Étude sur le mouvement communaliste à Paris, en 1871/2/09

La bibliothèque libre.
Neuchatel Impr. G. Guillaume (p. 304-336).


CHAPITRE IX.

Chute de la Commune.


Les huit jours de M. Thiers. — Ducatel sauveur. — Entrée des Versaillais. — Chacun veut défendre son quartier. — Derniers effets de la haine du Comité central contre la Commune. — Le Comité de salut public ne prend aucune mesure efficace. — La Commune ne se réunit plus. — Énergie et activité de Vermorel. — Incendie de l’Hôtel-de-Ville. — La défense paralysée. — Les incendies. — À qui sont-ils imputables ? — Mort de Dombrowski. — Exécution des otages. — Deux jours de désespoir. — Mort de Vermorel et de Delescluze. — La Commune est morte.

« Accordez-moi huit jours encore ; tout danger ayant disparu, la tâche alors sera à la hauteur de votre courage et votre capacité ! »

Ainsi répondait M. Thiers à ses adversaires qui, trop pressés, le sommaient, à la séance du 11 mai à Versailles, de donner sa démission de chef du pouvoir exécutif, sans doute pour le remplacer par un Belcastel ou un Lorgeril quelconque. Et la gauche républicaine d’applaudir à outrance !

Était-ce à l’insolence de cette réponse que les applaudissements s’adressaient ? ou bien, mise au courant par M. Thiers de ce qui allait se passer, la gauche voulait-elle témoigner de sa joie de pouvoir bientôt aller sur les hauteurs du Mont-Valérien, y contempler les sublimes horreurs de Paris en flammes et d’y pouvoir entendre l’écho des balles fusillant les défenseurs de la Commune[1] ?

Quel autre en effet que M. Thiers eût pu conduire à bien l’effroyable hécatombe qui se préparait ? Les sanglants lauriers de Cavaignac et de Bonaparte troublaient depuis longtemps son sommeil.

Eh quoi ! il avait enseigné en 1834, aidé de M. de Failly, alors simple lieutenant, l’art de massacrer en masse les malheureux assez imprudents pour demeurer dans le voisinage des barricades républicaines[2], et, ni en juin 1848 ni en décembre 1871, il n’avait pu, par une inexplicable fatalité, participer à ces écrasements de la « vile multitude, » et l’assemblée de Versailles aurait eu l’indélicatesse de lui retirer le moyen de prouver son énergie ! Le pauvre homme en fût mort désespéré !

Fort heureusement, la Droite, stimulée par les applaudissements de la Gauche, et honteuse de s’être laissé dépasser par les rancunes de celle-ci contre les Parisiens, ne poursuivit pas sa cruelle plaisanterie. Persuadée qu’en somme l’affaire était en bonnes mains ; satisfaite de lui avoir témoigné la rage qu’elle éprouvait d’avoir besoin de ses services, elle donna un vote de confiance à l’homme qu’elle venait d’injurier durant deux heures et qui venait à son tour de la souffleter sans pitié. — L’enthousiasme de la gauche toucha presqu’au délire. L’extermination de la Commune était enfin assurée.

Dix jours après — M. Thiers s’était seulement trompé de 48 heures dans ses calculs — la grande cité était envahie. Les massacres commençaient. La gloire du nouveau sauveur de la société allait surpasser celle pâlie sans retour du boucher de Juin et de l’assassin de Décembre !

Ceux que leur mission appelait tous les jours sur les points principaux de la défense ne pouvaient en effet plus se faire d’illusions.

Du côté Ouest, les remparts n’étaient plus tenables entre le port d’Auteuil et le Point du Jour, tant ils étaient incessamment balayés par les projectiles qu’y dirigeaient les batteries de Meudon et de St-Cloud.

La négligence apportée à la mise en état de l’artillerie qui eut dû protéger les fédérés de ce côté, négligence que dés le 21 avril nous avions signalée chaque jour avec le citoyen Gambon aux divers délégués à la guerre, commençait à porter ses déplorables fruits : la batterie de Mortemart avait été rétablie sous nos yeux par les Versaillais ; les ponts-levis des portes d’Auteuil et de St-Cloud ayant eu leurs chaînes brisées par le canon, étaient retombés en travers des fossés et formaient de véritables ponts fixes qu’il devenait facile à l’ennemi de franchir après avoir fait jeter dessus un tablier volant, pour recouvrir les vides qu’offraient les panneaux complètement brisés.

Le matin même du 21 mai, vers 4 heures, ayant passé tout la nuit avec le commandant du secteur[3] et le citoyen Dombrowski, général en chef du corps des fédérés de l’ouest, notre attention fut sollicitée par un artilleur (le seul qui fût resté à son poste !) placé en sentinelle près la porte de Saint-Cloud. Il nous montra une tranchée que les Versaillais avaient faite dans la nuit même, courant parallèlement à 15 mètres environ du fossé des fortifications et déjà garnie de ses gabions pour protéger le travail des terrassiers, et pendant que nous examinions avec une certaine inquiétude ces travaux d’approche, les sentinelles placées derrière les gabions nous rappelèrent à la prudence et à plus de circonspection, en nous envoyant quelques coups de feu devant lesquels nous dûmes cesser cette dangereuse inspection.

Revenu en toute hâte à la Muette, nous avertîmes Dombrowski de ce que nous venions de constater et de l’urgence qu’il y avait d’envoyer des forces suffisantes de ce côté, après qu’il aurait vérifié par lui-même l’état des choses, ce qu’il nous promit de faire immédiatement.

Puis, comme nous redescendions dans Paris avec le citoyen Viard, que nous avions rencontré à la Muette, en compagnie de nos deux autres collègues, les citoyens Dereure et Avrial, nous remîmes à Viard un mot au crayon pour Delescluze, dans lequel nous avertissions ce dernier de la gravité de la situation de ce côté, de l’urgence d’y envoyer le plus de monde possible et surtout une artillerie capable de s’opposer à l’entrée de l’ennemi par ce point.

Par un hasard inexplicable, le billet que nous avions remis à Viard avec prière instante de le remettre immédiatement à son destinataire, puisqu’il s’en retournait ab ministère de l’agriculture et de commerce, voisin de celui de la guerre, ce billet ne parvint point à Delescluze qui, le 22 dans la journée, nous affirma, sur l’honneur, ne l’avoir pas reçu. Aucune des précautions que commandait l’état des choses ne put ainsi être prise à temps.

Vers trois heures de l’après-midi, les Versaillais entraient par la porte d’Auteuil et réalisaient ainsi les craintes que, juste un mois avant, dès le 21 avril, le citoyen Gambon et nous, avions manifestées, touchant la possibilité d’un tel désastre.

Que notre avis si précis fût parvenu à Delescluze, celui-ci eût alors fait certainement le nécessaire pour soutenir le premier choc ; un fait dont nous allons parler — l’affaire Ducatel — n’aurait pu se produire. et le péril qui menaçait Paris était peut-être absolument détourné.

Il est certain en effet que les généraux versaillais ne pensaient pouvoir tenter l’assaut que trois jours plus tard. Or le mouvement de province commençait à s’accentuer fortement. Sur le refus opposé par M. Picard, alors ministre de l’intérieur, de laisser les Conseils généraux composer une assemblée générale de leurs délégués à Bordeaux, dix-sept avaient persisté cependant dans leurs projets et leurs délégués s’étaient réunis à Lyon. Il pouvait ressortir de ce mouvement d’opinion en province, des résolutions de nature à exercer une pression des plus favorables à Paris sur l’assemblée nationale, déjà complètement déconsidérée aux yeux de la France entière. Les trois jours qui se fussent écoulés encore entre le 21 et l’assaut prémédité pouvaient être le salut.

Que la tentative d’assaut n’eût point réussi, ce qui était possible, et M. Thiers, déjà en retard de 48 heures sur les huit jours que lui avait accordés l’assemblée, pouvait être renversé par celle-ci qui, dans son impatience, se fût livrée certainement à quelque coup de tête de nature à dessiller les yeux même des moins clairvoyants.

Un employé des ponts et chaussées joua, sans s’en douter, le rôle de Providence en faveur de M. Thiers, dont la situation était très compromise, non seulement à cause du retard apporté à la prise de Paris, mais aussi devant l’opinion publique générale qui, à tort ou à raison, lui imputait la terrible explosion de la cartoucherie Rapp.

Certes, nous n’oserions prétendre que M. Thiers fût réellement l’auteur abominable de cet horrible accident, la marche précipitée des événements n’ayant point permis d’en éclaircir le mystère. Mais les horreurs dont Paris fut le théâtre depuis et par son ordre, permettent de supposer que la tragédie du 18 mai pouvait être un des moyens imaginés par un homme capable de tout, pour arriver à ses fins, et satisfaire son insatiable soif de pouvoir.

M. Ducatel, disons-nous, fut donc le sauveur de M. Thiers et lui évita la chute certaine qui le menaçait.

Conservé dans son emploi par la commisération des administrations du XVIe arrondissement, la sous-commission des barricades de Passy avait chargé Ducatel de surveiller la construction des barricades qui, de la porte Dauphine à celle du Point-du-Jour, devaient former la seconde ligne de défense de ce côté de Paris. Ce travail très coûteux ne rendit en réalité aucun service, étant loin d’être terminé au 21 mai, à cause de la lenteur qu’on y apporta.

Nous avions souvent rencontré cet employé et il nous avait fait l’effet de ces bons serviteurs, prêts à saluer jusqu’à terre ceux qu’ils reconnaissent pour leurs supérieurs, de quelque cocarde que ceux-ci soient décorés.

Préoccupé de la tournure que prenaient les affaires de la Commune, et soucieux sans doute de se faire pardonner d’être resté au service de celle-ci, il en devait rechercher l’occasion, lorsque la découverte qu’il fit de la situation de la défense vers Auteuil vint la lui fournir.

C’est alors qu’il avertit les avant-postes, placés à quelques mètres au-delà des fortifications, de la possibilité qu’il y avait d’entrer sans coup férir, ce qui fut exécuté quelque temps après, mais non pourtant sans hésitation, par les troupes que commandait le général Douay.

Ducatel, qui n’avait dans cette affaire songé qu’à sauvegarder ses petits intérêts, dut être bien étonné de passer tout-à-coup à l’état de héros qui « s’était dévoué pour son pays ». La croix de chevalier de la légion d’honneur et 80,000 fr., montant d’une souscription organisée par la reconnaissance du Figaro, enfin la haute considération de tous les tripoteurs d’affaires et des ballerines de toutes conditions que la Commune avait menacées de mettre au pain sec, récompensèrent cet étrange sauveur de la société, élevé à la dignité de traître de première classe. Il fut même question, paraît-il, de l’envoyer siéger à l’assemblée, lors des élections du 2 juillet, et nous ne savons pourquoi le projet ne fut point réalisé. Sa présence à la Chambre n’eût certes pu faire rougir aucun de ses collègues de la droite ni même de la gauche.

Bien que la nouvelle de l’entrée des Versaillais par la porte d’Auteuil et aussi par celle de Versailles (rive gauche) eût été apportée de nuit à la délégation de la guerre, elle était si peu prévue, tant on y vivait dans une trompeuse sécurité ! que Delescluze se refusa d’abord à y ajouter foi, s’en référant à une dépêche contradictoire que venait de lui adresser te commandant chargé d’observer l’ennemi, du haut de l’Arc-de-triomphe.

La Commune, dont la séance se prolongea jusqu’à plus de huit heures du soir, afin de terminer le jugement de Cluseret, se sépara sans avoir rien pu obtenir de précis concernant les rumeurs sinistres qui déjà circulaient dans Paris et qui n’étaient, hélas ! que trop fondées.

La défense avait été mollement soutenue d’abord par les fédérés surpris, malgré les efforts énergiques de Dombrowski, que son incontestable bravoure devait, à quelques jours de là, conduire à la mort. Les troupes ennemies, conduites par les généraux Douay et Ladmirault, purent s’emparer immédiatement de toutes les hauteurs de Passy. Quelques heures après, ils étaient au Trocadéro.

Même situation sur la rive gauche, et dans la nuit du 22, vers 5 heures du matin, les troupes des généraux de Cissey et Vinoy qui s’étaient ralliées, occupaient le Champ-de-Mars, ainsi que Grenelle et Vaugirard. À huit lieu es, ils s’emparaient sans coup férir de l’École militaire, que son commandant, le citoyen Razoua, s’était vu contraint d’évacuer avec le petit nombre d’hommes qui lui étaient seulement restés.

Ce défaut d’énergie apportée à la défense, sur les points tout d’abord envahis, tenait, non au manque de courage des fédérés, mais à un retour au fatal préjugé qui, en juin 1848, avait causé l’insuccès de l’insurrection et qui, cette fois encore, allait hâter la chute de la Commune : chacun songeait uniquement à aller défendre son quartier.

Instinct compréhensible sans doute, mais, nous le répétons, absolument contraire au bon sens, puisqu’il éparpillait, en les localisant, des forces suffisantes encore en nombre et en dévouement, et à l’aide desquelles on eût pu tenter quelque mouvement tournant pour envelopper tes assaillants et les écraser. L’éparpillement permit au contraire aux troupes ennemies de s’avancer constamment en resserrant le cercle dans lequel se venaient grouper, trop tardivement, hélas ! les courageux débris des fédérés, refoulés successivement des quartiers extrêmes de Paris, laissés sans secours par ceux du centre.

Aussitôt que le Comité de salut public eut appris qu’il n’y avait plus à douter de l’entrée des Versaillais (vers onze heures du soir), les municipalités furent invitées à hâter la construction des barricades nécessaires à la défense locale des arrondissements et à donner l’ordre aux chefs de légion de faire immédiatement battre le rappel pour mettre sur pied leurs forces disponibles.

Le tocsin sonna partout dans Paris et chacun comprit que l’heure décisive avait sonné.

Tous se préparèrent à la lutte et la plupart des membres de la Commune, à l’exception de ceux qui s’étaient le plus fait remarquer pour leur amour des décorations distinctives, alors qu’il y avait moins de dangers à courir, le plus grand nombre, disons-nous, s’apprêta à faire tête à l’ennemi et à mourir pour la défense des droits de tous.

Avec du sang-froid et de l’énergie, la situation, toute critique qu’elle fût, pouvait être encore relevée, mais c’était à la condition qu’il n’y eût aucune indécision dans l’action générale.

Ce fut pourtant à cette heure suprême pour tous, que le Comité central, dans lequel étaient entrés, depuis l’élection de la Commune, de nombreux éléments hostiles à cette dernière, s’avisa de lancer une proclamation dont l’effet immédiat fut d’apporter l’incertitude parmi les combattants et de refroidir d’autant leur résolution.

Nous extrayons les passages essentiels de cette proclamation, monument d’insanité, sinon de trahison, eu égard au moment dans lequel on la lançait :

 

Aujourd’hui et pour une dernier[4] fois, en présence des malheurs qui pourraient fondre sur tous ;

Nous proposons à l’héroïque peuple armé qui nous a nommés ; nous proposons aux hommes égarés qui nous attaquent[5], ta seule solution capable d’arrêter l’effusion du sang, tout en sauvegardant « les droits légitimes que Paris a conquis[6] : »

1o L’assemblée nationale dont le rôle est terminé doit se dissoudre ;

2o La Commune se dissoudra également ;

3o L’armée dite régulière quittera Paris et devra s’en éloigner d’au moins 25 kilomètres[7] ;

4o Il sera nommé un pouvoir intérimaire composé des délégués des villes de 50,000 habitants. Ce pouvoir choisira parmi ses membres un gouvernement provisoire qui aura la mission de faire procéder aux élections d’une Constituante et de la Commune de Paris ;

5o Il ne sera exercé de représailles ni contre les membres de assemblée, ni contre les membres de la commune, pour tous les faits postérieurs au 18 mars.

Voilà les seules conditions acceptables.

4 prairial an 79 (24 mai 1871).
 

Malgré la date de cette pièce, il est évident qu’elle porte la trace de préoccupations remontant au 22, et que, fidèle au système révélé par la lettre de Rossel, « le Comité délibérait lorsqu’il fallait agir. »

Par une étrange aberration, le Comité proposait un acte in extremis de conciliation au moment même où la force seule pouvait trancher la question, oubliant qu’alors que la chose eût été possible peut-être, il accusait la minorité de la Commune, devant l’opinion publique, de vouloir « pactiser avec Versailles. »

Cette démarche était d’autant plus insensée qu’en retirant toute force morale à la Commune, elle accroissait la puissance de l’ennemi, définitivement éclairé sur la situation, et accroissait d’autant son intention de vaincre à tout prix.

Enfin il était vraiment puéril de parler en maître, de transaction entre Versailles et la Commune, alors que le Comité n’avait pu opposer encore aucune résistance de nature à faire au moins hésiter l’armée versaillaise jusque-là triomphante.

À tous égards, la proclamation du Comité central fut donc un acte criminel et contre la Commune qu’elle affaiblit en portant l’irrésolution dans ses rangs, et contre la Révolution du 18 mars qui en reçut ainsi le dernier coup.

De ce moment, en effet, la Commune perdit toute influence directrice et chacun de ses membres ne conserva plus, dans l’action générale, que celle qu’il avait pu acquérir à l’aide de sympathies particulières et dont il dut disposer suivant son tempérament.

D’un autre côté, les prévisions de la minorité contre l’impuissance du rouage dont la création avait amené sa scission définitive d’avec la majorité, ne se réalisèrent que trop.

Le Comité de salut public, dont, à l’exception d’un seul, disparu de la lutte dès le 22[8], tous les membres restèrent d’ailleurs courageusement à leur poste, n’eut véritablement aucune direction utile ni surtout révélant le caractère d’ensemble qu’il eût été indispensable d’apporter dans cette tulle suprême.

La résistance reprit donc généralement l’aspect anti-stratégique et désordonné qui avait été si funeste à l’insurrection de juin 1848.

Comme nous tenons surtout à ne rapporter ici que ce dont nous sommes certains, nous renverrons le lecteur, quant aux détails des opérations de l’armée versaillaise, aux nombreux récits officiels ou non qui en ont déjà été faits jusqu’ici. Nous nous contenterons d’esquisser seulement les diverses péripéties qui se sont accomplies sous nos yeux et qui donneront une suffisante idée de l’ensemble. Pour cette dernière partie de notre étude, nous reprendrons la forme directement personnelle, chaque fois qu’il nous paraîtra nécessaire.

En présence du péril extrême dans lequel se trouvait la Commune, il eût été indispensable que celle-ci se tint en permanence, non plus pour discuter des décrets, mais pour donner une impulsion coordonnée à la défense et aussi pour arrêter, en cas de défaite, l’attitude qu’elle prendrait en face du vainqueur.

Laisserait-elle à celui-ci la possibilité d’un écrasement sans pitié des vaincus, ou bien au contraire, la défaite étant inévitable, irait-elle alors, comme quelques-uns y songeaient déjà, sommer ses adversaires triomphants, à la condition de se remettre à leur absolue discréton, de respecter la vie et la liberté de tous ceux qui s’étaient joints à elle pour défendre les droits du peuple ?

Ce dernier acte, en assurant, il est vrai, la perte de ses membres, eût en même temps contraint, devant l’Europe, ses féroces vainqueurs à refréner leur soif de vengeance.

Beaucoup de membres de la Commune, nous le savons, eurent cette pensée à la fois courageuse et politique. Mais le malheur voulut que la plupart dentr’eux, disséminés dans les arrondissements où les retenaient les soins à donner à la défense, ne se purent trouver réunis à l’Hôtel-de-Ville.

Puis, le Comité de salut public, en cela d’ailleurs conforme à l’esprit de son institution, crut devoir prendre sur lui d’assumer seul la responsabilité de la situation, et, contre toute raison, la Commune ne fut point convoquée.

Le Comité central, au contraire, se réunit, lui, beaucoup trop et eut de fréquents pourparlers avec les délégués de la Ligue des Droits de Paris, dont il accepta les formules et le programme, ainsi que nous l’avons vu tout à l’heure.

Leurs agissements communs en cette circonstance ne firent qu’augmenter la confusion là où il eût fallu de la netteté, et leur prétendue bonne volonté ne fit qu’aggraver les périls de la Commune et assurer mieux encore sa perte.

L’ennemi s’étant emparé, dès le matin du lundi, des ministères et des administrations de la rive gauche, tous les services furent concentrés à l’Hôtel-de-Ville d’où la guerre devait faire rayonner ses ordres. Il en fut de même pour les Finances.

Le 22 au matin, les Versaillais, maîtres des Champs-Élysées jusqu’au palais de l’Industrie, lançaient leurs obus sur la rue de Rivoli et la rue Royale-Saint-Honoré, à la tête desquelles étaient établies de solides barricades. Plusieurs de ces obus étaient même tombés sur le Ministère des Finances qui, vers onze heures, commença de brûler[9].

Vers la même heure, le feu se déclarait successivement au palais de la Légion-d’Honneur et sur divers points de la rive gauche, qui ne purent nous être précisés par les estafettes qui en arrivaient à chaque instant à l’Hôtel-de-Ville.

Le soir même du 22, les troupes versaillaises occupaient les Ternes, le faubourg Saint-Honoré, la caserne, de la Pépinière ainsi que toutes les rues avoisinantes, et étaient campées, au nord-ouest, à un peu plus d’une portée de fusil de la mairie du 17e arrondissement, dans la nouvelle construction du collège Rollin.

Je montai vers dix heures du soir à Montmartre avec le citoyen Vermorel. Il s’agissait d’une expédition que devait tenter La Cécilia, aidé de Cluseret qui avait accepté un sous-commandement, contre le collège Rollin, dont il fallait déloger l’ennemi.

Arrivés à l’état-major de La Cécilia, établi en face la mairie du 18e, nous y rencontrâmes quelques amis, entr’autres E. R*** dont le père venait d’être mortellement frappé par les balles versaillaises, et A. Humbert, qui avait dû abandonner ses amis moins courageux pour se consacrer tout entier à la bataille.

Les munitions dont on avait besoin pour l’expédition n’ayant pu arriver à destination, par suite du défaut d’ordre qui caractérisait la situation, il nous fallut renoncer à cette expédition, pour laquelle de suffisantes forces avaient été cependant préparées. On dut se contenter de faire une simple reconnaissance jusqu’à la Municipalité du 17e, où nous rencontrâmes les citoyens MaIon et Jaclard, alors chef de légion. On leur promit de leur envoyer aussitôt que possible l’artillerie dont ils avaient besoin pour soutenir l’attaque à laquelle ils s’attendaient d’heure en heure. Cette artillerie, paraît-il, ne put leur être envoyée non plus.

C’est en revenant de cette reconnaissance que le citoyen A. Humbert et moi, qui composions l’arrière-garde, nous vîmes pour la dernière fois le citoyen Cluseret.

Ce dernier venait à notre rencontre, attiré, nous dit-il, par le bruit de coups de feu qui lui paraissaient venir du côté de la Chaussée-d’Antin, lorsqu’il nous rencontra à l’entrée de la rue Lepic (ancienne barrière Blanche). Nous nous étions offerts tous deux, Humbert et moi, à l’accompagner, lorsqu’un incident futile nous arrêta quelques instants à peine. — Quand nous voulûmes rejoindre Cluseret, celui-ci avait disparu, et nous eûmes beau le bêler, nous ne reçûmes aucune réponse de nature à nous indiquer, au milieu d’une nuit assez noire, la route qu’il avait prise.

Celle étrange et brusque disparition nous fit croire, à Vermorel et à moi lorsque je la lui racontai, que, désespérant du succès et peu soucieux en somme de risquer sa vie pour des gens qui venaient de le tenir presqu’un mois en prison sans motifs sérieux, Cluseret s’était ménagé quelque retraite dans le voisinage et qu’il s’y était rendu, abandonnant les fédérés à leur sort. — Nous ne saurions, quant à nous, blâmer bien sérieusement une retraite que les procédés désagréables de la Commune et du Comité central à l’égard de Cluseret ne justifiaient que trop.

Ce fut encore durant cette nuit passée avec lui à Montmartre, que je compris tout ce que valait Vermorel.

Il nous était souvent arrivé à la Conciergerie, alors qu’avec Eudes, Ranvier, Jaclard, Tridon, Vermorel et d’autres, nous expiions le crime d’avoir voulu nous opposer aux trahisons de Jules Favre, Trochu et consorts — le 31 octobre, — il nous était souvent arrivé à tous de deviser sur les péripéties politiques qui surgiraient à la suite de la guerre avec la Prusse, et l’altitude de plus en plus hostile de la bourgeoisie devant les travailleurs, nous donnait la certitude d’un inévitable et terrible conflit entre ces deux éléments.

Or, en présence de la passivité de la presque totalité de la population parisienne devant le gouvernement du 4 septembre, attendant bénévolement jusqu’au 22 janvier l’exécution du fameux plan, nous ne conservions guère d’espérances quant au prochain triomphe des travailleurs, que nous étions loin de supposer capables de déployer l’énergie dont ils firent preuve plus tard.

Complètement découragé, Vermorel était décidé à partir pour les Etats-Unis, point vers lequel le poussaient ses besoins de lutte et d’activité.

Sa première pensée, en sortant de prison, le 26 février, après avoir été ainsi que nous acquitté par le conseil de guerre, fut de s’occuper des moyens de réaliser son projet.

Surpris comme bien d’autres par la soudaineté, sinon l’imprévu, des événements, il était parti de Paris quelques jours après le 18 mars, pour se rendre auprès de sa mère malade, n’augurant rien de bon des événements qui venaient de se dérouler.

Appelé à siéger à la Commune, par la volonté de plus de quatorze mille citoyens qui lui donnèrent leurs suffrages dans le 18e arrondissement, il apprit seulement par la voie des journaux, près de Lyon, la nouvelle de ce triomphe aussi inattendu que peu recherché. Sa première pensée fut de décliner cet honneur. Puis, réfléchissant que plus la situation offrait de périls, plus il était de son devoir d’aider le mouvement à dégager les revendications sociales dont il était gros, il prit rapidement son parti, et le 29 mars, c’est-à-dire deux jours après, il était à son poste de combat, résolu à y laisser la vie s’il était nécessaires.

Cette parole, qu’il s’était donnée à lui-même seulement, Vermorel la tint plus noblement encore que s’il l’eût donnée en public.

Sa conduite constante, à la Commune, fut celle d’un homme prêt à tous les sacrifices et à toutes les mesures réellement énergiques que nécessiterait la lutte engagée par Versailles, mais décidé aussi à s’opposer de tout son pouvoir à d’inutiles violences que son intelligence lui faisait considérer comme contraires et même nuisibles au but que s’en proposaient ceux qui les voulaient commettre.

Dans la nuit du 22 au 23 mai, que nous passâmes ensemble à Montmartre, nous échangeâmes mutuellement les impressions que nous causait le peu d’ensemble et de netteté des mesures prises pour la résistance, et nous nous convainquîmes de la certitude de la défaite.

— « Mes pressentiments ne me trompaient point lorsque je quittai ma mère pour revenir à Paris, » me dit-il, « je ne sortirai point vivant de la lutte. Mais qu’importe, l’essentiel est de remplir jusqu’au bout le mandat que nous avons accepté. »

Le matin du 23, nous dûmes nous séparer. — Nous venions d’apprendre que les buttes Montmartre étaient tournées et que l’ennemi occupait la porte Ornano.

L’artillerie de Montmartre manquait, nous dit-on, de munitions, et il fallait qu’on lui en envoyât en toute hâte. Vermorel monta à cheval (il n’y avait monté de sa vie), descendit au galop vers l’Hôtel-de-Ville et, au risque de payer cher son apprentissage de cavalier, disparut bientôt à nos yeux ébahis de cette espèce de tour de force.

Pour moi, je regagnai mon arrondissement (4e), non sans entrer toutefois à la mairie du 10e arrondissement, faubourg Saint-Martin, où j’avertis l’administrateur délégué, l’excellent citoyen Leroudier, de l’urgence qu’il y avait de mettre promptement en état de défense les faubourgs St-Martin, St-Denis, et le boulevard Magenta, sur le parcours desquels j’avais remarqué, non sans étonnement, l’absence presque complète de sérieuses barricades et de défenseurs.

Durant ce temps et par suite d’une incroyable inertie, les buttes Montmartre et leur artillerie tombaient aux mains des Versaillais, qui, aussitôt, dirigèrent nos propres batteries sur celles établies par les fédérés aux buttes Chaumont, au grand étonnement de nos amis qui ne pouvaient comprendre une semblable attaque venant d’un point qu’ils croyaient encore être en notre pouvoir.

Du côté ouest et nord-ouest, les progrès de l’ennemi étaient continuels. Les 10e, 8e, 17e, 9e et une partie du 18e arrondissement, jusqu’au boulevard Ornano, et au centre, tout le 1er arrondissement, étaient entre ses mains à la chute du jour, le 23 mai.

La défense tenait mieux du côté sud, protégée qu’elle était par les forts d’Ivry, de Bicêtre, de Montrouge, encore au pouvoir des fédérés et qui, ayant dirigé leurs batteries sur les points occupés par les Versaillais à l’intérieur, arrêtaient sensiblement la marche de ceux-ci.

Pénétrés de l’importance qu’allait sans nul doute bientôt avoir le 4e arrondissement, dans lequel l’Hôtel-de-Ville était compris, et convaincu que les derniers actes de la Commune s’y accompliraient, le citoyen Eugène Gérardin et moi, aidés des citoyens dévoués qui composaient la commission municipale et de quelques officiers dévoués, parmi lesquels nous citerons spécialement le citoyen Noro, chef du 22e bataillon, nous avions donné tous nos soins à la mise en état de défense de ce point important à nos yeux[10].

Toutes les grandes artères comprises dans cet arrondissement central étaient littéralement hérissées de solides barricades, garnies de défenseurs dévoués dont le nombre devait évidemment s’accroître, d’après nous, de tous les fédérés décidés à résister jusqu’à la fin et qui s’y fussent repliés au fur et à mesure qu’ils auraient été refoulés des extrémités. Qui peut savoir alors ce qu’eût produit l’énergique et suprême résistance qu’y devaient rencontrer les ennemis de la Commune et qui eût prolongé de quelques jours encore l’existence de celle-ci ?

Sans nous faire d’illusions sur les chances d’un succès définitif, nous espérions obtenir du moins et en raison des formidables moyens de résistance qui eussent pu être accumulés sur ce point, une capitulation permettant peut-être de sauvegarder Paris des mesures atroces dont ses implacables ennemis l’épouvantèrent après leur victoire.

Un irréparable désastre vint couper court à nos espérances.

Le citoyen E. Gérardin et moi, nous nous rendions à l’Hôtel-de-Ville, le mercredi 24, vers dix heures du matin, pour nous entendre avec le Comité de salut public, relativement aux derniers ordres à donner concernant la défense, lorsqu’arrivés dans la cour du grand escalier, nous rencontrâmes plusieurs personnes, parmi lesquelles le citoyen Bonvalet, venu, lui aussi, pour s’entendre sur les termes d’un armistice à proposer aux Versaillais. Ces citoyens sortaient effarés de l’Hôtel-de-Ville, nous engageant à nous retirer au plus vite : tout brûlait à l’intérieur, et l’édifice, dans les caves duquel une grande quantité de munitions avaient été enmagasinées les jours précédents, pouvait s’écrouler d’un moment à l’autre !

Le crépitement des flammes qui consumaient les boiseries et les draperies ; l’épaisse fumée qui sortait des fenêtres dont les vitres volaient en éclats, nous convainquirent tous deux de la triste réalité, et nous dûmes sortir en toute hâte, impuissants que nous nous sentions à conjurer le désastre.

Qui avait mis le feu, ou comment s’était-il déclaré ? Telle fut la première question que nous nous posâmes l’un à l’autre et qui à cette heure est encore un mystère pour tous.

C’est à propos de ce funèbre souvenir que nous croyons nécessaire de discuter ici les incendies qu’on prétend imputer à la Commune, comme le résultat d’un système arrêté par elle à l’avance.

Dès le lundi, nous l’avons déjà mentionné, le feu se déclarait dans tous les quartiers occupés successivement par l’ennemi. Les ministères de la rive gauche, la Légion-d’Honneur et la Préfecture de police brûlèrent ainsi.

Le palais de l’ex-Corps-Législatif, dont le citoyen Brives, représentant de l’Hérault en 1848, avait été nommé conservateur par la Commune, échappa à ce désastre. — En récompense, Versailles l’envoya sur les pontons où il resta près de deux mois[11] !

Au centre, sur la rive droite, le ministère des Finances, les Tuileries, le Palais-Royal et quelques maisons de la rue Royale-Saint-Honoré flambèrent également. Enfin l’Hôtel-de-Ville, le Grenier d’abondance, les docks de la Villette, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, plus deux cent quarante-huit propriétés particulières (ce chiffre a été publié officiellement par les feuilles de police) furent la proie de l’incendie.

Eh bien ! j’affirme que de tous ces désastres, deux incendies sont réellement le fait d’ordres donnés, non par la Commune, mais par quelques-uns de ses membres, et, sans avoir eu à donner ces ordres, je suis de ceux qui les approuvèrent sans réserve. Oui, je suis de ceux qui approuvèrent comme absolument moral de brûler ce palais essentiellement monarchique, symbole abhorré d’un exécrable passé, et qu’on appelait les Tuileries ! Oui, je suis de ceux qui ont tressailli de joie en voyant flamber ce sinistre palais d’où était tant de fois parti l’ordre de massacrer le peuple et où tant de crimes anti-sociaux avaient été prémédités et glorifiés !

Les Tuileries sont brûlées ! gloire en soit rendue à ceux qui en prirent l’initiative courageuse et ont accompli cet acte de haute moralité et de haute justice populaire !

Je suis plus fier encore de cet événement pour mon pays que de la démolition de la colonne Vendôme, pour laquelle j’avais de grand cœur donné mon vote et qui s’était enfin effectuée quelques jours seulement avant l’entrée des Versaillais[12].

Quant au second incendie dont nous acceptons la responsabilité entière pour la Commune, celui du Grenier d’abondance, il fut le résultat des nécessités de la lutte. Déjà un certain nombre de soldats versaillais y avaient pénétré. Il fallait les en déloger à tout prix. Le feu fut considéré comme le moyen le meilleur pour arriver à ce résultat indispensable. L’ennemi dut en effet l’évacuer quelques instants après et rétrograder rapidement au delà du pont d’Austerlitz.

Cet incendie fut pour les fédérés un de leurs plus pénibles sacrifices, puisqu’il avait pour conséquence la perte d’une grande quantité de vivres qui y avaient été accumulés et qu’on ne put parvenir à sauver. Et il fallut que l’urgence en fût absolument démontrée pour que les fédérés se décidassent à cette mesure suprême.

Mais si nous acceptons au nom de la défense de la Commune l’incendie des Tuileries et du Grenier d’abondance, comme aussi une part d’ailleurs bien difficile à préciser dans l’incendie des propriétés particulières qui durent être sacrifiées dans la lutte, soit par les assaillants, soit par les fédérés, nous avons à examiner maintenant, en ce qui concerne la destruction des autres monuments publics (ministères, administrations de toutes sortes), qui, de la Commune ou de ses adversaires, avait intérêt à les faire disparaître.

Le ministère des Finances fut incendié par nos ennemis, on en trouve l’aveu dans les livres mêmes de ceux qui nous insultèrent sans pudeur dès le lendemain de notre chute. — « Un obus » — a écrit M. Catulle Mendés — « a mis le feu au ministère des Finances, mais les pompiers, sous le feu de la mitraille, » ont éteint ce commencement d’incendie[13]. »

Qu’y aurait-il d’étonnant d’abord à ce que les pompiers, chargés d’éteindre le feu sous la mitraille, aient, malgré leur courage, quitté trop précipitamment le ministère, croyant le feu éteint, et que quelque pièce de bois embrasée ait communiqué de nouveau l’incendie à la construction ? Cela ne se voit-il pas fréquemment dans des circonstances où les dangers à courir sont certes beaucoup moindres ?

Et puis, quel intérêt y pouvaient avoir le délégué ou les employés ?

La comptabilité de la Commune n’avait assurément rien à craindre de l’inspection des vainqueurs. — En était-il de même des ministres qui avaient précédé Jourde à ce poste ? Et n’avait-on pas quelque raison de désirer cet accident, grâce auquel ont été anéantis tant de documents portant la trace — peut-être — des malversations et des fraudes de l’administration de l’empire et du gouvernement du 4 septembre ? — Qu’en pense par exemple M. Ernest Picard, le célèbre ministre des finances du gouvernement Trochu-Jules Favre ?

Et comment M. Catulle Mendès — dont tout le volume décèle la peur continuelle — et qui, je pense, n’allait guère s’aventurer du côté des rues Saint-Florentin et de Luxembourg, où pouvaient sans relâche les balles et les obus ; comment Catulle Mendès, le gendre d’un homme de l’empire, qu’on ne l’oublie pas, a-t-il donc su si vite ce commencement d’incendie, pour qu’il l’ait pu consigner dans ses notes, au moment même où, de son propre aveu, cet événement venait de se produire ?

Mais il fallait bien profiter du passage de la Commune pour lui imputer une responsabilité contre laquelle on espérait que ses membres ne pourraient protester, puisqu’il était résolu en principe qu’on les fusillerait tous. Et on inventa alors le fameux ordre : « Faites flamber Finances, » donné, disait-on, par le citoyen Ferre à un citoyen Lucas, dans les vêtements duquel on l’avait trouvé !

Or, outre qu’on n’avait point fait attention que le citoyen Ferré n’avait aucune qualité pour donner un tel ordre, qu’il a d’ailleurs énergiquement nié devant le Conseil de guerre[14], nos adversaires, généralement plus lâches qu’intelligents, ont commis de plus l’insigne maladresse de laisser leurs journaux annoncer, vers la fin d’octobre, c’est-à-dire cinq mois après l’événement, l’arrestation de ce même Lucas, « dans les vêtements duquel » le fameux ordre produit par l’accusation avait été « trouvé, » disait-on !

Quant à la Préfecture de police, cet antre puant le crime de ceux qui jusqu’alors en ont fait le centre de leurs infâmes manœuvres gouvernementales et dont la perte n’est certes pas à déplorer, les républicains socialistes, moins que tous autres, avaient intérêt à faire disparaître les documents qui s’y trouvaient. Sans doute on y avait pu rencontrer la trace de quelques lâchetés et de menues trahisons commises par de pauvres diables affolés de terreur et de misère. Mais que de preuves de crimes épouvantables, commis par tous les gouvernements ; que de pièces curieuses révélant, à n’en pouvoir douter, les crapuleuses mœurs de plus d’un haut personnage ; que de pièces précieuses à conserver pour les socialistes, au contraire, concernant les dénonciations qui suivirent décembre 1851 et dont, à chaque instant, les auteurs pouvaient craindre la découverte !

De l’aveu même de M. de Kératry, l’examen de ces turpitudes était écœurant, et on sait si l’ex-organisateur de la contre-guérilla au Mexique est un homme à se laisser facilement écœurer !

Quant aux dossiers des républicains, ils révélaient tant d’imbécillité et d’ignorance chez ceux qu’on est assez sot de payer pour surveiller nos agissements, qu’il eût été au contraire fort intéressant, pour l’éducation des générations à venir, de conserver et de publier tous ces monuments de crétinisme et d’ineptie[15].

Bien autre devait être, au contraire, l’intérêt de nos adversaires à faire disparaître des pièces qui, connues enfin du public, auquel, en cas de triomphe, notre devoir était de les communiquer, lui eussent révélé les turpitudes des misérables qui l’ont gouverné jusqu’alors, et dont nos inhabiles amis n’avaient point su mettre encore les preuves en lieu sûr[16].

Et, comme le ministère des Finances, la Préfecture de police brûla, sous la responsabilité de la Commune agonisante. Il en fut de même des docks de la Villette et du théâtre de la Porte-Saint-Martin, auxquels les obus versaillais mirent le feu et dont la destruction fut toujours imputée à la Commune.

Quant à la part qui revient à celle-ci dans la destruction d’un certain nombre de maisons particulières, part assez difficile à déterminer — nous l’avons déjà fait observer — en quoi la Commune serait-elle en vérité plus coupable que Versailles dans les conséquences inévitables de la lutte engagée ? Mais est-ce la Commune qui a réduit littéralement en poussière les communes de Neuilly, de Levallois, des Ternes, d’Auteuil, de Passy, du Point-du-Jour ? Est-ce la Commune qui tuait sans pitié les malheureux et inoffensifs habitants de ces quartiers, en faisant pleuvoir sur eux la mitraille des batteries de Meudon, de Brimborion, de Breteuil, du Mont-Valérien, du rond-point de Nanterre et du château de Bécon, c’est-à-dire de tous les points autrefois occupés par les Prussiens ? Est-ce la Commune qui a gratuitement mutilé l’Arc-de-Triomphe ?

Que, se dégageant de toutes considérations de parti, on déplore amèrement ces ravages, cent fois plus considérables que ceux subis par le fait des Prussiens, nous le concevons de reste. Mais la justice et la vérité exigent que la responsabilité en remonte entière à ceux qui, plus soucieux de la conservation de leurs intérêts sociaux que de l’honneur de la nation et des droits du peuple, étaient décidés, dès le 19 mars, à détruire, s’il le fallait, Paris de fond en comble, plutôt que de se résigner à ne le plus gouverner.

Mais, reprenons maintenant notre récit au point où nous l’avons laissé, c’est-à-dire au moment où nous venions d’apprendre et de constater en même temps l’incendie dont l’Hôtel-de-Ville était le théâtre.

Cet affreux incident nous préoccupait moins, le citoyen E. Gérardin et moi, par son côté matériel que par l’effet moral qui en allait résulter. — Que nous importait en effet, au moment où mouraient par milliers les défenseurs du Droit, la perte de cette construction, quelle qu’en fût la valeur û la fois historique et artistique ? Mais la destruction de ce monument, c’était la mort de la Commune, et, malgré nous, nous nous sentîmes pris tous deux d’une immense douleur.

Beaucoup de nous à la Commune étaient préparés, dans le cas d’une défaite, à mourir sur les degrés du palais populaire, après avoir rempli leur mandat.

Mais, l’Hôtel-de-Ville brûlé, c’était le dernier coup porté à l’autorité morale des élus du 20 mars, obligés ainsi d’émigrer vers quelque point de Paris, avec lequel toutes communications pouvaient, d’un moment à l’autre, être interrompues. Cet incendie nous retirait enfin le moyen de concentrer nos dernières forces et, par la menace d’un suprême et terrible effort, d’obtenir une capitulation préservatrice pour le gros des obscurs défenseurs de la Révolution. — L’acte qui nous retirait cette dernière ressource constituait un tel crime anti-communal, que, même à cette heure, nous ne pouvons croire qu’il ait pu être ordonné par qui que ce soit d’entre nos collègues.

Ce malheur se compliqua d’un autre non moins déplorable.

Les barricades qui entouraient l’Hôtel-de-Ville et ses abords étaient défendues par cinq à six mille hommes très dévoués et très résolus.

Il devint urgent, en face de l’explosion que pouvait provoquer l’incendie, de les arracher à une mort presque certaine. Véritablement désolés, Gérardin et moi, nous donnâmes l’ordre d’abandonner les barricades et de se replier sur la place de la Bastille, abandonnant ainsi sans défense ce point si important de la défense et pour la conservation duquel tant de préparatifs avaient été faits ! Sur les 6 000 fédérés qui occupaient le quartier, prêts jusqu’alors à donner leur vie pour défendre la Commune, mille à peine nous suivirent sur le 11e arrondissement. Le reste rentra chez soi, découragé, et ne comprenant rien à cette retraite.

À la mairie du 11e, nous rencontrâmes un certain nombre — très restreint — de nos collègues[17], le Comité de salut public — moins Billioray, — et enfin le citoyen Delescluze, absolument navré, lui aussi, et de l’incendie de l’Hôtel-de-Ville et de notre translation, signe avant-coureur de la fin dernière de la Commune.

Les fédérés avaient perdu la veille un de leurs plus vaillants chefs, le général Dombrowski, tué près de Vermorel, alors que tous deux essayaient de ramener à la barricade du boulevard Ornano et de la rue Myrrha les combattants qu’en avaient délogés le feu nourri des Versaillais. — Deux fois dans cette même journée il avait été blessé !

La position était décidément désespérée. Aucun ordre n’était plus sérieusement exécuté. L’énergie des fédérés ne pouvait plus que prolonger la lutte, mais leur exaltation même empêchait que cette lutte tournât à leur avantage, en s’opposant à ce qu’on put la régulariser.

Le malheur voulut de plus que Delescluze, brisé de fatigue, miné par la fièvre incessante que lui causait la bronchite aiguë contractée au donjon de Vincennes à la suite du 22 janvier, fût absolument sans voix et impuissant à dominer la foule qui se pressait autour de lui, soit pour lui demander des ordres, soit pour lui proposer mille projets contradictoires et toujours impraticables. Et précisément, en sa qualité de délégué pour l’arrondissement où nous nous trouvions, et aussi à cause de sa notoriété, Delescluze seul avait encore assez d’autorité morale pour se faire écouter.

Avec quelques-uns de nos collègues, les citoyens Longuet, Vallès, Avrial, Jourde, E. Gérardin et Frænkel, nous parcourions incessamment les quartiers compris entre le Château-d’Eau, la Bastille et le boulevard Voltaire, pour nous rendre compte de la situation morale des combattants, dont l’ardeur n’avait point d’ailleurs besoin d’être excitée, et aussi pour transmettre à Delescluze et aux membres du Comité de salut public les remarques qui nous étaient fournies par les fédérés, ou les observations que nous avions relevées nous-mêmes.

Ce fut au retour d’une de ces tournées, le mercredi soir, 24 mai, vers 5 heures, que nous apprîmes, Vallès, Longuet et moi, le drame qui venait de s’accomplir à la Roquette.

Sur des ordres donnés, nous dit-on, par deux membres de la Commune dont on ne put nous préciser le nom ; sans qu’il en eût été parlé devant personne de nous, ni devant Delescluze, ni devant le Comité de salut public, un certain nombre d’ôtages parmi lesquels MM. Bonjean, Darboy, Deguerry, Sura, venaient d’être passés par les armes.

Notre première impression à tous trois fut un mélange de stupéfaction et de colère.

Comment un pareil ordre avait-il été donné par nos collègues, et pourquoi dans un pareil moment, alors que cet acte pouvait avoir pour les fédérés vaincus les terribles conséquences que nous ne prévoyions que trop ? Sans doute la qualité des personnages ne nous préoccupait guère, mais l’acte nous révoltait, de même que tous ceux de nos amis présents à la mairie, comme absolument barbare et indigne des principes de justice qui eussent dû guider la Commune jusqu’à sa chute finale.

Tous renseignements pris auprès de tous, y compris Delescluze, nous fûmes convaincus qu’aucun ordre émanant de la mairie du 11e arrondissement n’avait été donné concernant cette exécution.

Les débats du semblant de procès fait aux membres de la Commune, tombés entre les mains de nos ennemis, ne nous paraissent avoir jeté aucune lumière sur cet événement, malgré les témoignages suspects qu’on a fait intervenir contre notre collègue Ferré, qui en était spécialement inculpé.

Le citoyen Ferré, en effet, a courageusement revendiqué la responsabilité de tous ses actes devant le Conseil de guerre, alors que cette revendication le vouait à une condamnation certaine ; mais il a énergiquement nié toute participation à cette exécution, trop expliquée d’ailleurs par le caractère sauvage de la guerre faite à la Commune.

Ce point particulier de l’histoire de nos guerres civiles reste donc à éclaircir[18].

Nous venons de dire que cet événement, lamentable au point de vue humanitaire, n’était que trop explicable. Toute part faite, en effet, au sentiment de répulsion légitime qu’inspire d’abord toute scène de violence et de meurtre, il est évident que, quels qu’aient été les auteurs directs de cette tragédie, la responsabilité en remonte entièrement à M. Thiers et à ses lieutenants militaires.

Nous avons parlé déjà des efforts lentes par la Commune, pour obtenir l’échange de Blanqui contre M. Darboy, précisément arrêté en vue d’une semblable transaction. — Qu’on fut entré dans cette voie et la plupart des étages eussent été successivement échangés contre un certain nombre de nos amis tombés tout d’abord entre les mains de Versailles. Nous avons dit aussi comment et pourquoi M. Thiers, préférant la mort possible des otages — la désirant peut-être même — plutôt que de voir Blanqui, devenu libre, donner à ses amis de la majorité une direction plus sérieuse et plus pratique, les efforts de la Commune n’avaient pu aboutir.

À M. Thiers donc incombe absolument la responsabilité des résultats funestes de ses odieux calculs politiques.

Si maintenant on ajoute à ces causes de réelle responsabilité la barbarie sans nom, digne de l’ancienne férocité de Carthage envers les mercenaires, dont avaient fait preuve jusque-là les généraux chargés de diriger les opérations militaires contre la Commune ; si l’on considère que depuis deux mois que durait la lutte, les droits de l’humanité avaient été indignement violés par nos ennemis, fusillant froidement les chefs et même quantité de simples soldats tombés entre leurs mains ; si l’on songe enfin que, depuis l’entrée des Versaillais dans Paris, c’est-à-dire depuis quatre jours, les Galiffet, les Vinoy, les Ladmirault et autres complices de Bonaparte en 1831, vengeaient avec une rage sans exemple dans le sang de nos infortunés amis, vaincus aux barricades, les hontes que leur avait values leur lâcheté devant les Prussiens ; que depuis le 21 mai, le sang coulait à flots dans tous les quartiers envahis par nos féroces vainqueurs ; que sur tous les points occupés par eux, quantité de malheureuses femmes et jusqu’à de pauvres petits enfants étaient fusillés par ordre des chefs dé l’armée de Versailles, nous en appellerons à l’Europe indignée et nous lui demanderons si le sang de quelques personnages plus ou moins importants, versé par l’exaspération du peuple, tant de fois déjà massacré sans pitié, pourra jamais laver les vainqueurs de la Commune de leurs abominables forfaits et les innocenter des innombrables horreurs dont ils ont, de parti pris, souillé la noble cité après leur exécrable triomphe[19] !

Dans cette même journée du 21, avaient eu lieu au Père Lachaise les obsèques de Dombrowski. Vermorel retraça en quelques mots la glorieuse mort du jeune et héroïque chef militaire, et il engagea les fédérés qui assistaient à la funèbre cérémonie à faire courageusement leur devoir jusqu’au bout.

Donnant le premier l’exemple, Vermorel se multipliait avec une remarquable activité qui m’a fait amèrement regretter que les calomnies auxquelles il avait été en butte antérieurement ne lui eussent pas permis de prendre plus d’influence à la Commune. Nul doute pour moi que, placé à la direction de la guerre, son tempérament de fer, son inébranlable sang-froid, ne lui eussent fait donner une impulsion efficace et mieux coordonnée à cette partie si importante de la Commune.

Blessé grièvement dans la journée du 26, il dut, bien malgré lui, quitter le théâtre de la lutte. Quelques jours après, livré par la domestique d’un ami absent chez lequel il s’était réfugié, il tomba entre les mains de l’ennemi et fut transféré à Versailles où il mourut des suites de sa blessure. — Afin qu’aucun outrage ne lui manquât, les journaux réactionnaires racontèrent que — ayant sans doute profité des souffrances atroces qu’il endurait — on avait obtenu de lui la rétractation de ses convictions philosophiques et qu’un prêtre l’avait assisté dans ses derniers moments. Enfin quelques littérâtres, vivant exclusivement de récits orduriers, fort en honneur dans la presse dont le Figaro est le chef de file, déclarèrent que leur pudeur ( ?) était offensée qu’on eût osé mentionner la mort de ce martyr, dans une séance de la Société des gens de lettres[20] !

Deux jours encore, la lutte continua, sombre, acharnée, sans plus d’espoir.

L’armée versaillaise, se frayant soit à coups de hache, soit même à coups de canon, un chemin à travers les maisons, afin de s’abriter des balles des fédérés, s’emparait successivement des barricades, dont les défenseurs — lorsqu’il en survivait — étaient toujours fusillés sur place. Et, comme en juin 1848, l’énergie de ces derniers croissait en raison de leur moindre nombre, sans cesse diminuant, et aussi en raison de la certitude de l’inutilité de leur héroïque sacrifice.

Cernés entre la partie qui s’étend du faubourg du Temple à la rive gauche du boulevard Voltaire et à la rue de Montreuil, les fédérés et les derniers membres restants de la Commune durent évacuer le 11e arrondissement et se replier sur Belleville, protégés dans leur retraite par les batteries établies sur le point culminant du cimetière du Père-Lachaise et des buttes Chaumont.

Ils s’y tinrent jusqu’au 28 au soir, reculant pied à pied devant les forces croissantes de leurs ennemis, jusqu’à ce qu’acculés à la barricade de la rue Haxo, les derniers survivants durent être entraînés de force par les habitants du quartier et échapper ainsi à la mort certaine que leur préparaient les assaillants.

Durant toute cette lutte héroïque et à jamais mémorable, les femmes avaient été, elles aussi, admirables d’entrain et de dévouement. Un grand nombre furent lâchement massacrées jusque dans les ambulances où elles soignaient nos blessés au milieu de la mitraille. Les vainqueurs égorgeant ceux-ci sans pitié, n’était-il pas logique d’assassiner en même temps celles qui leur consacraient leurs soins et les entouraient de leur sollicitude ?

Le 27, Delescluze était tombé sur la dernière barricade de la place du Château-d’Eau, à l’entrée du faubourg du Temple. Ainsi se vérifia, pour lui et pour quelques autres, ce qu’il avait dit un jour à la Commune sur ceux qui n’y restaient que par devoir, décidés qu’ils étaient à remplir leur mandat jusqu’à la mort. Toujours luttant contre le despotisme, et surtout contre celui des pseudo-républicains de 1848, il avait payé sa haine contre Bonaparte d’une longue et cruelle captivité à Cayenne, et, depuis son retour de cet enfer, par une série de condamnations qui s’étaient succédées sans relâche jusqu’au 4 septembre.

Mais il devait être donné aux prétendus républicains du 4 septembre de se venger de l’honnêteté de sa vie politique et de l’inébranlable fermeté de son caractère, qui leur étaient un continuel remords. — Ils avaient commencé par le jeter à Vincennes, puis, plus tard, dans un humide et glacial cachot de la Santé[21], où ce vieillard indomptable contracta une maladie qui le devait aussi sûrement tuer que les balles versaillaises.

Nommé député au 8 février, il donna sa démission pour rester à la Commune, où deux arrondissements (les 19e et 11e) l’avaient envoyé siéger.

C’était là que l’attendait la haine de ceux que Vermorel avait si justement appelés les Vampires de 1848, les Jules Favre, les Simon, les Picard et autres sinistres misérables, dont, pendant vingt années, Delescluze avait signalé l’hypocrisie et la lâcheté.

Aussi, connaissant bien tout ce que leur cœur contenait de scélératesse, avait-il résolu de ne point tomber vivant entre leurs mains. S’il eût survécu à ses blessures, combien eût-il maudit la maladresse de son meurtrier !

Longtemps réfractaire aux questions sociales, dont alors il ne comprenait pas l’urgence, le réveil de ces questions en 1868 l’avait amené, peu à peu, aux idées nouvelles, et si quelques restes de préjugés jacobins marquaient encore certains de ses actes politiques, on peut affirmer que les préoccupations de même ordre, que manifesta la majorité de la Commune, avec laquelle il vota, et qui eurent une si désastreuse influence sur la marche de notre mouvement communaliste, l’en auraient certainement détaché avant peu.

D’ailleurs, et bien qu’il ne se fût jamais déclaré socialiste, nous devons cependant rappeler qu’il fut de ceux qui protestèrent courageusement dans son journal, La Révolution démocratique et sociale, contre les massacres de juin 1848 et les transportations sans jugement.

Toutes les harpies de la presse réactionnaire et surtout celles des feuilles soumises, s’acharnèrent sur son cadavre et tentèrent vainement de souiller de leur infecte bave la mémoire de cet excellent et dévoué citoyen. C’est le dernier et suprême éloge qu’on puisse faire de Delescluze et de tous ceux qui, plus obscurs, moururent comme lui au service de leurs convictions.

Le 28 mai, à quatre heures du soir, tout était fini. La Commune était morte, assassinée par les anciens coupe-jarrets de décembre 1851. Ils allaient enfin se pouvoir vautrer à l’aise dans le sang des Parisiens et faire payer cruellement à ceux-ci l’obstination qu’ils avaient mise à se défendre contre les Prussiens.

L’assemblée, par un vote d’enthousiasme, contrastant logiquement avec les huées dont elle avait accueilli Garibaldi à Bordeaux, déclara que les assassins du peuple avaient « bien mérité de la Patrie, » et la gauche, dite républicaine — à l’exception pourtant de M. Tolain, qui eut la pudeur de s’abstenir, — se joignit tout entière à ce vote monstrueux !


  1. La présence au Mont-Valérien, le soir du 24 mai, d’une partie de l’assemblée de Versailles et, entr’autres, d’un grand nombre de membres de la gauche, parmi lesquels MM. Langlois et Tolain, fut signalée dans le Paris-Journal (par M. Schnarb sans doute, grand ami de M. Langlois), et cette étrange assertion ne reçut aucun démenti que nous sachions de la part des personnes dénommées.
  2. Affaire de la rue Transnonain.
  3. Le chef de légion Mathieu.
  4. Il eût été plus vrai de dire : première.
  5. De qui le Comité entendait-il parler ?
  6. Le Comité avait adopté, on le voit, le langage de la Ligue des Droits de Paris.
  7. Le programme entier de la Ligue, — programme à l’adoption duquel s’étalent jusque-là refusés le Comité central et ceux de ses membres qui faisaient partie de la Commune.
  8. Le citoyen Billioray.
  9. Nous reviendrons sur ce fait à propos du système incendiaire qu’on prétend imputer aux partisans de la Commune.
  10. Dès le 23, nous étions restés seuls à la mairie, le citoyen Eug. Gérardin et moi, nos collègues les citoyens Amouroux, Arthur Arnould et Clémence avant successivement disparu depuis le 21 au soir, envoyés sans doute en mission sur d’autres points par le Comité de salut public.
  11. Est-ce que M. Thiers et ses émis eussent désiré au contraire que le palais fût incendié ? — On le pourrait croire à la conduite qu’ils tinrent envers le citoyen Drives.
  12. Le mercredi 17 mai, ce monument d’une époque à jamais maudite par tous ceux qui aiment l’Humanité, la Justice et la Liberté, tomba aux applaudissements d’une foule immense, sur le lit de fumier qu’on avait préparé pour y recevoir la Gloire impériale !
  13. Les 73 journées de la Commune, par Catulle Mondés, livre paru le 30 mai 1871, — page 298. M. Catulle Mendès est, on le sait, le gendre de M. Théophile Gautier, l’un des écrivains aux gages de l’ex-empire.
  14. L’accusation qui connaissait du reste la fausseté de ce document, avait pris les devants en s’exprimant ainsi : « l’écriture a été contrefaite à dessein. »
  15. Ayant eu, Vermorel et moi, la curiosité de compulser nos dossiers, nous y découvrîmes des choses de cette force : Un agent me signalait — fin 1809 — comme étant véhémentement soupçonné de haine implacable contre l’empire ! (sic).

    Quant à Vermorel, un rapport le dénonçait comme devant être rimant d’une grande dame avec laquelle il avait eu précédemment quelques démêles judiciaires. — Cette révélation flatta peut-être l’amour-propre de notre malheureux ami, mais à coup sûr lui causa un naïf étonnement.

  16. Nous rappellerons en passant que déjà, en novembre 1870, une première tentative d’incendie avait été pratiquée contre la Préfecture de police, et que, par un étrange oubli, ni le parquet, ni le préfet d’alors, l’illustre Cresson, ni enfin le gouvernement, ne firent procédera une enquête sérieuse sur les causes de cet événement.
  17. Les citoyens Vallès, Cournet. Dereure, Mortier, Verdure, Jourde, Longuet, Arnold, Frænckel, Ferré, Pindy, Martelet, Serrailler, Champy, Avrial, Eug. Gérardin, J.-B, Clément, Viard et Chardon.

    Certains autres, Vermorel, Pottier, Ramier, Theisz, Ostyn et Varlin étaient occupés sur d’autres points de la lutte, assez éloignes du 11e arrond., dans lequel ils apparaissaient de temps à autre. Nous y rencontrâmes aussi quelques-uns de nos amis, ontr’autres, les citoyens Ed. Boullier, Lissagaray, Humbert et Jaclard.

  18. Même après le dernier procès fait aux exécutants présumés des otages, à la Roquette, et qui vient de se terminer par la condamnation à mort du digne et malheureux Genton, nous persistons à penser que Ferré ne fut point l’auteur réel de cette triste affaire.
  19. Le Figaro du 31 octobre, après plusieurs mois d’enquête, porte à 65 le nombre des personnes fusillées durant la lutte par les fédérés (généraux, prêtres, gendarmes et autres). Qu’on place en regard les milliers de prisonniers mitraillés par les « amis de l’ordre » après la victoire, avec le nombre mentionné plus haut des victimes de la colère du peuple — chiffre fourni par nos propres adversaires — et qu’on juge ensuite de la bonne foi des accusations portées par ces derniers, contre notre prétendue férocité.
  20. Ce fut un monsieur Ernest Daudet, fabricant de romans à gros numéros, qui se chargea de cette honteuse besogne.
  21. Succursale de Mazas, derrière le Jardin des Plantes.