Anthologie des poètes français contemporains/Bourget (Paul)

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Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 543-554).




PAUL BOURGET





Bibliographie. — Au bord de la mer, poésies (1872) ; — La Vie inquiète, poésies (1875) ; — Edel, poème (1878) ; — Les Aveux, poésies (1882) ; — Essais de psychologie contemporaine (1883) ; — L’Irréparable, nouvelle (1884) ; — Deuxième Amour, nouvelle (1884) ; — Profils perdus, nouvelle (1884) ; — Cruelle Enigme, roman (1885) ; — Nouveaux Essais de psychologie contemporaine (1885) ; — Poésies [Au bord de la mer ; La Vie inquiète] (1885) ; — Un Crime d’amour, roman (1886) ; — André Cornélis, roman (1886) ; — Mensonges, roman (1887) ; — Etudes et Portraits (1888) ; — Pastels (1889) ; — Physiologie de l’amour moderne ; — Le Disciple, roman (1889) ; — Un Cœur de femme, roman (1890) ; — La Terre promise, roman (1892) ; — Cruelle Enigme, roman (1893) ; — Un Scrupule (1893) ; — Noueveaux Pastels ; — Cosmopolis, roman (1894) ; — Un Saint (1894) ; — Steeple-chase (1894) ; — Outre-mer, notes sur l’Amérique (1895) ; — Une Idylle tragique, roman (1896) ; — Recommencements, nouvelles (1897) ; — Voyageuses, nouvelles (1897) ; — Complications sentimentales, nouvelles (1898) ; — La Duchesse bleue, roman (1898) ; — Trois Petites Filles (1898) ; — Œuvres complètes : Relique (1899) ; — Un Cœur de femme (1899) ; — Un Homme d’affaires ; Dualité ; Un Réveillon ; L’Outragé (1900) ; — Poésies (1872-1876, épuisé) ; — Poésies (1876-1882).

Les œuvres complètes de M. Paul Bourget se trouvent chez Plon-Nourrit et Cie.

M. Paul Bourget a collaboré an Parnasse, à la Revue des Deux-Mondes, à la Nouvelle Revue, à la Renaissance, au Parlement, à la Revue Indépendante, à la Grande Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg, au Figaro, etc.

Né à Amiens le 2 septembre 1852, M. Paul Bourget commença ses études au lycée de Clermont-Ferrand. Il vint les achever à Paris, où il prit sa licence ès lettres. Il débuta, en 1872, par un volume de vers : Au bord de la mer, suivi, à quelques années de distance, de trois autres : La Vie inquiète (1875), Edel (1878) et Les Aveux (1882), où il se révèle un poète rare, inquiet et profondément humain… « Les Aveux, dit M. Auguste Dorchain, dominent jusqu’ici de très haut l’œuvre poétique de Paul Bourget. Dans ce livre, le poète nous confesse, avec une intensité douloureuse, les troubles d’un cœur désemparé, au lendemain de la grande déception d’amour à demi racontée dans Edel : — ici, la débauche ou l’on a cherché l’oubli, où l’on n’a trouvé que spleen et remords ; — plus loin, la folle résolution de rayer la femme de sa vie intérieure pour ne plus vivre que par l’esprit ; — ailleurs, un dilettantisme de tendresse élégante, que l’on s’efforce de prendra pour la passion et qui n’est guère qu’un libertinage sentimental plus décevant encore que l’autre… Mais parmi ces erreurs d’âme subsistent, indélébiles, le regret de la foi et de la pureté perdues, le vague espoir d’une ingénuité reconquise à force de science. — Et une nouvelle figure de femme, faite de toutes ces nostalgies, semble flotter au-dessus du livre. On dirait une de ces vierges peintes par Burne Jones, à la grâce presque inquiétante, aux grands yeux presque trop limpides, et qui cueillent des fleurs mystiques en de frais paysages de rêve. C’est la Muse des derniers vers de Paul Bourget. Elle arrive d’Angleterre ; elle a déjà inspiré Shelley, Rossetti, jusqu’à cette Mary Robinson dont M. James Darmesteter nous a révélé le charmant génie. A notre poésie, qui pèche souvent par un excès de raisonnement et de netteté, par une vaine lutte de rendu avec les arts plastiques, elle apporte le don du symbole suggestif et quelque chose de l’indéterminé des sensations musicales. D’aucuns l’ont déjà trop écoutée, mais non Paul Bourget, qui l’entend avec une oreille bien française et qui lui doit les plus pénétrants comme les plus originaux de ses poèmes. »

Depuis 1882, M. Paul Bourget s’est à peu près exclusivement consacré au roman, où il s’est illustré. « Vers l’année 1880, écrit M. Georges Pellissier, le naturalisme était en plein triomphe, et la physiologie évinçait complètement la psychologie. L’école naturaliste, bornant la vie dans l’activité fatale des instincts, excluait de la nature et, par suite, de l’art, tous les éléments que son matérialisme cru laissait hors de prise. Une réaction était devenue inévitable. Ce fut M. Paul Bourget qui en donna le signal. L’un de ses plus beaux titres de gloire est d’avoir réintégré dans le roman ce que nos ancêtres appelaient l’observation morale, ce que nous nommons de nos jours la psychologie. »

M. Paul Bourget n’a pas appliqué avec moins de bonheur ses rares facultés d’analyse à quelques-uns des principaux penseurs ou écrivains de ce siècle dans ses Essais de psychologie contemporaine (1883), suivis de Nouveaux Essais (1885) et Etudes et Portraits (1888).

M. Paul Bourget est membre de l’Académie française.
LA CHAPELLE


La chapelle est tapie au creux d’un grand rocher,
La croix de fer doré brille en haut du clocher,
Le porche en bois est plein de sculptures antiques,
Où des saints douloureux et des anges mystiques
Charment les cœurs dévots depuis quatre cents ans.

Les dimanches, c’était un flot de paysans
Qui tous portaient la veste ancienne en bure bleue.
Ils avaient pour venir marché plus d’une lieue ;
La poussière couvrait leurs guêtres de cuir brun,
Et, le chapeau de feutre en arrière, un par un,
Ils sortaient. Puis venait, en bonnet de dentelle,
La femme qui conduit ses enfants devant elle,
Le chapelet aux doigts, d’un air calme et pieux,
— Et les cloches chantaient doucement vers les cieux. —

Et moi, je m’étais fait une habitude exquise
De vous attendre au seuil de la petite église
Où votre âme peut-être avait prié pour moi :
Vous vous faisiez attendre, et c’était un émoi
Délicieux de voir dans la chapelle sombre
Votre visage aimé se détacher de l’ombre
Lentement. La foi pure illuminait vos yeux
De je ne sais quel feu chaste et mystérieux,
Mais vous n’aviez pour moi ni reproche ni plaintes,
Et vous me pardonniez comme auraient fait les saintes
De ne jamais plier les genoux devant Dieu.

Or, ces dimanches-là, quand le ciel était bleu,
Ensemble nous allions à travers le village,
Nous suivions les rochers ensemble, puis la plage ;
Vos cheveux déroulés tremblaient au vent de mer,
L’Océan nous lançait son large souffle amer,
Et nous marchions ainsi jusque sur la jetée.
— Je n’ai pas oublié cette mer enchantée,
Le ciel clair, les flots bleus balancés mollement,
Les voiles des bateaux dans un lointain charmant,
Les grands oiseaux lancés sur nous à pleines ailes,
Ni les cris des pêcheurs, ni les voix éternelles

Qui de la mer montaient comme un hymne au ciel pur.
Vous sembliez sourire et marcher dans l’azur,
Gaie et fraîche, et pourtant plus pâle encor que rose.
Et moi, vos moindres mots m’attendrissaient sans cause ;
Mais si profondément, que j’aurais devant vous,
Comme un prêtre à l’autel, plié les deux genoux,
Et que je demeurais muet, l’âme ravie,
Tout éperdu devant la beauté de la vie.


STANCES


« Tu m’appelles ta vie, appelle-moi ton âme ;
Car l’âme est immortelle, et la vie est un jour. »
Pourquoi devant ce ciel que le couchant enflamme
Me suis-je souvenu de ces deux vers d’amour ?

Si celle dont je rêve était ma fiancée,
Comme je lui dirais ces vers que j’aime tant,
Comme elle en comprendrait la sublime pensée,
La langueur pénétrante et le charme attristant !

« Tu m’appelles ta vie, appelle-moi ton âme. »
— Ton âme ! mot si vague, et cependant si doux,
Si pur, lorsqu’il est dit par des lèvres de femme
A l’amant qui se meurt de tendresse, à genoux !

S’il existait un mot plus pur, plus doux, plus tendre,
C’est celui-là qu’à l’heure où le soleil s’endort,
Des lèvres que je sais mon cœur voudrait entendre,
Lorsque tout l’horizon se vêt d’opale et d’or.

« Appelle-moi ton âme… » Il est suave et triste,
Ce cri d’amour : « Ton âme… » Et sais-je seulement
Si l’âme est immortelle et si cette âme existe ?…
Pourtant je ne dirai jamais que ce cri ment.

Oui ! quand je serais sûr que le mot d’outre-tombe
N’est rien que le néant et l’oubli d’ici-bas,
Toujours je te dirais, lorsque le soleil tombe :
x Appelle-moi ton âme, » et ne mentirais pas.

« Ton âme… » quelque chose en toi de si céleste
Qu’aucun terrestre ennui ne le saurait flétrir ;

Quelque chose à jamais fidèle et qui me reste :
— Le serment qu’un sincère amour ne peut mourir. —

Tout ce que j’ai senti dans mes beaux jours d’enfance
Lorsque l’orgue enchantait mon cœur simple et pieux,
Toute l’ancienne extase et toute l’innocence
Revivent dans ces mots profonds comme les cieux.

« Appelle-moi ton âme ! » Hélas ! quand donc pourrai-je,
Te tenant embrassée et les yeux dans tes yeux,
Comme un magicien prononce un sortilège,
Te répéter ces mots qui font qu’on aime mieux ?

Que ce soit donc bientôt, — et sur une colline,
Le soir, pour qu’en sentant s’en aller à leur tour
Ces instants enchantés d’émotion divine,
Je te dise tout bas : « Car la vie est un jour. »

C’est qu’il faut, pour goûter amèrement la vie,
Sentir qu’elle s’écroule et ne reviendra plus :
Alors il naît en nous une âpre et sourde envie
D’être heureux pour les jours que nous avons perdus.

L’amant est plus ému, plus tendre la maîtresse ;
Un alanguissement semble tomber des cieux ;
Et la beauté du soir mêlée à leur ivresse
Fait couler lentement les larmes de leurs yeux.


(Edel.)


CHANSON DE BRETAGNE


Rien n’arrête celui que l’amour accompagne :
Glace ou neige, pluie ou grésil, âpres sentiers !
Pour te suivre à travers le bois et la campagne
J’ai perdu mes sabots et déchiré mes pieds.

C’est qu’elle est comme moi bien jeune, mon amante.
Dix-sept ans, et jolie, et si fraîche, — ô ma fleur’
Son regard est brûlant, sa parole clémente,
Et c’est une prison où j’enferme mon cœur.

A quoi la comparer ? A la Rose-Marie,
Cette rose d’amour, blanche comme un jasmin,

Fleur si frêle au milieu des fleurs de la prairie
Qui s’ouvrent aujourd’hui pour se faner demain !

En te faisant la cour, j’étais, ma fleur tremblante,
Semblable au rossignol posé sur un buisson :
S’il veut sommeiller, l’arbre épineux l’ensanglante,
Il remonte à la cime et reprend sa chanson.

Je suis ce rossignol, ou bien encore une âme
Qui fait son Purgatoire en attendant son jour.
Quand donc échapperai-je à la cruelle flamme
Pour entrer avec toi dans le ciel de l’amour ?

Que mon astre est fatal, mon sort contre nature !
Je n’ai pas un parent ici, pas un chrétien
Pour prendre au moins pitié des peines que j’endure ;
Je n’ai pas un ami qui me veuille du bien.

Personne n’a souffert comme moi, mon amie,
Et cela par amour pour vous. J’ai tant prié !
J’ai tant souffert ! A deux genoux, je vous supplie
De prendre, au nom de Dieu ! votre clerc en pitié.

— Je composais ces vers en descendant la grève,
Au retour du pardon de Saint-Michel. Là-bas,
A l’horizon, je vois la mer qui se soulève…
Que m’importe, si ma Douce ne m’entend pas ?


(Les Aveux.)


ZANTE, FIOR DI LEVANTE


Quand le vaisseau bercé par la mer caressante
S’arrête aux bords heureux de la terre de Zante,
Que les Italiens nomment « fleur du Levant »,
Le voyageur vers lui voit voguer cent nacelles,
Toutes pleines de fleurs humides et nouvelles
Dont l’âme errante flotte et parfume le vent.

On dirait des jardins balancés sur les lames,
Et ce sont des œillets plus rouges que des flammes ;
D’autres blancs, délicats comme un beau teint d’enfant,
Et des roses de pourpre et des roses pâlies,
Et de grands lys royaux dont les mélancolies
Gardent je ne sais quoi d’âpre et de triomphant

Et lorsque le vaisseau, parti pour d’autres mondes,
Escalade les plis démesurés des ondes
Qui l’emportent au ciel brumeux de l’Occident,
Longtemps encor, parmi la vapeur, les cordages,
Et les groupes bronzés des matelots sauvages,
Les fleurs de Zante en font un oasis flottant.
Moi-même, aux jours obscurs où de douces pensées
M’évoquent la beauté des heures éclipsées,
Que j’ai revu de fois — souvenir décevant ! —
Ton ciel clair, tes flots bleus roulant des pierreries,
Et les riches bouquets de tes barques fleuries,
O Zante, fleur lointaine et douce du Levant !


(Les Aveux.)


NUIT D’ÉTÉ


O nuit, ô douce nuit d’été, qui viens à nous
Parmi les foins coupés et sous la lune rose,
Tu dis aux amoureux de se mettre à genoux,
Et sur leur front brûlant un souffle frais se pose !
O nuit, ô douce nuit d’été, qui fais fleurir
Les fleurs dans les gazons et les fleurs sur les branches,
Tu dis aux tendres cœurs des femmes de s’ouvrir,
Et sous les blonds tilleuls errent des formes blanches !
O nuit, ô douce nuit d’été, qui sur les mers
Alanguis le sanglot des houles convulsées,
Tu dis aux isolés de n’être pas amers,
Et la paix de ton ciel descend dans leurs pensées
O nuit, ô douce nuit d’été qui parles bas,
Tes pieds se font légers et ta voix endormante,
Pour que les pauvres morts ne se réveillent pas,
Eux qui ne peuvent plus aimer, ô nuit aimante !


(Les Aveux.)


L’HEURE PENSIVE


Comme la clarté molle et tiède d’un soir bleu
Convient seule aux baisers prolongés d’un adieu ;
Comme aux égarements d’une débauche amère

Il faut une nuit froide et noire de Brumaire ;
Et comme pour conduire une vierge à l’autel
Bien ne sied qu’un soleil de mai dans un beau ciel ;
Ainsi, pour retrouver l’impression profonde
De la mysticité redoutable du monde,
J’aime, après un travail poussé jusqu’au matin,
A voir le jour qui monte & l’horizon lointain,
Pâle, mouillé des pleurs de la brume nocturne,
Et la lune qui meurt dans l’aube taciturne.

(Les Aveux.)


SPLEEN


N’ayant plus rien debout en moi de ces espoirs
Que je dressais au ciel comme des pyramides,
Je prends entre mes mains mon front chargé de rides
Et j’écoute approcher l’essaim des mauvais soirs.

Ils arrivent, muets archers aux casques noirs…
Essaim maudit, crois-tu donc que tu m’intimides ?
J’ai de moi-même fui le jardin des Armides
Et mis le feu moi-même à mes plus chers manoirs.

Aujourd’hui, je me suis forgé dans mes pensées
Des chaînes de douleur tellement insensées
Que la réalité terrible peut venir :

Elle ne pourra pas me faire une blessure
Qui vaille ce que j’ai dans mon vieux souvenir…
— O main de femme ! O main que je crus douce et sûre !

(Les Aveux.)


SPLEEN


Pour le mal dont je souffre il n’est pas de remède.
Puis-je un jour devenir à moi-même étranger,
Et, contre un autre cœur jeune et joyeux, changer
Ce cœur morne, — mon cœur, — dont le dégoût m’excède ?

Qu’à l’heure intolérable une autre heure succède,
Le poids de mon ennui sera-t-il plus léger ?

Dans l’immense univers où rien ne doit bouger,
Un père est-il caché de qui j’attends une aide ?

Quand le même soleil sur ma tête aura lui,
Demain, ah ! je serai l’homme amer d’aujourd’hui,
Prisonnier d’un cœur morne et d’un ténébreux monde.

Et cependant la mort approche, et j’en ai peur :
Son gouffre est taciturne et son ombre est profonde.
— Pourquoi trembler, 6 lâche, ô misérable cœur ?


(Les Aveux.)


LA MORT


S’il est un homme heureux et qu’ici-bas j’envie,
C’est celui-là qui vit sans penser à sa vie :
Il laisse s’effeuiller ses jours au vent du sort,
— Comme l’arbre des champs laisse le vent du nord
Éparpiller l’essaim de ses feuilles fanées, —
Sans songer que le vol rapide des années
Rend plus proche et plus proche encore la moment
De l’entier, du suprême évanouissement.
Certe ! heureux, si jamais l’énigme inexplicable
De l’univers réel ne l’étreint et l’accable ;
S’il ne voit pas avec des yeux épouvantés
Les abîmes muets des deux éternités :
— Celle qui précédait et celle qui doit suivre
Le temps si court durant lequel il se sent vivre ! —
Cet homme peut jouir de l’heure, elle est à lui,
Et demain n’est pas là qui lui gâte aujourd’hui !
Demain ! car c’est demain, tant l’existence est brève,
Qu’il faudra s’éveiller de cet étrange rêve.
Demain, les yeux tout grands ouverts se fermeront.
Demain, l’idée aura quitté ce pâle front.
Demain, ce qui fut nous s’écroulera dans l’ombre
Qui déjà s’est ouverte à des vivants sans nombre :
— Enfer ? Néant ? Effort nouveau ? Divin séjour ?
Qui sait ton mot, ô dur voyage sans retour ?…


(Les Aveux.)
EN LISANT L’ÉVANGILE


Sur le morne gazon du Jardin des Olives,
Le Christ agenouillé pleure comme un enfant.
— Mon cœur d’homme coupable et baptisé se fend
A lire le récit de ces heures plaintives.

Mon Ame, c’est pour toi, c’est afin que tu vives,
Que ce Juste aux bourreaux livre son corps vivant
Et qu’il vient attester son Idéal, devant
Le grand festin du monde et ses cruels convives !

Mon Ame, c’est sur toi que ce Juste est penché
Et sur l’obscur troupeau de tes sœurs en péché,
Durant l’accablement de sa nuit d’agoniel

Pourtant, mon Ame, et vous, sœurs en anxiété,
Vous gémissez encor dans une ombre infinie,
Comme si tout cela n’avait jamais été !…


(Les Aveux.)


DÉSESPOIR EN DIEU


Oh ! qu’il fût seulement une personne, un être !
Qu’à l’heure où l’on se sent mourir de désespoir
On pût voir là quelqu’un, oh ! même sans le voir,
Le sentir là, vivant, et qui pût nous connaître !

Tendre Dieu paternel, ou tyrannique maître,
Que seulement on pût près de son cœur s’asseoir,
Comme Jean, près du cœur de Jésus, fit un soir,
Ou l’insulter, l’étreindre, et d’horreur se repaître !

O Dieu, parais, éclaire un si sombre univers !…
— Hélas ! que l’homme en pleurs tende ses bras ouverts,
Ou qu’il crispe son poing frénétique, et blasphème,

La matière se meut en sa stupidité,
L’affreuse solitude est à jamais la même,
Et l’homme seul répond à l’homme épouvanté.


(Les Aveux.)
LA POÉSIE DU SOIR


A Frédéric Bataille.


Que de charmes en vous, heure crépusculaires !
Le ciel se fait de pourpre, et l’âme, qui croit voir
Des roses s’effeuiller pour un doux reposoir,
Dans cette mort du jour sent mourir ses colères.

Puis l’ombre vient, roulant, dans ses mornes suaires,
Et le ciel et la terre, et les roses du soir ;
Mais, comme en pleine angoisse un radieux espoir,
Les étoiles là-haut luisent, tendres et claires.

Ces lointains paradis dont est semé le ciel
Parlent à l’âme en deuil de son sort immortel.
Elle se purifie à leur divine flamme.

Et toi, poète, enfin délivré du labeur,
C’est alors que tu sens palpiter dans ton cœur
L’esprit divin qui vit dans l’étoile et dans l’âme.