Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Actes du Ministère de Turgot/Sur le commerce des grains

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Texte établi par Eugène DaireGuillaumin (tome IIp. 169-224).

I. DÉCLARATIONS, ÉDITS, ETC., RELATIFS À LA LIBERTÉ
DU COMMERCE DES GRAINS

Arrêt du Conseil d’État, du 13 Septembre 1774, par lequel Sa Majesté établit la liberté du commerce des grains et des farines dans l’intérieur du royaume, et se réserve à statuer sur la liberté de la vente à l’étranger, lorsque les circonstances seront devenues plus favorables.

Le roi s’étant fait rendre compte du prix des grains dans les différentes parties de son royaume, des lois rendues successivement sur le commerce de cette denrée, et des mesures qui ont été prises pour assurer la subsistance des peuples et prévenir la cherté ; Sa Majesté a reconnu que ces mesures n’ont point eu le succès qu’on s’en était promis.

Persuadée que rien ne mérite de sa part une attention plus prompte, elle a ordonné que cette matière fût de nouveau discutée en sa présence, afin de ne se décider qu’après l’examen le plus mûr et le plus réfléchi. Elle a vu avec la plus grande satisfaction que les plans le plus propres à rendre la subsistance de ses peuples moins dépendante des vicissitudes des saisons, se réduisent à observer l’exacte justice, à maintenir les droits de la propriété, et la liberté légitime de ses sujets.

En conséquence, elle s’est résolue à rendre au commerce des grains, dans l’intérieur de son royaume, la liberté qu’elle regarde comme l’unique moyen de prévenir, autant qu’il est possible, les inégalités excessives dans les prix, et d’empêcher que rien n’altère le prix juste et naturel que doivent avoir les subsistances, suivant la variation des saisons et l’étendue des besoins.

En annonçant les principes qu’elle a cru devoir adopter, et les motifs qui ont fixé sa décision, elle veut développer ces motifs, non-seulement par un effet de sa bonté, et pour témoigner à ses sujets qu’elle se propose de les gouverner toujours comme un père conduit ses enfans, en mettant sous leurs yeux leurs véritables intérêts, mais encore pour prévenir ou calmer les inquiétudes que le peuple conçoit si aisément sur cette matière, et que la seule instruction peut dissiper ; surtout pour assurer davantage la subsistance des peuples, en augmentant la confiance des négociants dans des dispositions auxquelles elle ne donne la sanction de son autorité, qu’après avoir vu qu’elles ont pour base immuable la raison & l’utilité reconnues.

Sa Majesté s’est donc convaincue que la variété des saisons et la diversité des terrains occasionnant une très-grande inégalité dans la quantité des productions d’un canton à l’autre, et d’une année à l’autre dans le même canton, la récolte de chaque canton se trouvant par conséquent quelquefois au-dessus, et quelquefois au-dessous du nécessaire pour la subsistance des habitans, le peuple ne peut vivre dans les lieux et dans les années où les moissons ont manqué, qu’avec des grains, ou apportés des lieux favorisés par l’abondance, ou conservés des années antérieures : qu’ainsi le transport et la garde des grains sont, après la production, les seuls moyens de prévenir la disette des subsistances, parce que ce sont les seuls moyens de communication qui fassent du superflu la ressource du besoin.

La liberté de cette communication est nécessaire à ceux qui manquent de la denrée, puisque si elle cessait un moment, ils seraient réduits à périr.

Elle est nécessaire à ceux qui possèdent le superflu, puisque sans elle ce superflu n’aurait aucune valeur, et que les propriétaires ainsi que les laboureurs, avec plus de grains qu’il ne leur en faut pour se nourrir, seraient dans l’impossibilité de subvenir à leurs autres besoins, à leurs dépenses de toute espèce, et aux avances de la culture indispensables pour assurer la production de l’année qui doit suivre. Elle est salutaire pour tous, puisque ceux qui dans un moment se refuseraient à partager ce qu’ils ont avec ceux qui n’ont pas, se priveraient du droit d’exiger les mêmes secours lorsqu’à leur tour ils éprouveront les mêmes besoins ; et que, dans les alternatives de l’abondance et de la disette, tous seraient exposés tour à tour aux derniers degrés de la misère, qu’ils seraient assurés d’éviter tous en s’aidant mutuellement. Enfin elle est juste, puisqu’elle est et doit être réciproque, puisque le droit de se procurer, par son travail et par l’usage légitime de ses propriétés, les moyens de subsistance préparés par la Providence à tous les hommes, ne peut être sans injustice ôté à personne.

Cette communication qui se fait par le transport et la garde des grains, et sans laquelle toutes les provinces souffriraient alternativement ou la disette ou la non-valeur, ne peut être établie que de deux manières, ou par l’entremise du commerce laissé à lui-même, ou par l’intervention du gouvernement.

La réflexion et l’expérience prouvent également que la voie du commerce libre est, pour fournir aux besoins du peuple, la plus sûre, la plus prompte, la moins dispendieuse et la moins sujette à inconvénients.

Les négociants, par la multitude des capitaux dont ils disposent, par l’étendue de leurs correspondances, par la promptitude et l’exactitude des avis qu’ils reçoivent, par l’économie qu’ils savent mettre dans leurs opérations, par l’usage et l’habitude de traiter les affaires de commerce, ont des moyens et des ressources qui manquent aux administrateurs les plus éclairés et les plus actifs. Leur vigilance, excitée par l’intérêt, prévient les déchets et les pertes ; leur concurrence rend impossible tout monopole, et le besoin continuel où ils sont de faire rentrer leurs fonds promptement pour entretenir leur commerce, les engage à se contenter de profits médiocres ; d’où il arrive que le prix des grains, dans les années de disette, ne reçoit guère que l’augmentation inévitable qui résulte des frais et risques du transport ou de la garde.

Ainsi, plus le commerce est libre, animé, étendu, plus le peuple est promptement, efficacement et abondamment pourvu ; les prix sont d’autant plus uniformes, ils s’éloignent d’autant moins du prix moyen et habituel sur lesquels les salaires se règlent nécessairement.

Les approvisionnements faits par les soins du gouvernement ne peuvent avoir les mêmes succès. Son attention, partagée entre trop d’objets, ne peut être aussi active que celle des négociants, occupés de leur seul commerce. Il connaît plus tard, il connaît moins exactement et les besoins et les ressources. Ses opérations, presque toujours précipitées, se font d’une manière plus dispendieuse. Les agents qu’il emploie, n’ayant aucun intérêt à l’économie, achètent plus chèrement, transportent à plus grands frais, conservent avec moins de précaution ; il se perd, il se gâte beaucoup de grains. Ces agents peuvent, par défaut d’habileté, ou même par infidélité, grossir à l’excès la dépense de leurs opérations. Ils peuvent se permettre des manœuvres coupables à l’insu du gouvernement. Lors même qu’ils en sont le plus innocents, ils ne peuvent éviter d’en être soupçonnés, et le soupçon rejaillit toujours sur l’administration qui les emploie, et qui devient odieuse au peuple, par les soins mêmes qu’elle prend pour le secourir.

De plus, quand le gouvernement se charge de pourvoir à la subsistance des peuples en faisant le commerce des grains, il fait seul ce commerce, parce que, pouvant vendre à perte, aucun négociant ne peut sans témérité s’exposer à sa concurrence. Dès lors l’administration est seule chargée de remplir le vide des récoltes. Elle ne le peut qu’en y consacrant des sommes immenses, sur lesquelles elle fait des pertes inévitables.

L’intérêt de ses avances, le montant de ses pertes, forment une augmentation de charges pour l’État, et par conséquent pour les peuples, et deviennent un obstacle aux secours bien plus justes et plus efficaces que le roi, dans les temps de disette, pourrait répandre sur la classe indigente de ses sujets.

Enfin, si les opérations du gouvernement sont mal combinées et manquent leur effet ; si elles sont trop lentes, et si les secours n’arrivent point à temps ; si le vide des récoltes est tel, que les sommes destinées à cet objet par l’administration soient insuffisantes, le peuple, dénué des ressources que le commerce réduit à l’inaction ne peut plus lui apporter, reste abandonné aux horreurs de la famine et à tous les excès du désespoir.

Le seul motif qui ait pu déterminer les administrateurs à préférer ces mesures dangereuses aux ressources naturelles du commerce libre, a sans doute été la persuasion que le gouvernement se rendrait par là maître du prix des subsistances, et pourrait, en tenant les grains à bon marché, soulager le peuple et prévenir ses murmures.

L’illusion de ce système est cependant aisée à reconnaître. Se charger de tenir les grains à bon marché lorsqu’une mauvaise récolte les a rendus rares, c’est promettre au peuple une chose impossible, et se rendre responsable à ses yeux d’un mauvais succès inévitable.

Il est impossible que la récolte d’une année, dans un lieu déterminé, ne soit pas quelquefois au-dessous du besoin des habitants, puisqu’il n’est que trop notoire qu’il y a des récoltes fort inférieures à la production de l’année commune, comme il y en a de fort supérieures. Or, l’année commune des productions ne saurait être au-dessus de la consommation habituelle. Car le blé ne vient qu’autant qu’il est semé ; le laboureur ne peut semer qu’autant qu’il est assuré de trouver, par la vente de ses récoltes, le dédommagement de ses peines et de ses frais, et la rentrée de toutes ses avances, avec l’intérêt et le profit qu’elles lui auraient rapportés dans toute autre profession que celle de laboureur. Or, si la production des mauvaises années était égale à la consommation, si celle des années moyennes était par conséquent au-dessus, et celle des années abondantes incomparablement plus forte, le prix des grains serait tellement bas, que le laboureur retirerait moins de ses ventes qu’il ne dépenserait en frais.

Il est évident qu’il ne pourrait continuer un métier ruineux, et qu’il n’aurait de ressource que de semer moins de grains, en diminuant sa culture d’année en année, jusqu’à ce que la production moyenne, compensation faite des années stériles, se trouvât correspondre exactement à la consommation habituelle.

La production d’une mauvaise année est donc nécessairement au-dessous des besoins. Dès lors, le besoin étant aussi universel qu’impérieux, chacun s’empresse d’offrir à l’envi un prix plus haut de la denrée pour s’en assurer la préférence. Non-seulement ce renchérissement est inévitable, mais il est l’unique remède possible de la rareté, en attirant la denrée par l’appât du gain.

Car puisqu’il y a un vide, et que ce vide ne peut être rempli que par les grains réservés des années précédentes ou apportés d’ailleurs, il faut bien que le prix ordinaire de la denrée soit augmenté du prix de la garde ou de celui du transport ; sans l’assurance de cette augmentation, l’on n’aurait point gardé la denrée, on ne l’apporterait pas ; il faudrait donc qu’une partie du peuple manquât du nécessaire et pérît.

Quelques moyens que le gouvernement emploie, quelques sommes qu’il prodigue, jamais, et l’expérience l’a montré dans toutes les occasions, il ne peut empêcher que le blé ne soit cher quand les récoltes sont mauvaises.

Si, par des moyens forcés, il réussit à retarder cet effet nécessaire, ce ne peut être que dans quelque lieu particulier, pour un temps très-court ; et en croyant soulager le peuple, il ne fait qu’assurer et aggraver ses malheurs.

Les sacrifices faits par l’administration pour procurer ce bas prix momentané, sont une aumône faite aux riches au moins autant qu’aux pauvres, puisque les personnes aisées consomment, soit par elles-mêmes, soit par la dépense de leurs maisons, une très-grande quantité de grains.

La cupidité sait s’approprier ce que le gouvernement a voulu perdre, en achetant au-dessous de son véritable prix une denrée sur laquelle le renchérissement, qu’elle prévoit avec une certitude infaillible, lui promet des profits considérables.

Un grand nombre de personnes, par la crainte de manquer, achètent beaucoup au delà de leurs besoins, et forment ainsi une multitude d’amas particuliers de grains qu’elles n’osent consommer, qui sont entièrement perdus pour la subsistance des peuples, et qu’on retrouve quelquefois gâtés après le retour de l’abondance.

Pendant ce temps, les grains du dehors, qui ne peuvent venir qu’autant qu’il y a du profit à les apporter, ne viennent point. Le vide augmente par la consommation journalière ; les approvisionnements, par lesquels on avait cru soutenir le bas prix, s’épuisent ; le besoin se montre tout à coup dans toute son étendue, et lorsque le temps et les moyens manquent pour y remédier.

C’est alors que les administrateurs, égarés par une inquiétude qui augmente encore celle des peuples, se livrent à des recherches effrayantes dans les maisons des citoyens, se permettent d’attenter à la liberté, à la propriété, à l’honneur des commerçants, des laboureurs, de tous ceux qu’ils soupçonnent de posséder des grains. Le commerce vexé, outragé, dénoncé à la haine du peuple, fuit de plus en plus ; la terreur monte à son comble ; le renchérissement n’a plus de bornes, et toutes les mesures de l’administration sont rompues.

Le gouvernement ne peut donc se réserver le transport et la garde des grains sans compromettre la subsistance et la tranquillité des peuples. C’est par le commerce seul, et par le commerce libre, que l’inégalité des récoltes peut être corrigée.

Le roi doit donc à ses peuples d’honorer, de protéger, d’encourager d’une manière spéciale le commerce des grains, comme le plus nécessaire de tous.

Sa Majesté ayant examiné sous ce point de vue les règlements auxquels ce commerce a été assujetti, et qui, après avoir été abrogés par la déclaration du 25 mai 1763, ont été renouvelés par l’arrêt du 23 décembre 1770, elle a reconnu que ces règlements renferment des dispositions directement contraires au but qu’on aurait dû se proposer ;

Que l’obligation, imposée à ceux qui veulent entreprendre le commerce des grains, de faire inscrire sur les registres de la police leurs noms, surnoms, qualités et demeures, le lieu de leurs magasins et les actes relatifs à leurs entreprises, flétrit et décourage le commerce par la défiance qu’une telle précaution suppose de la part du gouvernement ; par l’appui qu’elle donne aux soupçons injustes du peuple ; surtout, parce qu’elle tend à mettre continuellement la matière de ce commerce, et par conséquent la fortune de ceux qui s’y livrent, sous la main d’une autorité qui semble s’être réservé le droit de les ruiner et de les déshonorer arbitrairement ;

Que ces formalités avilissantes écartent nécessairement de ce commerce tous ceux d’entre les négociants qui, par leur fortune, par l’étendue de leurs combinaisons, par la multiplicité de leurs correspondances, par leurs lumières et l’honnêteté de leur caractère, seraient les seuls propres à procurer une véritable abondance ;

Que la défense de vendre ailleurs que dans les marchés surcharge, sans aucune utilité, les achats et les ventes des frais de voiture au marché, des droits de hallage, magasinage et autres également nuisibles au laboureur qui produit, et au peuple qui consomme ;

Que cette défense, en forçant les vendeurs et les acheteurs à choisir pour leurs opérations les jours et les heures des marchés, peut les rendre tardives, au grand préjudice de ceux qui attendent, avec toute l’impatience du besoin, qu’on leur porte la denrée ;

Qu’enfin, n’étant pas possible de faire dans les marchés aucun achat considérable sans y faire hausser extraordinairement les prix, et sans y produire un vide subit qui, répandant l’alarme, soulève les esprits du peuple ; défendre d’acheter hors des marchés, c’est mettre tout négociant dans l’impossibilité d’acheter une quantité de grains suffisante pour secourir d’une manière efficace les provinces qui sont dans le besoin ; d’où il résulte que cette défense équivaut à une interdiction absolue du transport et de la circulation des grains d’une province à l’autre ;

Qu’ainsi, tandis que l’arrêt du 23 décembre 1770 assurait expressément la liberté du transport de province à province, il y mettait, par ses autres dispositions, un obstacle tellement invincible, que depuis cette époque le commerce a perdu toute activité, et qu’on a été forcé de recourir, pour y suppléer, à des moyens extraordinaires, onéreux à l’État, qui n’ont point rempli leur objet et qui ne peuvent ni ne doivent être continués.

Ces considérations, mûrement pesées, ont déterminé Sa Majesté à remettre en vigueur les principes établis par la Déclaration du 25 mai 1763 ; à délivrer le commerce des grains des formalités et des gênes auxquelles on l’avait depuis assujetti par le renouvellement de quelques anciens règlements ; à rassurer les négociants contre la crainte de voir leurs opérations traversées par des achats faits pour le compte du gouvernement. Elle les invite tous à se livrer à ce commerce ; elle déclare que son intention est de les soutenir par sa protection la plus signalée ; et, pour les encourager d’autant plus à augmenter dans le royaume la masse des subsistances, en y introduisant des grains étrangers, elle leur assure la liberté d’en disposer à leur gré ; elle veut s’interdire à elle-même et à ses Officiers toutes mesures contraires à la liberté et à la propriété de ses sujets, qu’elle défendra toujours contre toute atteinte injuste. Mais, si la Providence permettait que pendant le cours de son règne ses provinces fussent affligées par la disette, elle se promet de ne négliger aucun moyen pour procurer des secours vraiment efficaces à la portion de ses sujets qui souffre le plus des calamités publiques. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc., le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. I. Les art. I et II de la déclaration du 25 Mai 1763 seront exécutés suivant leur forme et teneur : en conséquence, il sera libre à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de faire, ainsi que bon leur semblera, dans l’intérieur du royaume, le commerce des grains et des farines, de les vendre et acheter en quelques lieux que ce soit, même hors des halles et marchés ; de les garder et voiturer à leur gré, sans qu’ils puissent être astreints à aucune formalité ni enregistrement, ni soumis à aucunes prohibitions ou contraintes, sous quelque prétexte que ce puisse être en aucun cas et en aucun lieu du Royaume.

II. Fait Sa Majesté très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, notamment aux Juges de police, à tous ses autres officiers et à ceux des seigneurs, de mettre aucun obstacle à la libre circulation des grains et des farines de province à province ; d’en arrêter le transport sous quelque prétexte que ce soit, comme aussi de contraindre aucun marchand, fermier, laboureur ou autres, de porter des grains ou farines au marché, ou de les empêcher de vendre partout où bon leur semblera.

III. Sa Majesté voulant qu’il ne soit fait à l’avenir aucun achat de grains ni de farines pour son compte, elle fait très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de se dire chargées de faire de semblables achats pour elle et par ses ordres, se réservant, dans les cas de disette, de procurer à la partie indigente de ses sujets les secours que les circonstances exigeront.

IV. Désirant encourager l’introduction des blés étrangers dans ses États et assurer ce secours à ses peuples, Sa Majesté permet à tous ses sujets et aux étrangers qui auront fait entrer des grains dans le royaume d’en faire telles destinations et usages que bon leur semblera, même de les faire ressortir sans payer aucuns droits, en justifiant que les grains sortants sont les mêmes qui ont été apportés de l’étranger ; se réservant au surplus Sa Majesté de donner des marques de sa protection spéciale à ceux de ses sujets qui auront fait venir des blés étrangers dans les lieux du royaume où le besoin s’en serait fait sentir ; n’entendant Sa Majesté statuer quant à présent, et jusqu’à ce que les circonstances soient devenues plus favorables, sur la liberté de la vente hors du royaume ; déroge Sa Majesté à toutes les lois et règlements contraires aux dispositions du présent arrêt, sur lequel seront toutes lettres nécessaires expédiées[1], etc.


Lettres-patentes concernant le commerce des grains dans l’intérieur du royaume. (Données à Fontainebleau le 2 novembre 1774 ; registrées en Parlement le 19 décembre audit an.)

Louis, etc. Occupé de tout ce qui peut intéresser la subsistance de nos peuples, nous avons fait examiner en notre présence les mesures qui avaient été prises sur cet objet important, et nous avons reconnu que les gênes et les entraves que l’on avait mises au commerce des grains, loin de prévenir la cherté et d’assurer des secours aux provinces affligées de la disette, avaient, en obligeant le gouvernement à se substituer au commerce qu’il avait écarté et découragé, concentré l’achat et la vente dans un petit nombre de mains, livré le prix des grains à la volonté et à la disposition de préposés qui les achetaient de deniers qui ne leur appartenaient pas, et fait parvenir la denrée dans les lieux du besoin, à plus grands frais et plus tard que si elle y avait été apportée par le commerce intéressé à réunir la célérité, la vigilance et l’économie. Ces considérations nous ont déterminé à rendre un arrêt en notre Conseil le 13 septembre dernier, dans lequel, après avoir annoncé les principes et développé les motifs qui ont fixé notre décision, nous avons renouvelé l’exécution des art. I et II de la déclaration rendue par le feu roi, notre très-honoré seigneur et aïeul, le 25 mai 1763, et nous y avons ajouté les précautions que nous avons jugées nécessaires pour assurer entre les différentes provinces de notre royaume la liberté de la circulation, qui seule peut assurer la subsistance de toutes. À ces causes…, de l’avis de notre Conseil, qui a vu ledit arrêt du 13 septembre dernier, dont expédition est ci-attachée… Nous avons ordonné, et par ces présentes signées de notre main, ordonnons ce qui suit :

Le dispositif des articles I, II, III et IV de ces lettres-patentes est le même que celui des articles correspondants de l’arrêt du 15 septembre, avec les seuls changements qu’exigeait la forme des lettres-patentes. La clause dérogatoire qui terminait l’article IV de cet arrêt a été détachée dans les lettres-patentes et y forme un article V, auquel on a joint la réserve « de statuer incessamment par d’autres lettres-patentes sur les règlements particuliers à la ville de Paris. »


Arrêt du Conseil d’État, du 14 janvier 1775, qui permet l’introduction des grains nationaux dans la Provence, en passant par le port de Marseille, moyennant l’acquit-à-caution pour le premier bureau par lequel les marchandises entrent dans l’intérieur de ladite province en sortant de la ville de Marseille.

Le roi, en établissant, par l’arrêt rendu en son Conseil le 13 septembre 1774, la liberté du commerce des grains dans l’intérieur du royaume, a eu pour objet d’assurer entre ses différentes provinces la communication nécessaire pour subvenir par l’abondance des unes aux besoins des autres : Sa Majesté ayant cru devoir, par des motifs de prudence, différer de statuer sur la liberté de la vente hors du royaume jusqu’à ce que les circonstances soient devenues plus favorables ; et le port de Marseille ayant toujours été réputé étranger par rapport au commerce, et ayant en conséquence toujours joui de la liberté indéfinie de vendre toutes sortes de grains à l’étranger, il en est résulté, par une conséquence nécessaire, que l’introduction des grains nationaux n’a pu être permise dans la ville de Marseille, puisque les grains, une fois introduits dans ce port, auraient pu sans obstacle être transportés à l’étranger. Mais Sa Majesté est instruite que cette défense, dont l’objet n’a été que d’empêcher les grains nationaux de passer à l’étranger, nuit à l’approvisionnement de plusieurs cantons de l’intérieur de la Provence, qui, étant plus à portée de Marseille que d’aucun autre port, sont privés de la ressource des grains qu’ils pourraient tirer des autres provinces du royaume, ou ne peuvent les recevoir que par des voies longues, détournées et difficiles, et par conséquent en les payant beaucoup plus cher. Cette interdiction du passage des grains du royaume par Marseille empêche les grains de la Provence même, et en particulier du territoire d’Arles, où la récolte a été assez abondante, de parvenir dans les cantons les plus disetteux et même dans la capitale de la province, où le commerce les porterait facilement et ferait diminuer le prix de la denrée si la voie de la circulation par Marseille était ouverte. Ces considérations ont fait penser à Sa Majesté que, si la destination des grains nationaux pour le port de Marseille ne pouvait pas être autorisée sans donner lieu à la sortie des grains hors du royaume, il était néanmoins indispensable, et conforme à la justice qu’elle doit à tous ses sujets, de rendre le passage par cette ville libre aux secours destinés à approvisionner l’intérieur du royaume, et d’établir à cet effet une forme qui, sans donner lieu à la sortie des grains pour l’étranger, pût rendre facile leur introduction par Marseille dans l’intérieur de la Provence. Sa Majesté a reconnu avec satisfaction qu’il était facile de parvenir à ce double but, en ordonnant que les grains expédiés des différents ports du royaume pour Marseille, et destinés pour l’intérieur de la Provence, soient munis d’un acquit-à-caution pour le premier bureau, par lequel les marchandises entrent dans le royaume en sortant de Marseille. À quoi étant nécessaire de pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne :

Qu’il sera libre à toutes personnes de transporter dans l’intérieur de la Provence des grains nationaux, même en les faisant passer par le port de Marseille. Ordonne à cet effet Sa Majesté que les acquits-à-caution qui seront délivrés dans les ports où les grains auront été chargés, seront à la destination du bureau de Septèmes et autres bureaux de l’intérieur de ladite province, et que ceux à qui lesdits acquits-à-caution auront été donnés seront tenus d’introduire dans ladite province et par lesdits bureaux les quantités portées dans leurs chargements et y faire décharger les acquits-à-caution, aux peines portées par l’ordonnance des fermes. Enjoint Sa Majesté aux sieurs intendants et commissaires départis dans les provinces de tenir la main, chacun en droit soi, à l’exécution du présent arrêt, qui sera lu, publié et affiché partout où il appartiendra, etc.


Extrait de l’arrêt du Conseil d’État, du 7 avril 1775, qui casse deux ordonnances des officiers de la sénéchaussée et lieutenants-généraux de police de La Rochelle, des 9 et 10 mars 1775.

Ces officiers avaient ordonné la visite dans les greniers de grains venant de l’étranger, et en avaient suspendu la vente pour une autre visite être faite après quinze jours.

Sa Majesté a reconnu que ces officiers ont excédé le pouvoir qui leur est confié, qu’ils ont même contrevenu aux lois données par Sa Majesté pour accorder au commerce des grains la liberté qui lui est nécessaire.

Que le pouvoir attribué à des juges de police ne s’étend pas jusqu’à faire visiter les grains que l’on garde en magasins ; qu’en aucune occasion, que sous aucun prétexte, ils ne peuvent se permettre d’ordonner de telles visites, parce que des grains gardés dans des magasins ne peuvent jamais nuire au public.

Que c’est au commerçant dont les grains ont souffert dans le trajet quelque dommage, à déterminer s’il doit, ou s’il veut faire les dépenses nécessaires pour le réparer, et la manière et le temps qu’il emploiera pour y parvenir, sans qu’aucun juge de police puisse ni faire visiter ces grains, ni lui fixer un délai pour les remettre dans un meilleur état, ni constater par une procédure qu’il ne les y a pas rétablis ; que l’intérêt du commerce est à cet égard la seule règle qu’il doive suivre ; qu’il peut user de sa chose comme il lui plaît, et qu’aucun juge ne peut violer ce droit de la propriété.

Que la vente même de ces grains ne peut pas être interdite ; qu’elle est souvent nécessaire ; qu’elle ne peut être nuisible.

Que cette vente est souvent nécessaire ; que l’usage, autorisé par l’ordonnance de la marine, est dans le commerce de faire assurer les marchandises que l’on transporte par mer, et même sur les rivières navigables, moyennant une prime d’assurance proportionnée à la valeur de la cargaison, et donnée à des compagnies ou à des particuliers qui, sous le nom d’assureurs, prennent le péril sur eux ; qu’en conséquence les avaries sont à la charge des assureurs, pourvu qu’elles ne proviennent point du vice propre de la chose, et qu’elles arrivent par quelque accident de mer ; mais que, pour que les assurés puissent en exiger le remboursement, il est nécessaire qu’ils prouvent non-seulement qu’il y a une avarie, mais quelle en est l’évaluation ; que, suivant la pratique usitée dans les amirautés du royaume, auxquelles la connaissance des avaries est attribuée privativement à tous autres juges par les articles III et XV du titre II de l’ordonnance de la marine, il y a deux manières de procéder à cette évaluation : ou par experts nommés par le juge de l’amirauté, ou par la vente publique des grains avariés, et d’une partie de ceux qui n’ont souffert aucun dommage, ensuite de laquelle on connaît la différence entre la valeur des uns et des autres grains, et on fixe l’indemnité : qu’ainsi il peut arriver que le juge de l’amirauté ordonne la vente ; qu’il y aurait donc contradiction entre l’ordonnance du juge de l’amirauté et celle du juge de police ; que celle du juge de l’amirauté devrait prévaloir, parce qu’il est seul compétent en cette matière, et que la vente des grains peut être nécessaire et forcée.

Que l’usage reçu dans les places du Nord, d’où sont venus les grains que les juges de police de La Rochelle ont défendu de vendre, rend cette vente encore plus nécessaire ; qu’on n’admet point dans ces places l’évaluation des avaries par expertage ; qu’on y exige qu’elle soit établie par vente publique ; que sans cette formalité, les assureurs avec lesquels le chargeur a traité dans ces places refuseraient de payer l’indemnité ; que tel est l’usage de leurs tribunaux ; qu’ainsi, défendre la vente de ces grains, c’est ôter la réciprocité d’assurances, et par conséquent de commerce entre le royaume et les États étrangers.

Que cette vente est utile : qu’elle l’est aux grains eux-mêmes, parce que les partager par la vente, c’est multiplier le nombre de personnes occupées à les soigner et à les rétablir, en accélérer, en faciliter et en assurer le rétablissement ; elle l’est au peuple, qui, en lavant ces grains et les faisant sécher, ou les mêlant avec d’autres grains, se procure une subsistance convenable et cependant moins chère ; elle l’est au commerçant lui-même, qu’elle exempte des frais de manutention.

Que cette vente ne peut être nuisible ; que ce n’est pas la vente des grains qui peut nuire au peuple : que c’est la fabrication et la vente du pain ; que ce n’est donc que sur la vente et la qualité du pain que doit veiller la police ; que porter les prohibitions jusqu’à la vente des grains, c’est empêcher que les grains les plus détériorés ne puissent être employés à des pûtes, des colles, des poudres néces saires à la société civile ; obliger d’y substituer des grains mieux conservés, et diminuer les subsistances.

Qu’ainsi les juges de police de La Rochelle, par les visites, les défenses, les procédures qu’ils se sont permis d’ordonner, ont excédé leur pouvoir.

Qu’ils ont contrevenu aux lois données par Sa Majesté sur le commerce des grains ; qu’ordonner qu’après quinzaine il serait fait une nouvelle visite de grains venus de l’étranger, c’est obliger le commerçant qui les a reçus à les garder au moins pendant quinzaine, puisqu’il est tenu de les représenter, à l’expiration de ce délai, aux experts chargés de les visiter ; qu’ainsi le commerçant ne peut ni les faire ressortir, ni en disposer ; que néanmoins les lettres-patentes données par Sa Majesté le 2 novembre 1774 ordonnent, article IV, qu’il sera permis à tous ses sujets, et aux étrangers qui auront fait entrer des grains dans le royaume, d’en faire telles destinations et usages que bon leur semblera ; même de les faire ressortir sans payer aucuns droits, en justifiant que les grains sortants sont les mêmes qui ont été apportés de l’étranger ; que les juges de police de La Rochelle ont donc contrevenu aux lettres-patentes de Sa Majesté.

Que les ordonnances rendues par ces juges de police sont encore contraires aux vues que Sa Majesté s’est proposées dans ses lettres-patentes ; elle a cherché à y encourager le commerce, à l’exciter à apporter des grains dans le royaume ; et que ces ordonnances tendraient à le repousser et à le détourner : qu’en conséquence de la pleine et entière liberté que Sa Majesté lui a accordée, plusieurs négociants ont envoyé des grains étrangers dans le royaume, notamment à Marseille, Bordeaux, La Rochelle et Nantes ; que toutes ces importations utiles, même nécessaires, cesseraient ; que le commerce, qui, lorsqu’il a souffert quelque perte par des accidents de la mer, mérite, par cette considération, d’être encore plus affranchi de toute inquiétude, fuirait des lieux où ses malheurs mêmes l’exposeraient à des visites, à des inhibitions, à des procédures ; que Sa Majesté doit au maintien de son autorité, au bien de ses peuples, à la sûreté de la subsistance de son royaume, de réprimer des entreprises si nuisibles, et de marquer aux négociants qui font venir des grains étrangers la protection qu’elle leur a accordée et qu’elle est résolue de leur conserver dans toutes les occasions. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil,

A cassé et casse les ordonnances rendues par les officiers de la sénéchaussée de La Rochelle, lieutenants-généraux de police, les 9 et 10 mars dernier ; fait défense auxdits officiers, et à tous autres juges de police, d’en rendre de pareilles à l’avenir ; ordonne Sa Majesté que les lettres-patentes du 2 novembre 1774 seront exécutées selon leur forme et teneur ; en conséquence, fait défense à toutes personnes, et notamment à tous juges de police, d’empêcher les négociants qui auront fait entrer des grains dans le royaume d’en faire telles destinations et usages que bon leur semblera, même de les faire ressortir sans payer aucuns droits, en justifiant devant les préposés des fermes que les grains sortants sont les mêmes que ceux qui ont été apportés de l’étranger : leur fait pareillement défense d’ordonner des visites dans les greniers et magasins des négociants ; se réservant Sa Majesté de statuer sur les dommages et intérêts qui peuvent ou pourront être dus, par lesdits juges de police, aux négociants à qui lesdits grains appartiennent, etc.


Arrêt du Conseil d’État, du 22 avril 1775, qui suspend, à Dijon, Beaune, Saint-Jean-de-Lône et Montbard, la perception des droits sur les grains et farines, tant à l’entrée desdites villes que sur les marchés.

Le roi, occupé des moyens d’empêcher que les grains nécessaires à la subsistance de ses peuples ne s’élèvent au-dessus du prix juste et naturel qu’ils doivent avoir suivant les variétés des saisons et l’état des récoltes, a établi, par son arrêt du 13 septembre 1714 et par les lettres-patentes du 2 novembre dernier, la liberté du commerce, qui seule peut, par son activité, procurer des grains dans les cantons où se feraient sentir les besoins, et prévenir par la concurrence tout renchérissement excessif : dans les mêmes vues, Sa Majesté a défendu tout approvisionnement fait par son autorité, et par les soins des corps municipaux ou de tous autres corps chargés d’une administration publique, parce que ces approvisionnements, loin de faire baisser les prix, ne servent qu’à les augmenter ; et qu’en écartant le commerce, ils privent les lieux pour lesquels ils sont faits, des secours beaucoup plus grands qu’il y aurait apportés, et pallient les besoins sans amener l’abondance.

Mais Sa Majesté a reconnu que, quoique les mesures qu’elle a prises soient les seules qui puissent procurer avec efficacité, avec justice, dans tous les temps, dans toutes les circonstances, le bien de ses peuples, leur effet est arrêté par des obstacles que la circulation des grains éprouve encore dans différents lieux du royaume ; que les droits établis sur ces denrées à l’entrée de plusieurs villes et dans les marchés les y rendent plus rares et par conséquent plus chers ; que le marchand doit trouver dans le produit de la vente de ses grains le payement du droit ; qu’il est donc obligé d’en demander un plus haut prix, et qu’ainsi le droit lui-même opère un renchérissement ; mais qu’une cherté encore plus grande naît de l’effet que ce droit produit sur le commerce, en l’écartant et le détournant ; que le commerce évite des lieux où il serait obligé de payer des droits, et porte par préférence à ceux qui en sont exempts ; qu’il craint même l’inquiétude de la perception ; qu’ainsi il ne se détermine à venir dans les lieux sujets à des droits, que lorsqu’il y est appelé par la plus grande cherté ; qu’il n’y apporte même ses denrées que successivement par parcelles, et toujours au-dessous du besoin, dans la crainte que les grains restant invendus, ou la cherté venant à diminuer, le payement des droits ne demeure à sa charge et ne l’expose à des pertes ; de sorte que l’établissement seul du droit occasionne le renchérissement, et éloigne l’abondance qui le ferait cesser.

La circulation ne pourra donc être établie avec égalité, avec continuité dans tous les lieux du royaume, que lorsque Sa Majesté aura pu affranchir ses peuples de droits si nuisibles à sa subsistance ; elle se propose de leur donner cette marque de son affection ; mais en attendant qu’elle puisse accorder ce bienfait à tout son royaume, elle se détermine à en faire, dans le moment, jouir les lieux où des circonstances particulières exigent d’accélérer cette exemption.

En suspendant la perception de ces droits, Sa Majesté n’entend pas préjudicier à la propriété de ceux à qui ils appartiennent : elle veut leur assurer une pleine indemnité et prendre les mesures nécessaires pour en fixer le payement ; à quoi étant nécessaire de pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, ordonne :

Qu’à compter du jour de la publication du présent arrêt, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, la perception de tous droits sur les grains et farines, tant à l’entrée de la ville que sur les marchés, soit à titre d’octrois, ou sous la dénomination de minage, aunage, hallage et autres quelconques, sera et demeurera suspendue dans les villes de Dijon, Beaune, Saint-Jean-de-Lône et Montbard ; fait défense à toutes personnes de les exiger, même de les recevoir, quoiqu’ils fussent volontairement offerts, aux peines qu’il appartiendra, à la charge néanmoins de l’indemnité qui pourra être due aux propriétaires ou aux fermiers desdits droits pour le temps qu’ils auront cessé d’en jouir, ou du remboursement du principal auquel lesdits droits auront été évalués, ensemble des intérêts, si Sa Majesté se détermine à en ordonner la suppression. Fait Sa Majesté très-expresses inhibitions et défenses, aux propriétaires et fermiers desdits droits, d’exiger de ceux qui introduiront des grains et des farines dans lesdites villes, ou qui les apporteront aux marchés, aucune déclaration de leurs denrées, ni les assujettir à aucunes formalités, sous quelque prétexte que ce puisse être, même à cause de l’indemnité ci-dessus ordonnée, laquelle sera fixée sur leurs baux et tous autres renseignements servant à constater le produit annuel du droit. Autorise Sa Majesté le sieur intendant et commissaire départi dans la province de Bourgogne à ordonner ladite suspension dans toutes les autres villes et lieux de ladite province où il le jugera nécessaire ou utile à la liberté du commerce et à l’approvisionnement des peuples.


Extrait de l’arrêt du Conseil d’État, du 25 avril 1775, qui accorde des gratifications à ceux qui font venir des grains de l’étranger.

Le roi, occupé des moyens d’exciter et d’encourager le commerce, qui seul peut, par sa concurrence et son activité, procurer le prix juste et naturel que doivent avoir les subsistances suivant la variation des saisons et l’étendue des besoins, a reconnu que, si la dernière récolte a donné suffisamment des grains pour l’approvisionnement des provinces de son royaume, sa médiocrité empêche qu’il n’y ait du superflu, et que tous les grains étant nécessaires pour subvenir aux besoins, les prix pourraient éprouver encore quelque augmentation, si la concurrence des grains de l’étranger ne vient l’arrêter ; mais que la dernière récolte n’ayant point répondu, dans les autres parties de l’Europe, aux espérances qu’elle avait données, les grains y ont été généralement chers, même dans les premiers moments après la récolte ; qu’ainsi le commerce n’a pu alors en apporter, si ce n’est dans les provinces du royaume qui, ayant manifesté promptement des besoins, ont éprouvé dans ces moments même un renchérissement ; et qu’il a négligé les autres provinces, parce que les prix s’y étant soutenus sur la fin de l’année dernière et dans les premiers mois de celle-ci à un taux assez modique, il aurait essuyé de la perte en y faisant venir des grains qui étaient plus chers ; que lorsque, par la variation des saisons et les progrès naturels de la consommation, les prix ont augmenté dans ces provinces, ils ont également, et par les mêmes causes, éprouvé une augmentation dans les places étrangères ; que, dans la plupart d’entre elles, ils sont actuellement plus chers que dans le royaume, et que dans celles où ils ont le moins renchéri, il n’y a point une assez grande différence entre le prix de ces places et celui qui a lieu dans les principales villes du royaume, pour assurer au commerce des bénéfices suffisants ; qu’en conséquence il paraît nécessaire dd l’exciter, en lui offrant une gratification qui rétablisse la proportion entre les avances qu’il doit faire pour se procurer des grains de l’étranger, et le produit qu’il en peut espérer par la vente dans le royaume.

Que Sa Majesté ne doit pas se borner à attirer des grains de l’étranger dans les ports, qu’elle doit exciter à les introduire dans l’intérieur, principalement dans les villes dont la consommation excessive se prend sur les provinces voisines, et y porte le renchérissement ; que Paris et Lyon sont, dans les circonstances actuelles, les seules villes principales qui, n’étant pas pourvues de grains étrangers, doivent tirer des provinces une subsistance qui les dégarnit ; que, si des denrées étrangères affluent dans ces villes, l’augmentation du prix doit naturellement cesser dans les pays qui subviennent à leurs besoins.

Mais que, pour animer ces importations, il est nécessaire de maintenir le commerce dans toute la sûreté et la liberté dont il doit jouir, et d’assurer de toute la protection de Sa Majesté les négociants français ou étrangers qui se livreront à ces spéculations utiles.

Sa Majesté, en prenant ainsi des mesures pour augmenter les subsistances dans son royaume, ne néglige point de procurer à ses peuples les moyens d’atteindre à la cherté actuelle que la médiocrité de la dernière récolte rend inévitable : elle multiplie, dans tous les pays où les besoins se font ressentir, les travaux publics > elle a établi, dans plusieurs paroisses de la ville de Paris, des ouvrages en filature, en tricot, et en tous les autres genres auxquels est propre le plus grand nombre de sujets, et elle donne des ordres pour étendre ces ouvrages dans toutes les paroisses. À tous ces travaux, soit à Paris ou dans les provinces, sont admis même les femmes et les enfants ; de sorte qu’ils servent à occuper ceux qui sont le moins accoutumés à trouver du travail et à gagner des salaires, et qu’en offrant un profit et des salaires à toutes les personnes qui composent chaque famille, les ressources se trouvent distribuées à proportion des besoins.

C’est en excitant ainsi les importations par la certitude de la liberté, l’attrait des gratifications et l’assurance de sa protection, et en multipliant les travaux publics de tout genre dans les lieux où il est nécessaire, que Sa Majesté se propose d’augmenter la quantité de subsistances dans son royaume, et d’assurer à ses peuples les moyens d’atteindre au prix auquel elles ont pu monter. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. I. L’arrêt du Conseil du 13 septembre 1774, et les lettres-patentes du 2 novembre dernier, seront exécutés selon leur forme et teneur ; en conséquence fait Sa Majesté très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, notamment aux juges de police, à tous ses officiers et à ceux des seigneurs, de mettre aucun obstacle à la libre circulation des grains et farines de province à province, sous quelque prétexte que ce soit. Enjoint à tous commandants, officiers de maréchaussée et autres, de prêter mainforte toutes les fois qu’ils en seront requis pour l’exécution desdites lettres-patentes, d’arrêter même les contrevenants et de procéder contre eux, pour être punis suivant les lois et les ordonnances du royaume.

II. Il sera payé à tous les négociants français ou étrangers qui, à compter du 15 du mois de mai jusqu’au 1er août de la présente année, feront venir des grains de l’étranger dans le royaume une gratification de 18 sous par quintal de froment et de 12 sous par quintal de seigle ; lesquelles gratifications seront payées par les receveurs des droits des fermes, dans les ports où les grains seront arrivés, sur les déclarations fournies par les capitaines de navire, qui seront tenus d’y joindre les certificats des magistrats des lieux où l’embarquement aura été fait, pour constater que lesdits grains auront été chargés à l’étranger, ensemble copie dûment certifiée des connaissements ; et seront lesdites déclarations vérifiées dans la même forme que pour le payement des droits de Sa Majesté.

III. Il sera tenu compte à l’adjudicataire des fermes du roi, sur le prix de son bail, du montant des sommes qu’il justifiera avoir été payées pour raison desdites gratifications.

IV. Il sera payé à tous ceux qui, dans l’époque ci-dessus énoncée, feront venir, soit directement de l’étranger, ou de quelque port du royaume, des grains étrangers dans les villes de Paris et de Lyon, une gratification, savoir : pour Paris, de 20 sous par quintal de froment et de 12 sous par quintal de seigle, et pour Lyon, de 25 sous par quintal de froment et de 15 sous par quintal de seigle, outre et par-dessus la gratification qui sera due et aura été payée dans les ports pour l’importation desdits grains dans le royaume, supposé qu’ils y soient arrivés dans l’époque prescrite par l’article II ci-dessus.

Les art. V et VI prescrivent les formalités nécessaires pour constater l’entrée des grains étrangers à Paris et à Lyon.

VII. Ne pourront les propriétaires des grains étrangers introduits dans le royaume, ou leurs commissionnaires, après avoir reçu les gratifications énoncées dans l’article II ci-dessus, les faire ressortir, soit pour l’étranger, soit pour un autre port du royaume, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées, sans avoir restitué auparavant ladite gratification, sauf à la recevoir de nouveau dans le port du royaume où lesdits grains seront introduits en dernier lieu, pourvu néanmoins qu’ils y rentrent dans l’époque ci-dessus prescrite.

VIII. Tous navires français ou étrangers chargés de grains, et introduits {{g|dans les ports du royaume, seront exempts du droit de fret jusqu’au 1er août prochain, de quelque nation qu’ils soient, et dans quelque port qu’ils aient été chargés. Enjoint Sa Majesté aux sieurs intendants et commissaires départis dans les provinces, et à tous autres chargés de l’exécution de ses ordres, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, qui sera imprimé, lu, publié et affiché partout où besoin sera, etc.


Arrêt du Conseil d’État, du 30 avril 1775, qui suspend la perception du droit de minage dans la ville de Pontoise.

Le roi, étant informé que le droit de minage qui se lève à Pontoise détourne le commerce d’y apporter des grains, et en conséquence les y fait renchérir, non-seulement à cause du droit lui-même que le marchand doit retrouver sur le prix des denrées, mais à cause de leur rareté, qu’il y occasionne ; que même les propriétaires du minage et leurs fermiers, voulant donner à ce droit une extension qui est contraire à sa nature et à son institution, prétendent le percevoir, non-seulement dans le marché, mais sur les ports, dans les greniers, maisons, moulins et autres lieux ; de sorte que les grains écartés du marché par la crainte du droit, le sont encore de toute la ville : Sa Majesté, pour prévenir cet inconvénient, a, par arrêt du 20 mars dernier, évoqué à elle et à son Conseil toutes les contestations nées et à naître concernant ledit droit de minage et tous marchands de blé ; mais elle a reconnu que ces mesures ne produisaient pas l’effet qu’elle s’était proposé ; que ces contestations se renouvellent tous les jours, et que les laboureurs, et autres propriétaires de grains, pour éviter l’inquiétude que leur font essuyer les préposés à la perception de ce droit, et s’exempter de la nécessité de suivre un procès, préfèrent de le payer, lors même qu’ils vendent hors du marché, et prennent la résolution d’abandonner ensuite le marché et la ville de Pontoise, et de cesser d’y apporter des grains. À quoi étant nécessaire de pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, ordonne :

Qu’à compter du jour de la publication du présent arrêt jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, la perception du droit de minage sera et demeurera suspendue dans la ville de Pontoise ; fait défenses à toutes personnes de l’exiger, même de le recevoir quoiqu’il fût volontairement offert, aux peines qu’il appartiendra ; à la charge néanmoins de l’indemnité qui pourra être due au propriétaire ou au fermier dudit droit pour le temps qu’il aura cessé d’en jouir, ou du remboursement du principal auquel ledit droit aura été évalué, ensemble des intérêts, si Sa Majesté se détermine à en ordonner la suppression. Fait Sa Majesté très-expresses inhibitions et défenses au propriétaire et au fermier dudit droit d’exiger de ceux qui apporteront ou introduiront des grains ou des farines dans la ville de Pontoise, soit au marché ou ailleurs, aucune déclaration de leurs denrées, ni de les assujettir à aucunes formalités, sous quelque prétexte que ce puisse être, même à cause de l’indemnité ci dessus ordonnée, laquelle sera fixée sur leurs baux et tous autres renseignements servant à constater le produit annuel du droit, etc.


Proclamation du roi, qui ordonne que les brigands attroupés pour piller les maisons et les magasins des meuniers, des boulangers et des laboureurs, seront jugés par les prévôts-généraux des maréchaussées. (Donnée à Versailles le 5 mai 1775 ; registrée en Parlement, le roi tenant son lit de justice, lesdits jour et an[2].)

Louis, etc. Nous sommes informé que depuis plusieurs jours des brigands attroupés se répandent dans les campagnes pour piller les moulins et les maisons des laboureurs ; — Que ces brigands se sont introduits les jours de marché dans les villes, et même dans celle de Versailles et dans notre bonne ville de Paris ; qu’ils y ont pillé les halles, forcé les maisons des boulangers, et volé les blés, les farines et le pain destinés à la subsistance des habitants desdites villes et de notre bonne ville de Paris ; — Qu’ils insultent même sur les grandes routes ceux qui portent des blés ou des farines ; qu’ils crèvent les sacs, maltraitent les conducteurs des voitures, pillent les bateaux sur les rivières, tiennent des discours séditieux, afin de soulever les habitants des lieux où ils exercent leurs brigandages, et de les engager à se joindre à eux ; que ces brigandages, commis dans une grande étendue de pays, aux environs de notre bonne ville de Paris, et dans notre bonne ville même, le mercredi 3 de ce mois et jours suivants, doivent être réprimés, arrêtés et punis, afin d’en imposer à ceux qui échapperont à la punition, ou qui seraient capables d’augmenter le désordre. Les peines ne doivent être infligées que dans les formes prescrites par nos ordonnances ; mais il est nécessaire que les exemples soient faits avec célérité ; c’est dans cette vue que les rois nos prédécesseurs ont établi la juridiction prévôtale, laquelle est principalement destinée à établir la sûreté des grandes routes, à réprimer les émotions populaires et à connaître des excès et violences commis à force ouverte. À ces causes et autres, à ce nous mouvant ; de l’avis de notre Conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par ces présentes signées de notre main, dit, déclaré et ordonné ; disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît :

Que, tant dans notre bonne ville de Paris, que dans toutes les autres villes et lieux où ont été commis lesdits excès, comme dans ceux où l’on en commettrait de pareils, les personnes qui ont été jusqu’à présent, ou seront à l’avenir arrêtées, seront remises aux prévôts-généraux de nos maréchaussées, pour leur procès leur être fait et parfait en dernier ressort, ainsi qu’à leurs complices, fauteurs, participes et adhérents, par lesdits prévôts-généraux et leurs lieutenants, assistés par les officiers de nos présidiaux, ou autres assesseurs appelés à leur défaut ; et les jugements rendus sur leurs procès, exécutés conformément aux ordonnances : Voulons et ordonnons, à cet effet, que les procédures encommencées soient portées au greffe desdits prévôts ou leurs lieutenants. Faisons défenses à nos cours de parlement et à nos autres juges d’en connaître, nonobstant toutes ordonnances et autres choses à ce contraires, auxquelles nous avons, en tant que de besoin, dérogé ; et tous arrêts qui auraient pu être rendus, que nous voulons être regardés comme non avenus. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre cour de parlement à Paris, que ces présentes ils aient à faire lire, publier, enregistrer ; et le contenu en icelles, garder, observer et exécuter selon leur forme et teneur : car tel est notre bon plaisir ; en témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites présentes. Donné à Versailles, le cinquième jour du mois de mai, l’an de grâce 1775, et de notre règne le premier. Signé Louis. Et plus bas : par le roi, signé Phélypeaux. Et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registrée, du très-exprès commandement du roi, ouï et ce requérant le procureur-général du roi, pour être exécutée selon sa forme et teneur ; et copie collalionnée envoyée aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et registrée : enjoint aux substituts du procureur-général du roi d’y tenir la main, et d’en certifier la Cour au mois. Fait à Versailles, le roi séant en son lit de justice, le cinq mai mil sept cent soixante-quinze. Signé Le Bret.


Arrêt du Conseil d’État, du 8 mai 1775, qui accorde des gratifications à ceux qui font venir des grains de l’étranger, dans les provinces d’Alsace, de Lorraine et des Trois-Évêchés.

Le roi ayant, par son arrêt du 24 avril dernier, accordé différentes gratifications à ceux qui feraient venir des grains étrangers dans les différents ports du royaume, et Sa Majesté ayant reconnu qu’il était utile d’en étendre les dispositions aux grains qui souvent arrivent des pays étrangers par terre, dans quelques-unes des provinces de son royaume, qui sont dans le cas d’en avoir le plus de besoin, et singulièrement dans ses provinces d’Alsace et de Lorraine ; ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. 1. Il sera payé à tous les négociants français ou étrangers qui, à compter du 15 mai prochain jusqu’au 1er août de la présente année, feront venir des grains de l’étranger, par terre, dans ses provinces d’Alsace et de Lorraine, et des Trois-Évêchés, 15 sous par quintal de froment et 12 sous par quintal de seigle ; lesquelles gratifications seront payées par les receveurs des fermes, dans les villes frontières de l’Alsace et de la Lorraine et des Trois-Évêchés, où les grains seront arrivés, sur les déclarations fournies par les négociants ou les voituriers, qui seront tenus d’y joindre les certificats des magistrats des lieux où le chargement aura été fait, pour constater que lesdits grains ont été chargés en pays étrangers, ensemble copie dûment certifiée des factures ; et seront lesdites déclarations vérifiées dans la même forme que pour le payement des droits de Sa Majesté.

II. Il sera tenu compte à l’adjudicataire des fermes du roi, sur le prix de son bail, du montant des sommes qu’il justifiera avoir été payées pour raison desdites gratifications.

III. Il sera payé, par quintal de farine de froment introduite dans lesdites provinces d’Alsace et de Lorraine, et des Trois-Évêchés, par terre, 18 sous, et 15 sous par quintal de farine de seigle.

IV. Ne pourront les propriétaires des grains étrangers introduits dans le royaume, ou leurs commissionnaires, après avoir reçu les gratifications portées aux articles I et III ci-dessus, les faire ressortir pour l’étranger, ni par eux-mêmes ni par personnes interposées, sans avoir restitué auparavant lesdites gratifications, sauf à les recevoir de nouveau dans une autre province où les grains seraient introduits, pourvu néanmoins qu’ils y rentrent dans l’époque ci-dessus prescrite.


Lettre du roi aux archevêques et évêques de son royaume. (10 mai 1775.)

Monsieur, vous êtes instruit du brigandage inouï qui s’est exercé sur les blés autour de la capitale, et presque sous mes yeux à Versailles, et qui semble menacer plusieurs provinces du royaume. S’il vient à s’approcher de votre diocèse ou à s’y introduire, je ne doute pas que vous n’y opposiez tous les obstacles que votre zèle, votre attachement à ma personne, et plus encore la religion sainte dont vous êtes le ministre, sauront vous suggérer. Le maintien de l’ordre public est une loi de l’évangile comme une loi de l’État, et tout ce qui le trouble est également criminel devant Dieu et devant les hommes.

J’ai pensé que, dans cette circonstance, il pourrait être utile que les curés de mon royaume fussent instruits des principes et des effets de ces émeutes, et c’est dans cette vue que j’ai fait dresser pour eux l’instruction que je vous envoie, et que vous aurez soin d’adresser à ceux de votre diocèse. Les connaissances qu’elle renferme, mises par eux sous les yeux des peuples, pourront les préserver de la sédition, et les empêcher d’en être les complices ou les victimes.

Je compte que vous y joindrez de votre part toutes les instructions que les circonstances vous feront juger nécessaires. Je suis bien persuadé que je n’ai rien à prescrire à votre zèle ; mais si le désir de m’être agréable peut l’accroître, soyez sûr qu’on ne peut mieux me servir et me plaire qu’en préservant les peuples de tout malheur, et par-dessus tout de celui d’être coupables dans un moment où, pour leur intérêt même, il ne me serait pas permis d’user d’indulgence. La présente n’étant à autre fin, je prie Dieu, monsieur, qu’il vous ait en sa sainte garde. Écrit à Versailles, le 9 mai 1775.


Instruction, envoyée par ordre de Sa Majesté à tous les curés de son royaume, et jointe à la lettre précédente.

Sa Majesté a ordonné que les brigandages qui dévastent ou menacent plusieurs provinces de son royaume fussent réprimés par des punitions promptes et sévères. Mais, si elle a été forcée d’y avoir recours pour diminuer le nombre des coupables et en arrêter les excès, elle est encore plus occupée d’empêcher qu’aucun de ses sujets ne le devienne, et si elle peut y parvenir, le succès de ses soins sera d’autant plus consolant pour elle, qu’elle est plus vivement affligée des mesures rigoureuses que les circonstances ne lui permettent pas de négliger.

C’est dans cette vue que Sa Majesté a jugé à propos de faire adressera présente instruction aux curés de son royaume.

Elle a déjà éprouvé l’utile influence de plusieurs d’entre eux, dans des paroisses dont quelques habitants, entraînés à la révolte par des impressions étrangères, mais ramenés par les exhortations de leurs pasteurs à leur devoir et à leur véritable intérêt, se sont empressés de remettre eux-mêmes les denrées qu’ils avaient enlevées, et de porter aux pieds des autels le repentir de leurs fautes, et des prières ferventes pour le roi, dont on avait osé, pour les séduire, insulter et rendre suspecte la bonté.

Sa Majesté se promet le même zèle des autres curés de son royaume. La confiance des peuples est le prix naturel de leur tendresse, de leur affection et de leurs soins ; et, lorsqu’aux vérités saintes de la religion, qui proscrit tout trouble dans l’ordre public, et toute usurpation du bien d’autrui, ils joindront la terreur des peines imposées par les lois civiles contre le vol et la sédition, des avis salutaires sur les dangers et les malheurs du brigandage, et surtout les assurances de la bonté du roi, qui n’est occupé que du bonheur de ses sujets ; Sa Majesté a lieu d’espérer que les peuples seront garantis des voies odieuses qu’on emploie pour les tromper, et qu’ils sauront se préserver également du crime de la sédition et du malheur d’en être les victimes.

Pour que les curés soient plus à portée de faire valoir ces utiles réflexions, il est nécessaire qu’ils soient instruits des principes et des suites de la sédition, dont les habitants de leurs paroisses ont à se préserver et à se défendre.

Elle n’est point occasionnée par la rareté réelle des blés ; ils ont toujours été en quantité suffisante dans les marchés, et pareillement dans les provinces qui ont été les premières exposées au pillage.

Elle n’est pas non plus produite par l’excès de la misère : on a vu la denrée portée à des prix plus élevés, sans que le moindre murmure se soit fait entendre ; et les secours que Sa Majesté a fait répandre, les ateliers qu’elle a fait ouvrir dans les proviences, ceux qui sont entretenus dans la capitale, ont diminué la cherté pour les pauvres, en leur fournissant les moyens de gagner des salaires et d’atteindre le prix du pain.

Le brigandage a été excité par des hommes étrangers aux paroisses qu’ils venaient dévaster : tantôt ces hommes pervers, uniquement occupés d’émouvoir les esprits, ne voulaient pas, même pour leur compte, des blés dont ils occasionnaient le pillage ; tantôt ils les enlevaient à leur profit, sans doute pour les revendre un jour, et satisfaire ainsi leur avidité.

On les a vus quelquefois affecter de payer la denrée à vil prix, mais en acheter une quantité si considérable, que l’argent qu’ils y employaient prouvait qu’ils n’étaient poussés ni par la misère présente, ni par la crainte de l’éprouver.

Ce qu’il y a de plus déplorable, est que ces furieux ont porté la rage jusqu’à détruire ce qu’ils avaient pillé. Il y a eu des grains et des farines jetés dans la rivière.

La scélératesse a été poussée jusqu’à brûler des granges pleines de blés et des fermes entières. Il semble que le but de ce complot ait été de produire une véritable famine dans les provinces qui environnent Paris, et dans Paris même, pour porter les peuples, par le besoin et le désespoir, aux derniers excès.

Le moyen employé par ces ennemis du peuple a été de l’exciter partout au pillage, en affectant de paraître ses défenseurs. Pour les séduire, les uns ont osé supposer que les vues du roi étaient peu favorables au bien de ses peuples, comme s’il avait jamais séparé son bonheur de celui de ses sujets, et comme s’il pouvait avoir d’autre pensée que celle de les rendre heureux.

Les autres, affectant plus de respect, mais non moins dangereux, n’ont pas craint de répandre que le roi approuvait leur conduite, et voulait que le prix des blés fût baissé, comme si Sa Majesté avait le pouvoir et le moyen de baisser à son gré le prix des denrées, et que ce prix ne fût pas entièrement dépendant de leur rareté ou de leur abondance.

Un de leurs artifices les plus adroits a été de semer la division entre les différentes classes de citoyens, et d’accuser le gouvernement de favoriser les riches aux dépens des pauvres : tandis qu’au contraire il a eu pour but principal d’assurer une production plus grande, des transports plus faciles, des provisions plus abondantes ; et, par ces divers moyens, d’empêcher tout à la fois la disette de la denrée, et les variations excessives dans les prix, qui sont les seules causes de la misère.

Projets destructeurs supposés au gouvernement, fausses inquiétudes malignement exagérées, profanation des noms les plus respectables, tout a été employé par ces hommes méchants pour servir leurs passions et leurs projets ; et une multitude aveugle s’est laissé séduire et tromper : elle a douté de la bonté du roi, de sa vigilance et de ses soins, et par ses doutes elle a pensé rendre ces soins inutiles, et tous les remèdes vains et sans effet.

Les fermes que le brigandage a pillées, les magasins qu’il a dévastés, étaient une ressource toute prête pour les temps difficiles, et assuraient les moyens de subsister jusqu’à la récolte.

Si l’on continue de priver l’État de cette ressource, de piller les Voitures sur les chemins, de dévaster les marchés, comment se flatter qu’ils seront garnis, que les grains n’enchériront pas davantage, que la denrée, dissipée, interceptée et arrêtée de toutes parts, ne finira pas par manquer aux besoins ? Si les blés sont montés à des prix trop élevés, ce n’est pas en les dissipant, en les pillant, en les enlevant à la subsistance des peuples, qu’on les rendra moins chers et plus communs.

L’abondance passagère d’un moment, obtenue par de tels moyens, serait le présage certain d’une disette prochaine, et qu’on tenterait alors en vain d’éviter.

Ce sont ces vérités qu’il est nécessaire que les curés fassent comprendre aux peuples pour leur propre intérêt : le pillage amène les maux que feignent de craindre ceux qui l’inspirent et le conseillent, et un petit nombre de gens malintentionnés profitent du désordre, tandis que ceux qu’ils ont séduits en demeurent les victimes.

Des pasteurs n’ont pas besoin d’être avertis de faire remarquer aux peuples que toute usurpation de la denrée, même en la payant, lorsque c’est à un prix inférieur à Sa valeur, est un vol véritable, réprouvé par les lois divines et humaines, que nulle excuse ne peut colorer, que nul prétexte ne peut dispenser de restituer en entier au véritable maître de la chose usurpée. Ils feront sentir, à ceux qui pourraient être dans l’illusion, que le prix des blés ne peut malheureusement être proportionné qu’à la plus ou moins grande abondance des récoltes ; que la sagesse du gouvernement peut rendre les chertés moins rigoureuses, en facilitant l’importation des blés étrangers, en procurant la libre circulation des blés nationaux, en mettant, par la facilité du transport et des ventes, la subsistance plus près du besoin, en donnant aux malheureux, en multipliant pour eux toutes les ressources d’une charité industrieuse ; mais que toutes ces précautions, qui n’ont jamais été prises plus abondamment que depuis le règne de Sa Majesté, ne peuvent empêcher qu’il n’y ait des chertés ; qu’elles sont aussi inévitables que les grêles, les intempéries, les temps pluvieux ou trop secs qui les produisent ; que la crainte et la méfiance des peuples contribuent à les augmenter, et qu’elles deviendraient excessives, si, le commerce se trouvant arrêté par les émeutes, les communications devenant difficiles, les laboureurs étant découragés, la denrée ne pouvait plus être apportée à ceux qui la consomment.

Il n’est point de bien que Sa Majesté ne soit dans l’intention de procurer à ses sujets : si tous les soulagements ne peuvent leur être accordés en même temps, s’il est des maux qui, comme la cherté, suite nécessaire des mauvaises récoltes, ne sont pas soumis au pouvoir du roi, Sa Majesté en est aussi affectée que ses peuples ; mais quelle défiance ne doivent-ils pas avoir de ces hommes malintentionnés, qui, pour les émouvoir, se plaisent à exagérer leur malheur, par les moyens mêmes qu’ils leur indiquent pour les diminuer !

Sa Majesté compte que tous les curés des paroisses où cette espèce d’hommes chercheraient à s’introduire, préviendront avec soin les habitants contre leurs fatales suggestions.

Des troupes sont déjà disposées pour assurer la tranquillité des marchés et le transport des grains. Les habitants doivent seconder leur activité, et se joindre à elles pour repousser la sédition qui viendrait troubler leurs foyers, et accroître leur misère, sous prétexte de la soulager.

Lorsque le peuple connaîtra quels en sont les auteurs[3], il les verra avec horreur, loin d’avoir en eux aucune confiance ; lorsqu’il en connaîtra les suites, il les craindra plus que la disette même.

Les sublimes préceptes de la religion, exposés en même temps par les curés, assureront le maintien de l’ordre et de la justice. En exerçant ainsi leur ministère, ils concourront aux vues bienfaisantes de Sa Majesté ; elle leur saura gré de leurs succès et de leurs soins. Le plus sûr moyen de mériter ses bontés, est de partager son affection pour ses peuples, et de travailler à leur bonheur.


Ordonnance pour la répression des attroupements. (11 mai 1775.)

De par le roi,

Il est ordonné que toutes personnes, de quelque qualité qu’elles soient, qui étant entrées dans des attroupements, par séduction ou par l’effet de l’exemple des principaux séditieux, s’en sépareront d’abord après la publication du présent ban et ordonnance de Sa Majesté, ne pourront être arrêtées, poursuivies ni punies pour raison des attroupements, pourvu qu’elles rentrent sur-le-champ dans leurs paroisses, et qu’elles restituent en nature ou en argent, suivant la véritable valeur, les grains, farines ou pain qu’elles ont pillés ou qu’elles se sont fait donner au-dessous du prix courant.

Les seuls chefs et instigateurs de la sédition sont exceptés de la grâce portée dans la présente ordonnance.

Ceux qui, après la publication du présent ban et ordonnance de Sa Majesté, continueront de s’attrouper, encourront la peine de mort, et seront les contrevenants arrêtés et jugés prévôtalement sur-le-champ.

Tous ceux qui dorénavant quitteront leurs paroisses sans être munis d’une attestation de bonnes vie et mœurs, signée de leur curé et du syndic de leur communauté, seront poursuivis et jugés prévôtalement comme vagabonds, suivant la rigueur des ordonnances.

Donnée à Versailles, le 11 mai 1775. Signé Louis. Et plus bas, Phélypeaux.


Arrêt du Conseil d’État, du 2 juin 1775, portant suspension du droit d’octroi sur les grains, tant nationaux qu’étrangers, entrant par eau ou par terre dans la ville et banlieue de Bordeaux.

Le roi, occupé des moyens de pourvoir au bonheur de ses peuples par la facilité des subsistances, a reconnu qu’il est surtout essentiel d’affranchir le commerce des grains des entraves qui en arrêtent la libre circulation, et des droits de différentes natures qui en augmentent les prix.

Sa Majesté est informée que sa ville de Bordeaux jouit d’un octroi qui se perçoit à raison de 7 sous 6 deniers par boisseau de blé, de 6 sous par boisseau de méteil, et de 4 sous 6 deniers par boisseau de seigle ; que quoique, dans l’ordre commun, le droit d’octroi d’une ville ne doive s’étendre que sur les denrées qui se consomment dans son intérieur, l’octroi de Bordeaux sur les grains a reçu, en différents temps, une extension nuisible à la liberté du commerce ; qu’à la vérité il ne se percevait pas directement sur les grains qui passent à Bordeaux, soit en venant du pays étranger, soit en descendant des provinces de l’intérieur du royaume pour être transportés ailleurs ; mais qu’à ce passage ils étaient soumis à un entrepôt fixé, par l’arrêt du conseil du 27 novembre 1757, à un bref délai de huit jours, à l’expiration duquel le fermier de l’octroi exigeait rigoureusement le droit, sans égard aux retardements forcés que peut éprouver le commerce, soit par les vents contraires, soit par la nécessité de soigner les grains qui ont reçu quelques avaries ; que, pour éviter le payement de ce droit, les négociants ont été forcés d’établir leurs entrepôts hors de l’arrondissement marqué par le fermier de la ville, d’où il résultait que les opérations de leur commerce, s’exécutant loin d’eux, elles étaient moins bien faites et plus dispendieuses ; que, malgré les réclamations du commerce, les lettres-patentes du 27 août 1767 ont maintenu la ville de Bordeaux dans la perception de ce droit ; mais seulement par provision et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, voulant qu’à cet effet il fût fait distinction du produit dudit octroi dans le bail des revenus de la ville ; qu’enfin les lettres-patentes du 14 juillet 1771 ont restreint la perception dudit droit aux seuls grains déclarés pour la consommation de la ville ; qu’elles ont même accordé l’entrepôt indéfini aux grains et farines qui passent à Bordeaux ou dans la banlieue pour être transportés ailleurs ; mais que par ces dispositions les subsistances de la ville demeurent grevées du droit, et que les déclarations, les formalités compliquées, les enregistrements auxquels ces denrées sont assujetties, les visites que le fermier est autorisé à faire dans les magasins, les saisies auxquelles les négociants peuvent être exposés en jouissant de l’entrepôt, tendent à éloigner de la ville et de la banlieue de Bordeaux l’abondance qui devrait régner dans son port, et se répandre de là dans toutes les provinces ouvertes à son commerce ;

À quoi étant nécessaire de pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne :

Qu’à compter du jour de la publication du présent arrêt, et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, la perception du droit d’octroi sur les grains, soit nationaux ou étrangers, entrant, soit par eau ou par terre, dans la ville et banlieue de Bordeaux, sera et demeurera suspendue, soit que lesdits grains soient destinés pour la consommation de ladite ville ou pour être transportés ailleurs. Fait défenses au fermier de la ville et à toutes personnes d’exiger ledit droit, même de le recevoir, quoiqu’il fût volontairement offert, et ce, sous telle peine qu’il appartiendra ; se réservant Sa Majesté, après que les titres originaires de l’établissement et de la quotité dudit octroi auront été représentés et vérifiés en son Conseil, de pourvoir à l’indemnité qui pourra être due à ladite ville, ainsi qu’il appartiendra.


Arrêt du Conseil d’État, du 3 juin 1775, qui suspend la perception des droits d’octroi des villes sur les grains, farines et pain ; et qui défend aux exécuteurs de la haute justice d’exiger aucunes rétributions, soit en nature, soit en argent, sur les grains et farines, dans tous les lieux où elles ont été en usage jusqu’à présent.

Le roi ayant, par arrêt de son Conseil du 22 avril dernier, suspendu la perception de tous droits sur les grains et farines, tant à l’entrée des villes que sur les marchés, soit à titre d’octroi, ou sous la dénomination de minage, aunage, hallage et autres quelconques, dans les villes de Dijon, Beaune, Saint-Jean-de-Lône et Montbard, Sa Majesté a depuis étendu cette suspension à plusieurs droits de même nature, perçus au profit des villes dans les généralités de Besançon, de Lorraine, de Metz, de Flandre, de Picardie, de Hainaut, de Champagne, de Rouen, de Lyon, de Moulins, de La Rochelle et de Paris ; les mêmes motifs qui l’ont déterminée à ordonner cette suspension dans ces différentes généralités, à mesure qu’on a réclamé contre les inconvénients qui résultaient de la perception de ces droits, la conduisent à rendre générale une exemption qui pourrait tourner au préjudice des villes dans lesquelles on laisserait subsister ces droits qui cesseraient d’être perçus ailleurs : Sa Majesté a pensé qu’en ordonnant cette suspension elle ne faisait que remplir le vœu des officiers municipaux des villes, qui, regardant leurs revenus comme consacrés à l’avantage de leurs concitoyens, seront toujours empressés d’en faire le sacrifice, ou d’en demander le changement, lorsqu’ils croiront que la perception en pourrait être nuisible aux habitants desdites villes, et en écarter les denrées nécessaires à leur subsistance. Sa Majesté a vu avec satisfaction plusieurs villes demander elles-mêmes la suspension de ces droits, et elle a reconnu que l’abondance avait été rétablie dans la plupart de celles dans lesquelles ces droits ont cessé d’être perçus en vertu des différents arrêts de son Conseil ; et, voulant répondre aux désirs que les officiers municipaux de ces villes ont de contribuer au soulagement de leurs concitoyens, de procurer dans leurs marchés l’abondance et une diminution du prix des grains, par la suspension de ces droits, dont la plupart sont assez considérables pour influer sensiblement sur ce prix, et qui peuvent donner lieu dans la perception à des abus qui augmentent encore la surcharge, elle se porte d’autant plus volontiers à suspendre ces droits, qu’elle a lieu de croire que, dans l’examen des charges et des revenus des villes, elle trouvera, par des économies et les retranchements des dépenses inutiles, les moyens de rendre cette suspension durable, sans avoir recours à des impositions d’un autre genre : et, lorsque la situation des finances des villes exigera un remplacement de revenus, Sa Majesté est persuadée qu’il sera facile d’y pourvoir par des moyens qui n’influeront pas aussi directement sur une denrée de première nécessité. Sa Majesté, en suspendant la perception des droits qui appartiennent aux villes, croit encore moins devoir laisser subsister ceux qui se lèvent au profit des exécuteurs de la haute justice, dont la perception pourrait exciter plus de troubles et rencontrer plus d’opposition dans les marchés ; elle a pensé que c’était autrement qu’il fallait pourvoir à leurs salaires. Ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne :

Que la perception faite par les villes, dans toute l’étendue de son royaume et à leur profit, de droits sur les grains, les farines et le pain, soit à l’entrée, soit sur les marchés ou ailleurs, à titre d’octroi et sous quelque dénomination que ce soit, sera et demeurera suspendue à compter du jour de la publication du présent arrêt, et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné. Fait défenses à toutes personnes de les recevoir, quoiqu’ils fussent volontairement offerts ; à la charge néanmoins de l’indemnité qui pourra être due aux fermiers desdits droits pour le temps qu’ils auront cessé d’en jouir. Fait très-expresses inhibitions et défenses aux régisseurs ou fermiers desdits droits d’exiger de ceux qui introduiront des grains et des farines dans les villes, ou qui les apporteront dans les marchés, et de ceux qui feront la vente du pain, aucune déclaration, ni de les assujettir à aucune formalité, sous quelque prétexte que ce puisse être. N’entend néanmoins Sa Majesté rien changer, quant à présent, à ce qui concerne les villes de Paris et de Marseille, qu’elle a exceptées des dispositions du présent arrêt. Fait en outre Sa Majesté très-expresses défenses aux exécuteurs de la haute justice d’exiger aucunes rétributions, soit en nature, soit en argent, des laboureurs et autres qui apporteront des grains et des farines dans les villes et sur les marchés des lieux où elles ont été jusqu’à présent en usage, sauf à eux à se pourvoir, pour faire statuer au payement de leurs salaires, de la manière qui sera jugée convenable. Enjoint Sa Majesté aux sieurs intendants et commissaires départis dans les provinces, et à tous autres chargés de l’exécution de ses ordres, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, qui sera imprimé, lu, publié et affiché partout où besoin sera.


Édit du roi, portant suppression d’offices de marchands privilégiés, et porteurs de grains, et abolition du droit de banalité en la ville de Rouen. (Donné à Reims, au mois de juin 1775 ; registre au Parlement de Rouen, le 23 des mêmes mois et an.)

Louis, etc. Occupé dans tous les temps du soin d’assurer et de faciliter la subsistance de nos sujets, nous nous proposons de porter singulièrement notre attention sur les obstacles de tous genres qui peuvent éloigner le commerce des grains des villes où leur abondance est le plus nécessaire, ou les faire monter au-dessus de leur prix juste et naturel, par des frais accessoires. Nous sommes informé que, dans notre ville de Rouen, ce commerce important est uniquement et exclusivement permis à une compagnie de marchands privilégiés, créés en titre d’office, au nombre de cent douze, par les édits de décembre 1692 et juillet 1693 ; que les titres de leur création leur attribuent, non-seulement le droit de vendre seuls des grains à la halle de ladite ville, dans leurs maisons et boutiques, et d’en tenir magasin chez eux, mais encore celui de pouvoir seuls acheter les grains qui y seraient transportés d’ailleurs par des laboureurs ou des marchands étrangers ; qu’ils ont même celui d’acheter seuls, exclusivement et sans concurrence, les grains dans quatre des principaux marchés de la province, aux lieux d’Andely, Elbœuf, Duclair et Caudebec ; en sorte que, tant à l’achat qu’à la vente, le commerce des subsistances de notre ville de Rouen est privé de toute liberté, et concentré dans une société unique, ce qui constitue essentiellement le monopole ; qu’à la vérité l’exercice de ce privilège exorbitant et abusif a été modéré, à quelques égards, par les dispositions de la déclaration du 28 mai 1763 ; mais que ce qui en subsiste encore est très-nuisible au commerce, notamment par le droit de visiter tous les grains apportés dans ladite ville, de s’ériger en juges de leur bonne ou mauvaise qualité, et d’inquiéter les négociants ; en sorte que les fonctions de ces marchands privilégiés ne peuvent avoir d’autre effet que de les rendre seuls arbitres du prix des grains, et d’éloigner l’abondance, tant des quatre marchés soumis à leur privilège, que de notre ville de Rouen même. Nous sommes encore informé que, dans cette même ville, les acheteurs de grains ne sont libres ni de choisir les porteurs qu’ils veulent employer, ni de convenir de gré à gré du prix de leurs salaires ; que le droit de faire ces transports, au moyen d’un prix déterminé et taxé est réclamé par quatre-vingt-dix porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, dont les offices, très-anciennement créés, abolis ensuite, ont été rétablis et confirmés par arrêt du Conseil et lettres-patentes du 28 septembre 1675, et par autres lettres d’août 1677, registrées en notre Parlement de Normandie le 5 mars 1678 ; l’établissement de pareils offices est aussi inutile en lui-même, que contraire à la liberté publique. Enfin, nous sommes pareillement instruit que le droit de banalité, attaché aux cinq moulins qui appartiennent à notredite ville de Rouen, est également nuisible, soit à la facilité de l’approvisionnement, soit au prix modéré du pain, puisque ce droit emporte la défense aux boulangers de la ville d’acheter ou d’employer d’autres farines que celles qui proviennent desdits moulins ; et que même, cesdits moulins ne pouvant suffire à la consommation, l’on ne se relâche de cette défense qu’en obligeant les boulangers de payer au fermier de la banalité le droit de mouture sur les farines qu’ils sont obligés de faire fabriquer ailleurs ; que ce droit de banalité, qu’on annonce comme fixé seulement au treizième, augmente le prix du pain dans une proportion beaucoup plus forte ; qu’en effet, les boulangers des faubourgs, qui ne sont point sujets à la banalité, sont obligés, par ces règlements, de fournir le pain dans les marchés de la ville de Rouen à raison de dix-huit onces par livre, et au même prix que celui qui se fait dans l’intérieur, dont le poids n’est que de seize onces ; d’où il résulte que le droit de banalité augmente le prix d’un neuvième. Si des institutions aussi nuisibles à la subsistance de nos sujets, aussi contraires à tous les principes, sollicitent notre attention pour tous les lieux où elles existent, elles la méritent encore plus particulièrement dans notre ville de Rouen, que la nature a désignée, par les avantages de la plus heureuse position, pour devenir le chef-lieu d’un grand commerce, l’entrepôt le plus commode de l’importation des grains étrangers et de la circulation des grains nationaux, le centre d’où l’abondance, fixée dans la ville même et assurée à ses habitants, doit encore se répandre par la Seine vers notre bonne ville de Paris et les provinces de l’intérieur de notre royaume. Tel est le degré d’importance et de prospérité que la situation de notre ville de Rouen lui promet, et que sa police prohibitive actuelle ne lui permettrait jamais d’atteindre. Mais, en nous livrant au soin de réformer cette police, notre justice exige en même temps que nous nous occupions des moyens de pourvoir, soit à la liquidation et au remboursement des finances qu’on nous justifiera être légitimement dues sur les offices que nous avons résolu de supprimer, et au payement des dettes auxquelles ils pourraient être affectés, soit aux indemnités auxquelles l’abolition du droit de banalité pourrait justement donner lieu. À ces causes, etc., nous avons, par le présent édit, dit, statué et ordonné ce qui suit :

Art. I. Nous avons éteint et supprimé, éteignons et supprimons les cent offices de marchands de grains privilégiés, créés en notre ville de Rouen par édit du mois de décembre 1692, et les douze offices semblables créés par édit de juillet 1093 ; l’office de syndic desdits marchands, créé par édit du mois de décembre 1693 ; les deux offices d’auditeurs et examinateurs des comptes de ladite communauté, créés par édit de mars 1694 ; les deux offices de syndics créés par édit de novembre 1705, et les offices d’inspecteurs et contrôleurs créés par l’édit du mois de février 1745.

II. Les titulaires ou propriétaires desdits offices supprimés seront tenus, dans l’espace de six mois du jour de la publication du présent édit, de remettre entre les mains du sieur contrôleur-général de nos finances leurs titres de propriété, quittances de finance et autres titres justificatifs des sommes par eux payées, pour être procédé à la liquidation et ensuite au remboursement des finances légitimement dues, ainsi qu’il sera ordonné ; ensemble un état de leurs dettes, tant en rentes perpétuelles que viagères, pour être pourvu à l’acquittement, ainsi qu’il appartiendra.

III. Défendons expressément auxdits cent douze marchands de prétendre, après la publication de notre présent édit, aucun privilège ou droit exclusif, soit en achetant ou en vendant dans l’intérieur de notre ville de Rouen, ou dans les lieux d’Andely, Elbeuf, Duclair et Caudebec ; leur permettons néanmoins de continuer le commerce des grains avec la même liberté dont jouissent nos autres sujets.

IV. Nous avons pareillement éteint et supprimé, éteignons et supprimons les quatre-vingt-dix offices de porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, établis et confirmés par arrêt du Conseil et lettres-patentes du 28 septembre 1675, et lettres en forme de règlement, d’août 1677 ; voulons que les droits attribués auxdits quatre-vingt-dix offices pour leur tenir lieu de salaires, et réglés par arrêt du Conseil du 9 avril 1775, soient et demeurent éteints et supprimés à compter du jour de la publication du présent édit. Défendons aux titulaires desdits offices, et à tous autres, de faire, sous prétexte desdits droits, aucune perception, à peine de concussion.

V. Les titulaires ou propriétaires desdits offices supprimés seront tenus, dans l’espace de six mois du jour de la publication du présent édit, de remettre entre les mains du contrôleur-général de nos finances leurs titres de propriété, quittances de finance et autres titres justificatifs des sommes par eux payées, pour être procédé à la liquidation et ensuite au remboursement des finances légitimement dues, ainsi qu’il sera ordonné ; ensemble un état de leurs dettes, tant en rentes perpétuelles que viagères, pour être pourvu à l’acquittement, ainsi qu’il appartiendra.

VI. Voulons que le droit de banalité des cinq moulins appartenant à la ville de Rouen soit et demeure éteint et aboli à compter du jour de la publication du présent édit ; en conséquence, permettons à tous boulangers, pâtissiers et autres de ladite ville, de faire moudre leurs grains ou de se pourvoir de farines partout où ils voudront. Défendons de les assujettir à aucuns des droits, ou d’exiger d’eux aucune des rétributions du droit de banalité.

VII. Ordonnons que dans un mois, du jour de la publication du présent édit, les officiers municipaux de notre ville de Rouen remettront au contrôleur-général de nos finances les états du produit annuel dudit droit de banalité, et les états par estimation de celui que donneront lesdits moulins après la suppression, ensemble de la diminution que pourront en souffrir les revenus de la ville, pour être par nous pourvu à l’indemnité, ainsi qu’il appartiendra.

VIII. Voulons que notre présent édit soit exécuté nonobstant tous édits, déclarations, lettres-patentes ou règlements, auxquels nous avons dérogé et dérogeons en ce qui pourra y être contraire.


Arrêt du Conseil d’État, du 20 juillet 1775, qui ordonne que les droits des seigneurs sur les grains, dont la perception n’a pas été suspendue par des arrêts particuliers, continueront d’être perçus.

Le roi ayant, par arrêt de son Conseil du 3 juin dernier, suspendu dans toute l’étendue de son royaume la perception des droits d’octroi des villes, sur les grains, les farines et le pain, et défendu aux exécuteurs de la haute justice d’exiger aucunes rétributions, soit en nature, soit en argent, sur les grains et les farines, dans tous les lieux où elles ont été en usage jusqu’à présent : les motifs exprimés dans le préambule de cet arrêt, l’attention avec laquelle Sa Majesté a rappelé les exemples des différentes villes dans lesquelles ces droits avaient déjà été suspendus, les principes qu’elle annonce pour l’indemnité qu’il serait nécessaire de procurer aux villes, l’économie qu’elle indique comme le premier moyen à employer, avant de chercher d’autres objets de remplacement, enfin la disposition de cet arrêt, relative aux droits perçus par les exécuteurs de la haute justice ; tout devait faire croire à Sa Majesté que cet arrêt n’était susceptible d’aucune interprétation qui pût faire appliquer aux droits des seigneurs particuliers la suspension, ordonnée par cet arrêt, des droits appartenant aux villes et aux exécuteurs de la haute justice : cependant elle est informée que, dans plusieurs endroits, quelques seigneurs particuliers ont paru douter eux-mêmes s’ils devaient continuer la perception de leurs droits ; que, dans d’autres, les habitants des lieux où ils étaient perçus, ont cru qu’ils étaient suspendus. Sa Majesté, voulant arrêter les effets d’une interprétation aussi préjudiciable aux propriétaires, dont les droits ne peuvent cesser d’être perçus que lorsque Sa Majesté aura expliqué ses intentions, tant sur la suppression de leurs droits, que sur l’indemnité qui leur sera due : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne :

Que tous les droits des seigneurs sur les grains, dont la perception n’a pas été suspendue par des arrêts particuliers, continueront d’être perçus, et que la suspension ordonnée par l’arrêt du 3 juin dernier n’aura lieu, ainsi qu’il est porté par ledit arrêt, que pour les droits qui appartiennent aux villes, ou qui étaient perçus par les exécuteurs de la haute justice.


Arrêt du Conseil d’État, du 13 août 1775, qui ordonne que dans les six mois tous seigneurs ou propriétaires de droits sur les grains, seront tenus de représenter leurs titres de propriété, et nomme des commissaires à l’effet de les examiner.

Le roi, s’étant fait représenter l’arrêt rendu en son Conseil le 10 août 1768, par lequel, entre autres dispositions, le feu roi a ordonné que dans six mois, à compter du jour de la publication dudit arrêt, tous seigneurs, villes, communautés ou particuliers, qui perçoivent ou font percevoir à leur profit aucuns droits quelconques dans les marchés d’aucunes villes, bourgs ou paroisses de son royaume, seront tenus de représenter leurs titres et pancartes desdits droits par-devant les commissaires nommés par arrêt du Conseil du 1er mai 1768 ; le prix auquel les blés se sont élevés a déterminé Sa Majesté a s’occuper de plus en plus de lever tous les obstacles qui peuvent encore ralentir la libre circulation des grains, en gêner le commerce, et rendre plus difficile la subsistance de ceux de ses sujets qui souffrent de la rareté et du haut prix des denrées : elle a reconnu que, parmi ces obstacles, un de ceux qu’il est le plus pressant d’écarter, est la multitude de droits de différentes espèces auxquels les grains sont encore assujettis dans les halles et marchés ; en effet, ces droits ont non-seulement l’inconvénient de surcharger la denrée la plus nécessaire à la vie, d’un impôt qui en augmente le prix au préjudice des consommateurs dans les temps de cherté, et des laboureurs dans les temps d’abondance ; ils contribuent encore à exciter l’inquiétude des peuples, en écartant des marchés les vendeurs qu’un commun intérêt y rassemblerait avec les acheteurs. Ils intéressent un grand nombre de personnes à ce que tous les grains soient vendus dans les marchés où se perçoivent les droits, plutôt que dans les lieux où ils en seraient affranchis ; cet intérêt peut rendre encore moins sensibles et moins généralement reconnus les avantages de la liberté, et, malgré les encouragements que Sa Majesté a voulu donner au commerce des grains, retarder les progrès de ce commerce, le plus nécessaire de tous, et contrarier l’effet de la loi salutaire par laquelle Sa Majesté a voulu assurer dans tous les temps la subsistance de ses sujets, au prix le plus égal que-puisse permettre la variation inévitable des saisons.

Sa Majesté a cru, en conséquence, que la suppression de ces droits étant un des plus grands biens qu’elle puisse procurer à ses peuples, elle devait faire suivre l’examen ordonné par l’arrêt de 1768, à l’effet de reconnaître les titres constitutifs de ces droits, leur nombre et leur étendue, et de parvenir à la fixation des indemnités qui seront dues aux propriétaires, conformément aux titres d’établissement légitime qui seront par eux produits. Mais, comme plusieurs des commissaires qui avaient été nommés par l’arrêt du 1er mai 1768, ne remplissent plus au Conseil les mêmes fonctions qu’ils y remplissaient alors, et que d’ailleurs la vérification, qui avait été ordonnée pour d’autres objets par le même arrêt, n’a pas été plus suivie que celle qui avait pour objet les droits de marché ; Sa Majesté a cru nécessaire de substituer d’autres commissaires.

Et voulant faire connaître ses intentions sur ce sujet : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne :

Que l’arrêt du Conseil du 40 août 1768 sera exécuté, et en conséquence, que dans six mois, à compter du jour de la publication du présent arrêt, tous les seigneurs et propriétaires, à quelque titre que ce soit, qui perçoivent ou font percevoir des droits sur les grains dans les marchés d’aucunes villes, bourgs ou paroisses de son royaume, seront tenus de représenter leurs titres par-devant les sieurs Bouvard de Fourqueux, Dufour de Villeneuve, conseillers d’État ; Beaudouin de Guémadeuc, Chardon, Raymond de Saint-Sauveur, Guerrier de Bezance, de Bonnaire de Forges, et de Trimond, maîtres des requêtes ordinaires de l’hôtel.

Les propriétaires desdits droits seront tenus de remettre les originaux de leurs titres, ou copies d’iceux, dûment collationnées et légalisées par les plus prochains juges royaux des lieux, au sieur Dupont, que Sa Majesté a commis et commet pour faire les fonctions de greffier en ladite commission, lequel leur en délivrera le certificat.

Les titres d’établissement de ces droits seront communiqués au sieur Lambert, maître des requêtes ordinaire de l’hôtel, que Sa Majesté a commis et commet pour faire les fonctions de procureur-général, pour, par lui, prendre telles conclusions et faire tels réquisitoires qu’il conviendra, et y être statué par lesdits sieurs commissaires, au nombre de cinq au moins, ainsi qu’il appartiendra. Lesdits propriétaires remettront pareillement les baux faits par eux, ou les livres de recette tenus par leurs régisseurs pendant les vingt dernières années ; au défaut de représentation des titres dans ledit délai, la perception des droits demeurera suspendue, et les propriétaires, après ledit délai, ne pourront la continuer que sur la représentation du certificat du greffier de ladite commission, dont ils seront tenus de déposer copie collationnée au greffe de la juridiction ordinaire ou de police du lieu, à peine de concussion. Sa Majesté ayant suspendu, par arrêt du 3 juin dernier, la perception des droits qui se perçoivent au profit des villes, et l’indemnité qui peut leur être due devant être réglée par d’autres principes que celle due aux particuliers, elle a ordonné et ordonne que lesdites villes remettront entre les mains des sieurs intendants et commissaires départis dans les différentes généralités les titres de propriété desdits droits, ensemble l’état de leurs revenus et de leurs charges, pour, par lesdits sieurs intendants et commissaires départis, proposer les retranchements dans les dépenses qu’ils jugeront convenables, indiquer les améliorations dont les revenus seront susceptibles, le plan de libération le plus avantageux aux villes, et d’après la balance exacte des revenus et des charges, donner leur avis sur l’indemnité qui pourrait être nécessaire auxdites villes pour remplacer les droits qui se perçoivent sur les grains, et sur les moyens de la procurer les moins onéreux, pour être, sur leur avis, statué par Sa Majesté, ainsi qu’il appartiendra. Les fermiers des droits appartenant à Sa Majesté remettront pareillement leurs titres entre les mains des intendants et commissaires départis, pour être par eux également donné leur avis sur l’indemnité qui pourra leur être due. Enjoint Sa Majesté, aux sieurs intendants et commissaires départis dans ses provinces, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, qui sera imprimé, lu, publié et affiché partout où besoin sera, et signifié à qui il appartiendra.


Lettre à M. d’Aine, intendant de Limoges, sur la proportion à établir et à maintenir entre le prix du blé et celui du pain. (Paris, le 17 septembre 1775.)

Le moment, monsieur, où la diminution sur le prix des grains se fait sentir, doit être celui où le peuple éprouve la même diminution sur le prix du pain. J’ai vu avec peine que la proportion établie presque partout entre le prix du blé et le prix du pain l’était d’une manière très-défavorable au peuple. Il en résulte que, lorsque l’abondance a fait diminuer considérablement le prix des grains, il paye encore sa subsistance un prix assez considérable, et que dans le temps de la cherté il lui est impossible d’y atteindre. Vous avez fait faire sans doute, ou il a été fait dans les différentes villes de votre généralité, par des officiers municipaux, des essais pour établir le produit d’une mesure quelconque de blé en farine, le produit en pain, et les frais de fabrication et de cuisson. La cherté qu’on a éprouvée dans les environs de Paris a donné lieu à de nouveaux essais à Roissy, qui m’ont paru faits avec cette attention que donne le désir de procurer du soulagement au peuple dans un objet aussi intéressant que celui de sa subsistance journalière, et souvent unique. J’ai cru devoir vous les communiquer : ils vous serviront à convaincre les officiers municipaux des différentes villes de votre généralité, et les boulangers eux-mêmes, que le prix du pain peut toujours être égal à celui de la livre du blé, et par conséquent d’autant de deniers que le setier, mesure de Paris, vaut de livres numéraires. Ces essais serviront aussi à faire connaître qu’en y mêlant un quart de seigle on trouve le moyen de donner le pain à beaucoup meilleur marché ; et, de ces expériences répétées depuis le 1er  juillet jusqu’au 10 août, il résulte que, dans les temps d’une cherté des grains très-considérable, et telle qu’on ne peut pas craindre de les voir souvent, lorsque le prix est élevé à 36 livres, le peuple peut manger le pain à 3 sous la livre ; et qu’en y mêlant un quart de seigle, il aura pour 2 sous 8 deniers ce pain qui est tel que le mangent les troupes du roi, avec la différence qu’on n’y laisse point le son. Dans les pays où l’on consomme principalement du pain de froment, ce mélange peut être pratiqué, surtout durant les temps de cherté, à l’avantage du peuple ; on a éprouvé qu’il rendait le pain plus agréable.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien donner tous vos soins pour que les officiers municipaux ou de police, chargés de la taxe du pain, la fassent faire dans cette proportion. Ce qui s’est pratiqué à Roissy peut se pratiquer ailleurs ; et si, dans quelques grandes villes, la cherté des loyers pouvait être un motif pour le tenir un peu plus cher, il ne devrait y avoir tout au plus que quelques deniers de différence. Si les jurandes des boulangers sont un obstacle à cette proportion, ce sera une raison de plus pour hâter le moment où l’on rendra à cette profession la liberté nécessaire pour opérer le soulagement du peuple.

Je suis très-parfaitement, etc.

P. S. de la main du ministre. — Les états de quinzaine prouvent les inégalités qui règnent, monsieur, dans votre généralité, au sujet de la taxe du pain. À Brive, le setier de blé, mesure de Paris, valait, dans le mois d’août, 26 livres 8 sous, et le pain 2 sous 6 deniers ; à Tulle, 22 livres 15 sous, et le pain au même prix de 2 sous 6 deniers ; à Limoges, 19 livres 10 sous, et le pain 2 sous 3 deniers. C’est à faire réformer cette disproportion, partout où elle existe, et à ramener la taxe du pain à la proportion établie dans ma lettre, que je vous prie de donner vos soins.


Arrêt du Conseil d’État, du 12 octobre 1775, portant règlement pour le transport par mer des blés, farines et légumes d’un port à un autre du royaume, et qui attribue à MM. les intendants la connaissance des contraventions y relatives.

Le roi s’étant fait représenter les arrêts rendus en son Conseil les 14 février et 31 décembre 1773,25 avril et 22 juin 1774, portant règlement pour le transport des grains d’un port du royaume à un autre, Sa Majesté a reconnu que l’arrêt du 14 février 1773 a eu pour principe de considérer tous les sujets du royaume comme les membres d’une grande famille, qui, se devant un secours mutuel, ont un droit sur les produits de leurs récoltes respectives ; cependant, les dispositions de cet arrêt ne répondent pas assez à ces principes d’union établis entre tous les sujets de Sa Majesté.

L’arrêt du 14 février 1773 n’avait d’abord permis le commerce des grains d’un port à un autre, que dans ceux où il y a siège d’amirauté ; si l’arrêt du 31 décembre suivant a étendu à quelques ports des généralité de Bretagne, La Rochelle et Poitiers, où il n’y avait point de siège d’amirauté, cette même permission ; si celui du 25 avril 1774 a permis le transport des grains dans le port de Cannes en Provence, et celui du 22 juin suivant dans les ports de Saint-Jean-de-Luz et Sibourre, il reste encore plusieurs ports, où il n’y a point de siège d’amirauté, par lesquels le commerce des grains par mer reste interdit ; s’il est permis de transporter des grains au port de Saint-Jean-de-Luz, il est défendu d’en sortir par ce port pour tous les autres ports du royaume ; pour les ports de la même province, la quantité de grains qu’il est permis de charger est limitée à cinquante tonneaux. Les formalités rigoureuses auxquelles le transport est assujetti peuvent détourner les sujets de notre royaume de se livrer à ce commerce, et faire rester, au préjudice des propriétaires, les grains dans les provinces où ils seraient surabondants, pendant que d’autres provinces, qui auraient des besoins, en seraient privées : l’arrêt du 14 février 1773 rend les capitaines responsables des effets des mauvais temps, et les condamne aux amendes et aux confiscations ordonnées, même lorsque les gros temps les auront obligés de jeter leur chargement ou une partie à la mer, et les oblige de faire verser dans le port pour lequel la cargaison était destinée, la même quantité de grains venant de l’étranger, qui est mentionnée en l’acquit-à-caution.

Enfin, les amendes qui sont portées à trois mille livres, indépendamment de la confiscation, sont prononcées dans le cas où, au lieu de la sortie, il y aurait un excédant de plus d’un dixième des grains déclarés ; et, au lieu de la rentrée, un déficit de plus du vingtième : mais dans une longue traversée des ports du royaume les plus éloignés, il pourrait souvent y avoir des déchets plus considérables sur les grains qui seraient transportés d’une province à une autre. Tant d’entraves, la crainte d’encourir des peines aussi sévères que celles de la confiscation de toute la cargaison et des bâtiments, étaient faites pour empêcher les négociants de se livrer à un commerce qui pouvait compromettre aussi considérablement leur fortune, et ne pouvait produire d’autre effet que de laisser subsister, entre les différentes provinces, une disproportion dans les prix des grains que la liberté du commerce la plus entière peut seule faire cesser.

Ces principes, qui ont déterminé Sa Majesté à rendre à la déclaration de 1763 toute l’exécution que des lois postérieures avaient affaiblie, lui ont fait penser qu’il fallait également rendre au commerce par mer toute la liberté nécessaire pour maintenir l’équilibre entre les différentes provinces qui peuvent se communiquer par cette voie ; que tous les ports du royaume doivent également participer à la liberté, soit qu’il y ait un siège d’amirauté, soit qu’il n’y en ait pas ; que dans la même province, les quantités de grains que les armateurs peuvent transporter ne doivent pas être limitées ; que les armateurs ne doivent pas être responsables de l’effet des mauvais temps ; et qu’enfin, tant que subsisteront les lois qui défendent encore la sortie à l’étranger, et que Sa Majesté a déjà annoncé devoir cesser, lorsque des circonstances favorables le permettraient, les peines doivent être plus proportionnées à la nature de la contravention ; à quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. ; le roi étant en son Conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. 1. La déclaration du 25 mai 1765 sera exécutée ; en conséquence, ordonne Sa Majesté que les grains, graines, grenailles, farines et légumes pourront circuler de province à province, sans aucun obstacle dans l’intérieur, et sortir librement par mer, de tous les ports du royaume, pour rentrer dans un autre port, soit de la même province, soit d’une autre, en justifiant de la destination et de la rentrée.

II. Tous les négociants ou autres qui voudront transporter des grains par mer seront tenus, outre les formalités d’usage dans les lieux où il y a siège d’amirauté, de faire au bureau des fermes établi à la sortie une déclaration de la quantité de grains qu’ils transporteront, et d’y prendre un acquit-à-caution indicatif de la quantité et qualité desdites denrées, et du lieu de leur destination.

III. Lorsque lesdites denrées rentreront dans le royaume, F acquit-à-caution sera déchargé dans la forme prescrite par l’ordonnance des fermes.

IV. Les mauvais temps pouvant obliger les capitaines de relâcher dans d’autres ports du royaume que ceux pour lesquels ils auraient été destinés, et le prix des grains pouvant leur faire trouver plus d’avantage à les vendre ailleurs qu’au lieu de leur destination, pourront lesdits capitaines transporter les grains chargés sur leurs navires dans tout autre port du royaume que celui pour lequel ils auraient été destinés, et l’acquit-à-caution qu’ils représenteront sera également déchargé dans tous les ports du royaume.

V. Lors de la vérification, si, au lieu de la sortie ou de la rentrée, il se trouve sur la quantité de grains, graines, grenailles, farines et légumes, un excédant ou un déficit de plus d’un dixième, les négociants ou autres qui auront fait transporter les grains seront tenus de faire rentrer dans le royaume le quadruple de la quantité de grains qui excéderont à la sortie ou manqueront à la rentrée sur la quantité mentionnée dans l’acquit-à-caution, et ce dans le délai qui sera prescrit par l’intendant ou son subdélégué, sous peine de 1,000 livres d’amende.

VI. Les peines portées par l’article précédent ne seront point encourues par les capitaines qui auront fait, soit au lieu du débarquement, soit en d’autres amirautés, des déclarations que le jet à la mer de leur chargement ou de partie d’icelui, a été forcé par le gros temps ; et seront lesdits capitaines, en vertu desdites déclarations certifiées comme il est d’usage, déchargés de l’acquit-à-caution qu’ils auront pris.

VII. Ordonne Sa Majesté que toutes les contraventions au présent arrêt, relatives au transport par mer des blés, farines et légumes, d’un port à un autre du royaume, seront portées devant les sieurs intendants et commissaires départis dans lesdites provinces, que Sa Majesté a commis et commet pour les juger en première instance, sauf l’appel au Conseil.


Extrait de la déclaration, qui révoque celle du 5 mai précédent, rendue à l’occasion des émeutes sur les grains. (Donnée à Versailles le 24 novembre 1775 ; registrée en Parlement le 9 décembre audit an.)

Louis, etc. Par notre déclaration du 5 mai de la présente année, enregistrée et publiée en notre Parlement le même jour en notre présence, nous avions chargé les prévôts généraux de nos maréchaussées et leurs lieutenants, assistés par les officiers de nos présidiaux ou autres assesseurs appelés à leur défaut, défaire, en dernier ressort, le procès à ceux qui avaient été arrêtés, ou qui le seraient à l’avenir, comme coupables des attroupements séditieux, violences et autres excès commis depuis peu par des brigands, tant dans notre bonne ville de Paris, que dans celle de Versailles, et dans différentes autres villes, bourgs et villages, dans les campagnes et sur les grands chemins, ainsi que leurs complices, fauteurs, et adhérents. La nécessité de réprimer promptement des crimes aussi dangereux que multipliés, d’assurer, par cet acte de notre vigilance et de notre autorité, la subsistance de nos sujets, et de protéger la libre circulation des blés dans notre royaume, nous avait engagé à donner, par notredite déclaration, à la juridiction prévôtale, toute la force et l’activité dont elle peut être susceptible. Le succès a répondu à nos vues. Les exemples qui ont été faits ont suffi pour en imposer aux gens malintentionnés ; et nous avons fait éprouver les effets de notre clémence à ceux des coupables qui, ayant été entraînés par la multitude ou trompés par de faux bruits, n’ont fait que céder à la séduction, et qui, revenus à eux-mêmes, ont réparé leurs fautes par un repentir sincère, et restitué ce qu’ils avaient enlevé aux laboureurs et autres particuliers. Les mesures extraordinaires que nous nous étions trouvé dans l’obligation de prendre pour rétablir le calme, n’étant plus nécessaires, nous avons pensé qu’il était de notre sagesse de remettre tout dans l’ordre antérieurement observé, de nous en rapporter à nos Cours de Parlement, et à nos autres juges ordinaires pour entretenir la tranquillité que nos soins ont fait renaître, et de renfermer la juridiction prévôtale dans les bornes qui lui sont prescrites par les ordonnances. À ces causes…, nous ayons, par ces présentes signées de notre main,

Révoqué et révoquons notre déclaration du 5 mai dernier. Faisons défenses auxdits prévôts-généraux et à leurs lieutenants de commencer aucunes poursuites et procédures nouvelles pour raison des délits qui ont donné lieu à notre susdite déclaration. Leur ordonnons néanmoins de parachever sans délai, jusqu’à jugement définitif, les procès dont l’instruction aura été par eux commencée avant l’enregistrement et la publication des présentes. Si donnons en mandement, etc.


Arrêt du Conseil d’État, du 27 janvier 1776, qui casse la modification mise par le Parlement de Rouen à l’enregistrement des lettres-patentes du 2 novembre 1774, concernant le commerce des grains dans l’intérieur du royaume.

Le roi s’étant fait représenter, en son Conseil, l’arrêt d’enregistrement rendu au Parlement de Rouen le 21 décembre 1775, par lequel cette Cour a ordonné que les juges de police de son ressort, et ladite Cour, continueront, comme par le passé, à veiller à ce que les halles soient suffisamment approvisionnées de blés : Sa Majesté a reconnu que cette modification, si elle subsistait, introduirait dans la province de Normandie, sur le commerce des blés et farines, une jurisprudence entièrement contraire à celle que l’enregistrement pur et simple de la même loi a établie dans le ressort de toutes les autres Cours ; que cette modification anéantirait dans ladite province la liberté du commerce des blés et farines, qui ne lui est pas moins nécessaire qu’au reste du royaume, et priverait les provinces voisines et la capitale, dont le commerce est nécessairement lié avec celui de la Normandie, d’une partie des avantages qu’elles tirent de l’exécution des lettres-patentes du 2 novembre 1774 ; qu’elle ne peut laisser subsister une modification dont l’effet nécessaire serait de détruire entièrement et le texte et l’esprit de la loi même qui en est l’objet. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, etc. Le roi étant en son Conseil,

A cassé et casse la modification mise, par son parlement de Rouen, à l’enregistrement des lettres-patentes du 2 novembre 1774. Ordonne Sa Majesté qu’elles seront exécutées purement et simplement selon leur forme et teneur. Enjoint Sa Majesté aux sieurs intendants et commissaires départis de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, qui sera lu, publié, imprimé et affiché partout où besoin sera ; et seront sur le présent arrêt toutes lettres nécessaires expédiées.


Déclaration du roi qui abroge les règlements particuliers sur lesquels les lettres-patentes du 2 novembre 1774 avaient réservé de statuer ; supprime tous les droits établis à Paris sur les blés, les méteils, les seigles, la farine, les pois, les fèves, les lentilles et le riz, modère ceux sur les autres grains et grenailles[4].

Louis, etc. Un des premiers soins que nous avons cru devoir au bonheur de nos peuples a été de rendre leur subsistance plus assurée, en rappelant, par l’arrêt de notre Conseil du 13 septembre 1774, et les lettres-patentes expédiées sur icelui le 2 novembre suivant, la législation du commerce des grains à ses vrais principes. Nous avons désiré que ces principes fussent exposés clairement et en détail, pour faire connaître à nos peuples que les moyens les plus sûrs de leur procurer l’abondance sont de maintenir la libre circulation, qui fait passer les denrées des lieux de la production à ceux du besoin et de la consommation ; de protéger et d’encourager le commerce, qui les porte le plus sûrement aux lieux où la consommation est la plus grande et le débit le plus certain.

Nous avons eu la satisfaction de voir les mesures que nous avons prises justifiées par l’expérience, puisqu’au milieu même des préjugés populaires, des inquiétudes et des troubles appuyés sur ces préjugés, et des dégâts commis par une populace ignorante ou séduite ; après une très-mauvaise récolte, dont l’insuffisance a été prouvée par la quantité des grains nouveaux qui ont approvisionné les marchés, avant même que la récolte suivante fût achevée ; malgré les dérangements et le ralentissement qu’avaient apportés, dans les spéculations des négociants, le renouvellement des anciens règlements contraires à la liberté, et l’interruption qui en avait résulté pendant plusieurs années dans le commerce des grains ; la denrée n’a cependant point manqué ; les provinces souffrantes ont reçu des secours de celles qui étaient mieux fournies ; il a été importé dans le royaume des quantités considérables de grains ; et les prix, quoique plus hauts que nous ne l’aurions désiré, n’ont cependant point été aussi excessifs qu’on les a souvent vus sous le régime prohibitif, même dans des années où la récolte avait été beaucoup moins généralement mauvaise que celle de l’année 1774.

Enfin, une meilleure récolte a ramené l’abondance. Nous ne pouvons trop nous hâter de mettre à profit ces moments de tranquillité, pour achever de lever tous les obstacles qui peuvent encore ralentir les progrès et l’activité du commerce, afin que, si la stérilité afflige de nouveau nos provinces, nos peuples puissent trouver des ressources préparées d’avance contre la disette, et qu’ils ne soient plus exposés à ces variations excessives dans la valeur des grains, qui détruisent la proportion entre le prix des salaires et le prix des subsistances.

Les grandes villes, et surtout les capitales, appellent naturellement l’abondance, par la richesse et le nombre des consommateurs. Notre bonne ville de Paris semble être en particulier destinée, par sa position, à devenir l’entrepôt du commerce le plus étendu.

Les rivières de Seine, d’Yonne, de Marne, d’Oise ; la Loire, par les canaux de Briare et d’Orléans, établissent des communications faciles entre cette ville et les provinces les plus fertiles de notre royaume ; elle offre le passage naturel par lequel les richesses de toutes ces provinces doivent circuler librement et se distribuer entre elles ; l’immensité de ses consommations fixerait nécessairement dans son enceinte la plus grande partie des denrées de toute nature, si rien ne les arrêtait dans leur cours ; elle aurait même à sa disposition toutes celles que le commerce libre s’empresserait d’y rassembler, pour les verser sur toutes les provinces voisines.

Cependant nous reconnaissons avec peine que l’approvisionnement en grains de notredite ville, loin d’être abondant et facile comme il le serait dans l’état d’une libre circulation, a été, depuis plusieurs siècles, un objet de soins pénibles pour le gouvernement, et de sollicitude pour la police, et que ces soins n’ont abouti qu’à en repousser entièrement le commerce.

En donnant nos lettres-patentes du 2 novembre 1774, nous nous sommes proposé de chercher, dans l’examen approfondi des règlements de police particuliers à notredite ville de Paris, les causes qui s’opposaient à la facilité de son approvisionnement, et nous avons annoncé, par l’article 5 desdites lettres-patentes, notre intention de statuer sur ces règlements par une loi nouvelle.

Nous nous sommes fait représenter en conséquence les ordonnances, arrêts et règlements de police intervenus sur le commerce des grains et l’approvisionnement de Paris.

Nous avons reconnu que, dans des temps malheureux de troubles et de guerres civiles, dans des siècles où, le commerce n’existant point encore, ses principes ne pouvaient être connus, les rois nos prédécesseurs, Charles VI, Charles IX, Henri III, ont donné quelques ordonnances sur cette matière ; que, sans le concours de l’autorité royale, plusieurs règlements de police s’y sont joints pour former le corps d’une législation équivalente à une prohibition d’apporter des grains à Paris ; que l’habitude et le préjugé l’ont cependant maintenue, et quelquefois confirmée ; que, même dans des temps où le gouvernement commençait à porter sur cet objet une attention plus éclairée, on a réclamé fortement pour la conservation de cette police ; qu’elle a été réservée, comme si elle eût été la sauvegarde de la facilité des subsistances.

Que des officiers créés en différents temps, à la halle et sur les ports, étaient chargés de veiller à son exécution, et cependant autorisés à percevoir des droits dont la vente des grains demeure grevée.

Qu’enfin, depuis peu d’années, il a été mis un impôt sur ce commerce, pour la construction d’une halle et d’une gare.

Ainsi, en réunissant les différents effets de la police destinée à assurer les subsistances dans Paris, il demeure constant que non-seulement des droits de différente nature augmentent le prix des grains et des farines, mais que les règlements en empêchent l’abondance, et que toutes les parties de cette législation sont tellement contradictoires entre elles et contraires à leur objet, que l’indispensable nécessité de la réformer se trouve démontrée par le plus simple exposé des règlements et de leurs effets.

Une ordonnance du mois de février 1415, renouvelée par un arrêt du 19 août 1661, défend de serrer, ou d’ôter des sacs, les blés ou les farines arrivant par terre ; de débarquer, de mettre en greniers ou en magasins, ou même sous des bannes, les mêmes denrées arrivées par eau ; en sorte que, suivant les règlements, elles doivent demeurer exposées à l’air, à la pluie, et à l’humidité continue qui les corrompt.

Le même arrêt de 1661 défend de faire aucun amas de grains, et d’en laisser séjourner dans les lieux de l’achat, ou sur les ports du chargement, ou sur les routes par lesquelles ils doivent arriver.

Ces règlements réunis interdisent à la ville de Paris tout moyen de conserver des grains et farines dans son intérieur, et d’en avoir dans ses environs.

La même ordonnance de 1415 impose aux marchands qui apportent des grains à Paris l’obligation de les vendre avant le troisième marché, à peine d’être forcés de les vendre à un prix inférieur à celui des marchés précédents ; et cependant l’arrêt du 19 août 1661 et l’ordonnance de police du 31 mars 1635, après avoir interdite tous marchands la faculté de faire aucun achat dans Paris, défend même à tout boulanger d’acheter plus de deux muids de blés par marché.

Ainsi la même police, par des dispositions contradictoires, force de vendre et défend d’acheter.

En s’y conformant exactement, la capitale ne pourrait jamais avoir de provisions que pour onze jours de consommation ; car l’intervalle entre trois marchés n’étant que de onze jours, d’un côté les marchands assurés de n’avoir plus la disposition libre de leur denrée après cet intervalle, et d’être peut-être forcés de la vendre à perte, ne porteraient jamais à Paris que les grains nécessaires à la subsistance de ces onze jours ; tandis que d’un autre côté, cette ville ne pourrait avoir aucunes provisions dans des dépôts particuliers, puisqu’ils y sont repoussés ; ni même chez les boulangers, puisqu’il leur est défendu d’acheter plus de deux muids de blé.

Si cette police était observée, toutes les fois que les hautes ou les basses eaux, les gelées et les neiges interrompraient la navigation ou les routes pendant plus de onze jours, les habitants de Paris manqueraient entièrement de subsistance dans les années les plus fertiles, et au milieu de l’abondance dont jouirait le reste du royaume.

Un arrêt du Parlement, du 23 août 1565, défend aux marchands de grains, sous peine de punition corporelle, de transporter, soit par terre ou par eau, en montant ou en descendant, hors de la ville, les grains qu’ils y ont fait entrer : deux ordonnances de police, de 1622 et 1632, ajoutent à la rigueur de l’arrêt, en défendant d’acheter et de faire sortir aucuns grains de la distance de dix lieues de Paris, à peine de confiscation et d’amende arbitraires.

Ces dispositions tendent à bannir le commerce des grains de la ville de Paris, où le négociant est privé de la liberté et presque de la propriété de sa denrée, et surtout de l’attrait, essentiel au commerce, de pouvoir se porter où il espère un bénéfice ; cette police l’avertit même qu’il ne doit ni s’approcher de la ville, ni passer dans l’arrondissement des dix lieues, et cet espace devient un point de séparation insurmontable entre toutes les provinces qui pourraient profiter des avantages de la navigation, pour se prêter des secours mutuels ; de manière que la Bourgogne et la Champagne, surchargées de grains, ne pourraient secourir la Normandie affligée de la disette, par la seule raison que la Seine traverse Paris et son arrondissement : de même qu’à peine aucun secours ne pouvait être porté de Normandie à Paris et au delà, en remontant la Seine, avant que par notre édit du mois de juin 1775, portant suppression des offices de marchands privilégiés et porteurs de grains, et abolition du droit de banalité de la ville de Rouen, nous eussions levé les obstacles qui interceptaient dans cette ville le commerce des grains.

L’ordonnance de police de 1635, ci-dessus citée, et confirmée par un édit de 1672, défend aux marchands qui ont commencé la vente d’un bateau de blé d’en augmenter le prix ; et par une injustice évidente, le marchand soumis aux hasards qui ont diminué les prix au commencement de sa vente, ne peut profiter de ceux qui, avant la fin de cette vente, peuvent rendre le prix plus avantageux.

Les mêmes règlements enjoignent encore, à tout négociant qui fait transporter des grains à Paris, de les y vendre en personne ou par des gens de sa famille, et non par des facteurs ; on ignorait alors que le laboureur ne peut abandonner les travaux de sa culture, ou le négociant le soin de son commerce, pour suivre une partie de ses marchandises ; qu’ils ne peuvent l’un et l’autre se déplacer sans frais ; et que leurs dépenses, devant être remboursées par leur commerce, augmenteraient inutilement le prix des grains.

La défense faite aux voituriers, par l’arrêt de 1661, de vendre des grains dans les chemins, ou même de délier les sacs, à peine de confiscation, est sans objet à l’égard du commerce, qui ne s’arrête pas dans ses destinations pour se livrer à de semblables détails ; elle serait inhumaine pour ceux de nos sujets qui pourraient éprouver des besoins pressants ; elle est encore incommode et rebutante pour le négociant, qu’elle expose à être inquiété, et peut-être injustement puni, si quelque accident oblige de toucher aux sacs de grains qu’il fait conduire.

Enfin, l’obligation imposée par le même arrêt de 1661, à ceux qui font le commerce des grains pour Paris, de passer leurs factures par-devant notaires, de les représenter aux officiers des grains, de les faire enregistrer sur des registres publics, est une formalité contraire à tous les usages, à l’intérêt du commerce qui exige surtout de la bonne foi, le secret et la célérité des expéditions ; et cette loi n’a d’autre objet que d’occasionner des frais qui augmentent le prix des ventes.

C’est par de tels règlements qu’on s’est flatté autrefois, et presque jusqu’à nos jours, de pourvoir à la subsistance de notre bonne ville de Paris. Les négociants, qui par état sont les agents nécessaires de la circulation, qui portent infailliblement l’abondance partout où ils trouvent liberté, sûreté et débit, ont été traités comme des ennemis qu’il fallait vexer dans leur route, et charger de chaînes à leur arrivée : les blés qu’ils apportaient dans la ville ne devaient plus en sortir ; mais ils ne pouvaient ni les conserver, ni les garantir des injures de l’air et de la corruption ; on s’efforçait de précipiter les ventes ; on arrêtait les achats ; le marchand devait vendre ses grains en trois jours de marché ou en perdre la disposition ; l’acheteur ne pouvait s’en pourvoir que lentement et en petites parties ; la diminution des prix faisait la loi au négociant, leur augmentation ne pouvait lui profiter : les marchands de grains, effrayés par les rigueurs de la police, étaient encore dévoués à la haine publique ; le commerce opprimé, diffamé de toutes parts, fuyait la ville ; un arrondissement de vingt lieues de diamètre séparait entre elles, et de notredite ville, les provinces les plus abondantes ; et cependant toutes précautions étaient interdites dans l’intérieur et sur les abords ; on paraissait même conspirer contre les moissons futures, en exigeant que le laboureur quittât son travail pour suivre ses grains et les vendre par lui-même.

Cette police désastreuse a produit, dans les temps anciens, les effets qu’on devait en attendre : des chertés excessives et longues ont succédé rapidement à des années d’abondance ; elles se sont prolongées sans disette effective ; elles ont conseillé des remèdes violents et dangereux qui les ont perpétuées, parce que le commerce, anéanti par les règlements, ne pouvait donner aucun secours.

Tels sont les effets que notre ville de Paris a éprouvés, dans les années 1660, 1661, 1662, 1663 ; dans les années 1692, 1693, 1694 ; dans les années 1698 et 1699, et enfin dans l’année 1709, et depuis dans les années 1740 et 1741, temps funestes où le prix des grains, étant modéré dans plusieurs provinces, était cependant excessif à Paris ; où l’excès de ce prix était déterminé, non par leur quantité effective, mais par l’avidité du petit nombre de marchands auxquels la vente des grains était livrée, sous un régime qui ne permettait ni commerce, ni circulation, ni concurrence. L’abandon de ces règlements nuisibles, fondé sur les lois de la nécessité, a pu seul rendre moins incertain l’approvisionnement de notre bonne ville de Paris : ils menaçaient sans cesse de disette et de cherté ; il était indispensable de tolérer des ressources contre les obstacles que pouvaient opposer les glaces ou les inondations ; d’avoir des magasins dans l’arrondissement des dix lieues, et même dans l’intérieur ; de souffrir que les marchands pussent préserver leurs grains des injures de l’air, qu’ils eussent le temps de les vendre, la faculté d’employer des facteurs ; et ce n’est qu’à l’inexécution de ces lois que Paris a dû sa subsistance.

Mais l’inexécution de telles lois ne suffit pas pour rassurer le commerce, que leur existence menace encore ; il n’a point repris ses fonctions ; le gouvernement ne pouvant y mettre sa confiance, s’est cru obligé de pourvoir par lui-même à l’approvisionnement de la capitale. Il a éprouvé que cette précaution, réputée nécessaire, avait les plus grands inconvénients ; que le commerce qui se faisait sous ses ordres n’admettait ni l’étendue, ni la célérité, ni l’économie du commerce ordinaire ; que ses agents autorisés portaient, dans tous les marchés où ils paraissaient, l’alarme et le renchérissement ; qu’ils pouvaient même par la nature de leurs fonctions commettre plusieurs abus ; que les opérations de ce genre, consommant le découragement et la fuite absolue du commerce ordinaire, surchargeaient de dépenses énormes les finances, et par conséquent nos sujets qui en fournissent les fonds ; enfin, qu’elles ne remplissaient pas leur objet.

C’est surtout dans les derniers temps que ces inconvénients multipliés se sont fait sentir plus vivement. La déclaration du 25 mai 1763 semblait préparer la prospérité de l’agriculture et la facilité des subsistances, en ordonnant que la circulation des grains fût entièrement libre partout le royaume ; mais une multitude d’obstacles particuliers et locaux trompaient le vœu général de la loi, et embar rassaient toutes les communications ; ils n’étaient encore ni reconnus, ni levés.

L’édit de juillet 1764 n’avait eu qu’une exécution momentanée, lorsque ses disposions ont été restreintes : cette législation, encore incomplète, demandait de nouveaux soins ; et cependant des récoltes faibles ne laissaient considérer qu’avec timidité tout projet d’innovation, lorsque l’arrêt du Conseil du 23 décembre 1770, et les lettres-patentes du 16 septembre 1771, en rappelant le régime prohibitif des siècles passés, ont resserré les chaînes dont le commerce des grains commençait à peine à se débarrasser, et en ordonnant cependant la libre circulation, l’ont surchargée de formalités nombreuses et compliquées qui la rendaient impossible.

À cette époque, l’inégalité des récoltes a cessé d’être la mesure de la valeur des grains : leur vrai prix n’a existé en aucun lieu ; on l’a vu excessif en quelques endroits, modéré et même bas dans des lieux assez voisins. Le blé et les seigles ont manqué dans nos ports les plus fréquentés par le commerce, et n’ont pu y être portés des autres ports où régnait l’abondance, lorsqu’il ne s’y est point trouvé de siège d’amirauté. L’apparence, toujours prochaine, de quelque disette locale a surchargé le gouvernement de sollicitudes, de dépenses excessives, d’opérations forcées, qui ont donné au peuple beaucoup d’inquiétude, et trop peu de secours réels ; et dans cet espace de temps où plusieurs récoltes ont été assez bonnes, le prix des grains en général a été plus haut qu’on ne l’a vu en 1775, après la mauvaise récolte de 1774.

L’examen de ces faits, qui sont de notoriété publique, nous a convaincu que le commerce affranchi de toute gêne et de toute crainte peut seul suffire à tous les besoins, prévenir les inégalités des prix, les variations subites et effrayantes qu’on a vu trop souvent arriver sans cause réelle ; qu’il pourrait seul, en cas de malheur, suppléer au vide des disettes effectives auxquelles toutes les dépenses du gouvernement ne pourraient remédier.

Déterminé à donner dans tous les temps à nos peuples des preuves de notre amour, à faire les sacrifices que leur bonheur et la facilité des subsistances pourront exiger de nous, nous voulons choisir par préférence et leur faire connaître ceux dont l’utilité est la plus certaine et la plus directe ; nous nous proposons de fixer l’abondance dans leurs murs, en révoquant des règlements qui la bannissent, en affranchissant les grains des droits qui en augmentent le prix et qui en troublent le commerce ; enfin, en le délivrant des fonctions incommodes de quelques offices créés pour veiller à l’exécution de ces règlements, et que nous avons cru de notre sagesse de supprimer, avec d’autres offices de même genre, par notre édit de ce mois.

Nous nous déterminons à exempter de tous droits et faire jouir d’une immunité absolue les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, destinés à la consommation du peuple de notredite ville ; mais, en exerçant notre bienfaisance pour l’extinction actuelle de ces droits, nous n’oublierons pas qu’il est de notre justice de pourvoir aux indemnités dues pour raison des suppressions que nous nous proposons d’ordonner.

Une partie des droits qui se perçoivent sur les grains, a été concédée aux prévôt des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris, par la déclaration du 25 novembre 1762, pour l’établissement de la halle neuve et d’une gare. Le produit est affecté au payement de charges réelles, à l’acquittement desquelles il sera par nous pourvu jusqu’au 1er janvier 1783, temps auquel le payement du droit de halle et de gare doit cesser, aux termes de la même déclaration.

Une autre partie de ces mêmes droits était attribuée aux offices des mesureurs et porteurs de grains, établis sur la halle et sur les ports par édit du mois de juin 1730, et qui sont compris dans la suppression générale ordonnée par notre édit de ce mois.

L’ordre à établir pour effectuer les indemnités assurées à ces officiers par notre édit, exige que nous réservions, pour être perçue à notre profit, une partie des droits qui avaient été attribués à ces mêmes offices sur l’avoine, les grains et grenailles, autres néanmoins que les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, et moins utiles à la subsistance de notre peuple, que les espèces que nous affranchissons spécialement.

Nous voulons néanmoins distinguer et éteindre dès à présent la portion des droits qui ne représentait que les salaires des porteurs employés au service de la halle ; nous n’en ferons percevoir que la portion attribuée aux officiers, comme intérêt de leurs finances.

Nous ne doutons pas que le commerce délivré de toutes les gênes, et encouragé par nos lois, ne pourvoie à tous les besoins de notre bonne ville de Paris. Ainsi l’abondance constante, et le juste prix des subsistances, deviendront la suite et l’effet de la réforme d’une police nuisible, de la protection que nous accordons au commerce, de la liberté des communications, enfin de l’immunité absolue de tous les droits qui augmentaient les prix ; et le bien que nous aurons fait à nos sujets sera la récompense la plus douce des soins que nous prenons pour eux. À ces causes, etc.

Art. I. Voulons qu’il soit libre à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de faire apporter et de tenir en grenier ou en magasin, tant dans notre bonne ville de Paris que dans l’arrondissement de dix lieues et ailleurs, des grains et des farines, et de les vendre en tels lieux que bon leur semblera, même hors des bateaux ou de la halle.

II. Il sera pareillement libre à toutes personnes, même aux boulangers de notre bonne ville de Paris, d’acheter des grains et farines à telles heures, en telles quantités et en tels lieux, tant dans ladite ville qu’ailleurs, qu’ils jugeront à propos.

III. Ceux qui auront des grains et des farines, soit à la halle et aux ports, soit en greniers ou magasins dans ladite ville de Paris, ne pourront être contraints de les vendre dans le troisième marché ni dans tout autre délai.

IV. Pourront aussi, ceux qui auront des grains à vendre dans notredite ville, augmenter ainsi que diminuer le prix, conformément au cours du commerce, sans que, sous prétexte de l’ouverture d’une pile ou d’un bateau, et du commencement de la vente de l’un ou de l’autre, ils puissent être contraints à la continuer au même prix.

V. Il sera pareillement libre, à tous ceux qui auront des grains ou des farines dans ladite ville de Paris, de les vendre en personne, ou par des commissionnaires ou facteurs.

VI. Ceux qui feront le commerce des grains dans notre ville de Paris, ou pour elle, ne pourront en aucun cas être contraints à rapporter aucunes déclarations, lettres de voitures ou factures passées devant notaires, ni à les faire enregistrer sur aucuns registres publics.

VII. Il sera libre à toutes personnes de faire ressortir, tant de la ville de Paris que de l’étendue des dix lieues de son arrondissement, les grains et les farines qu’elles y auront fait entrer, ou qu’elles y auront achetés, sans avoir besoin pour raison de ce d’aucune permission.

VIII. Avons éteint et supprimé, éteignons et supprimons les droits sur les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, attribués aux offices de mesureurs et porteurs de grains, que nous avons compris dans la suppression ordonnée, par notre édit du présent mois, des différents offices créés sur les ports et halles ; de tous lesquels droits imposés sur les denrées les plus nécessaires, faisons don et remise aux habitants de notre bonne ville de Paris. Défendons à toutes personnes de faire, sous prétexte d’iceux, aucune perception à compter du jour de la publication de notre présente déclaration, à peine de concussion.

IX. Avons pareillement éteint et supprimé, éteignons et supprimons le droit de halle et de gare sur les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, ensemble les 8 sous pour livre levés sur partie dudit droit ; et, en conséquence il« s dispositions portées par le présent article et par l’article précédent, lesdits grains et farines seront exempts de tous droits quelconques dans notre bonne ville de Paris. Voulons néanmoins que la perception desdits droits de balle et de gare, sur toutes les autres denrées et marchandises qui y sont sujettes, et qui ne sont spécialement affranchies par notre présente déclaration, continue d’être faite au profit des prévôt des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris jusqu’au 1er janvier 1785, que ladite perception doit cesser, suivant les lettres-patentes du 25 novembre 1762, qui l’ont établie.

X. Avons réservé et réservons, pour être (ainsi qu’il sera ci-après déclaré) perçus à notre profit, les droits attribués auxdits offices de mesureurs et de porteurs de grains sur l’avoine, l’orge, les graines et grenailles, autres néanmoins que les blés, méteils, seigles, pois, fèves, lentilles et riz. Voulons que ladite perception soit faite aux barrières par les commis et préposés de l’adjudicataire général de nos fermes, lequel sera tenu de nous en compter, conformément aux dispositions de l’article lit de l’édit du présent mois, portant suppression des communautés d’officiers auxquels les droits avaient été attribués.

XI. Ordonnons que sur les droits réservés, et désignés au précédent article, distinction soit faite de la portion répondant aux salaires du travail dont lesdits officiers étaient tenus relativement aux grains sur la halle et sur les ports ; et que du jour de la publication de notre présente déclaration, ladite portion cesse d’être perçue ; et sera l’autre portion de ces mêmes droits, que nous entendons nous réserver, perçue sur le pied et conformément au tarif attaché sous le contre-scel de notre présente déclaration.

XII. Sera par nous pourvu à l’indemnité due auxdits prévôt des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris pour raison de l’extinction ordonnée, par l’article IX ci-dessus, du droit de halle et de gare sur les grains et farines énoncés audit article, et ce sur les fonds qui seront par nous à ce destinés.

XIII. Seront au surplus nos lettres-patentes, données sur le commerce des grains le 2 novembre 1774, exécutées pour notre bonne ville de Paris et pour les dix lieues de son arrondissement. Dérogeons à toutes ordonnances, édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts et règlements à ce contraires. Si donnons en mandement, etc.


Instruction concernant la vérification des droits perçus sur les grains dans les marchés ou hors des marchés, à quelque litre que ce soit, ordonnée par les arrêts du Conseil des 13 août 1775 et 8 février 1776. (10 mai 1776.)

Tous les propriétaires de droits sur les grains sont tenus, aux termes des arrêts du Conseil des 13 août 1775 et 8 février 1776, de représenter leurs titres par-devant les commissaires que nomment ces arrêts, et doivent établir par titres non-seulement leur propriété, mais l’étendue et la forme de perception de ces droits, objet qui est une partie intégrante, et souvent une des plus importantes, des droits mêmes. Mais comme il arrive souvent que plusieurs des usages qui sont suivis dans la perception de ces droits, sont établis par le fait et par une sorte de tradition plus que par des titres exprès, et que ces usages peuvent être d’autant moins soutenus de titres formels, qu’ils auront été moins contestés, il est nécessaire, pour que les sieurs commissaires aient une connaissance pleine et distincte de tous les droits qu’ils ont à vérifier, que toutes les règles ainsi établies par l’usage, dans la perception des droits sur les grains, leur soient aussi connues que les dispositions précises des titres des propriétaires. En conséquence, tous les propriétaires de droits sur les grains auront à joindre à la représentation de leurs titres une déclaration, d’eux signée et certifiée véritable, sur les points ci-après, dont ils rempliront, chacun en droit soi, les articles qui pourront s’appliquer à chaque partie ;

Savoir : sur quelle nature de grains, graines, grenailles ou farines, leur droit est perçu.

Les noms, rapports, contenance et poids en froment des mesures qui sont usitées sur le lieu et qui servent à la perception du droit.

Les noms de toutes les paroisses ou lieux particuliers où le droit est payé.

Le taux de la redevance ; si elle est perçue en nature ou en argent.

Si le droit est perçu à l’entrée du marché, ou même à l’entrée de la ville, bourg ou village, ou lors des ventes seulement ? S’il est dû par les vendeurs, ou par les acheteurs ? S’il est perçu en cas de première vente seulement, ou à chaque vente et revente des mêmes grains ? S’il est perçu sur les grains, graines, grenailles ou farines qui se vendent au marche seulement, ou sur ceux même qui se vendent dans les maisons ou ailleurs, hors du marché ? S’il est perçu le jour seulement de la semaine que se tient le marché, ou les autres jours de la semaine ?

Si, outre le droit imposé sur le grain à raison de la vente, il est encore perçu sur le même grain un droit pour le placage ou étalage sous les halles ? Si, lorsque le grain est gardé d’un marché à l’autre, il se perçoit un droit de resserre, et si les droits sont encore perçus de nouveau lorsque le grain est rapporté à un second marché ? Si quelques personnes privilégiées, ou quelques destinations des grains, jouissent de l’exemption du droit, et à quelles conditions ? Si la franchise des personnes privilégiées a effet, tant sur ce qu’elles achètent que sur ce qu’elles vendent ? Si la perception des droits levés sur les grains a pour cause l’acquittement de quelque charge au profit du public, de la part du propriétaire de ces droits ; et si lesdites charges sont exactement acquittées ? Et généralement toutes les règles et tous les usages qui sont suivis relativement à la perception de ces droits[5].


  1. L’on doit faire observer relativement à cet arrêt, 1o qu’il n’établissait que la liberté intérieure du commerce des grains, et que cependant les ennemis de Turgot l’attaquèrent comme si ce ministre eût rendu l’exportation libre ; 2o que cette mesure n’était pas une innovation, puisque, sans parler de la déclaration du 25 mai 1763, le contrôleur-général de Machault avait, en 1749, non-seulement autorisé la libre circulation des grains à l’intérieur, mais permis même leur sortie du royaume par deux ports de la Méditerranée ; 3o enfin, que la déclaration de 1763 n’avait été révoquée par l’abbé Terray, en 1770, que pour favoriser un infâme trafic sur les grains, auquel il est constant que Louis XV lui-même prenait part. (E. D.)
  2. Ce fut le 3 mai qu’éclata dans Paris la sédition que cette ordonnance solennelle avait pour but d’étouffer dans son principe. Cet épisode du ministère de Turgot fut appelé la guerre des farines, et nous en avons consigné les principaux détails dans la Notice qui précède la réimpression des œuvres de cet homme d’État. (E. D.)
  3. M. de Loménie, archevêque de Toulouse, et depuis archevêque de Sens, consulté sur la rédaction de cette Instruction aux curés, et chargé d’y mettre la dernière main, y inséra cette phrase, que plusieurs personnes prirent pour un engagement de dévoiler tous les ressorts de la conspiration, et d’en nommer les instigateurs, ce que la qualité des hommes et la nature des circonstances rendaient impossible, comme M. l’archevêque de Toulouse ne l’ignorait pas.

    C’était une imprudence dont on a rendu M. Turgot responsable, et qui a beaucoup envenimé la haine que lui portaient ceux que leur conscience avertissait de se croire désignés. (Note de Dupont de Nemours.)

  4. Cette déclaration est l’un des six projets de loi énumérés dans le célèbre Mémoire ou Rapport au roi, du mois de janvier 1770. Elle ne fut enregistrée qu’en lit de justice. — Voyez ce Mémoire, no II, Déclarations, édits, etc., relatifs à l’industrie agricole, manufacturière et commerciale.
  5. Cette Instruction était jointe à un arrêt du 10 mai 1776, qui en exposait les motifs et ordonnait de s’y conformer.