Œuvres de Vadé/De l’auteur à un de ses amis sur sa jolie façon d’écrire

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Garnier (p. 147-150).

II

DE L’AUTEUR À UN DE SES AMIS SUR SA JOLIE FAÇON D’ÉCRIRE.

Je viens de recevoir ta lettre, mon cher ami ; elle m’a en vérité fait plaisir : tu écris joliment ; j’aime les compliments à la fureur ; tu m’en as fait de magnifiques ; mon amour-propre en a eu une raisonnable indigestion. Heureusement que la grenouille, cette fois-ci, n’a disputé de grosseur qu’avec le veau : qui ne s’enfle qu’à demi, ne crève pas tout à fait. Tu m’as fait l’honneur de parler de moi à M… ? Je t’en remercie ; cependant, non, et oui… Car


Que dire d’un Jeune inconnu
Qui pour tout mérite chansonne ?
Et qui n’a d’autre revenu
Que ce qu’un simple emploi lui donne
Pour l’empêcher d’aller tout nu ;
Mais le destin ainsi l’ordonne :
Voilà le non. Et quant au oui,
Qui m’intéresse, le voici.
Si consultant l’amitié même,
(S’entend celle que j’ai pour toi,)
Tu sens quand tu parles de moi
Faire valoir combien je t’aime,
J’attends un renom glorieux.
Cher ami, ceux qui te connaissent
T’aiment d’abord, et s’intéressent
Pour quiconque pense comme eux.


Je compte sur le plaisir d’aller voir tes aimables parents, sans cependant me servir du prétexte de la fête de madame ta mère ; qu’en ai-je besoin ? Lorsque, d’accord avec l’inclination, le respect nous introduit chez les gens, et que l’on y trouve la bonté, qui, les deux bras ouverts, semble vous laisser lire dans son cœur : Vous voilà ? Tant mieux : dînez avec nous ; vous êtes un bon garçon de venir nous voir. Votre serviteur très-humble : mettez-vous là, et faites comme nous. À votre avis, M. le Conseiller à la glace, doit-on avoir recours au labyrinthe quand il s’agit d’arriver droit comme un I dans le séjour de la franchise ?

Je suis ravi que les deux chansons dont tu me parles aient été trouvées passables ; le bonheur de plaire à des personnes de goût est donc bien facile à acquérir ? Oh ! mais, les honnêtes gens se contentent de peu, et leurs généreux applaudissements font l’effet du microscope, qui grandit le moindre objet.

Madame D… est à la noce à Saint-Denis avec mesdemoiselles de… messieurs de… de… de…, etc. Eh ! que dit son mari ? Qui, lui ? Rien. Mais si tu le voyais soupirer, sinon de tendresse, du moins de courroux ; soupirs qu’il entrelace mélodieusement d’une douzaine de sacrediés ; lu rirais : ensuite il passe outre au moyen d’une f… en ajoutant : ça finira, ou le diable m’emp… Heureusement que pour lui couper la parole et pour lui épargner ce voyage, quelqu’un entre en lâchant un infructueux coup d’œil au comptoir. Ah ! ah ! où est donc votre femme ? Mot. Répondez donc ? Où est ?… — Mordié, qu’elle soit où elle voudra. Là-dessus il voudrait que Saint-Denis fût pendu, c’est-à-dire aux Indes, vingt coups de pieds dans le ventre. Le diable emporte les noces ; nous verrons si ça durera longtemps comme ça ! Somme totale : on lit dans son transport, noce à Saint-Denis, femme qui y est, et mécontentement de M. De… à cet égard.

Les soins dont tu me charges auprès de celle qui ne peut souffrir que les tiens, sont moins de saison que ce rondeau.


Plus d’une fois, et voire plus de deux
Avez reçu bonjours, tendres clins d’yeux.
Et maints souris de la tant gente Dame
Dont me parlez, et bien sais que votre âme
Avec son cœur sympathise des mieux.
Bien sais aussi qu’elle a l’air soucieux
Quant point ne voit votre minois joyeux :
Pareils chagrins ont découvert sa flamme
Plus d’une fois.

 
Étonné suis, qu’au comble de vos vœux
Me pressiez tant de protéger vos feux.
Sachez, beau fils, qu’auprès de jeune femme
Un confident, s’il voit gâteau, l’entame,
Et qu’à vos frais on peut le rendre heureux
Plus dune fois.


Fiction cessante, assure-toi qu’on a bien reçu tes faveurs : ne l’avise pas d’accorder les dernières ; c’est un moyen sûr de ne point donner entrée aux dégoûts. On est surpris comment tu peux faire une dépense si grande en compliments et à si grand marché ; mais tu te sauves sur la quantité.

Tous ceux qui te connaissent ici m’ont chargé de leurs amitiés pour toi ; sois sûr de celle de…

Si M. de… est curieux des respects de ce pays, présente-lui les miens. Madame de… t’embrasse ou peu s’en faut.