Œuvres de Turgot (Daire, 1844)/Lettres-circulaires aux curés de la généralité de Limoges

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LETTRES CIRCULAIRES

AUX CURÉS DE LA GÉNÉRALITÉ DE LIMOGES,

POUR LEUR DEMANDER LEUR CONCOURS DANS DIVERSES
OPÉRATIONS ADMINISTRATIVES[1].


première lettre. — Paris, le 3 mai 1762.

Personne, monsieur, n’est plus à portée que MM.  les curés, par leur état, par l’éducation distinguée que cet état exige, et par la confiance que leur ministère inspire au peuple, de bien connaître sa situation et les moyens de la rendre meilleure. Comme l’administration ne doit pas avoir un autre but, il est certain qu’ils pourraient lui fournir bien des secours et des lumières très-précieuses. Ils pourraient aussi rendre de grands services aux sciences, aux arts, au commerce, et surtout à l’agriculture, puisqu’ils sont seuls à portée de faire une foule d’observations qui échappent nécessairement aux habitants des villes : il ne s’agirait que de prendre la peine d’informer ou les personnes chargées de l’administration, ou les corps qui cultivent les sciences, des faits intéressants que le hasard leur présenterait. Les instructions qu’ils pourraient donner aux paysans, en leur communiquant les découvertes et les nouvelles pratiques dont l’utilité aurait été éprouvée, seraient encore très-avantageuses aux progrès de la science économique.

Persuadé que leur zèle embrasse tout ce qui peut tendre au bien public, et que tous les services à rendre aux hommes sont du ressort de leur charité, je me propose de recourir souvent à eux pour leur demander des éclaircissements de toute espèce, ou pour les prier de m’aider à rendre à leurs paroissiens une justice exacte. Vous devez donc vous attendre, monsieur, que je m’adresserai plus d’une fois avec confiance à vous, ainsi qu’à MM. vos confrères ; j’espère même qu’eux et vous ne vous en tiendrez pas seulement à me répondre, et je vous prie de me faire part directement de toutes les choses dont vous croirez utile que je sois instruit. Vous me feriez même plaisir d’engager ceux de vos vicaires qui auraient du goût pour les différents genres d’observations dont je vous ai parlé, à s’en faire un amusement, et à me les communiquer. Vous pouvez être assuré que je me ferai un plaisir de distinguer en toute occasion et d’obliger ceux dont la correspondance m’aura procuré des éclaircissements utiles. Je me flatte que MM. les évêques ne pourront que savoir gré aux curés d’être entrés dans de pareilles vues, et je les prierai de vouloir bien leur en témoigner leur satisfaction.

La première chose que je vous demande aujourd’hui, c’est d’informer ou moi, ou le subdélégué le plus voisin, des accidents considérables qui peuvent arriver dans votre paroisse, surtout des maladies contagieuses qui s’y répandraient, soit sur les hommes, soit même sur les animaux ; ces occasions exigent des secours qui ne peuvent être trop prompts, et je ne puis y pourvoir si je n’en suis averti sur-le-champ.

J’ai encore à vous prier de rendre un service à vos paroissiens au sujet des requêtes qu’ils sont dans le cas de me présenter pour différents objets. Je sais que souvent ils s’adressent à MM. les curés pour les leur composer ; je ne puis trop applaudir à la charité de ceux qui veulent bien prendre ce soin, et je les exhorte à continuer. Je serais fort aise qu’ils voulussent aussi se charger de m’adresser toutes ces requêtes, et qu’ils persuadassent aux paysans de ne point se détourner de leur travail pour venir me les présenter eux-mêmes, comme il ne leur arrive que trop souvent. Les audiences que je suis obligé de leur donner sont une perte de temps pour moi ; mais j’ai bien plus de regret encore à la perte du leur, et aux frais que leur occasionnent ces voyages, pour lesquels ils dépensent souvent plus que ne peut valoir une modération légère qu’ils viennent demander sur leur capitation. Je vous serai donc obligé de vouloir bien prévenir vos habitants, de ma part, qu’ils feront très-bien de s’épargner l’embarras de ces voyages, et de vous confier leurs requêtes pour me les faire passer ; vous pourrez en même temps les assurer que je n’en aurai pas moins d’attention à y répondre exactement et promptement. Au moyen du parti que j’ai pris de faire enregistrer et numéroter dans mes bureaux toutes les requêtes avec les décisions, il devient presque impossible qu’elles soient oubliées et qu’elles restent sans être expédiées : ainsi, les paysans doivent être fort tranquilles sur la crainte de ne recevoir aucune réponse.

Je vous prie de m’adresser à Limoges, par la poste, toutes les requêtes qui vous auront été remises, et de mettre sur l’enveloppe le mot Bureau f afin qu’on soit averti d’ouvrir le paquet à Limoges dans le cas où je serais absent, et qu’on puisse enregistrer les requêtes avant de me les envoyer. J’aurai attention qu’elles soient expédiées à mesure qu’elles me parviendront ; je les renverrai répondues à MM. les receveurs des tailles ou à MM. les subdélégués, qui se chargeront de vous les faire tenir, et je vous prierai de vouloir bien les remettre aux particuliers. Il sera nécessaire qu’en m’envoyant ces requêtes vous m’en donniez avis par un mot d’écrit, afin que je sache de qui elles me viendront et à qui je dois les renvoyer.

Il y a une espèce de requêtes dont je reçois une grande quantité, et qui pourraient être facilement supprimées ; je parle de celles que les habitants de la campagne sont dans l’habitude de me présenter pour obtenir des modérations de capitation en dédommagement des pertes de bestiaux qu’ils ont éprouvées ; ces pertes sont constatées par des certificats souvent assez informes, et sur lesquels on ne peut guère compter, auxquels on a cependant égard, quelquefois par pitié pour ceux qui les apportent. Ces certificats peuvent être donnés avec trop de facilité, parce que comme ils ne produisent que des modérations sur la capitation, il n’en résulte pas une surcharge immédiate pour les autres habitants de la paroisse. Il est cependant vrai que l’imposition faite sur la province doit remplir le montant de ces modérations, et qu’ainsi elles retombent toujours sur les autres contribuables, quoique d’une manière peu sensible.

Des états des pertes de bestiaux arrivées dans chaque paroisse, dressés sous une forme claire et revêtus de la signature du curé, du syndic et des principaux habitants, auraient toute l’authenticité qu’on peut désirer. Je pourrais, sur ces états, accorder à tous ceux qui y seraient compris la modération ordinaire, sans qu’ils eussent besoin de me présenter leur requête chacun en particulier.

J’ai fait imprimer des modèles de ces états en blanc, et j’en ai de plus fait joindre un à la suite de cette lettre, rempli de noms fictifs, pour donner une idée précise de la manière dont les états en blanc doivent être remplis.

La première colonne doit contenir l’indication des villages où habite chacun de ceux qui ont éprouvé les pertes comprises dans l’état. Cette indication est nécessaire pour qu’on puisse trouver sur les rôles des tailles l’article sous lequel chaque particulier est taxé, et lui appliquer la modération qui lui est due. La seconde colonne contient les noms de ceux qui ont perdu des bestiaux, et la troisième, le nombre et la qualité des bestiaux morts, avec la date de leur perte. Cette dernière circonstance m’a paru nécessaire à marquer pour faciliter les moyens de reconnaître si l’on n’a pas allégué des pertes supposées, et d’éviter dans les états les doubles emplois qui pourraient s’y glisser.

Il reste une quatrième colonne intitulée Observations : elle est destinée à remarquer quelques circonstances particulières qui pourraient influer sur le plus ou le moins de modération à accorder, comme pourrait être la perte d’un bœuf par un travail forcé pour le service du public, tel, par exemple, que la corvée. Ou bien si le propriétaire avait essuyé depuis peu d’autres pertes considérables ; s’il avait, par exemple, perdu l’année précédente la totalité de ses bestiaux, s’il avait été incendié, il faudrait en faire mention dans cette colonne.

Ces états doivent être remplis à mesure que les accidents arrivent. C’est à vous que j’adresse les modèles en blanc. Si vous voulez les garder et vous charger de les remplir vous-même, j’en serai bien aise. Si vous aimez mieux les confier au syndic de la paroisse, en cas que celui-ci sache écrire, vous en êtes fort le maître. Dans l’un et l’autre cas, vous voudrez bien avertir vos paroissiens de venir, lorsqu’ils auront essuyé quelque perte de bestiaux, la déclarer aussitôt ou à vous, ou au syndic, afin qu’on puisse l’écrire sur l’état. Je vous prie de les prévenir en même temps que ces états doivent m’être envoyés tous les mois, et que je ne recevrai plus de requêtes ni de certificats pour les pertes qui n’auraient pas été inscrites dans le mois.

Pour n’être pas obligé de m’en rapporter uniquement à la déclaration du propriétaire, et pour que vous puissiez la vérifier sans peine, je crois qu’il n’y a pas de meilleur moyen que de lire publiquement, à l’issue de la messe paroissiale, le premier dimanche de chaque mois, l’état du mois précédent, en avertissant les paroissiens, que s’ils avaient connaissance de la supposition de quelques-unes de ces pertes comprises dans cet état, ils sont intéressés à vous en faire leur déclaration. J’espère que vous voudrez bien prendre la peine de faire cette lecture tous les mois, et effacer de l’état les pertes qui seraient reconnues fausses. Vous voudrez bien signer en conséquence le certificat au bas de l’état, et le faire signer pareillement au syndic et aux principaux habitants présents à la lecture. Vous me le ferez passer ensuite, et je vous renverrai une ordonnance de modération pour les particuliers qui y seront compris.

Je crois nécessaire de faire ces états de mois en mois ; si l’on attendait plus longtemps, il serait difficile que les paysans se souvinssent des pertes qu’auraient essuyées leurs voisins et de leurs dates, et l’on ne pourrait guère éviter d’être trompé quelquefois.

En conséquence, j’aurai soin de vous envoyer chaque année une douzaine d’états en blanc, afin que vous puissiez chaque mois m’en renvoyer un rempli suivant le modèle ci-joint. Vous n’en recevrez cette année que sept, et vous ne commencerez à remplir le premier que dans le courant du mois de juin, pour me l’envoyer dans le commencement de juillet. À l’égard des pertes arrivées dans les cinq premiers mois de cette aimée, je vous serai obligé d’en faire aussi dresser un état dans la même forme, mais qui comprendra ces cinq mois entiers. Je vous prie, à cet effet, de demander à vos paroissiens leur déclaration des bestiaux qu’ils ont perdus depuis le 1er de janvier, et de prendre toutes les précautions qui dépendront de vous pour n’être point trompé. Vous pourrez me faire tenir, au commencement de juin, un état particulier pour lequel je vous envoie aussi un modèle en blanc.

Je vous serai encore obligé, lorsque vous aurez reçu les ordonnances en modération décapitation, que je vous adresserai pour cet objet ou pour tout autre, de rendre à ceux qui les auront obtenus un second service : c’est de les faire venir chez vous avec les colléeteurs, et de vous donner la peine de faire croiser en votre présence, sur le rôle, à la marge de leurs articles, le montant de ces modérations, en remettant les ordonnances aux collecteurs. Par là, vous préviendrez toutes les disputes qui pourraient s’élever à cette occasion, et les ordonnances de modération courront moins le risque de s’égarer.

Quelques peines que puissent vous donner les détails que je vous demande, le bien qui doit en résulter me persuade que vous vous y livrerez avec plaisir, et je vous serai obligé de me faire part de vos dispositions en m’accusant la réception de cette lettre.

Je suis parfaitement, etc.[2].


seconde lettre. — Paris, le 25 juin 1762.

Les lettres que j’ai reçues de plusieurs de MM. les curés, à l’occasion de ma lettre circulaire du 3 mai dernier, m’ont donné, monsieur, la plus grande satisfaction par le zèle avec lequel ils paraissent se livrer au bien public. Je suis persuadé que ceux dont je n’ai point encore reçu les réponses né sont pas entrés moins volontiers dans mes vues, et que j’aurai les mêmes remerciements à leur faire.

Voici, monsieur, une nouvelle occasion de montrer votre bonne volonté. Vous pouvez, par vos soins, contribuer à rendre aussi utile qu’il est possible à vos paroissiens un travail très-considérable qui va se faire pour mettre en règle les rôles des tailles de l’année prochaine. Un commissaire doit se rendre incessamment dans votre paroisse pour faire la vérification du rôle, et pour remédier autant qu’il sera possible, non pas à tous les objets des plaintes qu’a occasionnées la taille tarifée (car il est impossible de corriger, dès la première année, les imperfections des abonnements et des estimations), mais du moins pour remédier aux abus qui ont pu se glisser dans la répartition les années précédentes, et pour rendre à chacun la justice qui lui est due d’après les règles établies.

Je n’entre dans aucun détail sur les motifs et les objets de ces vérifications. Je trouve plus court de joindre à cette lettre un exemplaire de l’instruction que j’envoie aux commissaires eux-mêmes[3]. En voyant ce qu’ils ont à faire, vous verrez en quoi vous pouvez les aider, et vous pourrez en même temps instruire vos paroissiens de ce qu’ils doivent faire pour profiter de la présence du commissaire, et le mettre à portée de leur rendre une pleine justice. Parmi les objets généraux du voyage des commissaires, je leur ai proposé, comme à vous, de rassembler toutes les observations qui viendront à leur connaissance sur les différentes matières relatives à l’administration et au bien public. Je suis entré dans un détail un peu plus grand que dans la lettre du 3 mai ; ainsi, je vous prie, en lisant cet article de l’instruction aux commissaires, de le regarder comme vous étant adressé et comme formant un supplément à ma première lettre.

Quant à l’objet principal de leur voyage, qui consiste dans la vérification des rôles, je vous serai obligé de vouloir bien leur procurer toutes les facilités qui dépendront de vous, et surtout d’engager vos paroissiens à se rendre assidus aux vérifications, chacun pour le canton ou village qui les concerne ; de leur faire sentir combien ils sont intéressés à s’y trouver, soit pour se défendre contre les déclarations que d’autres pourraient faire à leur préjudice, soit pour déclarer eux-mêmes ceux qui voudraient se soustraire aux impositions qu’ils doivent supporter, ce qui porterait préjudice aux autres contribuables.

Vous pouvez encore faciliter infiniment le travail des vérifications en communiquant aux commissaires, dans l’assemblée, vos registres des baptêmes et des sépultures, pour y vérifier la date des naissances et des morts, lorsque ces dates doivent influer sur la formation de quelque cote. Je crois vous faire plaisir en vous proposant d’exercer par là une action de charité envers vos habitants.

Il est possible que, dans l’intervalle qui s’écoulera entre le départ du commissaire, après sa vérification, et le 1" octobre, jour auquel la taille est due au roi, il arrive dans votre paroisse quelques changements par mort, vente, ou autrement, dont vous ne pouvez manquer d’être instruit. Vous rendrez un grand service à votre paroisse, et surtout aux collecteurs de l’année prochaine, si vous voulez bien prendre la peine d’en former un état, de le lire dans l’assemblée des habitants le premier dimanche du mois d’octobre, et de l’envoyer signé de vous, du syndic, du collecteur porte-rôle, et de tous ceux des collecteurs et des habitants présents qui sauront signer, au commissaire chargé de votre paroisse, lequel établira en conséquence ces changements sur le rôle.

Je vous prie aussi d’avoir soin que le billet d’avertissement par lequel le commissaire indiquera le jour de son arrivée, soit exactement publié, et d’en expliquer les dispositions tant aux syndics et collecteurs qu’aux autres habitants, et en particulier aux anciens collecteurs qui ont des états de faux-taux à présenter.

J’espère, monsieur, que je n’aurai pas moins de remerciements à vous faire sur cet objet important que sur les états de bestiaux que vous voulez bien prendre la peine de dresser.

Je suis très-parfaitement, monsieur, etc.

P. S. Plusieurs de MM. les curés m’ont paru douter si les brebis devaient être comprises dans les états de bestiaux. Il est vrai que, lorsqu’il ne s’agit que d’une ou deux brebis, la modération qu’on obtiendrait par là serait si peu considérable que ce n’est guère la peine d’en faire un article particulier dans les états ; mais, lorsque le nombre est plus considérable et va jusqu’à dix ou douze, il est juste d’en faire un article, mon intention étant d’accorder une modération toutes les fois que la perte est considérable. J’ai vu avec douleur que dans quelques paroisses le curé a signé seul parce que personne ne savait signer : cet excès d’ignorance dans le peuple me paraît un grand mal, et j’exhorte MM. les curés à s’occuper des moyens de répandre un peu plus d’instruction dans les campagnes, et à me proposer ceux qu’ils jugeront les plus efficaces. S’ils pouvaient, au défaut de signature, faire apposer dans les assemblées la croix du syndic et des principaux habitants, cette espèce de solennité me semblerait propre à exciter la confiance du peuple, et je leur en serais obligé.

Parmi les réponses que j’ai reçues à ma lettre du 3 mai, quelques-unes contiennent des observations intéressantes. J’y ai trouvé aussi des représentations sur plusieurs abus dont je sens tous les inconvénients, et auxquels je voudrais bien pouvoir remédier. Mais sur quelques-uns je ne vois que des moyens très-peu faciles à mettre en œuvre, et peut-être dangereux par l’atteinte qu’ils donneraient à la liberté dont chaque citoyen doit jouir, et qui ne saurait être trop respectée.


troisième lettre. — Limoges, le 23 octobre 1762.

L’usage qui s’est introduit, monsieur, dans la généralité de Limoges, de charger les collecteurs des tailles de la levée du vingtième, est contraire à ce qui s’observe dans la plus grande partie du royaume, où le vingtième est levé par des préposés particuliers. Je le crois aussi sujet à beaucoup d’inconvénients ; je sais que MM. les receveurs des tailles pensent qu’il rend les recouvrements plus difficiles, et il est certain que la collecte, déjà trop onéreuse par la seule levée des tailles, l’est devenue encore davantage par l’addition de celle des vingtièmes.

Les principes de l’imposition du vingtième sont d’ailleurs bien différents de ceux de la taille, puisque c’est au propriétaire, et non au colon, qu’il faut s’adresser pour le payement ; les termes de l’échéance des payements ne sont pas non plus les mêmes ; les contestations qu’occasionnent les poursuites et la taxe des frais ne se portent pas devant les mêmes juges.

Il est impossible qu’un collecteur, qui souvent ne sait ni lire ni écrire, ne confonde pas tous ces objets. Il en résulte beaucoup d’embarras pour l’application des payements sur les différents rôles, et beaucoup d’irrégularités dans les poursuites.

Il est encore arrivé que, les collecteurs étant responsables du montant des rôles de taille, et obligés d’en répondre parce que la taille est une imposition solidaire, on les a obligés de répondre aussi du montant des rôles du vingtième, et l’on n’a point pensé à les tirer de leur erreur en leur apprenant que, comme préposés du vingtième, il leur suffisait de faire constater les faux taux et les non-valeurs pour en être déchargés.

Toutes ces raisons me font penser qu’il serait beaucoup plus avantageux d’établir dans cette généralité comme dans les autres, et même comme dans une partie de l’élection de Tulle, des préposés particuliers pour la levée des vingtièmes. Mais, en même temps, je vous avoue que je répugne beaucoup à rétablir entièrement l’ancien usage, tel qu’il avait lieu avant que mes prédécesseurs eussent réuni la levée des vingtièmes à celle des tailles. On chargeait alors du rôle des vingtièmes celui qui avait été collecteur porte-rôle trois ans auparavant ; au moyen de quoi, un homme à peine délivré des embarras de la collecte était obligé de commencer un nouveau recouvrement.

On a pris, dans quelques généralités, un parti qui me semble beaucoup plus avantageux, et qui concilie le soulagement du peuple avec la facilité des recouvrements. C’est de nommer d’office des préposés perpétuels : on leur donne un arrondissement composé de plusieurs paroisses ; cet arrondissement est assez borné pour qu’un homme seul puisse veiller par lui-même au recouvrement avec l’assiduité nécessaire, mais en même temps assez étendu pour que les sommes à recouvrer puissent, à raison de 4 deniers pour livre, présenter un profit capable, avec les autres privilèges attribués aux préposés, d’engager des particuliers intelligents et solvables à se charger de cet emploi de leur plein gré.

J’ai fait, il y a quelques mois, cette proposition à MM. les receveurs des tailles, et je les ai priés de s’occuper du soin de former des projets d’arrondissements, et de chercher des personnes qui voulussent se charger d’y lever les vingtièmes. Leurs recherches ont été jusqu’ici presque entièrement infructueuses, et je conçois que ce plan doit être plus difficile à exécuter dans cette province que dans quelques autres qui sont plus peuplées, où les paroisses sont plus riches et plus voisines les unes des autres, où par conséquent un seul homme a bien plus de facilité à faire le recouvrement dans plusieurs à la fois, et y trouve un plus grand profit parce que les sommes à lever sont plus considérables.

Je ne veux cependant pas me rebuter encore : j’imagine que, si l’éloignement des paroisses et la modicité des sommes à recouvrer, qui résultera de la difficulté de charger un seul homme de plusieurs rôles, diminuent le profit que pourrait faire un préposé, il reste cependant assez d’avantages attachés à la levée des vingtièmes pour engager quelques personnes à s’en charger. J’ai pensé qu’en faisant connaître mes intentions dans la campagne, et en priant MM. les curés d’en instruire leurs paroissiens, je trouverais des préposés volontaires, du moins pour quelques communautés.

Le privilège le plus capable de tenter un homme de se charger de la levée du vingtième est l’exemption de collecte, et il est certainement très-précieux.

Je conviens que la collecte n’est qu’un mal passager, et que je propose de se charger du vingtième pour un temps illimité ; mais il y a une différence prodigieuse entre le fardeau de la collecte des tailles et celui de la levée des vingtièmes.

1o La levée des tailles forme un objet beaucoup plus considérable ; et, comme la taille est solidaire, le collecteur est obligé de répondre du montant du rôle ; s’il y a des non-valeurs et des cotes inexigibles, il est obligé d’en faire les avances, et ne peut s’en faire rembourser qu’avec beaucoup de peine et par un rejet sur la communauté, dont le montant ne lui rentre qu’après l’acquittement de la partie du roi, c’est-à-dire après plusieurs années ; au lieu que le préposé du vingtième, chargé d’un recouvrement bien moindre, est en même temps sûr d’être déchargé ou remboursé de ses avances, s’il en a fait, aussitôt qu’il a justifié de ses diligences et constaté la non-valeur.

2o Le vingtième étant privilégié sur la taille, le préposé est toujours payé préférablement au collecteur, et ce dernier est bien plus exposé à trouver des non-valeurs.

3o Le vingtième est dû par le propriétaire du fonds, et le fonds en répond toujours ; la taille étant due par le cultivateur, le collecteur est souvent dans le cas de perdre, par la banqueroute des métayers et par l’enlèvement des fruits.

4o Le vingtième étant toujours appuyé sur des fonds réels, le préposé n’a point à craindre que le redevable échappe à ses poursuites en quittant la paroisse, au lieu que le collecteur des tailles éprouve souvent des pertes par cette cause.

5o Enfin, un préposé étant perpétuel, aurait sur les collecteurs, qui changent tous les ans, l’avantage d’être mieux instruit, de connaître mieux les règles, de n’être point à la merci des huissiers, exposé à des surprises et à des vexations de toute espèce ; il connaîtrait aussi bien mieux tous les contribuables de son arrondissement, il pourrait choisir les moments où il leur serait plus commode de payer, et ferait son recouvrement plus promptement et d’une manière moins onéreuse au peuple.

Les préposés du vingtième sont exempts de tutelle, curatelle, etc. Ils ont le privilège de ne pouvoir être pris solidaires pour la taille dans le cas de dissipations de deniers, et ils doivent sentir la valeur de cet avantage ; ils sont exempts de milice pour eux et pour un de leurs enfants ; je les exempterai aussi de la corvée pour les chemins ; du logement des gens de guerre.

Leurs bestiaux et voitures ne seront assujettis dans aucun cas à la conduite des troupes et de leurs équipages.

Ces privilèges peuvent paraître suffisants et déterminer bien des personnes à s’offrir pour cette fonction. MM. les receveurs des tailles consentent de plus à donner à ceux qui se présenteront des termes beaucoup plus avantageux pour les payements que ceux que donnent les édits du roi.

Aux termes de ces édits, le montant du rôle doit être payé de quartier en quartier, en commençant au 1er janvier, et soldé dans l’année. MM. les receveurs des tailles proposent à ceux qui voudront se charger volontairement de la levée des vingtièmes, de leur accorder vingt mois pour solder leur rôle, en payant de mois en mois, depuis le 1er février jusqu’au 1er octobre de l’année suivante ; et il ne paraît pas que ces pactes soient fort difficiles à tenir.

Vous sentez que je n’admettrai pour préposés que des propriétaires de fonds bien solvables, qui sachent lire, écrire, et qui aient toute l’intelligence nécessaire pour bien faire le recouvrement. Mon intention est aussi de tenir la main à ce qu’ils ne commettent aucune vexation.

Vous m’obligerez véritablement si vous voulez bien prendre la peine de développer, aux habitants de votre paroisse que vous croirez en état de faire ce recouvrement, les avantages qu’ils trouveraient à se charger volontairement d’une ou de plusieurs paroisses. Si quelqu’un se propose, je vous prie d’envoyer sur-le-champ au receveur des tailles de votre élection son nom, avec la note de l’article du rôle où il est imposé, et le nom des paroisses dont il consentirait à faire le recouvrement, en cas qu’il voulût se charger de plusieurs. Les rôles du vingtième devant être remis aux préposés au 1er  janvier, il est essentiel que vous vouliez bien faire promptement toutes les démarches que je vous demande par cette lettre et me rendre sur-le-champ compte du succès.

Je suis très-parfaitement, etc.

P. S. Je profite de cette occasion pour vous prier de nouveau d’engager les habitants de la campagne à vous remettre leurs requêtes, afin que vous me les envoyiez par la poste, sans prendre la peine de me les apporter eux-mêmes. Je vous prie aussi de les avertir que je ne suis jamais visible les jours de courrier, c’est-à-dire les mardis et les vendredis, et que, les autres jours, ils ne me trouveront que depuis onze heures du matin jusqu’à une heure.


quatrième lettre. — Limoges, le 22 janvier 1763.

Persuadé, monsieur, que MM.  les curés ne se porteront pas, cette année, avec moins de zèle que l’année dernière à me faciliter les moyens de soulager ceux de leurs paroissiens qui essuieront des pertes de bestiaux, conformément à l’invitation que je leur en ai faite par ma lettre du 3 mai 1762, je joins à celle-ci de nouveaux états en blanc, en vous priant de vouloir bien les remplir comme ceux de l’année dernière.

Plusieurs de MM.  les curés m’ont représenté qu’il serait moins embarrassant pour eux de ne m’envoyer ces états que tous les trois mois, et j’ai aussi éprouvé de mon côté que la trop grande multiplicité des états envoyés tous les mois donnait quelque embarras dans mes bureaux et rendait l’expédition plus pénible. C’est ce qui m’a déterminé à ne vous envoyer pour cette année que quatre états, dont chacun servira pour trois mois. Les noms des mois auxquels chacun de ces états est destiné sont imprimés en tête, et je vous serai obligé d’y faire attention pour ne les pas confondre.

Malgré ce changement, j’espère que vous aurez toujours soin d’inscrire sur votre état les perles à mesure qu’elles arriveront. Cette attention est importante, parce qu’il est plus aisé de constater ces sortes d’accidents sur-le-champ qu’après quelques mois, et je ne puis trop vous recommander de prendre toutes sortes de précautions pour n’être point trompé. J’ai lieu de craindre que quelques-uns de MM. les curés n’aient eu un peu trop de facilité à s’en rapporter à la simple déclaration de ceux qui prétendaient avoir perdu des bestiaux. Je suis bien persuadé qu’aucun d’eux ne voudrait faire servir la confiance que je leur donne à favoriser qui que ce soit injustement, et à procurer des modérations à ceux dont la perte n’aurait pas été réelle. Quoique les modérations que j’accorde sur la capitation ne retombent pas immédiatement sur la paroisse, il est cependant vrai que l’imposition faite sur la province doit remplir le montant de ces diminutions, et qu’ainsi la charge des autres contribuables est toujours augmentée, quoique d’une manière peu sensible. Cette raison seule suffit pour vous engager à redoubler de précautions afin qu’on ne vous en impose pas : la meilleure de toutes est celle que je vous ai déjà proposée dans ma lettre du 3 mai dernier, la lecture publique de vos états.

J’ai ajouté, dans les états que je vous envoie pour cette année, une nouvelle colonne dans laquelle je vous prie de marquer à côté du nom de chaque particulier l’article du rôle sous lequel il est taxé. Faute de cette précaution, il a fallu un temps infini, l’année dernière, pour former les états de modération que j’ai renvoyés à MM. les curés. On a perdu beaucoup de temps dans mes bureaux à feuilleter les rôles pour y trouver les noms de ceux qui se trouvaient compris dans les états, et l’expédition des modérations que j’avais promises en a été retardée de plusieurs mois. Avec l’attention que je vous demande et celle d’écrire les noms bien lisiblement, j’espère que les modérations suivront, cette année, la réception de vos états de plus près que l’année dernière.

Vous voudrez bien d’ailleurs vous conformer à ma lettre du 3 mai 1762, avec la restriction cependant de ne plus comprendre dans vos états les bêtes à laine. Je vous ai fait part, dans la lettre que j’ai jointe aux premiers états de modération que vous avez reçus[4], des motifs qui m’ont engagé à supprimer en même temps et la gratification pour la perte des brebis, et la taxe qu’il était d’usage d’imposer sur les propriétaires de cette espèce de bétail.

Lorsque vous recevrez les ordonnances de modération, je vous prie de continuer à faire marquer les solvit sur le rôle en votre présence, soit par des croix suivant l’usage des collecteurs, soit en écrivant à la marge du rôle le montant des modérations. Je sais que plusieurs des collecteurs sont dans l’usage de n’écrire les reçus à compte qu’à la fin du rôle ; mais il vaut beaucoup mieux qu’ils soient écrits à la marge de la cote du contribuable, et j’ai fait laisser exprès une très-grande marge dans les rôles de cette année. Les collecteurs ne doivent faire aucune difficulté de prendre pour comptant mes ordonnances de modération, et de rembourser ceux qui auraient déjà payé toutes leurs impositions. J’ai pris des arrangements pour que MM. les receveurs des tailles ne fassent aucune difficulté de leur en tenir compte.

J’espère que vous voudrez bien aussi vous charger, comme par le passé, de m’envoyer les requêtes de ceux de vos paroissiens qui auront quelque chose à demander, et les détourner de me les apporter eux-mêmes. Je vous serai obligé de faire attention à ce que, dans toutes celles où il s’agira des impositions, l’article du rôle soit toujours indiqué. Je tâcherai d’y répondre le plus promptement qu’il me sera possible ; mais il arrive souvent que je suis obligé de les renvoyer ou aux commissaires des tailles, ou aux subdélégués, ou à d’autres personnes pour me procurer des éclaircissements : il ne faut pas pour cela imaginer que je ne les aie pas reçues ou qu’elles aient été oubliées.

Par rapport à celles qui concernent le vingtième en particulier, quelque diligence que je désirasse apporter à les expédier, les éclaircissements que je suis obligé de prendre me forcent quelquefois à les garder beaucoup plus longtemps que je ne voudrais. Il y en a plusieurs, telles que les demandes en modération qui ont pour motif des accidents extraordinaires, comme grêle, incendies, etc., et les demandes en déduction pour des rentes dues à gens de mainmorte, lorsqu’elles sont présentées pour la première fois, qu’il est d’usage d’envoyer au Conseil, ce qui retarde nécessairement la décision. Je fais cette observation pour prévenir la juste impatience qu’on a ordinairement de recevoir une réponse à ses demandes, et en même temps pour engager à se pourvoir très-promptement, et s’il est possible aussitôt après qu’on a connaissance de sa cote. Quoique j’aie retardé jusqu’à présent l’arrêté des comptes de 1760, afin de pouvoir rendre justice sur cette année pour les doubles emplois que la vérification des commissaires des tailles ne pouvait manquer de faire découvrir, cette circonstance extraordinaire ne tirera point à conséquence ; et, lorsque tout rentrera dans l’ordre accoutumé, les comptes du vingtième seront arrêtés avant la fin de la seconde année. Or, il n’est plus possible d’accorder de modérations sur les années dont les comptes sont une fois rendus.

Plusieurs personnes, faute d’être instruites des principes, me présentent des requêtes inutiles, ou omettent de joindre à celles qui sont justes les pièces nécessaires pour me mettre à portée de leur rendre la justice qui leur est due, ce qui oblige à répondre par des interlocutoires qui retardent beaucoup la satisfaction qu’elles attendent. Cette observation regarde surtout les requêtes par lesquelles on me demande des déductions pour différentes rentes qu’on est chargé de payer sur son bien. Je crois utile, pour prévenir ces inconvénients, d’entrer ici dans quelques détails relativement aux cas où l’on peut se pourvoir pour obtenir des déductions sur ses vingtièmes, et aux pièces qu’il est nécessaire de joindre.

L’on n’accorde jamais aucune déduction pour rentes dues à des particuliers. Si ce sont des rentes seigneuriales, elles ont dû diminuer l’appréciation du fonds faite par les contrôleurs, et elles ne sont imposées que sur la tête de ceux qui ont droit de les percevoir ; si ce sont des rentes secondes ou des rentes constituées, on est en droit de retenir les vingtièmes par ses mains, et dès lors il n’est dû aucune déduction. Les conventions particulières, par lesquelles on aurait renoncé au droit de retenir les vingtièmes, ne changent rien à cette règle, parce que, si un particulier a renoncé volontairement au droit que la loi lui donnait, le roi n’est pas obligé de l’en dédommager.

On déduit le vingtième pour les rentes constituées dues aux maisons religieuses et aux gens de mainmorte ; mais il est nécessaire que ces rentes soient constituées avant l’édit du mois d’août 1749, ou que la constitution ait été autorisée par des lettres-patentes, parce que, toute nouvelle acquisition étant interdite aux communautés par cet édit, elles n’ont aucune exemption de vingtième pour les rentes qu’elles auraient acquises depuis l’interdiction : par conséquent, les débiteurs sont en droit de se retenir le vingtième, sauf leurs conventions particulières, que la loi ne connaît pas.

Les constitutions pour les dots des religieuses, les pensions viagères aux religieux ou religieuses, ne sont point comprises dans cette limitation, et ceux qui doivent ces rentes ou pensions obtiennent une déduction proportionnée sur leurs vingtièmes.

La première fois qu’on se pourvoit, il est nécessaire de joindre le titre constitutif de la rente ou pension, ou bien une copie en forme ou collationnée par un subdélégué, le Conseil exigeant cette pièce pour accorder la déduction. Dans la suite, et lorsqu’une fois on a obtenu cette déduction, il suffit de joindre chaque année à sa requête une quittance de l’année pour laquelle on demande la déduction, ou à défaut de quittance un certificat qui constate que la rente est toujours due et n’a point été remboursée.

Vous me ferez plaisir d’instruire de ces règles ceux qui auraient de semblables requêtes à me présenter, et qui s’adresseraient à vous.

Quelques-uns de MM. les curés m’ont fait part de différentes levées de droits qui se font dans les campagnes à différents titres, et qui ne regardent point les impositions ordinaires. Il se peut qu’il y en ait quelques-unes d’autorisées ; mais il se peut aussi que quelques particuliers abusent de la simplicité des paysans pour leur extorquer de l’argent qu’ils ne doivent pas, ou pour s’en faire payer plus qu’il ne leur est dû. Le vrai moyen de découvrir ces sortes d’exactions, et d’en arrêter le cours, est de bien avertir les paysans de ne jamais donner d’argent à ces sortes de gens sans en avoir une quittance. Si celui qui exige cet argent ne veut pas donner de quittance, c’est une preuve qu’il demande ce qui ne lui est pas dû, ou qu’il demande plus qu’il ne lui est dû. S’il donne la quittance, il vous sera aisé de m’en envoyer une copie, en me rendant compte du fait, et j’aurai soin de vérifier si les droits qu’on veut lever sont légitimes ou non.

Je sais que, malgré les soins qu’on prend dans mes bureaux pour faire parvenir à MM. les curés mes lettres, ils les reçoivent quelquefois bien tard ; il y a même eu, dans les envois de ma lettre du 3 mai et des états qui l’accompagnaient, quelques omissions auxquelles il est très-difficile d’obvier, sans une connaissance plus exacte de la situation de chaque paroisse et de l’adresse de chaque curé, que je n’ai pu jusqu’ici me procurer.

L’on n’avait point dans mes bureaux une liste exacte de tous les curés dont les paroisses s’étendent dans cette généralité. Les premiers envois ont été faits d’après les assiettes qui servent au département de la taille, et l’on ne trouve dans ces assiettes que les noms des collectes, et non ceux des paroisses. Quelques-unes de ces collectes contiennent plusieurs paroisses, quelquefois aussi une seule paroisse renferme plusieurs collectes ; d’autres fois, une collecte est formée de plusieurs villages dépendants d’une seule ou de différentes paroisses ; il y a aussi quelques collectes qui ne sont que des enclaves de paroisses situées dans une autre élection ou même dans une autre généralité. Dans tous ces cas, il aurait été nécessaire d’envoyer à chaque curé autant d’états qu’il a dans sa paroisse de collectes ou de parties de collectes différentes, afin qu’on pût remettre à chaque collecteur l’ordonnance de modération qui concerne les villages de sa collecte ; et, lorsque les collectes sont composées de différentes paroisses, il aurait fallu envoyer à chacun des curés un état pour y comprendre les pertes arrivées dans les villages de chacune des collectes qui dépendent de sa paroisse.

Si l’on ne s’est point exactement conformé à cet ordre dans les premiers envois, et si même on ne s’y conforme pas entièrement dans celui-ci, c’est faute de connaissances suffisantes, et je prie MM. les curés de vouloir bien, en me donnant sur cela celles qui me manquent encore, me mettre à portée de réparer les omissions qui ont pu être faites par le passé, et de n’en plus faire à l’avenir.

Je vous serai donc obligé, monsieur, en cas que votre paroisse s’étende dans différentes collectes, de vouloir bien m’en instruire en m’envoyant l’état de tous les villages dont la paroisse est composée, et distinguant ceux qui appartiennent à chaque collecte. Si votre paroisse s’étend dans plusieurs élections ou dans plusieurs généralités, il sera nécessaire de distinguer pareillement les villages qui appartiennent à chaque élection ou à chaque généralité, et de marquer dans quelle élection ou dans quelle généralité est situé le chef-lieu ou l’église. S’il se trouvait dans la collecte qui porte le nom de votre paroisse quelques villages qui n’en dépendissent pas, vous voudriez bien aussi m’en donner l’état et m’indiquer la paroisse dont ils dépendraient. Il ne vous en coûtera rien de joindre à ce détail le nom du diocèse et celui de la juridiction dont dépend votre paroisse, et je vous en serai obligé.

Instruit de ces détails par ceux de MM.  les curés à qui cette lettre parviendra, il me sera facile de reconnaître si j’ai omis de l’envoyer à quelques-uns, ou si je ne leur ai pas envoyé autant d’états en blanc qu’il leur en aurait fallu, et je ferai sur-le-champ réparer ces omissions.

Le retard de l’envoi de mes lettres vient aussi de la rareté et du peu de sûreté des occasions qu’on a pour les envoyer : la poste ne va pas partout ; d’ailleurs, le port de mes lettres pourrait être quelquefois dispendieux pour MM.  les curés, et mon intention n’est pas que la correspondance que j’entretiens avec eux leur soit onéreuse.

Jusqu’à présent je me suis servi de la voie de MM.  les receveurs des tailles, qui remettent aux collecteurs, lorsqu’ils vont à la recette, mes paquets pour MM.  les curés. Cette voie n’est, je le sens, ni aussi prompte ni aussi sûre que je le désirerais. Je puis encore adresser mes paquets aux subdélégués chacun pour leur canton ; mais souvent, quoique plus voisins des paroisses de leur subdélégation, ils ont moins d’occasions que les receveurs des tailles d’y envoyer des paquets. Je continuerai donc à me servir de la voie des receveurs des tailles, à moins que MM.  les curés ne m’en indiquent une autre plus prompte et plus sûre, en me donnant une adresse dans quelque lieu à portée d’un subdélégué où je puisse leur faire tenir mes lettres. Si vous en avez une à m’indiquer, je vous prie de me le mander en m’accusant la réception de celle-ci et des états qui y sont joints.

Je suis très-parfaitement, etc.

P. S. Je vous serai obligé de continuer à mettre sur l’enveloppe des lettres et des états que vous m’adresserez le mot bureau, et de prévenir vos paroissiens d’en faire autant, à moins que ces lettres ne continssent quelque chose de secret.


cinquième lettre. — Limoges, le 14 janvier 1770.

Persuadé, monsieur, que MM.  les curés ne se porteront pas, cette année, avec moins de zèle que les dernières à me faciliter les moyens de soulager ceux de leurs paroissiens qui essuieront des pertes de bestiaux, conformément à l’invitation que je leur en ai faite par ma lettre du 3 mai 1762, je ne répéterai point les détails que contenait cette lettre, quoique plusieurs d’entre eux ne l’aient pas reçue, n’ayant été nommés que depuis cette époque. Les plus importants se retrouveront dans celle-ci, et la forme des états imprimés pour y inscrire les pertes de bestiaux est si claire, qu’il suffit de jeter les yeux sur l’intitulé des colonnes pour ne pouvoir se tromper sur la manière de les remplir. Il n’y a rien de changé à ceux de cette année, et je vous prie d’en user à cet égard comme l’année dernière.

Je joins à cette lettre quatre états, chacun servira pour trois mois. Les noms des mois auxquels chacun de ces états est destiné sont imprimés en tête, et je vous serai obligé d’y faire attention pour ne les pas confondre.

Quoique vous n’ayez à m’envoyer chaque étai qu’à la fin des trois mois, je vous prie d’avoir toujours soin d’inscrire sur votre état les pertes à mesure qu’elles arriveront : cette attention est importante, parce qu’il est plus aisé de constater ces sortes d’accidents sur-le-champ qu’après quelque retard ; et je ne puis trop vous recommander de prendre toutes sortes de précautions pour n’être point trompé.

J’ai lieu de croire que quelques-uns de MM. les curés ont eu un peu trop de facilité à s’en rapporter à la simple déclaration de ceux qui prétendaient avoir perdu des bestiaux ; je suis bien persuadé qu’aucun d’eux ne voudrait faire servir la confiance que je leur donne à favoriser qui que ce soit injustement, et à procurer des modérations à ceux dont la perte n’aurait pas été réelle. Quoique les modérations que j’accorde sur la capitation ne retombent pas immédiatement sur la paroisse, il est cependant vrai que l’imposition faite sur la province doit remplir le montant de ces diminutions, et qu’ainsi la charge des autres contributions en est toujours augmentée, quoique d’une manière peu sensible. Cette raison seule suffit pour vous engager à redoubler de précautions afin qu’on ne vous en impose pas. La meilleure de toutes est celle que je vous ai déjà proposée, et qui consiste à lire publiquement ces états à l’issue de la messe paroissiale, en avertissant vos paroissiens que, s’ils ont connaissance de la supposition de quelques-unes des pertes énoncées dans votre état, ils sont intéressés à vous en faire leur déclaration, au moyen de laquelle vous pourrez effacer de l’état les pertes qui seraient reconnues fausses.

La seconde colonne de ces états est destinée à marquer à côté du nom de chaque particulier l’article du rôle sous lequel il est taxé. Je vous serai obligé de la remplir exactement ; sans cette précaution l’on perdrait beaucoup de temps dans mes bureaux à feuilleter les rôles pour y trouver les noms de ceux qui se trouveront compris dans les états, et l’expédition des modérations que je leur accorde serait nécessairement fort retardée. Avec l’attention que je vous demande et celle d’écrire les noms bien lisiblement, j’espère que les modérations suivront d’assez près la réception de vos états.

Vous savez que les bêtes à laine ne doivent point être comprises dans ces états. La gratification pour la perte des brebis a été supprimée en même temps que la taxe qu’on avait autrefois l’usage d’imposer sur les propriétaires de cette espèce de bétail[5].

J’ai souvent regretté de ne pouvoir proportionner exactement les modérations aux pertes. J’accorde, par exemple, toujours la même diminution pour la perte d’un bœuf ; cependant deux bœufs peuvent être d’une valeur très-inégale : ce serait entrer dans un détail trop minutieux, et impossible à remplir exactement, que de spécifier la valeur des bestiaux perdus. Il suffira de distinguer les bœufs d’engrais des bœufs de labour, et je vous serai obligé de marquer désormais cette différence dans les états que vous m’adresserez.

Lorsque vous recevrez les ordonnances de modération, je vous prie de continuer à faire marquer les solvit sur le rôle en votre présence, soit par des croix, suivant l’usage des collecteurs, soit en écrivant à la marge du rôle le montant des modérations. Je sais que plusieurs des collecteurs sont dans l’usage de n’écrire les reçus à compte qu’à la fin du rôle ; mais il vaut beaucoup mieux qu’ils soient écrits à la marge de la cote du contribuable, et j’ai fait laisser exprès une très-grande marge dans les rôles. Les collecteurs ne doivent faire aucune difficulté de prendre pour comptant mes ordonnances de modération, et de rembourser ceux qui auraient déjà payé toutes leurs impositions. J’ai pris des arrangements pour que MM. les receveurs des tailles leur en tiennent compte exactement.

J’espère que vous voudrez bien aussi vous charger, comme par le passé, de m’envoyer les requêtes de ceux de vos paroissiens qui auront quelque chose à demander, et de les détourner de me les apporter eux-mêmes, ce qui perd inutilement leur temps. Je vous serai obligé de faire attention à ce que, dans toutes celles où il s’agira des impositions, l’article du rôle soit toujours indiqué. Je tâcherai d’y répondre le plus promptement qu’il me sera possible ; mais il arrive souvent que je suis obligé de les renvoyer aux commissaires des tailles, ou aux subdélégués, ou à d’autres personnes, pour me procurer des éclaircissements. Il ne faut pas pour cela imaginer que je ne les aie pas reçues ou qu’elles aient été oubliées.

Par rapport à celles qui concernent le vingtième en particulier, quelque diligence que je désirasse apporter à les expédier, les éclaircissements que je suis obligé de prendre me forcent à les garder beaucoup plus longtemps que je ne voudrais. Il y en a plusieurs, telles que les demandes en modération qui ont pour motifs des accidents, comme grêle, incendies, etc., qu’il faut vérifier ; et les demandes en déduction pour les rentes dues à des gens de mainmorte, qu’il est d’usage d’envoyer au Conseil, lorsqu’elles sont présentées pour la première fois, ce qui retarde nécessairement la décision. Je fais cette observation pour prévenir la juste impatience qu’on a ordinairement de recevoir une réponse à ses demandes, et en même temps pour engager à se pourvoir très-promptement et, s’il est possible, aussitôt après qu’on a connaissance de sa cote ; car je n’accorde point de modération sur les années dont les comptes sont une fois rendus.

Plusieurs personnes, faute d’être instruites des principes, me présentent des requêtes inutiles, ou omettent de joindre à celles qui sont justes les pièces nécessaires pour me mettre à portée de leur rendre la justice qui leur est due, ce qui oblige à répondre par des interlocutoires qui retardent beaucoup la satisfaction qu’elles attendent. Cette observation regarde surtout les requêtes par lesquelles on me demande des déductions pour différentes rentes qu’on est chargé de payer sur son bien. Je crois utile, pour prévenir ces inconvénients, d’entrer ici dans quelques détails sur les cas où l’on peut se pourvoir pour obtenir des déductions de vingtièmes, et sur les pièces qu’il est nécessaire de joindre.

L’on n’accorde jamais aucune déduction pour rentes dues à des particuliers. Si ce sont des rentes seigneuriales, elles ont dû diminuer l’appréciation du fonds faite par les contrôleurs, et elles ne sont imposées que sur la tête de ceux qui ont droit de les percevoir. Si ce sont des rentes constituées, on est en droit de retenir les vingtièmes par ses mains, et dès lors il n’est dû aucune déduction. Les conventions particulières par lesquelles on aurait renoncé au droit de retenir les vingtièmes ne changent rien à cette règle, parce que, si un particulier a renoncé volontairement au droit que la loi lui donnait, le roi n’est pas obligé de l’en dédommager.

On déduit le vingtième pour les rentes constituées dues aux maisons religieuses et aux gens de mainmorte ; mais il est nécessaire que ces rentes soient constituées avant l’édit du mois d’août 1749, ou que la constitution ait été autorisée par des lettres-patentes, parce que, toute nouvelle acquisition étant interdite aux communautés par cet édit, elles n’ont aucune exemption de vingtième pour les rentes qu’elles auraient acquises depuis l’interdiction : par conséquent, les débiteurs sont en droit de retenir le vingtième, sauf leurs conventions particulières que la loi ne connaît pas.

Les constitutions pour les dots de religieuses, les pensions viagères dues aux religieux ou religieuses, ne sont point comprises dans cette limitation, et ceux qui doivent ces rentes ou pensions obtiennent une déduction proportionnée sur leurs vingtièmes.

La première fois qu’on se pourvoit, il est nécessaire de joindre le titre constitutif de la rente ou pension, ou bien une copie on forme ou collationnée par un subdélégué, le Conseil exigeant cette pièce pour accorder la déduction. Dans la suite, et lorsqu’une fois on a obtenu cette déduction, il suffit de joindre chaque année à sa requête une quittance de l’année pour laquelle on demande la déduction, ou, à défaut de quittance, un certificat qui constate que la rente est toujours due et n’a point été remboursée.

Vous me ferez plaisir d’instruire de ces règles ceux qui auraient de semblables requêtes à me présenter, et qui s’adresseraient à vous.

Il me parvient un grand nombre de requêtes qui ne sont signées ni des suppliants, ni de personne pour eux. J’ai eu assez souvent la facilité d’y répondre, mais j’ai observé qu’il en est résulté des abus en ce qu’on m’a présenté non-seulement des requêtes sous de faux noms, et qui n’avaient point d’objet, mais encore des requêtes sous le nom de personnes qui n’en avaient aucune connaissance, et qui les désavouaient ensuite. Ces abus m’ont fait prendre la résolution de ne plus répondre qu’à des requêtes signées ou par les suppliants, ou, lorsqu’ils ne savent pas écrire, par quelque personne connue, dont la signature m’atteste que la requête est de celui dont elle porte le nom. Je vous serai obligé, en conséquence, de signer colles que vous m’enverrez, et qui n’auraient pu l’être par les demandeurs. Mais en ce cas il faudra qu’à la suite de votre signature vous fassiez mention que c’est pour un tel suppliant.

Quelques-uns de MM. les curés m’ont fait part de différentes levées de droits qui se font dans les campagnes à différents titres, et qui ne regardent point les impositions ordinaires. Il se peut qu’il y en ait quelques-unes d’autorisées, mais il se peut aussi que quelques particuliers abusent de la simplicité des paysans pour leur extorquer de l’argent qu’ils ne doivent pas, ou pour s’en faire payer plus qu’il ne leur est dû. Le vrai moyen de découvrir ces sortes d’exactions, et d’en arrêter le cours, est de bien avertir les paysans de ne jamais donner d’argent à ces sortes de gens sans se faire donner une quittance. Si celui qui exige cet argent ne veut pas donner de quittance, c’est une preuve qu’il demande ce qui ne lui est pas dû. S’il donne quittance, il vous sera aisé de m’en envoyer une copie, en me rendant compte du fait, et j’aurai soin de vérifier si les droits qu’on veut lever sont légitimes ou non.

On m’a aussi fait beaucoup de plaintes sur la multiplicité des frais que font dans les paroisses les collecteurs et les huissiers qu’ils emploient à poursuivre les contribuables. Il n’a pas encore été possible de mettre la dernière main au règlement projeté depuis longtemps pour prévenir les abus trop multipliés dans cette partie ; mais il y a une vexation de ce genre dont il est aisé aux contribuables de se garantir. Les collecteurs ont la liberté, pour leurs poursuites particulières, de je servir ou des huissiers aux tailles ou des huissiers des justices ordinaires ; il est arrivé de là que les huissiers des justices royales oui exigé pour leurs salaires cent sous par jour, ainsi qu’ils y sont autorisés dans les affaires des particuliers, au lieu que, suivant les règlements, il ne devrait leur être payé que 3 liv. comme aux huissiers des tailles.

Il s’est encore glissé à ce sujet un abus, c’est que ces huissiers exigent des collecteurs, et ceux-ci des contribuables, leurs salaires sans qu’ils aient été taxés régulièrement ; au moyen de quoi personne n’est à portée de connaître ni d’empêcher les exactions arbitraires qu’ils peuvent commettre.

Pour remédier à ces abus, j’ai fait insérer dans le mandement des tailles, art. 46 pour les paroisses abonnées, et art. 49 pour les paroisses tarifées, la défense aux collecteurs de rien exiger ni recevoir des contribuables à titre de frais, que ces frais n’aient été taxés et répartis sur ceux qui doivent les supporter.

Je les ai avertis en conséquence que, pour ne point risquer de perdre les frais qu’ils auraient pu payer aux huissiers des justices ordinaires, il fallait avoir attention de ne les jamais payer à eux-mêmes, et de les adresser toujours, ainsi qu’il est d’usage pour les huissiers des tailles, au receveur des tailles, qui seul doit les paver et en fournir les quittances aux collecteurs, lorsque ceux-ci lui remettent les sommes qu’ils ont reçues des contribuables conformément à la taxe.

Ainsi, les salaires des huissiers des justices ordinaires doivent être taxés comme ceux des huissiers aux tailles, et sur le même pied de 3 liv. par jour : cette taxe doit être faite par un officier de l’élection lorsqu’il s’agit de la taille et des impositions accessoires, et lorsqu’il s’agit du vingtième, par le subdélégué de la ville principale de chaque élection. Les collecteurs ne doivent point les payer eux-mêmes, mais les envoyer au receveur des tailles, qui se chargera de faire régler leur taxe et de la faire répartir sur les contribuables ; et ceux-ci ne peuvent être obligés de les payer que sur l’état de répartition, signé d’un officier de l’élection pour la taille, et de mon subdélégué pour le vingtième. En ne payant que de cette manière, ils seront assurés de ne payer d’autres frais que ceux qu’ils doivent véritablement.

Mais, comme ils pourraient, par ignorance, se laisser entraîner à payer aux huissiers ou aux collecteurs l’argent que ceux-ci exigeraient, vous leur rendrez service en les instruisant sur cela de la règle, et en les avertissant qu’ils ne peuvent jamais être obligés à rien payer à titre de frais que sur la représentation de la taxe faite par l’officier de l’élection ou par mon subdélégué. J’ai déjà répété plusieurs fois cet avertissement, et je vois avec peine qu’il a été presque entièrement inutile, et que le même abus n’en a pas moins subsisté. Il n’y a que l’attention de MM. les curés à faire connaître I.

Z 42 les art. 46 et 49 du mandement des tailles et l’avis contenu dans cette lettre, qui puisse arrêter le cours de cette source de vexations.

Un autre avis qu’il me paraît encore fort utile de donner aux habitants des campagnes, concerne les erreurs qui peuvent s’être glissées dans la formation de leurs cotes de taille, et la manière dont ils doivent s’y prendre pour les faire réformer, et obtenir des rejets en conséquence. Il arrive souvent qu’ils demandent conseil à un procureur, qui les engage à se pourvoir à l’élection, et qu’ils dépensent beaucoup d’argent pour obtenir une justice qu’ils pouvaient obtenir sans qu’il leur en eut rien coûté. Il n’y a pas longtemps qu’un curé ayant affermé les dîmes de sa cure, son fermier fut taxé en conséquence dans les rôles. Quelque temps après, le curé étant décédé, son successeur lit lever les dîmes à sa main ; mais, le commissaire n’ayant pas été averti sur-le-champ de ce changement, continua de taxer le fermier au rôle suivant. Il suffisait que le curé m’écrivît, ou seulement avertît le commissaire de cette erreur ; elle eût été corrigée sans difficulté, et le rejet ordonné. Au lieu de prendre cette voie simple, on a fait assigner à l’élection les collecteurs, qui n’avaient aucune part au rôle, et qui, aussi mal conseillés que le curé, ont soutenu le procès. Il s’agissait d’une cote de 36 liv. de toutes impositions, il y a eu 221 liv. 3 s. 9 d. de frais inutiles, puisqu’on aurait eu la même justice pour rien. Il est encore nécessaire que les habitants de la campagne sachent que, même dans le cas où ils se pourvoient à l’élection pour former opposition à leurs cotes, cette opposition doit être formée par simple mémoire, et même, si l’on veut, sans ministère de procureur ; que ce mémoire doit être remis au procureur du roi de l’élection, et qu’il y doit être statué sans frais. Ce sont les dispositions précises des art. VI et VII de la déclaration du 13 avril 1761 ; mais, comme la plus grande partie de ceux qui veulent se pourvoir à l’élection les ignorent, il est très-facile aux procureurs d’abuser de cette ignorance pour éluder les dispositions de la loi, en faisant assigner les collecteurs dans les formes ordinaires beaucoup plus longues et plus dispendieuses.

Vous rendrez un vrai service à vos paroissiens si vous prenez soin de les instruire des moyens qu’ils ont de se faire rendre justice à moins de frais.

Je vous ai prié, en 1767[6], de répandre parmi eux la connais sance des récompenses que j’accorde depuis plusieurs années, et à l’exemple de plusieurs généralités voisines, à ceux qui tuent des loups ; je n’ai rien changé à cet égard, mais je crois utile de répéter ici le même avis ;

Voici le tarif de ces récompenses : pour un loup, 12 liv. ; pour une louve, 15 liv. ; pour une louve pleine, 18 liv. ; pour chaque louveteau, 3 liv. ; pour un loup reconnu enragé, 48 liv.

Cette gratification sera payée par mes subdélégués sur la représentation qui leur sera faite de la tête de l’animal, et afin d’empêcher qu’on ne puisse représenter une seconde fois la même tête pour se procurer une seconde fois la récompense promise, le subdélégué aura l’attention d’en couper une oreille avant de la rendre au porteur.

Il pourrait se faire que quelques paysans n’apportassent au subdélégué que la tête de l’animal qu’ils auraient tué, et prétendissent que c’est une louve ; le subdélégué aurait à craindre qu’ils ne le trompassent pour obtenir une récompense plus forte. Pour obvier à cet inconvénient, j’ai prescrit, lorsqu’on ne pourrait pas apporter la peau entière de la louve, de ne donner l’augmentation de récompense que sur le certificat de MM, les curés ou notables de la paroisse. Je compte que vous voudrez bien donner ces certificats au besoin, et prendre les précautions nécessaires pour n’être point trompé.

Je vous serai obligé de donner connaissance de cet arrangement aux habitants de votre paroisse.

Je suis très-parfaitement, etc.

P, S. Je vous serai obligé de continuer à mettre, sur l’enveloppe des lettres et des états que vous m’adresserez, le mot bureau, et de prévenir vos paroissiens d’en faire autant, à moins que ces lettres ne contiennent quelque chose de secret.

fin des lettres circulaires aux curés.
  1. Trop véritablement philosophe pour rendre le christianisme responsable des mauvaises passions d’une partie du clergé, et pour envelopper tous ses membres dans cette haine systématique que leur portait l’école de Voltaire, Turgot avait, au contraire, pris à tâche d’honorer les curés de campagne et de tirer parti de leurs lumières pour faciliter son administration.

    « Il les regardait, dit Dupont de Nemours, comme ses subdélégués naturels, et assurait qu’on était trop heureux d’avoir, dans chaque paroisse, un homme qui eût reçu quelque éducation, et dont les fonctions dussent, par elles-mêmes, lui inspirer des idées de justice et de charité. »

    Aussi entretenait-il avec eux la correspondance la plus active, dont il ne reste, toutefois, d’autres monuments que les Circulaires données ici, et celle comprise dans la série des Travaux relatifs à la disette de 1770. Les autres pièces, au rapport de Dupont de Nemours, ont disparu des archives de l’intendance lors de la révolution. (E. D.)

  2. Modèle de l’État mentionné dans la lettre précédente.

    Je soussigné, curé de la paroisse d’Isle, déclare avoir lu à l’issue de la messe paroissiale, le premier dimanche de ce mois, le présent État des pertes de bestiaux arrivées dans ma paroisse, qu’aucun des paroissiens n’a réclamé contre son exactitude, et que j’en crois le contenu véritable ; ce que certifient pareillement avec moi les syndic et principaux habitants de ladite paroisse, et ont signé avec moi.

    Fait à Isle, le 6 du mois de juin 1762.

  3. On n’a pas cru devoir réimprimer cette Instruction, qui remplirait environ cent pages, se rapportant à un intérêt local qui n’existe plus. Elle aurait cependant montré avec quelle sagacité, quelle prévoyance, quelle prudence M. Turgot s’occupait des moindres détails propres à substituer une exacte justice au désordre qui avait jusqu’alors régné dans la répartition des impositions de la province qui lui était confiée. (Note de Dupont de Nemours.)

    — Voyez plus haut, d’ailleurs, la Déclaration concernant la taille et la Lettre circulaire aux commissaires des tailles, pages 48() et 493.

  4. Nous n’avons pas cette lettre. (Dupont de Nemours.)
  5. Cette suppression de la taxe sur les bêtes à laine était un des bienfaits de M. Turgot. (Note de Dupont de Nemours.)
  6. Nous n’avons pas cette lettre de l’année 1767. (Note de Dupont de Nemours.)