Œuvres de Blaise Pascal/Tome 4/Lettres de Jacqueline Pascal à Madame Perier et à Blaise Pascal (25 janvier-1er décembre 1655)

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== LXVIII ==

LETTRES[modifier]

OU FRAGMENTS DE LETTRES[modifier]

DE JACQUELINE PASCAL[modifier]

A MADAME PERIER[modifier]

ET A RLAISE PASCAL[modifier]

I, 25 janvier-8 février. — II, 25 avril. — III, 23 juin. —[modifier]

IV, 26 octobre. — V, Ier décembre 1655.[modifier]

Recueils manuscrits du Père Guerrier, IIe p. 13 ; Ier p. 428;[modifier]

== II e pp. 16 et 23; III e p. 292. == 61


I[modifier]

LETTRE DE LA SOEUR[modifier]

JACQUELINE DE SAINTE-EUPHEMIE PASCAL[modifier]

A MADAME PERIER, SA SOEUR[modifier]

Gloire à Dieu au Tres-Saint Sacrement.[modifier]

A P. R., ce 25. Janvier 1655.[modifier]

Ma tres-chere sœur,


Je ne sçay si j’ay eu moins d’impatience de vous mander des nouvelles de la personne que vous sçavez 1 , que vous d’en recevoir ; et neanmoins il me semble que n’ayant point de tems à perdre, je n’ay pas deu vous escrire plus tost, de crainte qu’il ne fallust dedire ce que j’aurois trop tost dit. Mais à present les choses sont en un point qu’il faut vous les faire sçavoir, quelque succés qu’il plaise à Dieu d’y donner.

Je croirois vous faire tort si je ne vous instruisois de l’histoire depuis le commencement qui fut quelques jours devant que je vous en mandasse la premiere nouvelle, c’est-à-dire environ vers la fin de septembre dernier. Il me vint voir et à cette visite il s’ouvrit à moy d’une maniere qui me fit pitié, en m’avouant qu’au milieu de ses occupations qui estoient grandes, et parmi toutes les choses qui pouvoient contribuer à luy faire aimer le monde, et ausquelles on avoit raison de le croire fort attaché, il estoit de telle sorte sollicité de quitter tout cela, et par une aversion extreme qu’il avoit des folies et des

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1. Blaise Pascal, dont elle va raconter la conversion. == 62 ŒUVRES ==

amusemens du monde et par le reproche continuel que luy faisoit sa conscience, qu’il se trouvoit detaché de toutes choses d’une telle maniere qu’il ne l’avoit jamais esté de la sorte, ny rien d’approchant ; mais que d’ailleurs il estoit dans un si grand abandonnement du costé de Dieu, qu’il ne sentoit aucun attrait de ce costé-là ; qu’il s’y portoit neanmoins de tout son pouvoir, mais qu’il sentoit bien que c’estoit plus sa raison et son propre esprit qui l’excitoit à ce qu’il connoissoit le meilleur que non pas le mouvement de celuy de Dieu, et que dans le detachement de toutes choses où il se trouvoit, s’il avoit les mesmes sentimens de Dieu qu’autrefois, il se croyoit en estat de pouvoir tout entreprendre, et qu’il falloit qu’il eust eu en ces tems-là d’horribles attaches pour resister aux graces que Dieu luy faisoit et aux mouvemens qu’il luy donnoit. Cette confession me surprit autant qu’elle me donna de joye, et dés lors je conceus des esperances que je n’avois jamais eues, et je crus vous en devoir mander quelque chose, afin de vous obliger à prier Dieu. Si je racontois toutes les autres visites aussi en particulier, il faudroit en faire un volume ; car depuis ce tems elles furent si frequentes et si longues que je pensois n’avoir plus d’autre ouvrage à faire. Je ne faisois que le suivre sans user d’aucune sorte de persuasion ; et je le voyois peu à peu croistre de telle sorte que je ne le connoissois plus, et je crois que vous en ferez autant que moy si Dieu continue son ouvrage, et particulierement en l’humilité, en la soumission, en la defiance et au mepris de soy-mesme, et au desir d’estre aneanti dans l’estime et la memoire des hommes. Voilà ce qu’il est à cette heure. Il n’y a que

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1. Le recueil d’ Utrecht de 1740, et le manuscrit suivi par Victor Cousin donnent : [persécution]. == LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 63 ==

Dieu qui sçache ce qu’il sera un jour. Enfin, apres bien des visites et bien des combats qu’il eut à rendre en luy-mesme sur la difficulté de choisir un guide, car il ne doutoit point qu’il en fallust un, et quoyque celuy qu’il luy falloit fust tout trouvé et qu’il ne pust penser à d’autres, neanmoins la defiance qu’il avoit de luy-mesme faisoit qu’il craignoit de se tromper par trop d’affection, non pas dans les qualitez de la personne, mais sur la vocation dont il ne voyoit point de marque certaine, n’estant point son pasteur naturel ; je vis clairement que ce n’estoit qu’un reste d’indépendance caché dans le fond du cœur qui faisoit arme de tout pour eviter un assujettissement qui ne pouvoit estre que parfait dans les dispositions où il estoit. Je ne voulus pas neanmoins faire aucune avance en cela : je me contentay seulement de luy dire que je croyois qu’il falloit faire pour le medecin de l’ame comme pour celuy du corps, choisir le meilleur ; qu’il est vray que l’Evesque est notre directeur naturel, mais qu’il n’estoit pas possible à celuy de Paris de l’estre de tous ses diocesains, ni mesme aux curez, ni mesme aux prestres des paroisses, quand ils seraient capables de l’estre de quelqu’un, et qu’une personne sans establissement comme luy pouvant s’aller loger dans telle paroisse qu’il luy plairoit, se rendoit aussi bien maistre dans le choix de son directeur en prenant son curé, comme en choisissant un prestre approuvé de son Evesque ; que lorsque M. de Geneve avoit conseillé de choisir un directeur entre dix mille, c’est à dire tel qu’on le prefereroit à dix mille, lui qui estoit Evesque et grand zelateur de la hierarchie n’avoit pas pretendu borner le choix de chaque personne dans les prestres de sa paroisse. Il ne me souvient plus si ce fut cela qui le fit rendre, ou si ce fut la grace, qui croissoit dans luy comme à vue d’œil, qui dissipa tous == 64 OEUVRES ==

les nuages qui s’opposoient à un si heureux commencement sans se servir de raisons ; mais quoy qu’il en soit, il fut bien tost resolu. Apres cela neanmoins ce ne fut pas fait, car il fallut bien d’autres choses pour faire resoudre M. de Singlin, qui a une merveilleuse apprehension de s’engager en de pareilles affaires 1 ; mais enfin il n’a pu resister à tant de raisons qu’il a eues de ne pas laisser perir des mouvemens si sinceres et qui donnoient tant d’esperance d’une heureuse suite, et il s’est laissé vaincre à mes importunitez, en sorte qu’il a bien voulu se charger du soin de sa conduite ; mais son infirmité qui continue toujours luy en oste presque le moyen, par ce qu’il ne sçauroit presque parler sans se faire un grand mal. Pendant tout ce tems, il s’est passé plusieurs choses qui seroient trop longues à dire, et qui ne sont point necessaires ; mais la principale est que nostre nouveau converti pensa de son propre mouvement pour plusieurs raisons qu’une retraite quelque tems hors de chez luy seroit fort

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1. Le 16 novembre 1654, Singlin écrivait à la mère Marie des Anges. « Ne croyez-vous pas, ma Bonne Mere, que c’est un sujet d’humiliation continuelle pour moy de voir des personnes de condition sçavantes, vertueuses infiniment plus que moy, qui tiennent leur conduite de nous, qui se soumettent comme des enfans à ce que nous leur conseillons, qui me donnent le premier rang par tout où je me rencontre. Et cette elevation apparente m’est une humiliation veritable en me soumettant à l’ordre de Dieu, sçachant qu’il n’y a d’humiliation veritable devant Dieu, que celle qui est renfermée dans l’obéissance aux volontés divines. » Cf. aussi, la lettre de la Mère Angélique à Renaud de Sévigné du 13 novembre 1660: « Soyez assuré que cette froideur qui paroist en M. Singlin ne vient que de cette sainte crainte : il apprehende pour luy à la verité, sçachant le compte etroit que Dieu demandera aux Pasteurs des ames qu’il leur a commises : mais il craint aussi autant pour vous, et il regarde votre interet comme le sien. » (Vie de la mère Marie des Anges, 1754, p. 574). Cf. encore dans Sainte-Beuve, Port-Royal, 5e édition, 1888, T. I, p. 467, une lettre de la Mère Angélique, datée de 1650. == LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 65 ==

necessaire. M. Singlin estoit pour lors à Port Royal des Champs pour prendre quelques remedes, de sorte que, encore qu’il eust une merveilleuse apprehension qu’on sçust qu’il eut communication avec autre qu’avec moy dans cette maison, il se resolut neanmoins de l’aller trouver sous pretexte d’aller faire un voyage aux champs pour quelque affaire, esperant qu’en changeant son nom et en laissant ses gens dans quelque village proche, dont il pretendoit venir trouver à pied M. S[inglin], il ne seroit connu que de luy et que personne ne pourroit sçavoir ces entrevues, et qu’il demeureroit en retraite en cette maniere. Je luy conseillay de ne le pas faire sans l’avis de M. Singlin, qui ne le voulut point du tout, parce qu’il n’estoit pas encore resolu de se charger de luy : si bien qu’il fut contraint d’attendre en patience son retour, parce qu’il ne vouloit rien faire contre l’ordre qu’il luy avoit donné par une lettre parfaitement belle qu’il luy escrivit, dans laquelle il me constituoit sa directrice en attendant que Dieu fist connoistre s’il vouloit que ce fust luy qui le conduisist. Enfin, M. S[inglin] estant de retour 1 , je le pressay de me decharger de ma dignité, et je fis tant que j’obtins ce que je desirois, de sorte qu’il le reçut 2 , et ils jugerent

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1. Singlin était à Port-Royal des Champs le 18 décembre 1654; il était de retour à Paris le 2 janvier suivant, comme le prouve une lettre écrite ce jour là de Port-Royal des Champs par la Mère Angélique à la Mère Marie des Anges: « Il est vray... qu’il n’y a nulle apparence que M. Singlin vienne icy en l’estat où il est. Je n’ay gueres envie non plus que les Dames qui sont ceans aillent à Paris pour luy donner la peine d’aller au Confessionnal, où il ne devroit pas entrer. Si j’estois en leur place, je me garderois bien de luy en donner la peine. En verité il faut avoir un amour propre qui fasse perdre le sens, pour vouloir donner de la peine à un tel homme en l’estat qu’il est, et pour n’avoir pas sa conservation plus à cœur que notre satisfaction ; et ce n’est pas bien entendre nos interets , puis qu’on doit bien craindre de le perdre ...»

2. L’auteur de la Vie de Singlin, 1786, p. 87, représente ainsi les


2 e série. I 5 == 66 ŒUVRES ==

l’un et l’autre qu’il luy seroit bon de faire un voïage à la campagne pour estre plus à soy qu’il n’estoit à cause du retour de son bon amy (vous sçavez qui je veux dire) 1 qui l’occupoit tout entier. Il luy confia ce secret, et avec son consentement qui ne fut pas donné sans larmes, il partit le lendemain de la feste des Roys avec M. de Luines pour aller en l’une de ses maisons, où il a esté quelque tems. Mais, parce qu’il n’estoit pas là assez seul à son gré, il a obtenu une chambre ou cellule parmi les solitaires de Port-Royal d’où il m’a escrit avec une extreme joye de se voir traitté et logé en prince, mais en prince au jugement de Saint Bernard, dans un lieu solitaire et où l’on fait profession de pratiquer la pauvreté en tout où la discretion le peut permettre. Il assiste à tout l’office depuis Prime jusqu’à Complies, sans qu’il sente la moin-

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rapports de Singlin et de Pascal. « [M. Pascal] vint à Paris, et se jetta entre les bras de Monsieur Singlin, comme un enfant humble et soumis, resolu de faire tout ce qu’il luy ordonneroit. Monsieur Singlin rendit graces à Dieu des sentimens pleins de christianisme qu’il trouva en luy, et de la docilité sans reserve qu’il luy temoigna. Mais il crut qu’il seroit plus convenable, et plus utile pour luy, de l’envoier à Port-Royal des Champs, et il ecrivit en mesme tems à Monsieur de Saci de vouloir bien se charger de sa conduite. Depuis ce tems-là Monsieur Pascal conçut une si grande estime pour M. Singlin, qu’outre qu’il luy ecrivoit autant de fois qu’il le pouvoit, il ne manquoit jamais non plus l’occasion de le voir et de l’entretenir, quand il pouvoit la trouver. Il poussa si loin son estime pour luy, à cause de la solidité de son jugement, qu’il ne faisoit nulle difficulté de luy lire tous les ecrits qu’il estoit chargé de composer, qu’il l’en rendoit juge, et qu’il estoit extremement rare qu’il ne se rendist pas à ses avis, parce qu’il les trouvoit presque toujours conformes au vray qui a esté l’unique but que s’est proposé Monsieur Pascal dans toutes ses recherches et toutes ses estudes. »

1. « M. de Roannez » (note du P. Guerrier). — Le duc de Luynes, dont il est question un peu plus loin, était dirigé par Singlin ; il demeurait au château de Vaumurier, à proximité de l’abbaye de Port-Royal des Champs. == LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 67 ==

dre incommodité de se lever à cinq heures du matin ; et comme si Dieu vouloit qu’il joignist le jeusne à la veille, pour braver toutes les regles de la medecine qui luy ont tant defendu l’un et l’autre, le souper commence à luy faire mal à l’estomac, de sorte que je croy qu’il le quittera. Il n’a rien perdu à sa directrice, car M. S[inglin], qui a demeuré en cette ville pendant tout ce tems, luy a pourvu d’un directeur 1 dont il n’avoit nulle connoissance, qui est un homme incomparable dont il est tout ravy, aussi est-il de bonne race. Il ne s’ennuyoit point là, mais quelques affaires l’ont obligé de revenir contre son gré ; et pour ne pas tout perdre, il a demandé une chambre ceans où il demeure depuis jeudy 2 sans qu’on sçache chez luy qu’il est de retour. Il ne dit à personne où il alloit lorsqu’il partit, qu’à Mme Pinel 3 et à Duchesne qu’il menoit. On s’en doute neanmoins un peu, mais par pure conjecture. On dit qu’il s’est fait moine, d’autres hermite, d’autres qu’il est à Port-Royal. Il le sçait et ne s’en soucie gueres : voilà où les choses en sont.

Je l’ay toujours vu jusqu’icy dans une si grande crainte qu’on sçut rien de tout cela que je n’avois pas mesme osé luy proposer de vous en rien mander. Enfin je luy en ecrivis quelques jours devant son retour ; il me respondit que si on luy ordonnoit de le faire il le feroit, mais que par luy-mesme il ne s’y pouvoit resoudre parce qu’il se voyoit si peu avancé qu’il ne sçavoit du tout que vous dire : que si je trouvois qu’il y eust matiere d’escrire, il consentoit volontiers que je vous escrivisse, mais que pour luy il ne voyoit rien à mander. Sur cela je commençay

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1. Le Maître de Saci, neveu d’Arnauld.

2. C’est-à-dire: depuis le 21 janvier.

3. Françoise Delfaut, sœur de l’ancienne domestique d’Etienne Pascal. Elle était encore au service de Pascal en 1662. == 68 OEUVRES ==

cette lettre à mon premier loisir au jour d’où elle est datée, et je ne l’acheve qu’aujourd’huy 8. fevrier. Je n’ay du tout su prendre assez de tems auparavant.

Il est à present chez luy où ses affaires le retiennent, mais je croy qu’il fera tout son possible pour rentrer bientost dans sa retraite. Il me dit hier qu’il vous escrira Dieu aidant, et me dit de vous escrire. Il veut faire quelque chose pour ma petite cousine la controleuse Pascal 1 , et comme on a icy beaucoup de charité, j’espererois qu’on la prendroit ceans en pension, mais je doute si la mere et l’enfant le voudroient ; mandez-le moy au plus tost s’il vous plaist, et comme il s’y faudroit prendre. J’en ay un tres grand desir, car je la considere comme une de nos sœurs, et je ne puis penser à l’estat où je la voy, pour l’ame et pour le corps, sans fremir. Enfin elle est niece de mon pere, et je juge des sentimens qu’il auroit pour elle par ceux que j’ay pour vos enfans.

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1. D’après un renseignement qu’a bien voulu nous donner M. Élie Jaloustre, Brémond Pascal, frère d’Etienne, était contrôleur provincial des guerres. Marié à Jeanne Brugière, il eut une fille, Martine, qui plus tard épousa Guillaume de Grandsaigue, procureur général à la cour des Aides de Clermont, puis, en 1681, Gilbert Berard, secrétaire du roi, contrôleur ordinaire des guerres, audiencier en la Chambre près la cour des Aides de Clermont. 69


II[modifier]

LETTRE DE LA SŒUR[modifier]

JACQUELINE DE SAINTE-EUPHEMIE PASCAL[modifier]

A MADAME PERIER, SA SŒUR.[modifier]

Gloire à Jesus au Tres-saint Sacrement.[modifier]

A P. R., ce 25. Avril 1655.[modifier]

Ma tres-chere sœur,

Je prens une grande feuille par ce que je suis en devotion de vous faire une grande lettre, si Dieu m’en fait la grace. Apres avoir lu vostre lettre que mon frere m’apporta, je ne pensois point du tout y repondre ; premierement, par ce que je me trouvois tres-esloignée de le pouvoir ; et outre cela je ne croyois point du tout le devoir, par ce qu’il me semble qu’il n’y a rien de plus sauvage que de voir une petite novice, qui à peine commence d’ouvrir les yeux à la vraye lumiere, vouloir se mesler d’eclairer les autres et de porter le flambeau devant eux : cela me semble insupportable. Neantmoins, voyant que je ne pouvois procurer d’ailleurs le secours que vous me demandiez, par ce que l’humilité de nos Meres et la maladie de M. Singlin m’en ostoient tout moyen, j’ay cru que m’estant trouvée autrefois dans la peine où je vous vois, je pourrois vous dire avec liberté les choses que je me suis dites à moy-mesme, puisque comme je le pretens nous ne sommes qu’un cœur et une ame en Jesus-Christ.

Comme j’en estois là, il m’est venu en pensée que == 70 ŒUVRES ==

M. de Rebours 1 auroit peut-estre bien la bonté de vouloir vous donner quelques avis. Cela m’a fait interrompre pour le consulter, et c’est par son ordre que je vous escris ce qu’il ne peut vous escrire luy-mesme presentement, par ce qu’il a fort mal aux yeux ; et de plus par ce que ce n’est pas, dit-il, à luy à donner conduite à personne. C’est M. Singlin qui a mission pour cela et non pas luy à ce qu’il veut croire.

Il m’a donné charge de vous dire que comme c’est une chose constante qu’une des principales et indispensables obligations d’un chef de famille est le soin qu’il doit prendre de la regler, encore qu’il soit vray que ce soin doive estre divisé, et que celuy des hommes regarde principalement le mary et celuy des filles la femme, neantmoins cela n’a pas lieu chez vous, M. Perier estant trop occupé pour s’y donner comme il faut, ce qui vous en charge sans pourtant l’en decharger, par ce que l’obligation principale doit tousjours estre preferée ; que si [vous] pouviez le porter à s’acquitter d’un devoir si important, vous en seriez quitte ; mais si cela n’est pas, vous en demeurez chargée ; ce qui vous oblige (comme vous voulez travailler à leur salut et non pas simplement à vous acquitter exterieurement de cette obligation, ce qui seroit assez aisé) à tascher premierement de les bien connoistre en les eprouvant mesme en de petites choses qui vous peuvent faire connoistre s’ils ont de la pieté ou non ; s’ils sont hypocrites ou hardis à se faire connoistre mauvais ; quels vices regnent en eux, et de quel bien ils sont plus susceptibles. Il faut aussi tascher de vous faire aimer d’eux, en ne les reprenant point aigrement, quoy qu’il

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1. M. de Rebours était l’un des confesseurs de Port-Royal ; cf. supra T. II, p. 173. == LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 71 ==

le faille tousjours faire severement et fortement ; et pour cela il faut autant qu’il est possible laisser passer son emotion avant que de les reprendre, et alors leur faire grande honte de leurs fautes et leur faire entendre qu’on en est beaucoup plus fasché pour le tort qu’ils se font que pour celuy qu’on en reçoit ; et il leur faut souvent repeter cela, car c’est une maxime generale que tous les esprits qui ne sont pas fort subtils, comme ceux du peuple et des enfans, ne conçoivent autre idée des personnes qu’ils frequentent que celle qu’ils leur donnent eux-mesmes, en sorte que pour se rendre aimable à eux il leur faut dire qu’on les aime, qu’on s’y croit obligé et qu’on croiroit manquer au plus important de ses devoirs si on manquoit d’affection pour eux. Apres cela, il seroit bien difficile que d’autres leur persuadassent le contraire, pourveu toutefois qu’on ait soin de le leur ramentevoir souvent. C’est pourquoy il ne faut pas se contenter de leur donner à entendre par des mots couverts la tendresse qu’on a pour eux, ou de la leur tesmoigner en prenant soin d’eux dans leurs maladies, dans leurs afflictions, et dans tous leurs autres besoins, qui sont des occasions favorables et qu’il faut bien menager ; mais, outre cela, il le leur faut dire nettement et en plusieurs manieres, en leur disant neantmoins aussi clairement que c’est à condition qu’ils demeureront dans leur devoir et qu’ils serviront avec fidelité leur Dieu et leur maistre.

Pour ce qui est des tems où il faut employer l’huile ou le vin 1 , la discretion le doit faire juger. Tout ce qu’on peut dire en general, c’est que toutes les fois qu’il ne s’a-

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1 . Il y a peut-être ici une allusion à la parabole du Samaritain Luc. X, 34: Samaritanus... alligavit vulnera ejus infundens oleum et vinum : mais il faudrait alors lire « l’huile et le vin. » == 72 ŒUVRES ==

gira que de vostre interest particulier, il faut endurer patiemment, non pas en le dissimulant, mais en leur temoignant que vous le leur pardonnez, et que s’ils ont à faire des fautes, vous aimez beaucoup mieux que ce soit contre vous que contre d’autres. Vous pouvez aussi user de la mesme indulgence envers les fautes d’inadvertance, comme de perdre, rompre, ou mal faire quelque chose, sinon qu’il y eust une notable negligence. Que s’il n’y en a pas, il leur faut dire qu’on souffrira volontiers de pareils manquemens, quoy qu’on y souffre de la perte, pourveu qu’on voye qu’ils soient soigneux à se garder de ceux où Dieu est offensé ; et il ne faut pas manquer de leur faire remarquer là-dessus combien peu il se trouve de maistres dans ce sentiment ; ce qu’il faut faire neantmoins sans ostentation, en meslant tousjours quelque parole qui tende au mespris de soy-mesme, et surtout en leur insinuant beaucoup qu’on s’estimeroit bien plus heureux d’estre en leur condition que dans celle où l’on est : il leur en faut souvent faire remarquer les avantages et le danger de celles qui sont plus elevées. Mais quand ils feront des fautes contre Dieu, contre leur maistre, contre la charité et l’union qu’ils doivent avoir entre eux, c’est alors qu’il faut se rendre severe jusqu’à estre terrible, car il faut sçavoir que le peuple et les enfans sont comme les Juifs qui n’agissent que par menaces ou par promesses, jusqu’à ce que, apres avoir reglé par ce moyen comme par force l’exterieur, on attire la misericorde de Dieu pour leur donner l’esprit interieur dont cette conduite qu’on tient sur eux dans cette vue est la voye et mesme sert de merite pour l’obtenir. Il ne faut rien souffrir en ces rencontres, mais le dire à leur maistre et l’exhorter à les en punir severement, sinon qu’on eust sujet de croire qu’ils en sont humiliez et qu’ils n’y retomberont plus. Il est tres == LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 73 ==

bon que la plus grande menace qu’on leur puisse faire soit de les chasser ; et pour cela il faut que vous leur procuriez de bons gages et un bon traitement ; car c’est par là qu’il les faut captiver d’abord jusqu’à ce que l’affection succède à l’interest.

Pour venir à bout d’une partie de ces choses, il faut que vous preniez l’habitude de les appeler de fois à autres dans votre cabinet, une fois toutes les semaines plus ou moins, chacun en particulier, et là leur demander compte de leur creance et de leur maniere de prier Dieu, et leur expliquer fort brevement les principaux articles de la foy et s’arrester plus sur la morale qu’il en faut tirer : comme de l’unité de Dieu dans la trinité des personnes divines ; leur faire entendre comme quoy, dans la multiplicité des objets et des affaires de la terre, nous ne devons avoir qu’un amour, un desir et un necessaire qui doit regler tout le reste. Sur les misteres de l’Incarnation et de l’Eucharistie, leur faire voir l’obligation d’aimer et d’imiter celuy que nous adorons, etc., leur faire apprendre les commandemens de Dieu et de l’Eglise, et leur faire entendre qu’ils s’etendent bien plus loin qu’on ne pense d’ordinaire. Monsieur de Rebours est aussi entierement d’avis que vous ne manquiez pas de les faire prier Dieu en commun devant vous, tous les soirs. 74


III[modifier]

EXTRAIT D’UNE LETTRE DE LA SOEUR[modifier]

JACQUELINE DE SAINTE-EUPHEMIE PASCAL[modifier]

A MADAME PERIER, SA SŒUR[modifier]

Gloire à Jesus au Tres-saint Sacrement.[modifier]

Le 23. Juin 1655.


.... Je pensois continuer à respondre à cet article de vostre lettre dans le mesme style où vous l’avez escrite ; mais je n’ay pu m’y resoudre, par ce que je n’ay plus de gaieté, quand il faut venir sur ce chapitre. C’est pourquoy je vous supplie tres-humblement de croire tout ce que je vous en diray à la lettre ; car je parle de mon plus serieux. Je ne doute point qu’on ne vous ait fait l’employ que j’ay plus grand qu’il n’est, et c’est une des raisons qui me fait vous en parler serieusement ; car apres tout ce n’est rien du tout, et je crois qu’un autre que moy ne s’en apercevroit presque pas ; mais c’est beaucoup pour moy, qui n’ay cherché qu’à me bien cacher et qui ne suis capable que de faire quelque ravauderie dans une petite cellule, ou de balayer la maison, car je suis devenue fort experte en ce mestier, à laver les ecuelles et à filer ; voilà ce que j’ay fort bien appris. Vous sçaurez donc que l’employ qu’on m’a donné est d’estre residente dans le noviciat, pour avoir l’oeil sur les petits manquemens que les postulantes nouvelles venues, dont on ne manque gueres ceans, peuvent faire, manque de sçavoir les coutumes et les ordres de la maison, pour les en avertir et les == LETTRE DE JACQUELINE PASCAL 75 ==

leur apprendre peu à peu. J’ay soin aussi de la pluspart de leurs petits besoins exterieurs, pour les pourvoir de souliers, de chausses, d’epingles, de fil, etc., et par ce que la Mere Agnes, qui est notre maistresse, comme vous sçavez (car je pense que vous sçavez aussi que je suis encore du noviciat), et la sous-maistresse (qui est une excellente personne dont je n’ay pu m’empescher de vous parler une fois par ce qu’elle estoit alors la premiere maistresse des petits enfans) ont trop d’occupation pour se charger de l’instruction de celles qui sont si ignorantes qu’il leur faut apprendre le premier alphabet de la foy, c’est à moy à qui on a donné ce soin. Et afin que vous n’ayez plus sujet de vous plaindre de mon silence, je vous avouë ingenuement qu’on m’a aussi chargée de leur conduite dans ce qui regarde la conscience, en sorte qu’elles n’ont que moy pour conseil dans la maison, car dehors elles ont leur confesseur. Voilà en quoy consiste proprement ma charge, pour laquelle il est besoin, non pas d’un petit mulet, comme vous dites, mais de quelque chose de plus que ce que j’ay. Vous voyez bien neantmoins que ce n’est pas grand chose en soy, puisque je n’ay qu’à recevoir des autres ce que je leur dois donner, et que ma sœur Madeleine 1 , qui est toujours presente, peut me redresser dans les fautes que j’y fais, et a l’œil sur elles comme sur moy, et que les pauvres filles, qui sont si mal pourveues de conductrice, peuvent, quand bon leur semble, s’adresser à elle et mesme à la Mere Agnes. Mais avec tout cela je ne laisse pas de bien trembler, quand je considere que j’ay entre les mains la vocation de cinq ou six filles, s’il faut ainsi dire, et qu’elle depend en quelque sorte de mon peu de charité et de lumiere,

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1. Probablement, sœur Madeleine de Sainte Agnès de Ligni. == 76 OEUVRES ==

qui fait souvent que je prefere mon repos à leurs besoins, faute de les connoistre ou de les vouloir soulager.

Je vous dis la verité ; voilà naïvement ce qui en est. Je vous avouë que l’ouverture de cœur qui doit estre entre nous, m’a souvent donné du scrupule sur le secret que je gardois avec vous en cela, pendant que vous estiez icy, et que vous me demandiez si souvent quel employ j’avois ; et j’avois mesme escrit sur mon agenda pour sçavoir de la Mere Agnes si je ne vous devois pas cette confidence ; mais Dieu a permis que je l’aye tousjours oublié. Cela a fait que je n’y ay plus pensé depuis que vous estes partie. Je n’en ay rien dit non plus à mon frere. S’il le sçait, c’est comme vous, par d’autres que par moy. Il y a un grand advantage en cet employ, en ce que sa principale obligation consiste à faire connoistre Dieu aux autres, et à leur inspirer et leur imprimer sa crainte et son amour ; mais vous avouërez qu’il y a aussi un grand danger, par ce qu’il est bien difficile de parler de Dieu comme de Dieu 1 , et qu’il est bien dangereux de donner aux autres de sa disette, au lieu de son abondance. Priez Dieu qu’il regarde mes deux deniers comme les grandes aumosnes des riches, et qu’il me fasse la grace de m’instruire moy-mesme en instruisant les autres. Adieu, ma chere sœur, je suis toute à vous en N.-S.,


SŒUR EUPHEMIE, religieuse indigne.[modifier]

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1. Cf. Pensées, fr. 799, T. III, p. 237: « Un artisan qui parle des richesses, un procureur qui parle de la guerre, de la royauté, etc. ; mais le riche parle bien des richesses, le Roy parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu. » — Cf. aussi ce qu’Etienne Perier dans la Préface des Pensées nous dit de l’admiration que Pascal éprouvait devant la naïveté de l’Evangile, ibid. T. I, p. XCII.

IV

LETTRE DE LA SŒUR
JACQUELINE DE SAINTE-EUPHÉMIE PASCAL
À MONSIEUR PASCAL, SON FRÈRE

Gloire à Jesus au Tres-saint Sacrement.


Ce 26. Octobre 1655.

Mon tres cher frere,

L’obeïssance et la charité me font rompre le silence avec vous la premiere, lorsque j’y pensois le moins ; je vous le declare, afin que vous ne vous en scandalisiez pas.

Nos Meres m’ont commandé de vous escrire afin que vous me mandiez toutes les circonstances de vostre methode pour apprendre à lire par be, ce, de, etc. où il ne faut point que les enfans sçachent le nom des lettres[1]. Car je vois bien comment on peut leur apprendre à lire, par exemple Jesu, en le faisant prononcer Je, e, ze, u, mais je ne vois pas comment on leur peut faire comprendre facilement que les lettres finissantes ne doivent point ajouter d’e. Car naturellement, suivant cette methode, ils diront Jesuse ; sinon qu’on leur apprenne qu’il ne faut prononcer l’e à la fin que lorsqu’il y est effectivement. Mais je ne vois pas comment leur apprendre à prononcer les consonnes qui suivent les voyelles, par exemple, en, car ils diront ene, au lieu de prononcer an, comme veut souvent le françois. De mesme pour on, ils diront one, et mesme en leur faisant manger l’e, ils ne le diront de bon accent, si on ne leur apprend à part la prononciation de l’o avec l’n. Je n’en ay pas d’autres dans l’esprit, mais je croy que vous les aurez prevus : Voilà ce qui regarde l’obeïssance. Pour la charité, la lettre que je vous envoye vous l’eclaicira. Je pense que le plus tost fait seroit de faire sçavoir à M. Bernieres[2] le desir de cette bonne fille, sans attendre le tems où les autres sortiront. Vous le pouvez faire en luy envoyant cette lettre si vous le jugez à propos, ou par quelque autre voye, il ne m’importe, pourvu qu’on tasche à luy procurer quelque retraite, car elle me fait grand compassion. Je ne vous fais point de compliment sur la peine que je vous donne : la charité est elle-mesme sa recompense.

Si vous m’avez oubliée le 10. de ce mois, qui est le jour de mon baptesme, je vous supplie de reparer cette faute aujourd’huy. Tous les 26. du mois me sont chers depuis que Dieu m’a fait la grace de depouiller pour jamais l’habit du monde un 26. de May[3]… J’ay bien interest que vous soyez tout à Dieu avec tout ce qui vous appartient, puisque je suis du nombre, par sa grace autant pour le moins que par la nature : Car proprement, je suis votre fille : je ne l’oublieray jamais.

Sœur Euphémie, religieuse indigne.

Mandez-moy, s’il vous plaist, si vous estes encore Monsieur de Mons[4].


== V ==

EXTRAIT D’UNE LETTRE DE LA SOEUR[modifier]

JACQUELINE DE SAINTE EUPHEMIE PASCAL[modifier]

A MONSIEUR PASCAL, SON FRERE 1[modifier]

Le I. Decembre 1655.[modifier]

On m’a congratulée pour la grande ferveur qui vous eleve si fort au-dessus de toutes les manieres communes, que vous mettez les balais 2 au rang des meubles superflus... Il est necessaire que vous soyez, au moins durant quelques mois, aussi propre que vous estes sale, afin qu’on voye que vous reussissez aussi bien dans l’humble diligence et vigilance sur la personne qui vous sert, que dans l’humble negligence de ce qui vous touche ; et apres cela, il vous sera glorieux et edifiant aux autres de vous voir dans l’ordure, s’il est vray toutefois que ce soit le plus parfait, dont je doute beaucoup, parce que Saint Bernard n’estoit pas de ce sentiment 3 .

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1. « L’original de cette Lettre est dans la bibliothèque des PP. de l’Oratoire de Clermont » (note du P. Guerrier).

2. La leçon valets, correction récente d’un manuscrit inférieur, n’a aucune autorité.

3. On a fort discuté sur cette lettre, en ne remarquant peut-être pas assez l’ironie amusée qui est dans la manière ordinaire de Jacqueline. Pascal était alors revenu rue Beaubourg, puisqu’il avait avec lui « une personne qui le sert », Madame Pinel. — La citation de St Bernard a été retrouvée par le P. Petitot: Pascal. Sa vie religieuse, et son Apologie du Christianisme, 1911, p. 100; elle se trouve dans la vie du saint, lib. III. c. 2. n. 5. In vestibus ei paupertas semper placuit, sordes nunquam.

2 e série. I 6

  1. Le 31 janvier 1656, au lendemain de la censure de Sorbonne, Arnauld caché à l’hôtel des Ursins écrivait à sa nièce la Mère Angélique de Saint Jean : « ……… Vous rirez de ce qui me donne occasion de vous escrire. Il y a un petit garçon d’environ 12. ans qui ne sçait pas lire : j’ay envie d’essaier si il le pourra apprendre par la methode de M. Paschal. C’est pourquoy je vous prie d’achever ce que vous aviez commencé d’en mettre par escrit, et de nous l’envoyer. Je ne scay si la Mere a bien voulu que vous lussiez la Lettre à un Provincial. Je voudrois bien sçavoir ce qu’elle en a dit. » (Mémoires manuscrits de Beaubrun, Bibliothèque Nationale, f. fr. 13895-6).

    La Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal, Paris, 1660, utilise

    et publie la découverte de Pascal : « Ire Partie ch. 6. D’une nouvelle maniere pour apprendre à lire facilement en toutes sortes de langues.

    « Cette methode regarde principalement ceux qui ne sçavent pas encore lire.

    « Il est certain que ce n’est pas une grande peine à ceux qui commencent que de connoistre simplement les lettres ; mais la plus grande est de les assembler.

    « Or, ce qui rend maintenant cela plus difficile, est que chaque lettre ayant son nom, on la prononce seule autrement qu’en l’assemblant avec d’autres. Par exemple si l’on fait assembler fry à un enfant, on luy fait prononcer ef, er, y grec, ce qui le broüille infailliblement, lors qu’il veut ensuitte joindre ces trois sons ensemble, pour en faire le son de la syllabe fry.

    « Il semble donc que la voye la plus naturelle, comme quelques gens d’esprit l’ont déjà remarqué, seroit que ceux qui montrent à lire, n’apprissent d’abord aux enfans à connoistre leurs lettres, que par le nom de leur prononciation. Et qu’ainsi pour apprendre à lire en Latin : par exemple, on ne donnast que le mesme nom d’e à l’e simple, l’æ, et l’œ , parce qu’on les prononce d’une mesme façon ; et de mesme à l’i et à l’y : et encore à l’o et à l’au, selon qu’on les prononce aujourd’huy en France. Car les Italiens font l’au diphtongue.

    « Qu’on ne leur nommast aussi les consonnes que par leur son naturel, en y adjoûtant seulement l’e muet, qui est necessaire pour les prononcer. Par exemple qu’on donnast pour nom à b, ce qu’on prononce dans la derniere syllabe de tombe, à d celuy de la derniere syllabe de ronde, et ainsi des autres qui n’ont qu’un seul son.

    « Que pour celles qui en ont plusieurs, comme c, g, t, s, on les appellast par le son le plus naturel et plus ordinaire qui est au c, le son de que, et au g, le son de gue, au t, le son de la derniere syllabe de forte, et à l’ s, celuy de la derniere syllabe de bourse.

    « Et ensuitte on leur apprendroit à prononcer à part, et sans eppeler, les syllabes ce, ci, ge, gi, tia, tie, tii. Et on leur feroit entendre que l’s entre deux voyelles, se prononce comme un z, miseria, misere, comme s’il y avoit mizeria, mizere, etc. »

  2. Charles Maignart de Bernières, mort en 1662, maître des Requêtes, était très lié avec le monastère de Port-Royal qu’il fit connaître à la duchesse de Longueville ; des Petites Ecoles furent ouvertes dans sa propriété du Chesnay, près de Versailles ; sa charité était si grande qu’il vendit sa charge pour pouvoir soulager les pauvres. Exilé à Issoudun pour ses opinions jansénistes, il y mourut peu de jours avant Pascal.
  3. En 1652. Vide supra T. III, p. 21.
  4. L’arrière grand-mère de Pascal s’appelait Pascal de Mons (cf. supra T. I, p. 5), probablement d’après le nom d’une paroisse du Puy-de-Dôme, canton de Randan, arrondissement de Riom ; Pascal prit sans doute ce pseudonyme au moment de sa retraite de 1655 ; il l’avait encore au temps des Provinciales.