pleut d’une cime d’azur
Éclabousse à jamais les restes du saint mur.

Une forêt l’entoure, une forêt profonde,
Que le tonnerre seul de temps en temps émonde.
L’ours y fait sa demeure, et, dans les épaisseurs
Farouches, se dérobe aux balles des chasseurs.
En revanche, une fleur y croît, mince et légère,
Trésor de l’herboriste, espèce de fougère,
Qui ne montre que là sa forme et sa couleur.
Ceux qui ne cherchent pas les ours cherchent la fleur,
Bref, terrible et charmant, c’est un site à connaître.
On fait au bord du gouffre un déjeuner champêtre,
On y mange un pain dur comme ciment romain ;
On boit l’eau du torrent dans le creux de sa main ;
Après quoi l’on revient. Vous êtes avertie ;
Maintenant, voulez-vous être de la partie ?
De la grande nature avez-vous cet amour
Qui fait que l’on se lève avant le point du jour,
Qu’à demi réveillée, et peut-être encor lasse,
On ne prend pas le temps de consulter sa glace,
Qu’on néglige le rouge et la poudre de riz,
Qu’on joint au rendez-vous ses compagnons surpris,
Et que sur le chemin, quoiqu’un peu chiffonnée,
On montre une rivale à l’Aurore étonnée ?