Anne de Geierstein/28

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Anne de Geierstein, ou la fille du brouillard
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 21p. 367-382).

CHAPITRE XXVIII.

L’AUDIENCE.

Vraiment ! c’est un style dur et cruel, un style de défi. Vraiment ! elle nous provoque comme de Turc à Chrétien.
Shakspeare, Comme il vous plaira.

Les portes de la salle furent alors ouvertes aux députés suisses qu’on avait fait attendre pendant l’heure précédente en dehors de l’édifice, sans leur témoigner les moindres égards qui, chez les nations civilisées, sont ordinairement rendus aux représentants d’un pays étranger. Il est vrai que leur extérieur, habillés qu’ils étaient de gros drap gris comme les chasseurs et les bergers de la montagne, au milieu d’une assemblée étincelante de vêtements aux couleurs variées, de galons d’or et d’argent, de broderies et de pierres précieuses, servait à confirmer l’idée qu’ils n’étaient venus là que pour y jouer le rôle des plus humbles pétitionnaires.

Cependant Oxford, qui épiait avec attention le maintien de ses ex-compagnons de voyage, ne manqua point de remarquer qu’ils conservaient chacun en leur personne le caractère de fermeté et d’indifférence qui les distinguait auparavant. Rudolphe Donnerhugel n’avait pas quitté son air hardi et hautain, ni le banneret l’insouciance militaire qui le portait à regarder avec une apathie apparente tout ce qui l’environnait ; le bourgeois de Soleure était aussi formaliste et important que jamais ; enfin, aucun des trois ambassadeurs ne paraissait nullement ému par la pompe du spectacle déployé sous ses yeux, ou embarrassé par le sentiment de son infériorité comparative sous le rapport des costumes. Mais le noble landamman, sur lequel Oxford fixa principalement son attention, semblait accablé par l’idée de l’état précaire où son pays se trouvait placé, craignant, d’après la manière rude et peu honorable dont ils étaient reçus, que la guerre ne fût inévitable, tandis qu’en même temps il gémissait, en bon patriote, sur les conséquences d’une défaite qui détruirait la liberté de son pays, et sur le risque que faisaient courir à sa simplicité et à sa vertueuse indifférence pour les richesses l’introduction du luxe étranger et l’invasion des maux qui accompagnent la conquête.

Connaissant bien les opinions de Biederman, Oxford put aisément expliquer cet abattement du laudamman, tandis que son camarade Bonsttten, moins capable de comprendre les sentiments qui animaient son ami, le regardait avec l’expression qu’on peut voir dans la physionomie d’un chien fidèle, lorsque l’animal indique sa sympathie pour le chagrin de son maître, quoiqu’incapable d’en deviner ou d’en apprécier la cause. Son regard d’étonnement était promené de temps à autre sur la brillante assemblée, et par tous les individus qui formaient le groupe déconcerté, à l’exception de Donnerhugel et du landamman ; car l’indomptable orgueil de l’un et le ferme patriotisme de l’autre ne pouvaient pas, même un instant, être détournés par les objets extérieurs de leurs profondes et sérieuses réflexions.

Après un silence d’environ cinq minutes, le duc parla avec le ton hautain et dur qu’il croyait convenir à sa dignité, mais qui n’était réellement que l’expression de son caractère.

« Hommes de Berne, de Schwitz et de tout autre hameau ou désert que vous pouvez représenter, sachez que nous ne vous aurions pas honorés, rebelles que vous êtes à l’autorité de vos supérieurs légitimes, d’une audience solennelle, sans l’intercession d’un ami que j’estime, qui a séjourné dans vos montagnes, et que vous pouvez connaître sous le nom de Philipson, Anglais, suivant la profession de marchand, et chargé de certaines marchandises précieuses qu’il apportait à notre cour. Nous avons si complètement accédé à ses prières, qu’au lieu de vous envoyer tout de suite, comme vous le méritiez, au gibet et à la roue sur la place de Morimont, nous avons poussé la condescendance jusqu’à vous recevoir en notre présence, siégeant en cour plénière, à l’effet d’entendre la justification que vous avez à offrir pour l’insultante prise d’assaut de notre ville de La Ferette, pour l’assassinat d’un si grand nombre de nos sujets, et pour le meurtre audacieux du noble chevalier Archibald d’Hagenbach, exécuté en votre présence, à votre instigation et avec votre appui. Parlez… si vous pouvez dire quelque chose pour excuser votre félonie et votre trahison, ou pour détourner un juste châtiment, et solliciter un pardon que vous ne méritez pas. »

Le landamman sembla vouloir répondre ; mais Rudolphe Donnerhugel, avec la témérité et la hardiesse qui le caractérisaient, se chargea du soin de répliquer. Il fixa le duc orgueilleux d’un œil intrépide et avec une physionomie aussi fière que la sienne.

« Nous ne venons ici, dit-il, compromettre ni notre honneur ni la dignité du peuple libre que nous représentons, en tâchant de nous excuser en son nom et au nôtre des crimes dont nous sommes innocents. Et quand vous nous appelez rebelles, vous devriez vous souvenir qu’une longue suite de victoires, dont l’histoire est écrite avec le plus noble sang de l’Autriche, a rendu à la confédération de nos communes la liberté dont une injuste tyrannie a voulu nous priver. Tant que l’Autriche fut une maîtresse juste et bienfaisante, nous l’avons servie au péril de nos jours… quand elle est devenue oppressive et tyrannique, nous avons revendiqué notre indépendance. Si elle a quelque chose à réclamer de nous, les descendants de Tell, de Faust et de Stauffenbach seront aussi prêts à défendre leurs libertés que l’ont été leurs pères à la conquérir. Votre Grâce, si tel est votre titre, n’a rien à démêler dans nos discussions avec l’Autriche. Quant à vos menaces de gibet et de roue, nous sommes ici des hommes sans défense sur qui vous pouvez faire ce qu’il vous plaira ; mais nous saurons mourir, et nos compatriotes sauront nous venger. »

Le superbe duc aurait répliqué en commandant l’arrestation immédiate et probablement l’exécution instantanée de toute la députation ; mais le chancelier, profitant du privilège de sa charge, se leva, et ôtant sa toque avec une profonde révérence au duc, demanda permission de répondre au téméraire jeune homme qui, dit-il, s’était si grandement mépris sur le sens des paroles du duc.

Charles, se sentant peut-être trop irrité dans le moment pour prendre une décision calme, se rejeta sur son trône, et d’un signe de tête impatient et colère, donna à son chancelier permission de parler.

« Jeune homme, dit ce haut officier, vous avez mal compris le discours de l’illustre et puissant souverain en présence de qui vous êtes. Quels sont les droits de l’Autriche sur les villages révoltés qui se sont soustraits à l’empire de leurs supérieurs naturels ? Nous n’avons pas besoin d’argumenter sur ce point ; mais voici la question à laquelle la Bourgogne vous prie de répondre : pourquoi, venant ici sous le costume et avec le caractère d’envoyés pacifiques, à propos d’affaires qui touchent vos propres communes et les droits des sujets du duc, avez-vous excité la guerre dans nos paisibles domaines, pris d’assaut une forteresse, massacré la garnison, et mis à mort un noble chevalier qui en était le commandant ?… Toutes ces actions sont contraires au droit des gens, et méritent à jamais la punition dont vous avez été menacés, mais dont notre gracieux souverain vous dispensera, j’espère, si vous donnez quelque excuse passable pour une insolence si inconcevable, avec offre de vous soumettre, comme il est juste, au plaisir de Son Altesse, et de faire une réparation satisfaisante pour une si grande injure. — Vous êtes prêtre, grave seigneur ? » répondit Rodolphe Donnerhugel en s’adressant au chancelier de Bourgogne. « S’il y a dans cette assemblée un soldat qui veuille soutenir votre accusation contre nous, je le défie au combat singulier, d’homme à homme. Nous n’avons pas pris d’assaut la citadelle de La Ferette… Nous avons été admis dans l’intérieur de la place d’une manière pacifique, et là subitement entourés par les soldats de feu Archibald d’Hagenbach, avec dessein manifeste de nous assaillir et de nous massacrer, en dépit de notre mission de paix ; et alors je vous assure que vous auriez ouï parler d’autres morts que la nôtre ; mais une émeute éclata soudain parmi les habitants de la ville, assistés, je crois, par plusieurs voisins à qui l’insolence et l’oppression d’Archibald d’Hagenbach étaient devenues odieuses, comme à tous ceux sur qui s’étendait son autorité. Nous ne leur avons prêté aucun secours ; et, j’aime à le croire, on ne devait pas s’attendre que nous intervinssions en faveur de gens qui s’étaient tenus prêts à nous faire le plus mauvais parti. Mais aucune pique, aucune épée appartenant à nous ou aux hommes de notre suite n’a trempé dans le sang bourguignon. Archibald d’Hagenbach a péri, il est vrai, sur un échafaud, et je l’ai vu mourir avec plaisir d’après un arrêt rendu par une cour compétente, reconnue comme telle en Westphalie et dans ses dépendances de ce côté-ci du Rhin. Je ne suis pas obligé de justifier ses procédures ; mais je déclare que le duc a reçu la preuve irrécusable de sa sentence régulière, et enfin qu’elle était vraiment méritée pour oppression, tyrannie et abus d’autorité ; je le soutiendrai contre tous ceux qui diront le contraire. Voici mon gant. »

Et confirmant par une action le langage qu’il venait de tenir, le fier Helvétien jeta son gant droit au milieu de la salle. Entraînés par l’esprit du siècle, par l’amour qu’il entretenait de se distinguer dans les armes, et peut-être par le désir de gagner la faveur du duc, tous les jeunes Bourguignons se levèrent subitement pour accepter le défi, et plus de sept ou huit gants furent aussitôt jetés par les jeunes chevaliers présents ; ceux qui étaient plus éloignés les lançant par dessus la tête de ceux qui étaient plus proches, et chacun proclamant son nom et son titre en jetant le gage du combat. « Je combattrai envers et contre tous, » dit l’audacieux jeune Suisse, en ramassant les gantelets à mesure qu’ils tombaient retentissants autour de lui. « Encore ! gentilshommes, encore ! un gant pour chaque doigt ! Allons, encore un ! Une lice libre, des juges équitables, le combat à pied ; les armes, des épées qu’on manie à deux mains, et je ne reculerai pas devant une vingtaine comme vous. — Arrêtez, messieurs, de par l’obéissance que vous me devez, arrêtez ! » s’écria le duc, satisfait en même temps qu’un peu apaisé par le zèle qu’on déployait pour sa cause… ému par l’air d’intrépide bravoure que montrait le provocateur avec une hardiesse assez semblable à la sienne… peut-être aussi, jaloux de témoigner, en présence de sa cour plénière, plus de modération qu’il n’avait d’abord été capable de le faire. « Arrêtez, je vous le commande à tous… Toison-d’Or, ramasse ces gantelets et rends-les chacun à son propriétaire. Dieu et saint George nous gardent de hasarder la vie même du moindre de nos nobles Bourguignons contre un rustre tel que ce paysan suisse, qui n’a jamais seulement monté à cheval, totalement étranger à la courtoisie d’un chevalier et à la grâce d’un seigneur. Allez porter ailleurs vos grossières vociférations, jeune homme, et sachez que, dans l’occasion présente, la place Morimont serait pour vous la seule lice convenable, et le bourreau votre seul digne antagoniste. Et vous, messieurs, ses compagnons… dont la conduite, en laissant ce rodomont vous mener à son gré, semble montrer que les lois de la nature aussi bien que de la société sont renversées chez vous, et que vous préférez la jeunesse à la vieillesse, de même que les paysans aux nobles… Vous, gens à barbe blanche, dis-je, n’y a-t-il personne parmi vous qui puisse expliquer le but de votre message en termes qu’il convienne à un prince souverain d’entendre ? — Dieu nous garde, » répliqua le landamman en s’avançant et en imposant silence à Rudolphe Donnerhugel, qui commençait déjà une réponse un peu vive… « Dieu nous garde, noble duc, de n’être pas capables de parler de manière à être compris devant Votre Altesse, puisque j’espère que nous y parlerons un langage de vérité, de paix et de justice. Même, si par notre humilité nous devions disposer Votre Altesse à nous entendre plus favorablement, je m’humilierais volontiers, plutôt que de vous voir nous écouter avec répugnance. Quant à mol, je puis vraiment dire que, quoique j’aie vécu, quoique j’aie résolu par choix de mourir laboureur et chasseur dans les Alpes d’Unterwalden, il m’est cependant permis par ma naissance de réclamer le droit héréditaire de parler devant des ducs et des rois, devant l’empereur lui-même. Il n’est personne, monseigneur duc, dans cette illustre assemblée, qui tire son origine d’une source plus noble que Geierstein. — Nous avons entendu parler de vous, dit le duc. On vous appelle le paysan-comte. Votre naissance fait votre honte, ou peut-être celle de votre mère, si votre père s’est trouvé avoir un beau charretier, digne d’être le père d’un homme qui est devenu volontairement serf. — Non pas serf, monseigneur, répondit le landamman, mais homme libre, qui ne veut ni opprimer les autres ni être tyrannisé lui-même. Mon père était un noble seigneur et ma mère une vertueuse dame. Mais vous avez beau me provoquer par d’ignobles et dédaigneuses plaisanteries, vous ne m’empêcherez pas de vous expliquer avec calme ce que mon pays m’a chargé de vous dire. Les habitants des froides et inhospitalières régions des Alpes désirent, puissant seigneur, rester en paix avec tous leurs voisins, et jouir du gouvernement qu’ils ont choisi, comme le mieux approprié à leur condition et à leurs habitudes, laissant les autres états et les autres contrées agir comme bon leur semble sous ce rapport. Surtout, ils désirent rester en paix et en bonne intelligence avec la puissante maison de Bourgogne, dont les domaines avoisinent leurs possessions en si grand nombre d’endroits. Monseigneur, ils le désirent, ils le demandent, ils consentent même à vous en supplier. On nous a appelés opiniâtres, intraitables, insolents contempteurs de toute autorité, provocateurs de séditions et de révoltes. En preuve du contraire, moi, monseigneur, qui ne plie jamais le genou que pour m’adresser au ciel, je ne me crois pas déshonoré en m’agenouillant devant Votre Altesse, comme prince souverain tenant cour plénière de ses domaines où il a droit d’exiger l’hommage de ses sujets par devoir, et des étrangers par politesse. Jamais un vain orgueil, » dit le noble vieillard, ses yeux se mouillant de larmes tandis qu’il mettait un genou en terre, « ne me fera reculer devant une humiliation personnelle, lorsque la paix… cette heureuse paix, si chère à Dieu, si précieuse, inappréciable pour l’homme… est en danger d’être rompue. »

Toute l’assemblée, même le duc, fut touchée de la manière noble et imposante avec laquelle le brave vieillard fit une génuflexion qui n’était évidemment dictée ni par la bassesse ni par la crainte. « Levez-vous, monsieur, dit Charles ; si nous avons dit des choses qui aient pu blesser vos sentiments particuliers, nous les rétractons aussi publiquement que les reproches ont été adressés, et nous sommes prêts à vous entendre comme envoyé digne de foi. — Je vous rends grâces de ces dernières paroles, mon noble seigneur. Et je bénirai ce jour, si je puis trouver des paroles dignes de la cause que j’ai à défendre. Monseigneur, une note remise entre les mains de Votre Altesse mentionne les nombreuses injustices que nous ont fait subir vos officiers et ceux de Roment, comte de Savoie, votre intime allié et conseiller, que nous pouvons supposer, par conséquent, soutenu par Votre Altesse. Quant au comte Roment… il a déjà vu à qui il avait affaire. Mais nous n’avons encore pris aucune mesure pour punir les injustices, les affronts, les empêchements mis à notre commerce par ceux qui ont profité de la puissance de Votre Altesse pour arrêter nos compatriotes, piller leurs biens, incarcérer leurs personnes, et même, en certaines occasions, les mettre à mort. La révolte de La Ferette… je puis garantir ce que j’avance… n’a été ni causée, ni provoquée par nous : néanmoins, il est impossible à une nation indépendante de souffrir le renouvellement de pareilles injures, et nous sommes bien résolus à rester libres et indépendants, ou à mourir pour la défense de nos droits. Que s’ensuivra-t-il donc si Votre Altesse n’accepte pas les conditions que je suis chargé de lui offrir ? La guerre… une guerre d’extermination ; car aussi long-temps qu’un seul membre de notre confédération pourra manier une hallebarde, aussi longtemps durera, si cette lutte fatale s’engage une fois, la guerre entre vos puissants royaumes et nos états aussi pauvres que stériles. Et que peut gagner le duc de Bourgogne à une pareille lutte ?… est-ce richesses et butin ? Hélas ! monseigneur, il y a plus d’or et d’argent aux seuls mors des chevaux de la maison de Votre Altesse, qu’on n’en pourrait trouver dans les trésors publics et dans les bourses particulières de toute notre confédération. Aspirez-vous à la gloire et à la renommée ? Il y a peu d’honneur à recueillir par une armée nombreuse contre quelques bandes éparses, par des hommes revêtus de cottes de mailles sur des laboureurs et des bergers à demi armés… Il y aurait peu de mérite à vaincre. Mais si, comme le croient tous les chrétiens, et comme en sont fermement convaincus mes compatriotes qui se souviennent des temps de nos pères… si le Dieu des armées faisait pencher la balance en faveur du petit nombre et des soldats les moins bien armés, je vous laisse à penser, monseigneur, combien souffriraient, dans ce cas, votre gloire et votre réputation. Est-ce pour augmenter ses vassaux et ses domaines que Votre Altesse veut faire la guerre aux montagnards ses voisins ? Sachez que, s’il plaît à Dieu, vous pouvez sans doute conquérir nos montagnes nues et arides ; mais, comme jadis nos ancêtres, nous chercherons un asile dans les solitudes les plus sauvages et les plus reculées, et quand nous aurons résisté jusqu’à la dernière extrémité, nous mourrons de faim dans les froids déserts des glaciers. Oui, hommes, femmes et enfants, nous sommes résolus à être anéantis tous ensemble, plutôt qu’un seul Suisse reconnaisse un maître étranger. »

Le discours du landamman produisit une impression manifeste sur l’assemblée. Le duc s’en aperçut, et son obstination héréditaire fut irritée par la disposition générale qu’il vit naître en faveur de l’envoyé. Ce sentiment défavorable étouffa l’émotion que lui avaient déjà causée les paroles du noble Biederman ; il répliqua en fronçant les sourcils et interrompant le vieillard au moment où il allait continuer : « Vous argumentez à faux, seigneur comte, seigneur landamman, ou tout autre nom qu’il vous plaira qu’on vous donne, si vous pensez que nous vous ferons la guerre dans l’espérance du butin ou par un désir de gloire. Nous savons aussi bien que vous pouvez nous le dire, qu’il n’y a ni profit ni honneur à vous conquérir ; mais les souverains à qui le ciel en a remis le pouvoir doivent donner la chasse à une bande de brigands, quand même il n’y a que déshonneur à se mesurer contre eux ; et nous poursuivons à mort une troupe de loups, bien que leur chair ne soit que charogne, et que leur peau ne vaille rien. »

Le landamman secoua sa tête grise, et répondit, sans témoigner la moindre émotion, même avec une espèce de sourire sur les lèvres…. « Je suis un plus fin chasseur que vous, monseigneur duc, et peut-être ai-je plus d’expérience. Le plus hardi, le plus audacieux chasseur ne poussera point le loup jusqu’à sa tannière. J’ai montré à Votre Altesse la faible chance de gain et le grand risque de perte, que même vous, puissant comme vous l’êtes, vous courriez en hasardant une guerre contre des hommes résolus et déterminés. Laissez-moi maintenant vous dire ce que nous sommes prêts à faire pour nous assurer une paix sincère et durable avec notre puissant voisin de Bourgogne. Votre Altesse est à même d’envahir la Lorraine, et il semble probable que, sous un prince si redoutable et si entreprenant, votre autorité peut s’étendre jusqu’aux rivages de la Méditerranée… Soyez notre noble allié et notre ami sincère, et nos montagnes, défendues par des guerriers familiers avec la victoire, vous serviront de barrière contre l’Allemagne et l’Italie. En votre faveur, nous permettrons au comte Roment de traiter, et nous lui rendrons les pays que nous lui avons enlevés, à telles conditions que Votre Altesse elle-même jugera raisonnables. Quant aux offenses passées de vos lieutenants et gouverneurs sur la frontière, nous garderons le silence, et nous demeurerons persuadés que ces agressions ne recommenceront plus à l’avenir. Bien plus, et si c’est ma dernière offre, c’est aussi la plus importante, nous vous enverrons trois mille de nos jeunes gens pour vous seconder dans les guerres que vous pourrez entreprendre, soit contre Louis de France, soit contre l’empereur d’Allemagne. Ce sont des hommes qui diffèrent… je le puis dire avec fierté et sans mentir, de cette écume de l’Allemagne et de l’Italie qui se forme en bandes de soldats mercenaires. Et si le ciel décide Votre Altesse à accepter nos conditions, il y aura dans votre armée un corps d’hommes qui laisseront tous leurs cadavres sur le champ de bataille, avant qu’aucun d’eux manque à ses serments. »

Un homme basané, mais grand et beau, portant un corselet richement orné d’arabesques, se leva de son siège animé de la plus violente exaspération. C’était le comte de Campo-Basso, commandant des Italiens mercenaires de Charles, qui possédait, comme nous y avons déjà fait allusion, beaucoup d’influence sur l’esprit du duc, influence qu’il avait principalement acquise en se prêtant aux opinions et aux préjugés de son maître, et en présentant au duc des arguments spécieux pour le justifier de suivre toujours son caprice.

« On doit m’excuser, dit-il, si, en cette auguste présence, je prends la parole pour défendre mon honneur et celui de mes bonnes lances qui, s’attachant à ma fortune, sont venues avec moi d’Italie, servir le plus brave des princes de la chrétienté. Je pourrais sans doute ne pas m’offenser du langage insultant de ce rustre à cheveux gris, dont les paroles ne peuvent affecter un chevalier et un noble plus que les aboiements d’un chien de paysan ; mais lorsque je l’entends proposer d’unir ses troupes de bandits indisciplinables avec les troupes de Votre Altesse, je dois lui faire savoir qu’il n’y a pas dans mes rangs un palefrenier qui voulût combattre en pareille compagnie. Non, moi-même, attaché par mille liens de reconnaissance, je ne pourrais me résoudre à tirer l’épée au milieu de tels camarades. Je plierais mes bannières, et je mènerais cinq mille hommes chercher… non un plus noble maître, car le monde n’en possède pas… mais des guerres où nous ne serions pas obligés de rougir de nos frères d’armes. — Silence, Campo-Basso, dit le duc, et soyez convaincu que vous servez un prince qui connaît trop bien ce que vous valez pour l’échanger contre les services douteux et non éprouvés de gens que nous n’avons jamais connus que comme des voisins perfides et turbulents. »

Puis s’adressant à Arnold Biederman, il dit d’un ton froid et sévère : « Seigneur landamman, nous vous avons écouté patiemment ; nous vous avons écouté, quoique vous vinssiez devant nous les mains teintes encore du sang de notre serviteur, sir Archibald d’Hagenbach ; car, en supposant qu’il ait été assassiné par une infâme association, qui, par saint George ! tant que nous vivrons et régnerons, ne lèvera jamais sa tête pestilentielle de ce côté-ci du Rhin… cependant il n’en est pas moins incontestable et incontesté que vous assistâtes en armes à l’exécution, et que vous encourageâtes le meurtre que ces assassins accomplirent sous votre protection. Retournez dans vos montagnes, et remerciez Dieu de conserver la vie… Dites à ceux qui vous ont envoyés que je vais tout de suite marcher vers leurs frontières. Une députation de vos plus notables citoyens qui viendront au devant de moi la corde au cou, des torches dans leur main gauche, dans la droite leurs épées qu’ils tiendront par la pointe, pourra apprendre à quelle condition nous vous accorderons la paix. — Adieu donc la paix, et salut à la guerre ! répliqua le landamman ; puissent les maux et les malédictions de la guerre retomber sur les têtes de ceux qui préfèrent le sang et les batailles à la paix et à l’union ! Nous viendrons à votre rencontre sur nos frontières, avec nos épées nues, non pas la pointe, mais la garde dans nos mains. Charles de Bourgogne, de Flandre et de Lorraine, duc de sept duchés, comte de dix-sept comtés, je vous défie et vous déclare la guerre au nom des cantons confédérés et des autres qui se joindront à eux. Voilà, ajouta-t-il, mes lettres de défi. »

Le héraut reçut des mains d’Arnold Biederman la fatale déclaration.

« Ne la lis pas, Toison-d’Or, dit l’orgueilleux duc. Que l’exécuteur la traîne par les rues attachée à la queue de son cheval, et qu’il la cloue au gibet pour montrer quel cas nous faisons de ce méchant parchemin et de ceux qui l’envoient… Arrière, messieurs, » continua-t-il en s’adressant aux Suisses ; « retournez dans vos déserts aussi vite que vos pieds vous y pourront conduire. À notre première rencontre, vous saurez mieux qui vous avez offensé… Qu’on apprête notre cheval… la séance est levée. »

Le maire de Dijon, à l’instant où tout le monde était en mouvement pour quitter la salle, s’approcha encore du duc, et exprima timidement l’espérance que Son Altesse daignerait accepter un banquet que les magistrats avaient préparé, dans l’attente qu’il leur ferait un pareil honneur.

« Non, par saint George de Bourgogne ! seigneur maire, » répondit Charles, avec un de ces regards terrassants par lesquels il avait coutume d’exprimer son indignation mêlée au dédain… « nous n’avons pas été assez satisfait de notre déjeuner pour être disposé à confier à la loyauté de notre bonne ville de Dijon le soin de notre dîner. »

En parlant ainsi, il tourna brusquement le dos au magistrat mortifié, et montant à cheval, il revola à son camp, s’entretenant d’une manière très vive avec le comte Campo-Basso durant le chemin.

« Je vous offrirais bien à dîner, milord d’Oxford, » dit Colvin au noble exilé quand il mit pied à terre devant sa tente ; « mais je prévois qu’avant qu’il vous soit possible de manger une bouchée, vous serez mandé en présence du duc, car c’est l’habitude de notre Charles, quand il a pris une mauvaise résolution, de discuter avec ses amis et conseillers pour leur prouver qu’elle est bonne. Pardieu ! il fait toujours un prosélyte de ce souple Italien. »

L’augure de Colvin fut promptement réalisé ; car un page vint presque aussitôt avertir le marchand anglais Philipson de se rendre auprès du duc. Sans attendre un instant, Charles s’abandonna à une série incohérente de reproches contre les États de son duché, qui lui refusaient leur appui dans une affaire si peu importante, et s’étendit en longues explications sur la nécessité où il se trouvait de punir l’audace des Suisses. « Et toi aussi, Oxford, » dit-il en terminant, « ton impatience est-elle poussée au point de souhaiter que je m’engage dans une guerre lointaine avec l’Angleterre, et que je transporte mes forces au delà des mers, quand j’ai de si insolents rebelles à châtier sur mes frontières ? »

Quand il cessa enfin de parler, le comte anglais lui exposa avec une chaleur respectueuse le danger qu’il semblait devoir courir, en luttant contre un peuple pauvre, il est vrai, mais universellement redouté pour sa discipline et son courage, et encore sous les yeux d’un rival aussi dangereux que Louis de France, qui certainement soutiendrait les ennemis du duc sous main, s’il ne se joignait pas à eux ouvertement. Sur ce point la résolution du duc était inébranlable. « On ne dira jamais de moi, répliqua-t-il, qu’après avoir prononcé des menaces, je n’ai pas osé les exécuter. Ces rustres m’ont déclaré la guerre, et ils apprendront quelle colère ils ont témérairement provoquée ; mais cependant je ne renonce pas à ton projet, mon cher Oxford. Si tu peux toujours m’obtenir cette cession de la Provence, et persuader au vieux René d’abandonner la cause de son petit-fils, Ferrand de Vaudemont, en Lorraine, tu mériteras ainsi que je t’envoie un redoutable secours contre mon frère Blackburn, qui, pendant qu’il boit des santés et s’enivre en France, peut bien venir à perdre ses domaines en Angleterre. Et ne t’impatiente pas s’il m’est impossible d’envoyer en ce moment même des hommes par delà le détroit. La marche que je vais faire sur Neufchâtel, qui est, je crois, le point le plus proche où je trouverai ces manants, sera comme une excursion du matin. J’espère que vous viendrez avec nous, mon vieux compagnon ; j’aimerais à voir si vous avez oublié dans ces montagnes comment se manie un cheval et se tient une lance en arrêt. — J’accompagnerai Votre Altesse, répondit le comte, ainsi que mon devoir me l’ordonne, car ma conduite est soumise à votre volonté. Mais je ne porterai pas d’armes, surtout contre ces peuples de l’Helvétie qui m’ont donné l’hospitalité, sauf pour ma défense personnelle. — Eh bien ! soit, répliqua le duc ; nous aurons en vous un excellent juge pour nous dire qui remplit le mieux son devoir contre ces rustres de montagnards. »

À cet endroit de la conversation, on frappa à la porte du pavillon, et le chancelier de Bourgogne entra aussitôt en grande hâte, et avec un air de vive inquiétude : « Des nouvelles, monseigneur, des nouvelles de France et d’Angleterre, » dit le prélat ; puis remarquant la présence de l’étranger, il observa le duc et garda le silence.

« C’est un fidèle ami, seigneur évêque, dit le duc ; vous pouvez me communiquer vos nouvelles devant lui. — Elles seront bientôt généralement connues, reprit le chancelier… Louis et Édouard sont complètement d’accord. » Le duc et le comte anglais tressaillirent.

« Je m’y attendais, dit le duc, mais pas sitôt. — Les rois se sont rencontrés, répliqua son ministre. — Comment… dans une bataille ? » dit Oxford s’oubliant dans l’excès de sa curiosité. Le chancelier fut un peu surpris ; mais comme le duc semblait attendre qu’il fît une réponse, il répondit : « Non, seigneur étranger… pas dans une bataille, mais à un rendez-vous, et en paix, en amitié. — Ma foi le spectacle a dû être curieux, repartit le duc, de voir le vieux renard Louis et mon frère Black… Je veux dire mon frère Édouard, à une entrevue. Où la rencontre a-t-elle eu lieu ? — Sur un pont de la Somme, à Picquigny. — Je voudrais que tu eusses été là, » dit le duc en regardant Oxford ; « avec une hache en main tu aurais frappé un bon coup pour l’Angleterre et un autre pour la Bourgogne. Mon grand-père fut traîtreusement assassiné à une entrevue toute pareille, au pont de Montereau sur l’Yonne. — Pour prévenir un semblable accident, dit le chancelier, on a élevé au milieu du pont une forte barrière du genre de celles qui ferment les cages où l’on renferme des animaux sauvages, de sort qu’il leur était impossible même de se toucher l’un l’autre la main. — Ah ! ah ! par saint George ! voilà qui sent l’adresse et la prudence de Louis ; car l’Anglais, pour lui rendre justice, connaît aussi peu la crainte que la politique. Mais quelles conditions ont-ils arrêtées ? Où l’armée anglaise passera-t-elle l’hiver ? Quels châteaux, forteresses et villes lui sont livrés en gage ou à perpétuité ? — Aucune, mon souverain, répondit le chancelier. L’armée anglaise retournera en Angleterre aussitôt qu’on pourra se procurer des bâtiments pour l’y transporter, et Louis leur fera cadeau de toutes les voiles et rames de son royaume, plutôt que de ne pas les voir évacuer immédiatement la France. — Et par quelle concession Louis a-t-il obtenu une paix si nécessaire à ses affaires ? — Par de belles paroles, répondit le chancelier, par de magnifiques présents, et par quelque cinq cents tonnes de vin. — De vin ! s’écria le duc… a-t-on jamais vu chose pareille, seigneur Philipson ? En vérité, vos compatriotes ne valent guère mieux qu’Ésaü, qui vendit son droit d’aînesse pour une écuelle de potage. Ma foi, je dois avouer que je n’ai jamais vu un Anglais qui voulût conclure un marché sans s’humecter les lèvres. — Je puis à peine croire ces nouvelles, dit le comte d’Oxford. Si cet Édouard s’était contenté de passer la mer avec cinq mille Anglais, simplement pour revenir de suite en Angleterre, il y a dans son camp assez de nobles fiers et d’orgueilleux bourgeois pour s’opposer à cette honteuse résolution. — L’argent de Louis, répliqua le ministre, a trouvé de nobles mains disposées à le recevoir. Le vin de France a inondé tous les gosiers de l’armée anglaise… le désordre et le tumulte étaient au comble ; et une fois la ville d’Amiens, où résidait Louis lui-même, était tellement remplie d’archers anglais, tous plongés dans l’ivresse, que la personne du roi de France se trouvait presque en leur pouvoir. Tout sentiment d’honneur national s’est évanoui dans cette grande débauche ; et ceux qui, parmi eux, prétendent à plus de dignité et au rôle de sages politiques, disent que, comme ils étaient venus en France de concert avec le duc de Bourgogne, et que ce prince ne les a point soutenus par ses forces, ils ont bien fait, sagement et bravement fait, vu la saison de l’année et l’impossibilité d’obtenir des logements, de recevoir un tribut de la France et de retourner en triomphe chez eux. — Et de laisser Louis, dit Oxford, complètement libre d’attaquer la Bourgogne avec toutes ses troupes. — Non pas, ami Philipson, répliqua le duc : sache qu’il existe une trêve entre la Bourgogne et la France pour un espace de sept ans ; et si elle n’eût pas été conclue et signée, il est probable que nous aurions trouvé moyen d’empêcher le traité entre Édouard et Louis, au risque même d’approvisionner les voraces insulaires de bœuf et de bière pendant les mois d’hiver… Seigneur chancelier, vous pouvez nous laisser, mais soyez prêt à répondre au premier appel. »

Quand son ministre eut quitté le pavillon, le duc, qui à son caractère rude et impérieux unissait beaucoup de bonté, si on ne peut dire de générosité naturelle, s’approcha du comte lancastrien, qui se tenait immobile comme un homme aux pieds duquel la foudre vient de tomber, et qui ressent encore la frayeur du coup.

« Mon pauvre Oxford, dit-il, tu es stupéfié de ces nouvelles qui, tu n’en peux douter, doivent produire un effet fatal sur le plan que ton noble cœur combine avec une si sincère fidélité. Je voudrais pour toi avoir pu retenir les Anglais un peu plus longtemps en France ; mais si j’avais tenté de le faire, c’eût été anéantir ma trêve avec Louis, et par suite m’ôter le pouvoir de châtier ces misérables cantons ou d’envoyer une expédition en Angleterre. Dans l’état actuel des choses, donne-moi seulement une semaine pour punir les montagnards, et je te prêterai un secours plus considérable que tu n’oses le demander pour ton entreprise. En attendant je prendrai soin que Blackburn et les archers, ses cousins, ne puissent pas s’embarquer sur les bâtiments de Flandre. Allons, l’ami, ne crains rien tu seras en Angleterre long-temps avant eux ; et encore une fois compte sur mon assistance… toujours à condition, tu sais, qu’on me cédera la Provence, comme de juste. Il faudra que nous gardions pour un temps les joyaux de notre cousine Marguerite ; et peut-être serviront-ils, comme garantie, avec quelques uns des nôtres, au pieux dessein de mettre en liberté les anges que nos usuriers flamands retiennent captifs ; coquins, qui ne veulent prêter, même à leur souverain, que sur de bons nantissements. Voilà à quels expédients nous a réduit pour le moment l’avarice désobéissante de nos États. — Hélas ! monseigneur, » répondit le noble Anglais découragé, « Je serais ingrat si je doutais de la sincérité de vos royales intentions. Mais qui peut se reposer sur les événements de la guerre, surtout quand le temps presse pour une prompte détermination ? Vous êtes assez bon pour vous fier à moi ; que la confiance de Votre Altesse aille encore plus loin : je vais monter à cheval, et courir après le landamman s’il est déjà parti. Je ne doute pas de pouvoir conclure avec lui un arrangement par lequel vous n’aurez rien à craindre sur toutes vos frontières du Sud-Est. Vous pouvez alors exécuter en toute sécurité vos projets sur la Lorraine et la Provence. — Ne m’en parlez pas, » dit le duc avec aigreur ; « c’est faire injure et à vous et à moi que de supposer qu’un prince qui a donné sa parole à son peuple puisse la retirer comme un marchand qui veut vendre sa marchandise, puis ne veut plus. Allez… nous vous assisterons ; mais nous jugerons nous-même du temps et de la manière : néanmoins, comme nous sommes bien disposé en faveur de notre malheureuse cousine d’Anjou, et que vous êtes notre meilleur ami, nous ne laisserons pas languir cette affaire. Notre armée a ordre de se mettre en marche ce soir et de se diriger sur Neufchâtel, où ces fiers Suisses connaîtront notre ardeur et le poids de nos épées qu’ils ont fait sortir du fourreau. »

Oxford poussa un profond soupir, mais ne répliqua plus rien ; et il eut raison, puisqu’il aurait probablement exaspéré le caractère hautain du prince à qui s’adressaient ses remontrances, sans rien changer à sa détermination.

Il prit congé du duc et retourna vers Colvin, qu’il trouva plongé dans les affaires de son département, et se préparant à faire partir l’artillerie : opération que la grossièreté des pièces et l’exécrable état des routes rendaient alors plus difficile même qu’aujourd’hui, quoiqu’elle soit encore un des mouvements les plus laborieux de la marche d’une armée. Le maître de l’artillerie reçut Oxford avec beaucoup de joie, et se félicita du grand honneur qu’il aurait à faire la campagne avec lui ; il l’informa ensuite que, d’après un ordre spécial du duc, il avait pris pour sa commodité tous les arrangements convenables à l’incognito qu’il voulait garder, mais tels cependant qu’un camp pouvait les offrir.