Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Correspondance/Lettre XIII

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Œuvres de Descartes, Texte établi par Charles Adam et Paul TanneryLéopold CerfTome I : Correspondance, avril 1622 - février 1638 (p. 53-69).
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XIII.
Descartes a Ferrier.
Amsterdam, 13 novembre 1629.
Texte de Clerselier, tome III, lettre 101, p. 569-582.
Monſieur,

Vous m’auez fait plaiſir de me déduire tout au long vos difficultez ſur ce que ie vous auois mandé, & ie taſcheray d’y répondre ſuiuant le meſme ordre que 5 vous les propoſez. I’ay marqué auec des lettres A, B, C, les points auſquels ie répons, afin que vous les puiſſiez reuoir dans la lettre que vous m’auiez écrite.

Ie ſuppoſois ce que vous dites, que la ligne C D a paſſoit au trauers des deux planches ; et pour cela 10 i’auois mis le point D beaucoup plus bas que L, qui eſt celuy que ie faiſois rencontrer entre les deux planches.

Tout ce que ie vous auois écrit n’eftoit que pour le b verre concaue, afin de ne vous pas broüiller du 15 commencement ; mais ie ſuis bien aiſe que vous l’ayiez rapporté au conuexe, pour lequel toutesfois il faudra de beaucoup plus grandes machines.

Il eſt vray qu’il n’y faut point deux planches, s’il c vous eſt plus commode autrement, et ie ne les auois 20 laiſſées, que pour vous mieux faire entendre ma penſée. Toutesfois vous deuez remarquer que le tranchant P N O doit eſtre en vne ſuperficie parfaitement platte, autrement il ne prendroit pas la figure requiſe. Et pour ce que ce tranchant ſe fait non pas contre la planche V X, lorsque la lame N M eſt appliquée|deſſus, mais au deſſus vers l’axe A B, & que la piece C D, en limant la ligne P N O, pourroit courber la ſuperficie 5 platte P N O M, ie ſuis d’aduis que vous appliquiez donc encore au deſſus de la lame N M quelqu’autre piece platte de cuiure ou autre matiere, qui meſme ſe 10 lime auec la ligne P N O, ou bien qui en ait deſia la figure, afin d’empeſcher que la lame ne ſe courbe ; ou ſi vous l’aimez mieux, il faut appliquer les lames N M au deſſous de la planche V X, & non pas au deſſus. (Cecy eſt pour le verre concaue ſeulement ; car au 15 conuexe, le tranchant de la ligne P N O eſt contre la planche V X, & deſſus.) Il faut auſſi remarquer icy que la lame N M, en quelque façon que vous l’affermiſſiez ſur la ligne V X, n’y doit pas eſtre tout à fait immobile, mais qu’il faut que quelque poids ou reſſort la preſſe 20 continuellement contre la lime L D ; car ſi elle eſtoit immobile, & que L D ne s’auançaſt point auſſi vers elle, comme elle ne le doit pas, elle ne pourroit eſtre taillée.

d Toute l’importance eſt de bien acheuer la lame 25 N M. Toutesfois ie croy que ſi elle n’a eſté bien taillée auant la trempe, il ſeroit preſque impoſſible de la racommoder par apeès ; c’eſt pourquoy ie vous conſeille d’ébaucher meſme les lames N M, auec cette machine. Et ie ne trouue pas qu’il y ait tant de 30 difficulté à changer la piece C D, et en mettre vne autre qui garde la meſme inclination, par le moyen d’vn petit modele de cuiure Z ou Z Z, qui ſoit taillé ſelon l’angle de l’inclination, comme Z, ou bien ſelon ſon complement, comme Z Z. Car vous deuez remarquer 5 qu’il n’eſt pas neceſſaire que toute la ligne C D garde cette inclination. Ie vous auois tracé les lignes A B & C D toutes nuës, comme des lignes mathematiques, pour vous faire mieux comprendre les fondemens de la machine ; mais vous les pouuez faire tout 10 d’vne piece, ou comme vous voudrez, pourueu ſeulement que la partie qui doit eſtre taillée en | lime, à ſçauoir L D, garde l’inclination requiſe. Encore que ie ſois fort mauuais peintre, vous entendrez peut-eſtre bien mes figures.

15 La premiere eſt pour le verre concaue, où la piece C L Y D tourne ſur les deux poles A & B ; la ligne V X marque la planche que vous auez tracée dans voſtre lettre, laquelle doit eſtre parallele à l’axe A B, & percée en ſorte que Y D paſſe par deſſous ; la ligne 20 L D eſt ce qui doit eſtre taillé en lime, pour tailler les lames N M ; et cette ligne L D doit eſtre affermie aux points L & D, ainſi qu’il vous ſera plus commode, ou par des vis, ou autrement. Au reſte vous donnerez à L D l’inclination requiſe par le moyen de voſtre 25 triangle Z Z, vn coſté duquel vous appliquerez ſur | la ligne V X, au lieu où eſt N M, en forte que l’autre ſe rapporte iuſtement contre L D. Vous ferez le meſme auec le triangle Z pour le verre conuexe, où il n’y a de difference que pour la grandeur de la machine, 30 laquelle ſe meſure par la diſtance qui eſt entre les lignes A B & V X. Laquelle machine, pour le petit verre, c’eſt à dire pour le verre concaue, ne doit pas eſtre de plus de deux ou trois pouces, ny par conſequent le demy-diametre de la roüe Q, ainſi que ie diray cv-apres[1] ; et les poles A & B peuuent eſtre ſoûtenus ſur des pieces qui deſcendent vers la planche V X. 5 Mais pour le verre conuexe, il faut que depuis A B iuſques à V X il y ait huit ou dix pieds de diſtance, au moins pour les plus rares effets. C’eſt pourquoy les poles A & B doiuent eſtre appuyez au plancher de la chambre où vous trauaillerez, à quelque poutre qui ſoit bien ferme ; ie dis bien ferme, car le moindre trem- 10 blement oſteroit toute la iuſteſſe de la ligne. Vous pouuez, au lieu d’attacher cette ſeconde machine au plancher de la chambre, la coucher tout du long ſur vne table, ou fur quelqu’autre choſe, & ie croy que 5 ſon mouuement ſera plus aſſuré en cette ſorte ; & il faut que la piece C L Y D ſoit de telle groſſeur et de telle matiere qu’elle ne plie en aucune façon. Il n’y a rien à conſiderer en ces machines que les trois lignes A B, L D & V X, ou pluſtoſt la lame N M poſée ſur V X, 10 dont la ſuperficie doit eſtre exactement platte du coſté qu’elle doit trancher. Pour tout le reſte de la machine, faites-le gros ou petit, droit ou courbé, il n’importe. Or, ſi vous trouuez encore de la difficulté à mettre les pièces L D ſelon l’inclination requife, i’ay à 15 vous dire pour vous conſoler, & afin que vous ne laiſſiez pas d’ébaucher les lames N M auec ces machines, qu’encore meſme que l’inclination n’y fuſt pas exactement obſeruée, toutesfois là ligne que vous traceriez ſeroit ſans comparaiſon plus propre à tailler les 20 verres, que toutes celles que vous ſçauriez faire autrement ; et meſme il ſeroit par après beaucoup plus aiſé de luy donner la vraye figure, que ſi vous l’auiez ébauchée autrement.

|Ce qu’il y a de plus icy à remarquer, c’eſt que 25 la piece L D taillée en lime ou autrement, laquelle ie vous ay fait iuſques icy conſiderer comme vne ligne 30 ſimplement, peut eſtre aſſez grotte, & taillée en rond comme vn cylindre pour le petit verre ; mais pour le conuexe, elle doit auoir vne ligne droite au milieu, comme vne areſte, plus releuée que le reſte, & ſes deux coſtez doiuent eſtre vn peu creuſez en rond, afin qu’en ſe mouuant, les coſtés ne défaſſent pas la figure qui doit eſtre donnée ſeulement par la ligne du milieu, 5 laquelle doit croiſer iuſtement la ligne V X, lors que la machine n’eſt point remuée. Et pour ne point faillir, vous deuez imaginer que Taxe indiuiſible A B, ſur lequel tourne la machine, la ligne V X ou N M, & cette ligne qui eſt la plus auancée ſur la 10 lime L D, doiuent toutes ſe rencontrer en vn meſme plan, lequel vous imaginerez tomber à plomb & à angles droits ſur la planche H G K I. 15

e Ie m’eſtonne que vous n’ayez point trouué de difficulté à faire que les lames N M puiſſent tailler la roüe Q, eſtant poſées toutes droites ſur cette roüe, car de cette ſorte elles ne peuuent faire que racler, & non point coupper, comme font les rabots des menuiſiers, 20 le fer deſquels eſt couché de biais, & ſans cela ils ne s’en pourroient ſeruir. Mais il y a moyen de faire auſſi des lames N M, leſquelles eſtant couchées, ainſi que le fer des rabots, auront le meſme effet que les precedentes qui ſeroient toutes droites. Il faut ſeulement 25 changer en vos machines l’angle de l’inclination pour la ligne L D, ſelon la proportion que ie vous écriray à la fin de cette lettre, ſi i’en ay le loiſir.

f Vous deuez ſçauoir que la roüe qui taille le verre concaue | ne le doit toucher que d’vne ſeule ligne, non 30 plus que celle qui taille le conuexe, laquelle vous auez fort bien compriſe, ſans que ie vous en euſſe rien écrit. Or c’eſt pour cette raiſon que la roüe Q ne doit pas exceder certaine grandeur ; car vous ſçauez que la circonference 5 des petits cercles eſt plus courbe que celle des grands, comme vous voyez au point F ; et ſi la circonference eſtoit moins courbe que la ligne P N O, ce ſeroit elle qui donneroit la 10 figure au verre, & non pas P N O ; et ainſi le verre ſeroit ſpherique ; mais il faut quelle ſoit plus courbe que P N O, ſans qu’il importe de combien. Seulement faut-il obſeruer pour ſa plus iuſte grandeur, que le demy-diametre de la roüe Q n’excède pas la hauteur 15 qu’il y a en la premiere machine, depuis la planche V X iuſques à l’axe A B, c’eſt à dire deux ou trois pouces, & qu’il ſoit pluſtoſt vn peu moindre. Pour le conuexe, faites la roüe grande ou petite, il n’importe pas.

20 I’approuue bien que la roüe Q ſoit de telle matiere g que vous iugez à propos, & que le tour ſoit tourné ainſi que vous le trouuez plus commode. Mais il faut remarquer que les mouuemens 25 du tour & de la roüe Q ne doiuent point eſtre égaux ; car, au contraire, c’eſt ce que i’eſtime vn des principaux ſecrets de tout l’artifice, qu’en rendant l’vn plus viſte & l’autre plus lent, ſelon que 30 vous iugerez eſtre de beſoin, vous pourrez perfectionner les figures autant qu’il eſt poſſible par la main d’vn homme. Mais la proportion de ces mouuemens ne ſe peut auoir que par l’vſage, c’eſt à dire, que fuſſiez-vous vn ange, vous ne ſçauriez ſi bien faire la premiere année que la ſeconde. Seulement puis-ie dire en general, que pour les verres concaues | la roüe 5 doit tourner fort viſte, & le tour fort lentement, & au contraire pour les conuexes. Il faut auſſi remarquer que la roüe Q ne puiſſe varier ny çà ny là en tournant, & toutesfois qu’elle ſoit libre de deſcendre à meſure que le verre ſe taille, & qu’elle le preſſe touſiours ; car 10 autrement elle ne le tailleroit pas. Si vous ne trouuez inuention pour cela, i’en trouueray aſſez.

H La ligne des verres conuexes ſera d’vne ſi grande eſtenduë qu’elle ſemblera à l’œil eſtre toute droite. C’eſt pourquoy vous ne deuez rien craindre pour les 15 difficultez que vous y propoſés ; car il n’eſt quaſi pas queſtion de tailler le verre, mais ſeulement de le polir, à quoy toutesfois ie ne iuge pas l’vſage de la roüe moins neceſſaire que pour les concaues. Ie veux dire qu’apres même que le verre eſt tout taillé, comme ie 20 vous l’ay veu polir auec vn morceau de cuir ou de bois, ie voudrois que ce cuir meſme, ou ce bois, ou quoy que ce fuſt, fuſt vne roüe qui eût la figure requiſe : car la iuſteſſe de cette figure doit eſtre ſi preciſe, que ie ne doute point qu’encore que le verre 25 euſt la figure auant que d’eſtre poly, toutesfois le poliſſant apres ſans machine, vous la luy pourriez oſter. D’où vient que ſi vous penſiez ſeulement appliquei contre le verre vne des lames N M, ou pluſtoſt vn modele taillé par ſon moyen, tous les défauts qui ſeroient 30 en la lame N M (car vous ne deuez pas eſperer qu’il n’y en ait point) ſeroient vn cercle de fautes, tant au modele qu’au verre ; où au contraire, ce qui eſt principalement à eftimer en la roüe, c’eſt qu’elle eſt compoſée tout autour d’vne infinité de lignes P N O toutes 5 diuerſes, en ſorte que ce qu’il peut y auoir de défaut en chacune ne touche le verre qu’en vn point ; et incontinent il ſuccede vne autre ligne qui racommode ce que la precedente a pû gaſter. Et pourueu qu’en toute la ſuperficie de la roue, il y ait plus de points 10 qui correſpondent à la vraye figure, qu’il n’y en aura d’autres, elle donnera la figure exacte au verre, ſans luy communiquer aucun de ſes défauts ; au lieu que tous les défauts qui ſont aux modeles ſe communiquent au verre. C’eſt auſſi la raiſon pourquoy|i’auois marqué 15 qu’il faut auoir pluſieurs lames N M toutes ſemblables, & ne ſe contenterpas d’vne ſeule pour tailler la roüe Q, afin que ſi l’vne manque en quelques points, l’autre ſupplée au défaut. Et il eſt probable que, ſe ſeruant ainſi de pluſieurs lames tout à la fois, on pourra faire 20 la roüe Q en ſorte qu’elle approchera fort de la vraye figure, & le verre en approchera encore dauantage. Ce que ie vous mande, afin que vous ſçachiez en quoy conſiſte l’artifice & l’vtilité de tous ces mouuemens, qui eſt, qu’encore qu’il y ait quelque choſe à redire 25 en tous vos modeles, c’eſt à dire aux lames N M & à la roüe Q, vous ne laiſſerez pas de pouuoir tailler le verre exactement.

Il eſt tres-certain que la viſion eſt touſiours plus i diſtincte, lors qu’on regarde par vn petit trou, que 30 lorsqu’on regarde par vn plus grand ; mais il n’importe pas tant que le trou ſoit grand, quand la figure eſt exacte, que quand elle ne l’eſt pas. Et il ne vous faut pas perſuader que les verres, taillez pour les grandes lunettes, ſoient bons pour les lunettes à puce. Il y a bien de la difference ; car pour celles-cy ils doiuent eſtre taillez des deux coſtez. Ie vous manderay vne 5 autre fois toutes les figures & applications des verres pour toutes fortes de lunettes ; faites-m’en ſouuenir.

k Encore que les triangles de verre d’vn meſme diaphane ſoient differens, & par conſequent qu’ils ayent differentes refractions, toutesfois, ſuiuant la methode 10 que ie vous auois donnée, ils vous donneront tous la meſme ligne, pour tailler les verres brûlans. Mais pour ce que ie voy bien que vous auez oublié vne partie de ce que ie vous en auois dit à Paris, il faut que ie me frotte vn peu le front & que ie m’efforce de vous en 15 écrire tout au long vne bonne fois.

Soit la ligne de voſtre quadran A E, le triangle de verre apliqué deſſus F G H, de quelque grandeur qu’il puiſſe eſtre, pourueu que la ligne G H d’iceluy tombe à angles droits ſur A E, afin que le rayon du soleil 20 paſſant par la pinnule I, aille tout droit iuſques à D, ſans faire de refraction en entrant dans le verre, mais ſeulement lors qu’il en fort, à | ſçauoir au point D. Remarquez donc la ligne G D F, qui repreſente l’inclination du verre, dans laquelle ſe fait la refraction, & le 25 point D, auquel elle eſt couppée par le rayon du soleil, & le point A, auquel le rayon du soleil I D A couppe la ligne de voſtre quadran. Vous auez donc l’angle A D F. Maintenant, du point D, tirez vne autre ligne D C, en ſorte que l’angle F D C ſoit égal à l’angle A D F, et par 30 conſequent que tout l’angle A D C ſoit double de l’angle A D F ; et remarquez en quel point cette ligne D C couppera voſtre quadran, ſçauoir au point C, lequel eſtant trouué, prenez la ligne C K égale à C D, et la ligne A L égale A D. Cherchez après le milieu entre 5 les points K & L, à ſçauoir B. Et ayant les trois points A B C, qui vous donnent la proportion qui eſt entre les lignes A B & B C, vous n’auez plus que faire de tout le reſte. Or cette proportion viendra touſiours ſemblable, quelque triangle de verre que vous preniez, pourueu qu’ils ſoient tous d’vn meſme diaphane.

Ayant les points A B C, vous pourrez décrire la ligne pour brûler en cette ſorte : mettez la pointe du compas au centre B, & l’ayant 15 ouuert ſi peu que vous voudrez, marquez ſur la ligne A C les deux points 20 N & O, également diſtans de B ; | après, rapportant vn pied du compas en A, & l’autre en O, tirez vne portion 25 de cercle T O V ; et tournant derechef le compas, vn pied en C, & l’autre en N, tirez vne autre portion de cercle qui couppe la precedente aux points T & V, par leſquels doit paſſer voſtre ligne, comme auſſi par le point B. Vous pouuez ainſi trouuer vne infinité de points : car mettant derechef vn pied du 5 compas en B, & l’ouurant vn peu plus que la premiere fois, vous prenez deux autres points également diſtans de B, à ſçauoir P & Q ; puis du centre A tirant le cercle X Q Y, & du centre C le cercle X P Y, l’interſection de ces deux cercles vous donne derechef les 10 deux points X & Y, et ainſi à l’infiny. Et ie croy que que c’eſt là toute la façon dont ſe ſert M. Mydorge. Vous pouuez pratiquer cela ſans mettre qu’vne fois le pied du compas en chacun des points A, B & C, à ſçauoir, ſi ayant le pied du compas en B, vous prenez 15 les points N O & P Q, et infinis autres ; puis ayant le pied du compas en A, vous tirez les cercles T O V, X Q.Y, & ſemblables ; et apres, mettant le compas en C, vous tracez les autres cercles T N V, X P Y ; cecy eſt le plus court, mais il ne ſe faut pas méprendre, & 20 marquer l’interſection d’vn cercle au lieu de l’autre Or la ligne ainſi décrite brûlera à la diſtance qui eſt depuis A iuſques à B.

Que ſi vous en voulez tracer vne qui brûle à vne plus grande ou moindre diſtance, par exemple, à la 25 diſtance de D E, cherchez E F, qui soit à D E comme B C eſt à A B, & l’ayant trouuée, ſeruez-vous des points D E F pour tracer voſtre ligne, comme vous auez fait des points A B C, c’eſt à dire que ſi vous auez vne fois la proportion qui eſt entre les lignes A B & B C, 30 par le moyen de voſtre quadran, elle vous ſeruira pour tous les verres d’vn meſme diaphane, à quelque diſtance que vous les veüilliez faire brûler. Poſons le cas que la ligne A B ſoit ſix fois auſſi grande que B C, & vous voulez tailler vn verre qui brûle à ſix pouces de 5 diſtance ; faites D E de ſix pouces & E F d’vn pouce, & décriuez voſtre ligne ſur les trois points D | E F. Si vous en voulez tailler vn qui brûle à ſix pieds, faites D E de ſix pieds & E F d’vn pied, & ainſi à quelque diſtance qu’il vous plaira.

10 Que ſi vous auez vn morceau de verre lequel vous veüillez tailler pour brûler, ſans rien perdre de ſon épaiſſeur du milieu, ny de son diametre, faites ainſi. Seruez-vous de quelque ligne pour brûler que vous ayez deſia toute tracée, par exemple de la ligne 15 hyperbolique E M, & ſur la ligne E F marquez E G, qui ſoit l’épaiſſeur du milieu de voſtre verre, & tirez à angles droits G H, qui ſoit le demy-diametre du meſme verre donné ; puis tirez vne ligne qui paſſe par les points E & H, laquelle couppera la ligne brûlante en quelque endroit, à ſçauoir en M ; tirez donc du point M vne perpendiculaire M L ; puis cherchez vne ligne qui ſoit à D E comme G H eſt à M L, & encore vne autre 5 qui ſoit à E F comme G H eſt à M L, & ſeruez-vous de ces deux lignes, au lieu des lignes D E & E F, pour tracer la ligne requiſe. Par exemple, D E eſt de ſix pouces, & G H eſt double de M L ; il faut donc prendre vne ligne | de douze pouces, à ſçauoir K L ; puis E F eſt 10 d’vn pouce, prenez donc L M de deux pouces ; et auec les trois points K L M vous tracerez la ligne requiſe pour ne rien perdre de voſtre verre, & faire qu’il brûle à la diſtance de la ligne K L. Vous m’auez fait rire de nommer cela vn ſecret ; ce n’eſt rien que vous n’euſſiez 15 fort aiſément trouué de vous-meſme, ſi vous euſſiez bien entendu ce qui precede ; et ſi vous en parlez, ie ſeray bien-aiſe que vous difſez que vous l’auez trouué de vous-meſme, ſur ce que ie vous auois dit generalement la façon de tracer la ligne ; et 20 vous pourrez dire que ce n’eſt rien qu’vne regle de trois : car vous dites, ſi la ligne M L me donne D E & E F, que me donnera G H ? et ainſi vous trouuerez K L & L M.

Mais c’eſt vn plus grand ſecret, ayant les trois 25 points A B C ou D E F, ou autres ſemblables, de trouuer par leur moyen l’angle de l’inclination que doit auoir voſtre machine ; et ie ne ſçay ſi quelqu’autre vous le pourroit dire, encore que la pratique n’en ſoit pas difficile. Elle eſt telle : cherchez le milieu entre les 30 points A & C, à ſçauoir G, & d’iceluy tirez vn cercle qui paſſe par les points A & C, | à ſçauoir A H C ; puis de B éleuez vne perpendiculaire B H, qui couppe le cercle au point H, duquel vous tirerez la ligne H G, & l’angle H G B eſt celuy que vous cherchez, ſelon lequel 5 il faudra tailler vn modele de cuiure Z, pour ajuſter l’inclination de voſtre machine ; et ſon complement eſt H G A, ſuiuant lequel vous taillerez le triangle Z Z, comme i’ay deſia dit[2].

Or tout ce que ie viens de vous dire ne ſert que pour 10 tailler les lames N M de telle ſorte qu’elles doiuent eſtre poſées toutes droites ſur la roüe Q. Mais pour ce qu’en cette façon elles ne ſeroient que racler, & que ie me perſuade que vous vous pourrez beaucoup mieux ſeruir de celles qui ſeroient couchées comme 15 le fer des rabots, conſiderez la ligne N M appliquée toute droite ſur la roüe Q ; & du point N tirez vne autre ligne N 2, autant couchée que vous deſirez que ſoit le fer de voſtre rabot ; puis du point M tirez la ligne M 2, en ſorte que l’angle N M 2 ſoit droit. Cela fait, prenez G 3 égal à N M, & G 5 égal à N 2 ; puis tirez à angles droits 3 4, qui touche la ligne G H au point 4. Apres, tirez la ligne 5 6, auſſi à angles droits, égale & 5 parallele à la ligne 3 4. Cela fait, tirez la ligne 6 G ; et l’angle 6 G 5 eſt celuy ſelon lequel vous deuez tailler le triangle Z, & 6 G A ſon complement ſeruira pour ZZ. En forte que ſi vous vous ſeruez de cette nouuelle inclination en voſtre machine, au lieu de la precedente 10 H G C, pour tracer la ligne P N O la lame N M, cette ligne P N O ſera beaucoup plus courbe que l’autre, & la lame eſtant couchée ſur la roüe comme le fer d’vn rabot, elle taillera la meſme figure. Et cecy n’eſt pas vne des moindres parties de l’inuention ; car quand ie 15 vous auray vne fois bien fait entendre le rapport que ces diuerſes inclinations ont les vnes aux autres, vous ne pourrez quaſi faillir, pourueu que vous vous ſeruiez de ces machines, encore | meſme que vous trouuiez des verres qui ayent plus grande refraction les 20 vns que les autres ; mais il eſt impoſſible d’écrire tout dans vne lettre. Vous pourrez faire véritablement vn rabot de ces lames ainſi couchées, lequel ſera taillé en rond par deſſous, ſelon la groſſeur de la roüe Q.

S’il y a quelque choſe en tout cecy que vous n’entendiez 25 point, mandez-le moy, & ie n’épargneray point le papier pour vous répondre. Au reſte, n’eſperez pas auec toutes ces machines de faire des merueilles du premier coup ; ie vous en aduertis, afin que vous ne vous fondiez pas fur de fauſſes eſperances, & que 30 vous ne vous engagiez point à trauailler que vous ne ſoyez reſolu d’y employer beaucoup de temps ; mais ſi vous auiez vn an ou deux à vous ajuſter de tout ce qui eſt neceſſaire, i’oſerois eſperer que nous verrions, par voſtre moyen, s’il y a des animaux dans la 5 Lune.

La lettre est incomplète, comme il est noté sur l’exemplaire de l’Institut : « M. Clerselier en a retranché tout ce qui ne regardoit pas les sciences. M. Desc. y avoit inséré plusieurs petites commissions qui lui importaient et auxquelles M. Ferrier negligea de satisfaire. » — La promesse finale de Descartes est citée dans deux lettres de Chapelain à Chr. Huygens, du 21 août 1656 et du 15 octobre 1639. « J’ai veu » dit Chapelain dans la première, « la lettre ou estoient ces paroles entre les mains d’un nommé Ferrier qui estoit son amy et son ouuricr ». (Correspondance de Huygens, t. I, p. 483).


ADDITIONS
LETTRE XIII, page 69, lignes 3-5.

Rapprocher de cette promesse ou de cette espérance ce que Pierre Borel, dans son Compendium Vitæ R. Cartesii, 1653, rapporte de Descartes, sur la foi de Villebressieu : « audiuique a D. Brcssiæo Ferrerium ejus (i. e. Cartesii) ductu fecisse conspicillum hyperbolicum optimum, quo etiam plantularum folia magna e tribus leucis cernerentur. » (p. 31 de la 2e édit., 1676).

Pour les autres merveilles que rapporte Borel, voir p. 211-212, éclaircissement.

Voir aussi l’incrédulité avec laquelle Descartes accueille une semblable promesse, faite par Hortensius (lettres du 28 oct. et du 1er nov. 1635, p. 327, l. 11 et 12, et p. 330-331).

  1. « Voir l’art. F de cette lettre » (Note de l’exemplaire de l’Institut).
  2. « Voir l’art. D de cette lettre. » — Note de l’exemplaire de l’Institut.