Œuvres de Vadé/Le mauvais plaisant ou le drôle de corps

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Garnier (p. 325-372).

LE
MAUVAIS PLAISANT

OU LE
DRÔLE DE CORPS
OPÉRA COMIQUE
EN UN ACTE
REPRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS SUR LE THÉÂTRE DE
L’OPÉRA-COMIQUE DE LA FOIRE SAINT-LAURENT
LE MERCREDI 17 AOÛT 1757.

ACTEURS

CÉPHISE, Mère de Sophie.

SOPHIE.

M. GROSSEL, Frère de Céphise.

PLAISANTIN,
LÉANDRE,
Amants de Sophie.

M. PRESSANT, Créancier de M. Grosset.

La Scène est à Paris dans la Maison de M. Grosset.


Scène PREMIÈRE

CÉPHISE, GROSSEL.
Grossel, riant avec éclat.

Ah ! ah ! ah ! hé bien, ma sœur.

Céphise, d’un air froid.

Hé bien ! mon frère.

Grossel, d’un ton de bonne humeur.

Convenez que Sophie votre fille n’aura pas le temps de s’ennuyer avec Plaisantin son futur, car parbleu, c’est un drôle de corps.

Céphise.

Ah ! fort drôle : est-ce parce qu’il est familier jusqu’à l’impertinence, et qu’il joue éternellement sur le mot ?

Grossel.

Et sur quoi donc voulez-vous qu’il joue, puisque c’est son caractère ?

Air : Mais à cette table.

La gaité l’inspire.
Le mot pour rire
Se trouve toujours
Encadré dans ses discours.
Votre froid Léandre,
Tristement tendre,
Ne ferait pas mal
D’imiter son rival ;
Moi-même j’envie
Son sort.

Céphise.

Son Sort.Hé bien,
Moi, je ne vois rien
De si plat dans la vie.

Grossel.

Oh, vous voilà toujours avec votre humeur.

Céphise.
Air : Non, je ne ferai pas.

Non, je n’ai point, mon frère, un caractère sombre,
Mais je sais distinguer l’esprit d’avec son ombre,
Et votre Plaisantin me prouve clairement
Que tout drôle de corps n’est qu’un mauvais plaisant

Grossel.

Hé, que m’importe à moi qu’il soit bon ou mauvais, pourvu qu’il m’amuse.

Air : Jardinier ne vois-tu pas ?

Les gens au ton affecté
N’ont pas sur moi d’empire.
Toujours leur air apprêté
Consulte leur dignité,
Pour rire, pour rire, pour rire.

Qu’ils aillent au diable : moi j’aime les rieurs, ce sont de bonnes gens, entendez-vous ? malheur à qui ne rit pas.

Céphise.

Encore faut-il en avoir sujet, mais

Air : De tous les capucins du monde.

 
Rire de choses pitoyables !

Grossel.

Ah ! vraiment, vous et vos semblables
Vous avez toujours très-grands soins
De n’être contents d’aucuns styles.
Ceux qui s’y connaissent le moins,
Sont toujours les plus difficiles.

Céphise.
Air : Un cordelier.

 
Vous me donnez un joli ridicule.

Grossel.

Par-tout il circule,
Oui, morbleu, partout.
On porte le dégoût.
Voit-on éclore uu ouvrage passable…
Il est détestable.
Par vous le talent
Périt même en naissant.

Céphise.

Vous me rendez bien de peu justice, j’aime le mérite réel ; mais qu’a de commun, je vous prie, le talent avec M. Plaisantin ?

Grossel.

Il en a. Oui, il en a, vous dis-je, et indépendamment de ce qu’il est tout uni et sans façon comme moi.

Air :Allons donc, jouez violons.

C’est que l’amitié qui nous lie
M’est d’une ressource infinie,
C’est-à-dire, pour le moment.
Vous savez, malgré ma richesse.
Que très-vivement on me presse.
Pour un certain remboursement ;
Et comme je n’ai point d’argent,
Plaisantin sera ma ressource.
Je pourrai puiser dans sa bourse.

Céphise, ironiquement.

Oh, je le crois fort obligeant.

Grossel.

Vous le croyez en enrageant.

Votre inutile Léandre, serait-il capable de ces procédés-là ?

Céphise.

Si vous le connaissiez mieux…

Grossel.

Lui, il n’est bon à rien qu’à languir, à soupirer.

Céphise.

C’est qu’il aime véritablement.

Grossel.
Air : Tomber dedans.

Ce Léandre voudrait en vain
Prétendre à la main de Sophie,

Céphise.

Mais tel est pourtant mon dessein,

Grossel.

Oh ! parbleu, je vous en défie.

Céphise.

Elle est ma fille.

Grossel.

Elle est ma fille. On le sait bien.
Vous pouvez former ce lien.
Ce doux lien
Ce beau lien.
Mais ne comptez pas sur mon bien.

L’autre est mon ami ; j’aime sa manière d’agir, son genre d’esprit me convient.

Céphise.

Non, mon frère, il ne vous convient pas.

Grossel.

Ventrebleu, je sais mieux ce qu’il me faut que vous.

Céphise.
Air : d’Épicure.

L’emportement qui vous inspire
Récompense mal ma douceur,
Je n’ai plus qu’un mot à vous dire.

Grossel.

Hé bien, voyons, ma douce sœur

Céphise.

Ce genre qu’entre nous je blâme,
De chez vous devrait se bannir.
Le seul bon goût enchante l’âme.
Et le mauvais la fait rougir.

Grossel.

Ah, diable, de la métaphysique du Marais ! mais vous êtes fort douce en effet : savez-vous que j’aimerais autant que l’on me dît des injures que de m’entendre dire que je n’ai point de goût.

Céphise.
Air : Je suis philosophe, moi.

Vous en avez, mon frère, et plus qu’un autre.

Grossel.

Chacun en a pour soi :
Vous aimez l’un, et moi j’aimerai l’autre ;
Là-dessus point de loi.

Céphise.

Ah ! volontiers.

Grossel.

Ah ! volontiers. Prêtez-vous, je me prête.


Scène II

CÉPHISE, GROSSEL, PLAISANTIN.
Plaisantin, achève l’air en sautant dès le fond du théâtre.

J’aime la fillette.
Moi,
J’aime la fillette.

Grossel.

Ah ! le voici, je respire, je suis dans mon élément avec lui.

Céphise.

Qu’ils sont bien ensemble !

Plaisantin.

Te voilà, père Grossel, où diable le fourres-tu donc ? Je t’ai cherché partout jusque dans l’écurie.

Grossel, riant.

Et tu ne m’y as pas trouvé ? N’est-ce pas ?

Plaisantin.

Hé ! bien, la petite mère Céphise, comment la joie ?

Céphise, froidement et bâillant.

Ah ! fort bien, monsieur.

Plaisantin.

Comment donc morbleu, nous voilà belle comme Cybèle.

Grossel, en souriant.

Comme Cybèle.

Céphise.
Air : Recevez ce beau bouquet.

C’est me complimenter au mieux,
Vous y mettez de la noblesse.

Plaisantin.

Cybèle était mère des Dieux,
Et vous l’êtes d’une déesse,
Par conséquent vous sentez fort,
Que Sophie étant votre fille,
Et vous ressemblant sans effort,
Aurait tort.
De n’être pas gentille.

Grossel.

Ah ! ah ! ah ! comme il tourne les moindres choses !

Céphise, ironiquement.

Oui, cela est fort beau.

Plaisantin.

Qu’est-ce que vous parlez là de corbeau ? (Il rit.) Sais-tu bien que ta sœur est plaisante.

Grossel, riant.

Oh ! tout-à-fait.

Céphise.
Air : De Catinat.

De ce talent, monsieur, vous me faites présent.

Plaisantin.

Ni présent, ni passé, madame, assurément.

Grossel, riant.

Ah ! ah ! ah !

Céphise.

Ayez donc la bonté de me parler plus clair.

Plaisantin.

Quoi ? clerc de procureur !

Grossel, éclatant de rire.

Quoi ? clerc de procureurMais finis donc, mon cher.

Le diable t’emporte. Tu veux donc me faire étouffer.

Céphise, à part.

Quel homme !

Grossel, à Céphise,
Air : Nous sommes précepteurs d’amour.

Quoi, vous ne riez point !

Céphise.

Quoi, vous ne riez point ! Hélas !
J’ai tort de ne point savoir rire.

(Dédaigneusement.)
Et puis d’ailleurs on ne rit pas.

D’une chose que l’on admire.

Je fuis sans doute l’amusement en m’éloignant de monsieur, j’en ai bien du regret. Mais une affaire m’appelle.

Plaisantin.

Une affaire vous appelle ? Elle vous a donc appelée bien bas, car je ne l’ai pas entendue.

(Céphise hausse les épaules et veut sortir.)
Grossel, content.
Air : Tu croyais qu’en aimant Colette.

Toujours chez lui l’esprit travaille,

(Arrêtant Céphise.)
Mais…
Céphise.

Vous me retenez en vain.

(Elle sort.)
Plaisantin.

Hé bon, laisse-la partir.

Car il vaut mieux qu’elle s’en aille,
Qu’une bonne pièce de vin.


Scène III

GROSSEL, PLAISANTIN.
Plaisantin.

Elle est un peu bête, ta sœur.

Grossel.

Il s’en faut de beaucoup. Elle a seulement l’esprit sérieux.

Plaisantin.

Et mais, c’est tout de même.

Grossel.

Comment tout de même !

Plaisantin.

Oui, excepté que c’est différent.

Grossel.

Ah ! bon ! laissons ce point. Au reste…

Plaisantin.

Oreste, ah, volontiers, Pylade, mais à condition qu’au lieu de mourir, nous vivrons l’un pour l’autre.

Grossel.

Où diable va-t-il chercher tout cela ? Mais parlons un peu raison.

Plaisantin.

Oh, volontiers, moi, oui, parlons raison.

Grossel.
Air : C’est là ce qui m’étonne.

Oh ! ça, mon cher, de toi je fais grand cas.
Et tu sais que j’ai grande envie,
De te faire épouser Sophie.

Plaisantin.

Cela ne me surprend [pas.

Grossel.

Oui, mais ma sœur, du moins je le soupçonne,
Elle qui doit me ménager.
Prétend pour me faire enrager,
Avec Léandre l’engager.

Plaisantin.

Voilà ce qui m’étonne.

L’engager !

Grossel.

Oui, la marier avec lui.

Plaisantin.
Air : Le Seigneur Turc a raison.

Ceci devient sérieux,
Ce récit m’enflamme :
Qui ? lui ? serait à mes yeux
L’objet des vœux de son âme !

Ah ! si Léandre l’osait
Si jamais il l’épousait…
Elle serait sa femme.

Grossel.

Hé ! mais sans doute : venons pourtant au fait, tu aimes ma nièce.

Plaisantin.

À peu près comme tu aimes l’argent.

Grossel.

Tu ne l’aimerais donc guère, car je ne suis pas intéressé.

Plaisantin.

Parbleu, je le crois bien ; car il n’y a plus de Sous-Fermes.

Grossel, d’un air content.

Diable de fou, va tu ne changeras jamais… et tant mieux. À propos, d’intérêt,

Air : Reçois dans ton galetas.

Deux mille cinq cents louis.
Ne sont pas chose frivole,
Tu me les as bien promis,
Et je compte sur ta parole,
J’ai d’excellents effets en main.

Plaisantin.

Oh, nous verrons cela demain.

Grossel.

Mais si la personne à qui je les dois revenait encore aujourd’hui.

Plaisantin.

Ne t’embarrasse pas, on trouvera à qui parler.

Grossel.
Air : Nous sommes précepteurs d’amour.

Viens, passons dans mon cabinet,
Tu verras, si tu le désire,
L’état de mon bien clair et net.

Plaisantin.

Mais à ton tour tu me fais rire.

On ne risque rien entre amis. Je t’assure que je ne risquerai pas un sol avec toi.

Grossel.

Viens toujours, quand ce ne serait que pour parler plus à notre aise des clauses de ton mariage.

Plaisantin.

Allons, cela m’amusera beaucoup, car le style des clauses est fort gai ordinairement. Il commence toujours par, par-devant… et finit par et cœtera.

(Il prend Grossel sous le bras, et le lutine en s’en allant.)
Air : Eh ! madame qu’attendez-vous ?

Finissez donc,
Monsieur Damon,
Ça m’étonne,
Ça m’chiffonne.
Finissez donc
Monsieur Damon,
Vous me dépoudrez tout mon chignon.
Ta, la, la, la, etc.

(Ils sortent.)



Scène IV

CÉPHISE, SOPHIE.
Céphise.
Air : Dieu des amants.

De bonne foi
Ici parlez-moi ;
C’est ma tendresse qui vous en prie.
Pour votre bien,
Je n’omettrai rien,
Choisissez vous-même un doux lien.

Sophie.

Le bonheur de ma vie,
Oui, mon vrai plaisir,
Est de vous obéir,
Et je n’ai d’autre envie
Que de remplir
Votre désir.

Céphise.

C’est par-là que vous méritez
Mes soins et mes justes bontés.
Vous m’êtes trop soumise en tout.
Pour que j’m’oppose à votre goût.
Non, ma chère Sophie,
Mon cœur sur ce point.
Ne vous contraindra point.
Le doux titre d’amie
Pour vous au nom de mère se joint.

Depuis longtemps que Léandre et Plaisantin viennent ici, lequel, ma fille, avez-vous remarqué être digne de recevoir votre main ?

Sophie.
Air:Bouchez, Noyades, vos fontaines.

Puisque vous permettez, madame.
Que je vous dévoile mon âme,
Plaisantin ne me déplaît pas ;
Mais au fond Léandre m’engage :
L’un me fait rire, mais hélas !
J’estime l’autre davantage.

Ce dernier a contre lui à la vérité un esprit de défiance et d’inquiétude qui m’excède quelquefois.

Céphise.

Je vous reconnais bien à ce discernement, il fait honneur à votre éducation,

Sophie.
Air : Dans un cœur paternel.

Avec sincérité,
S’exprime Léandre ;
Mais il joint à l’air tendre,
Trop de timidité.

Céphise.

L’autre soutient un rôle,
Que fuit un noble feu ;
Lorsque l’on est si drôle,
On aime peu.

Sophie.

Oui, mais quelquefois on divertit.

Céphise.

Que dites-vous là, ma fille ? ah ! j’en appelle à votre goût.

Air : Dans un songe flatteur.

C’est au seul sentiment
Que l’on peut connaître un amant :
Lui seul doit décider ;
Ah ! qu’il est doux de céder,

Quand le cœur
Peut sans rougir nommer un vainqueur !

Sophie.

D’accord, mais en est-ce assez ?


Scène V

CÉPHISE, SOPHIE, LÉANDRE.
Céphise.
Suite de l’air précédent.

Ah ! Léandre, paraissez,
Entre vos mains je remets
Ma cause et vos intérêts.

Léandre.

Ah ! madame sans vous,
Je perdrais l’espoir le plus doux ;
Mon rival dangereux
Sait amuser, qu’il est heureux 1

Sophie.

Quoi ! toujours
Me tiendrez-vous les mêmes discours ?

Léandre.

On se plaint.
Quand on craint,

Sophie.

Mais craint-on
Sans raison ?

Léandre.

Oui, oui.

Sophie.

Vous m’offensez.

Léandre.

Hé bien, non, non.
Belle Sophie, hélas !
Si les appas
Peuvent rendre tranquille,
Vous en avez mille,
Et c’est pourquoi vous ne craignez pas.
Ah ! que n’ai-je de même
Cet air charmant !
Je l’aurais, si l’amour extrême
Embellissait l’amant.

Sophie, impatiente.

 

Air : De quoi vous plaignez-vous ?

De quoi vous plaignez-vous ?
On vous trouve fort aimable.

Céphise.

Choisis un ton plus doux.

Sophie.

Monsieur est si jaloux.
Qu’à ses yeux on est coupable,
Si l’on ne prend du souci.
Je ne suis point capable
De m’attrister ainsi.

Céphise.

Mais, ma fille.

Sophie.

Madame, puis-je mieux lui parler ?

Léandre.
Air : Vous êtes irrité.

Oui, oui, vous le pouvez
Et vous savez…

Sophie.

Quoi ? Voyons, je vous prie.

Léandre.

Que votre cœur généreux
Pourrait d’un malheureux
Adoucir la vie.

Sophie.

Pour vous satisfaire
Que faut-il donc faire ?

(à part.)
Quel homme, grands Dieux !
Céphise.

Parle-lui doucement.

Sophie.

Mais, maman,
Puis-je mieux lui dire ?

Léandre.

Un seul mot suffirait,
Calmerait
Mon cruel martyre.

Céphise.

Ne refuse pas.
Ce seul mot.

Léandre.

Ce seul mot. Hélas !
Cela vous serait facile.

Sophie.

Moi je suis docile,
Et j’en dirais mille ;

(à part).
Dieux ! quel embarras !
Léandre.

Daignez donc m’apprendre
Le sort du cœur le plus tendre

Mes vœux sont-ils acceptés ?
Hélas ! vous m’écoutez,
Je le vois, sans m’entendre.

Sophie.

Mais je vous écoute.

Léandre.

Ah ! c’est malgré vous sans doute ;
Cet instant vous coûte ;
Et même il ajoute
À vos cruautés.

Sophie, avec dépit.

Monsieur, permettez
Que je vous cède la partie.

Léandre, la retenant.

Ma chère Sophie.

Céphise.

Mais quelle folie !
Ma fille, restez.

Sophie.

Mais c’est un tourment
Qu’un pareil amant.

Léandre.

Vous connaissez peu le tendre attachement :
Loin de me confondre.
Vous pourriez répondre.

Sophie.

Voyons donc comment ?

Léandre.

Je vous aime ;
Prononcez de même.

Sophie.

Mais cet aveu sied-il bien ?

Céphise.

Oh ! tu le peux.

Sophie, un peu froidement.

Hé ! bien,
Je vous aime.

Léandre.

M’aimez-vous de même,
Car je crains.

Sophie.

Oh ! pour le coup
Ce ton craintif me déplaît beaucoup.

C’est vrai, il m’impatiente à la fin.

Léandre, d’un air pénétré.

Je n’ai pas le bonheur d’être plaisant.

Sophie.

Oh ! pour cela, non.

Céphise.

Mais, Léandre, votre inquiétude est aussi trop forte.

Léandre.

Madame, j’en suis plus à plaindre.


Scène VI

CÉPHISE, SOPHIE, LÉANDRE, PLAISANTIN.
Plaisantin.

Parbleu, on étouffe dans son cabinet ; oh ! ma foi, qu’il y reste.

Adieu donc, Dame Françoise,
Pour qui j’ai tant soupiré.

Léandre.

Mademoiselle, voilà de quoi vous dissiper. Je crois devoir ne pas interrompre vos plaisirs.

Sophie.

Encore ! restez, monsieur.

Léandre.

Allons.

Plaisantin.

Je suis fort aise de vous rencontrer tous. Hé ! bien, de quoi parlez-vous là ? d’affaires ? J’en suis ravi ; car moi, j’aime les affaires, surtout quand elles sont faites.

Air : La quille dondaine.

(à Sophie).
Vous voilà donc, ma belle enfant.

J’aime en vous cet air triomphant.

(Folâtrant avec elle).

Elle est ma foi leste.

Céphise.

Monsieur, point de geste,

Plaisantin, à la mère.

Belle maman.

Céphise, d’un air sec.

Ah ! finissons.

Plaisantin.

Ah ! finissons. Peste,
Le ton est cru,

(à Léandre).

Toi, l’eusses tu cru.

Hé ! bien, le beau Léandre, es-tu toujours jovial ?

Sophie, souriant.

Ah ! toujours.

Céphise.
Air : Allons gai.

Y pensez-vous, ma fille ?

Plaisantin, prenant les mains de Céphise.

Pourquoi cet air transi ?
En mère de famille.
Donnez l’exemple ici.
Allons gai, d’un air gai, etc.

Céphise, voulant retirer ses mains.

Mais, monsieur, vous prenez bien des libertés.

Plaisantin.

Moi, point du tout ; ce sont vos mains que je prends.

Sophie, à Céphise.

Ah ! maman, vous riez vous-même !

Céphise.

C’est de pitié.

Plaisantin, à Léandre.

 

Air : Nanon dormait.

Tu ne dis rien.

Léandre.

Oh ! je n’ai rien à dire.
Votre entretien.
Paraît ici suffire.

Plaisantin.

Oui, tu le prends ainsi ?
Tant pis, tant pis,
Tant pis pour toi, mon pauvre ami.

Tu n’es pas de l’humeur de l’original qui m’écrit sans m’avoir jamais vu. Il faut que je vous montre sa lettre.

Céphise.

Non, nous ne sommes point curieuses.

Plaisantin.

Quel conte !… Ah ! la voici (il lit).

« Monsieur et cher ami, quoique je n’aie pas l’honneur de vous connaître, je suis inquiet de l’état de vos nouvelles. C’est pourquoi je vous prie d’accepter sans façon un repas de cérémonie. Je me ferai un plaisir de vous régaler à picnic, pour ne pas avoir un air de prétention. Nous serons à la vérité plusieurs dans le nombre ; mais quand il y a à manger pour six, il y en a toujours pour trois. Je suis avec soumission et sans vous commander, monsieur, votre très-humble serviteur Drolichon, auteur badin suivant la Cour. »

Sophie, riant.

Ah, ah, ah, quelle extravagance !

Plaisantin, à Léandre.

Oh ! j’irai.

Air : Le Seigneur Turc a raison.

Ainsi, mon cher pour bannir
Ta mélancolie,
Il faut avec moi venir
Faire quelque bonne orgie.

Léandre.

Je crains de ne le pouvoir,
Car moi, je me borne à voir
La bonne compagnie.

Plaisantin.

Qu’entends-tu par la bonne compagnie ?

Léandre.

Ces dames vous en instruiront mieux que moi ; ce sont elles qui m’ont appris à la connaître.

Plaisantin.

Tu es bien tombé. Eh ! bien, mon petit bilboquet d’ivoire, contez-nous un peu cela.

Sophie.
Air : Tout consiste dans la manière.

Les mœurs, le goût, la complaisance,
Forment toujours son élément
L’esprit de douceur s’y nuance
D’agrément,
On y puise dans la décence
L’enjouement.

Plaisantin.

Diable ! cela doit être facétieux. Et vous la mère maman, ne donnerez-vous pas aussi un petit coup de crayon ? car quand on est bonne compagne, on est au fait de la bonne compagnie.

Céphise.

Je crois qu’il le faut pour le bien de la société.

Plaisantin.

Voyons, voyons, voyons.

Céphise.
Air : Vous boudez.

Bien penser.
S’énoncer
D’un air libre ;
Mais sans trop de liberté.
Et de l’égalité
Conserver l’équilibre ;
Obliger :
Sans songer
Qu’on oblige ;
Immoler sa volonté,
Quand la société l’exige.
Se prêter, quand on raisonne,
Aux raisons que l’on nous donne,
Faisant voir
Leur pouvoir
Sur les nôtres,
On a de l’esprit, on plaît,
Dès que l’on satisfait
Les autres.
Possédant
Le talent
D’être aimable.
Joindre aux petites gaîtés
Les grandes qualités,

Qui rendent estimable ;
Amuser,
Sans user
D’épigramme :
Tel qui rit d’un traité lancé,
En est toujours blessé
Dans l’âme.

Plaisantin, à Sophie.

Pas mal, pas mal, c’est assez là mon portrait (à Céphise). Il faut que vous me sachiez par cœur pour avoir fait ce détail-là.

Léandre.

Oui, il est bien ressemblant.

Plaisantin.

Et vous appelez donc cela la bonne compagnie ?

Sophie.

À peu près.

Plaisantin.

Oh, j’en sais une au-dessus de celle-là, moi.

Céphise.

Et quelle est-elle, je vous prie ?

Plaisantin.

Tenez, je ne connais pas de meilleure compagnie, que la compagnie des Indes.

Sophie, rit.

Ah, ah, ah ! quel calembour !

Léandre, outré.

Ah, c’est fort plaisant !

Plaisantin, en lutinant Sophie.

 

Air : Adieu donc, dame Françoise.

Hé ! bien, ma petite reine,
Comment va le petit cœur ?
Je suis votre serviteur,

Vous êtes ma souveraine,
Souveraine de mon cœur,
Souveraine, et moi serviteur,
Serviteur, vous souveraine,
Souveraine, et moi serviteur.

Sophie, riant.

Qu’il est drôle !

Léandre, à Sophie.

Oh ! oui, riez.

Plaisantin.

Hé bien, ma belle-mère quasi, comment trouvez-vous cela ?

Céphise.

Extrêmement galant. Je ne sais pas comment on ferait pour résister à des rimes si délicatement redoublées.

Plaisantin.

Moi, j’en sais de toutes façons. J’en ai fait une hier pour ce fripon de minois-là : (à Léandre) tiens, écoute.

Léandre.

Oh ! laissez-moi, monsieur.

Céphise.

Nous l’entendrons une autre fois.

Sophie.

Ah ! madame, voyons.

Léandre, à Sophie.

Que vous êtes cruelle !

Sophie.

Et vous, bien extraordinaire.

Plaisantin.

Écoutez-vous, oui, ou non ?

Sophie.

Oui, oui, oui.

Plaisantin.

Hem, hem, hem, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut. Ut, si, la, sol, fa, mi, ré, ut, ut, ut. Vous voyez que je sais la musique sans oublier une note (à Sophie).

Air : L’autre jour dans un bocage.

Si j’étais sûr de te plaire.
Tu verrais comment je m’y prends
Pour charmer ;
Tu m’entendrais toujours dire,
Que je t’aime on ne peut pas plus ;
J’aurais dans une bergamotte
Des bonbons et puis des pastilles,
J’aurais grand soin
De t’en offrir,
D’un air à te fendre le cœur ;
Et puis toi qui serais tendre.
Sans faire semblant de rien,
Tu me glisserais dans ma poche,
Un billet doux,
Par lequel j’a-
Prendrais que tu
M’aime à faire trembler.

Voilà ce que les Anglais appellent des vers blancs ; par ma foi, je ferais des vers bleus pour elle, moi, s’il en fallait.

Sophie, riant.

Quel crâne !

Léandre.
Air:Nous sommes précepteurs d’amour.

C’est trop souffrir des deux cotés ;
Et pour que mon tourment varie.
Ingrate, exprès que vous prêtez
À la fausse plaisanterie.

Céphise.

Je ne te reconnais pas non plus.


Scène VII

CÉPHISE, PLAISANTIN, LÉANDRE, SOPHIE, PRESSANT.
Pressant.
Air : Par là, c’est m’affermir encore.

Me faire courir de la sorte,
Parbleu, celui-là n’est pas mal,
Il payera, le diable m’emporte.

Plaisantin.

Cet homme a l’air un peu brutal.

Sophie, à Céphise.

Madame, il est fort en courroux,

Céphise.

Monsieur, s’il vous plaît, qu’avez-vous ?

Pressant.

Oh ! j’ai ce que j’ai.

Céphise.

Mais en abrégé.
Ne peut-on savoir ?

Pressant.

Oh ! nous allons voir.

Léandre.

Monsieur, vous parlez à des dames.

Pressant.

Morbleu, monsieur, je le sais bien.
Je ne viens point pour plaire aux femmes,
Je viens pour recouvrer mon bien.

Et si l’on ne me satisfait, je fais tout saisir ici, et enlever même jusqu’à ces dames.

Plaisantin.

Ce ne sont point des immeubles à décréter.

Pressant, d’un air menaçant.

Que dit cet homme-ci ?

Plaisantin.

Cet homme-ci parle à cet homme-là.

Pressant, mettant la main sur la garde de son épée.

Oui-dà !

Plaisantin, se retirant d’un air craintif.

C’est que je ne suis pas plaisant, moi, quand on le prend sur un certain ton.


Léandre.
Air : De tous les capucins du monde.

Votre emportement est extrême.

Pressant, en fureur.

 
Morbleu, je suis la douceur même.
Mais je prétends qu’en ce moment.
Monsieur Grossel me satisfasse
Sur un certain remboursement.

Léandre.

Il faut.

Pressant.

Il faut. Là-dessus point de grâce !

Céphise.

Courons, ma fille, avertir votre oncle de cet événement.

Sophie, d’un air doux.

Léandre, tâchez de l’adoucir.

(Elles sortent.)

Scène VIII

LÉANDRE, PRESSANT, PLAISANTIN.
Plaisantin.

Oh ! je m’en charge, moi.

Léandre.
Air : Lucas se plaint que sa femme.

De quel objet est la somme ?

Pressant.

Elle est de vingt mille écus ;
Et je veux que l’on m’assomme.
Si j’éprouve aucun refus,
Je fais, le diable.

Léandre.

On peut traiter là-dessus.
À l’amiable.

Pressant.

Non pas, ventrebleu, non pas.

Léandre.

Ne pouvez-vous au moins patienter un quart d’heure ?

Pressant.

À l’égard de cela, une heure, s’il le faut ; mais dites-lui qu’il ne manque pas.

Léandre, s’en allant.

Je vous rejoins.


Scène IX

PRESSANT, PLAISANTIN.
Plaisantin.
Air : L’occasion fait le larron.

Vingt mille écus ?

Pressant.

Oui, vingt mille, sans doute.

Plaisantin.

D’honneur ?

Pressant.

D’honneur ? D’honneur.

Plaisantin.

D’honneur ? D’honneur. Entre nous je comprends
Que cela fait, ou bien je n’y vois goutte,
En tout soixante mille francs.

Pressant.

Hé bien ?

Plaisantin.

Hé bien ! que vous aimeriez autant soixante mille livres.

Pressant.

Oui, cela me parait assez égal. (À part.) Est-ce qu’il aurait envie de me les avancer ?

Plaisantin.
Air : Menuet de Grandval.

Pour voir plus clair dans votre affaire,
Pourrait-on en savoir le fond ?

Pressant.

L’argent fut prêté par mon père.

Plaisantin.

Voilà comme les pères font.

De quoi diable vous avisez-vous aussi d’avoir un père ?
Pressant.

Que veut dire ce raisonnement-là, je vous prie ?

Plaisantin.

Beaucoup de choses.

Air : De Catinat.

Car vous comprenez bien, si vous n’en aviez pas,
Que vous ne seriez point dans un tel embarras ;
Et par conséquent.

Pressant.

Et par conséquent. Faites-moi le plaisir
De me dire, monsieur, où vous voulez venir.

Plaisantin.
.

Comment ! venir ! et mais, je suis tout venu, moi ; d’autant plus que non-seulement, mais encore…

Pressant.

Mais, mon petit monsieur, me connaissez-vous, pour faire ainsi le joli cœur avec moi ?

Plaisantin.

J’ai connu beaucoup monsieur votre père.

Pressant.

Vous vous trompez. Mon père savait choisir ses connaissances.

Plaisantin.

C’était un galant homme.

Pressant.

Oh ! certainement.

Plaisantin.

N’était-il pas votre aîné ?

Pressant.

Mon aîné ! morbleu ! que signifient de pareils quolibets ?

Plaisantin.

Et mais, c’est tout simple.

Air : M. le Prévôt des marchands.

Qu’ainsi vous êtes son cadet,

Pressant.

Monsieur, finissons, s’il vous plaît.
L’auteur de mes jours n’a que faire
À cet indécent jeu de mot.
D’un honnête homme il est le père,
Le vôtre est le père d’un sot.

Plaisantin.

(À part.) Ah ! ah ! Est-ce qu’il aurait aussi le petit mot pour rire ? (Haut.) Vous êtes de province sans doute ?

Pressant.

Oui, pourquoi cela ?

Plaisantin.

Je l’aurais parié à votre décision ; vous n’aimez pas l’esprit, vous autres ?

Pressant.

Pas celui-là.

Air : J’écoutais de là son caquet…

Est-il rien de plus importun
Qu’un bavard qui raille sans cesse ?
Allez, l’esprit de cette espèce
Est le fléau du sens commun.

Plaisantin.

Commun ! Monsieur, on le voit, a le sens commun.

Pressant.

Oui, je m’en pique.

Plaisantin.

Et même on ne peut pas plus commun. Oh ! quand vous en aurez comme deux, cela sera bien pis.

Pressant.
Air : Aucun pasteur.

Quand la bravoure au ton railleur est jointe
On peut risquer quelquefois ce ton-là.
Je vous crois fort aussi sur cet article-là ;
Vous me narguez sans raison, et voilà
Pour jouer à la pointe.
Si comme l’un, vous avez l’autre en main,
Vous ferez sur le champ la moitié du chemin.

(Il met son chapeau.)
Plaisantin.

Bon, ce chemin est tout fait : est-ce que vous ne voyez pas ?

Pressant., tirant l’épée.

 

Air : Non, je ne ferai pas.

Encore ! ah ! pour le coup, je m’en vais vous apprendre,
À qui vous vous jouez. Songez à vous défendre.

Plaisantin.

Oh ! c’est ainsi que vous plaisantez, vous ?

Pressant.

Oui, voilà comment je badine, avec les gens de votre sorte.

Plaisantin.

Et moi je n’aime pas ces badineries-là, on peut se blesser, et puis vous savez que les jeux de mains…

Air : Les cœurs se donnent troc pour troc.

Laissons cela.

Pressant.

Laissons cela. Vous avez peur.

Plaisantin.

Bon, pourquoi mesurer nos lames ?

La vôtre est fort belle.

Pressant.

Pour confondre un mauvais railleur,
Voilà la plume aux épigrammes.

Plaisantin.

Mauvais genre ; donnez plutôt dans le madrigal.

Pressant.

Je ne vous écoute plus.

Plaisantin.

Vous avez mis votre chapeau ; vous allez gâter votre perruque.

Pressant.

Défendez-vous, vous dis-je.

Plaisantin, mettant grotesquement l’épée à la main.

 

Air : L’autre nuit j’aperçus en songe.

Ah ! vous prétendez donc m’abattre,
Non, non, monsieur le fanfaron,
Vous croyez trouver un poltron,
Allons, mais avant de nous battre,
Quel sujet vous a courroucé ?

Pressant.

De vos propos je suis blessé.

Plaisantin.

Vous êtes blessé ?

Pressant.

Oui, je suis blessé.

Plaisantin.

Hé bien ! je vais vous chercher du secours, attendez-moi.

(Il se sauve.)

Scène X

PRESSANT, LÉANDRE.
Pressant.

Je m’en suis douté. Ah ! si celui-ci est le second tome de l’autre, malheur à lui, il payera pour deux.

Léandre.
Air : Jupin dès le matin.

J’accours avec ardeur.

Pressant.

Abrégeons, monsieur.

Léandre.

D’où vient cette fureur ?
Mais au moins, permeltez-raoi

Pressant.

Je suis las, ma foi,

Léandre.

Mais sachez…

Pressant.

Voyons, quoi ?

Léandre.

Vous avez attendu.

Pressant.

Morbleu, sais-tu
Qu’avec moi les plaisants
Perdent leur temps ?

Léandre.

Quelle férocité !
En vérité,
Est-ce-là le ton de l’humanité ;
Vous aurez votre argent.
Dans le moment.

Pressant.

Ah ! monsieur, excusez,
Vous m’apaisez ;
Les gens bien nés,
Se font connaître aux traits que vous nous en donnez.

Mais, parbleu, le faquin qui sort d’ici m’a si mal prévenu.

Léandre.

Eh, monsieur, doit-on peser tous les hommes au poids du mépris que quelqu’un vous inspire ?

Air : Pour la baronne.

Chez le notaire.
Monsieur, suivez-moi promptement.

Pressant.

Surtout, point de mauvaise affaire,

Léandre.

Non, votre somme vous attend,
Chez le notaire.

Pressant.

Si l’estime la plus forte peut réparer ma méprise.

Léandre.

C’est toute la satisfaction que je vous demande.

(Ils sortent.)

Scène XI

GROSSEL, PLAISANTIN.
Grossel.

Ah ! ah ! ah ! cela est plaisant, vous avez commencé par ferrailler.

Plaisantin.

Oui, comme il était mal sous la plaisanterie, j’ai voulu voir s’il serait un peu mieux sous les armes.

Grossel.

Dis-moi donc quelque particularité.

Plaisantin.
Air:Allons donc jouez violons.

Nous nous mettons tous deux en garde,
Chacun d’un air fier se regarde,
Avec un œil étincelant ;
Crainte qu’un coup fourré ne parte,
Je lui fais un appel de quarte,
Il pare au cercle en reculant.
Et comme je vois qu’il est lent,
Crac je lui serre la mesure,
Et d’une botte presque sûre.
Je vous le touche à fleur de peau.
Alors renfonçant son chapeau,
C’est sur la tierce qu’il se fonde,
Je pare et tombe de seconde,
Il rompt, s’éloigne, et dit : monsieur,
Je suis bien votre serviteur.

Grossel.

Cela voulait bien dire qu’il en avait assez.

Plaisantin.

Oh, je t’en réponds.

Grossel.

Je suis cependant fort aise que cela n’ait pas été plus loin : et mon affaire ?

Plaisantin.

Morbleu, reste tranquille. Tu devrais un million que cela me serait égal.

Grossel.
Air : Entre l’amour et la raison.

Mais as-tu terminé ?

Plaisantin.

Mais as-tu terminé ? Parbleu,
Je m’en suis même fait un jeu :
Crois-tu que cela m’embarrasse ?
Non, je n’en prends aucun souci.

Grossel.

Sur toi seul je comptais aussi ;
Permets, mon cher, que je t’embrasse.

Plaisantin.

Finissez donc, petit badin, vous allez faire tomber mon rouge.

Grossel.

Il fait les choses avec autant de grâce qu’il les dit.

Plaisantin.

C’est un agrément de famille.

Grossel.

Ah ! ah ! ah ! tu ferais rire des pierres ; viens, je vais faire à ma nièce une donation de tout mon bien, à condition qu’elle t’épousera.

Plaisantin.

Cela n’est pas de refus. Les voici, ne leur en disons rien, pour les surprendre agréablement.


Scène XII

GROSSEL, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN.
Grossel.
Air : Quand on parle de Lucifer.

L’homme qui me cherchait tantôt

M’a fait une peur affreuse :
Mais tout s’est passé comme il faut.

Sophie.

J’en suis vraiment bien joyeuse,
Mais sachons…

Grossel.

Mais Xachons… Sachez que c’est un défaut,
D’être à contre-temps curieuse.

Nous allons travailler à faire ton bonheur.

Plaisantin.

Ce sera de la besogne bien faite ; car j’y entrerai pour quelque chose.


Scène XIII

GROSSEL, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN, LÉANDRE.
Grossel.

Comment encore votre Léandre !

Céphise.

Vous voyez.

Grossel.

Hé ! bien, je le laisse encore un moment par grâce, pour recevoir son congé, (À Plaisantin.) Allons, viens, viens.

Plaisantin.

Allons, allons, sans adieu, porte-feuille de mes désirs. Oh ! la petite coquette à moi.

(Ils sortent.)

Scène XIV

LÉANDRE, SOPHIE, CÉPHISE.
Léandre.
Air : Hélas ! maman, pardonnez, etc.

Je suis perdu, tout à mes vœux s’oppose :
À l’épouser il va donc vous forcer.

Sophie.

Ah ! de ma main, si mon cœur seul dispose,
Entre vous deux je saurai prononcer.

Léandre.

Dois-je espérer ? Qui, moi ! non, non, je n’ose,

Sophie.

Osez, monsieur, tout doit vous l’annoncer.

Céphise.

Ma fille n’a paru balancer que pour vous éprouver, et contrarier un peu votre défiance. Sachez d’ailleurs qu’elle n’hésiterait point à vous préférer, quand même son oncle la priverait de ses biens en faveur de votre mariage, j’en ai raisonnablement, vous en avez aussi.

Léandre.

Quel charme pour mon cœur !

Sophie.
Air : Menuet de Chartier.

Doutez-vous encore ?

Léandre.

Ah ! je vous adore,
Me pardonnerez-vous
Les transports d’un cœur trop jaloux ?

Sophie.

L’amour qui couronne
Aisément pardonne.

Léandre.

Je lis dans votre cœur,
L’aurore du bonheur.

Sophie.

Que par cet aveu,
Votre feu,
N’en soit pas moins fidèle !
La certitude détruit.
Ce que l’espoir produit.
Hélas ! plus l’amour séduit,
Plus il s’évanouit ;
Tel au jour qui nous luit,
Succède la nuit.

Léandre.

Si vous étiez moins belle
Si les sentiments
N’étaient pas les garants
Du plus sincère amant,
J’implorerais le serment.

Sophie.

Plus de craintes.
Plus de plaintes.

Léandre, vous m’aimez.

Léandre.

Bien au monde n’est capable d’altérer les sentiments que j’ai pour vous.


Scène XV

LÉANDRE, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN, GROSSEL.
Plaisantin.

Nous sommes expéditifs, comme vous voyez.

Grossel.

Ça, que l’on m’acquitte,
Ma nièce, au plus vite.
Ça, que l’on m’acquitte
De ce que je dois :
Celui que tu vois,
Est charmant, ma petite,
Ça, que l’on m’acquitte
De ce que je dois.

Il faut l’épouser, c’est le plus brave et le plus généreux des amis.

Sophie.

Mon cher oncle, je le voudrais, par amour pour vos intérêts.

Air : Que j’estime mon cher voisin ?

Mais s’il faut former ce lien,
Comme un billet payable.
Mon oncle, vous pourriez fort bien
Devenir insolvable.

Grossel.

Qu’est-ce à dire ? Tête bleu, madame ma sœur, voilà le fruit de vos conseils.

Céphise.

Hé ! mon Dieu, parlons sans humeur, elle n’a suivi que son inclination.

Grossel, à Céphise.

 

Air : C’est l’ouvrage d’un moment.

Vous en tenez-vous à Léandre,
Est-ce lui que vous choisissez ?
Ce silence m’en dit assez,
C’est ce que je voulais apprendre.
Comment donc, vous rougissez ?

Sophie.

J’en suis bien éloignée, je vous assure.

Grossel, ironiquement.

Ah ! vraiment, est-ce qu’une fille bien née rougit jamais.

Plaisantin.

Ah ! c’est qu’elle tient de madame sa mère.

Léandre.

Avec vos leçons, on est bientôt aguerrie.

Grossel, à Léandre.

Je crois que tu fais le beau rieur, toi ?

Léandre.

Moi, monsieur, je ne cherche point à vous déplaire.

Grossel.

Non, on trouve cela tout fait chez toi.

Léandre, riant.

C’est un malheur pour moi.

Plaisantin.

Il a le chagrin tout-à-fait gai.

Grossel.

Allons, la belle, décidez, mais prenez bien garde de me mécontenter.

Plaisantin.

Allons, écoute, et reçois ta condamnation d’un air philosophique.

Léandre.

Volontiers.

Sophie.
Air:Ton humeur est, Catherine,

Chacun de vous est fort rare,
Mais tous deux différemment ;
Pour peu que l’on vous compare,
Chacun de vous est amant.
L’un est l’amant le plus tendre,
Et l’autre le roi des fous :

(À Plaisantin).
Vous m’amusez pour Léandre,

Léandre me plaît pour vous.

Grossel.

Oui-dà !

Sophie.

Oui, mon cher oncle, et je lui donne ma main.

Grossel.

Ma sœur, vous me payerez cela, et sans tarder.

Céphise.

À votre aise.

Grossel.
Air : De tous les capucins.

Dans la forme la plus exacte,
Je vais faire dresser un acte,
Oui, je lui donne tous mes biens,
J’en ai fait exprès le modèle :
On n’a jamais pis que des siens,
J’en suis fâché pour vous, la belle.

Léandre.

Comme je jouis de la plus grande félicité, vous pouvez, monsieur, achever de couronner le mérite d’un ami si justement cher, par le montant de votre obligation que j’ai retirée des mains de votre créancier, dans la seule vue d’obliger personnellement un honnête homme.

Grossel.

Comment, comment !

Plaisantin.

Et laisse, laisse, je te rembourserai petit à petit sur ta donation. Je suis fait pour te tirer toujours d’embarras, comme tu vois.

Céphise.

Doucement, monsieur.

Grossel.

Quoi ! vous nous en faisiez mystère.

Léandre.

Avant que de vous en instruire, j’aspirais à vous plaire.

Grossel, à Plaisantin.

 

Air : De l’horoscope accompli.

Ah ! ceci change bien la thèse.
Je croyais devoir à vos soins
Un argent qui me met à l’aise.
C’est lui qui prévient mes besoins :
Je veux que, par reconnaissance,
Ma nièce soit sa récompense.
Et je prétends dès aujourd’hui,
Faire un neveu d’un bon ami.

Air : Bouchez, Nayades.

À Léandre.
J’ouvre les yeux, mon cher Léandre,

Ce noble trait me fait comprendre
Que l’esprit ne consiste pas
Dans la fade plaisanterie ;
Mais à tirer d’un mauvais pas
Un ami sans qu’il nous en prie.

Léandre.

Si j’épouse ce que j’aime, si j’obtiens votre estime, je suis trop payé du petit service que je vous ai rendu.

Plaisantin.

Oh ! je n’aime pas le service, moi, c’est un métier trop dangereux.

Léandre.
Air:Tu croyais qu’en aimant Colette.

Les bons mots, les pointes usées
Pour moi n’ont aucun agrément ;
Sans courir après les pensées,
Je me pique de sentiment.

Plaisantin.

Voilà ce qu’on appelle un homme tout rond.

Céphise.

Pour me servir de votre style, monsieur Plaisantin, vous n’êtez pas rond, vous, car vous me paraissez bien plat.

Grossel, à Léandre

Mais de grâce, monsieur, que je sache comment vous avez retiré mon billet dos mains de M. Pressant.

Léandre.

Je vous en instruirai plus à loisir.

Plaisantin.

Apparemment que monsieur lui aura écrit un billet doux.

Grossel.

Que voulez-vous dire ?

Plaisantin.

Un billet doux, c’est-à-dire, un billet payable au porteur, ou une bonne lettre de change ; car le sieur Pressant me paraît un homme passionné pour les belles-lettres, et qui n’aime pas les pointes.

(Il montre son épée.)

Scène XVI

LÉANDRE, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN, GROSSEL, M. PRESSANT.
Pressant, à Grossel.

Monsieur, je viens vous faire mes excuses ; la nécessité où je me trouvais moi-même m’a contraint de vous presser, et je n’ai plus été maître de mon emportement, quand j’ai vu qu’au lieu de bonnes raisons, je ne recevais que des turlupinades de la part d’un drôle… Ah ! le voici, (À Plaisantin.) Apprenez, mon ami, que sans le respect que je dois à la compagnie, je vous traiterais comme le mérite un mauvais plaisant et un lâche ; mais tenez-vous pour déshonoré.

Plaisantin.

Cet affront mériterait un bon coup d’épée au travers du corps, et sans le respect pour la compagnie qui me retient… Mais tenez-vous pour tué.

(Il sort.)
Sophie, riant.
(À Plaisantin qui s’en va.)
Adieu donc, dame Françoise,

Pour qui j’ai tant soupiré.

Grossel.

C’est lui faire trop d’honneur que de nous occuper de lui davantage ; (à Pressant) vous venez à propos pour être témoin d’un événement qui nous intéresse tous. (Montrant Léandre.) Vous connaissez monsieur ?

Pressant.

Et vous devez le connaître aussi, par ce qu’il vient de faire pour vous.

Grossel.

Je lui donne ma nièce et tout mon bien.

Pressant.
Air : Tout consiste dans la manière.

De bon cœur je vous félicite,
D’un choix qui vous fait tant d’honneur.

Céphise.

Vous couronnez le vrai mérite.

Léandre.

Vous assurez tout mon bonheur.

Céphise.

Il faut qu’un bon mot fasse rire
Le bon goût :
C’est la manière de le dire.
Qui dit fout.