Anthologie des poètes français contemporains/Boutelleau (Georges)

La bibliothèque libre.
Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 468-474).




GEORGES BOUTELLEAU





Bibliographie. — Romans : Les Vies brisées (Léon Vanier, Paris, 1872) ; — Une Fille du peuple (Dentu, Paris, 1880) ; — Méha, mention de l’Académie française (Ollendorff, Paris, 1332) ; — La Demoiselle (Ollendorff, Paris, 1884) ; — Américaine (Ollendorff, Paris, 1887). Ont paru, en outre : dans Le Siècle : Judes ; — dans La Justice ; Etoile filante ; — dans Le Moniteur : Yvanc. — Poésies : Varia, recueil de pièces couronnées au concours de La Rochelle, médaille d’or (1872) ; — Poèmes en Miniature (Lemerre, Paris, 1881) ; — Le Vitrail (Lemerre, Paris, 1887) ; — Les Cimes (Fischbacher, Paris, 1894) ; — Le Banc de pierre, ouvrage couronné par l’Académie française (Lemerre, Paris, 1905). — M. Georges Boutelleau a également écrit des drames en vers, en cours de publication : Torquato Tasso, cinq actes ; — Sémiramis, cinq actes ; — Le Dieu, trois actes ; — Le Pardon, un acte ; — Une Visite, un acte ; — des drames en prose : La Prophétesse, quatre actes ; — Le Visionnaire, trois actes ; — Le Roi Thalmond, quatre actes ; — et des comédies : Le Charmeur, trois actes ; — Le Virtuose, quatre actes ; — Madame Renée, trois actes ; — La Corbeille, un acte ; — L’Accusée, un acte ; — Le Foyer, un acte ; etc.

M. Georges Boutelleau a collaboré à de nombreux journaux et revues. Il a écrit plusieurs séries de nouvelles.

M. Georges Boutelleau est né en 1846, à Barbezieux (Charente). Il fit ses études au lycée d’Angoulême. Esprit vif et primesautier, et doué d’une imagination brillante, il composait à cette époque des poésies qui lui valurent de précoces distinctions. Ses études terminées, il visita l’Angleterre, la Hollande, la Suisse, l’Espagne, la Tunisie, etc., et rapporta de ces divers pays des impressions précieuses.

M. Georges Boutelleau est connu comme romancier, comme auteur dramatique et comme poète lyrique.

Les Poèmes en miniature lui valurent, dès leur apparition, les éloges de Théodore de Banville : « Il y a chez Georges Boutelleau, écrivait l’illustre poète, une originalité vraie, subtile, qui ne doit rien à personne, une étonnante justesse d’impressions et une absolue sincérité. Comme tout ce qui est vrai, ces vers laissent dans l’esprit une trace profonde. Aussi j’entrevois dans Georges Boutelleau un grand avenir de poète. »

« Les vers de Georges Boutelleau, a écrit plus récemment M. Sully Prudhomme, sont essentiellement poétiques par la grâce mélancolique des sentiments qui les inspirent et par le choix exquis des images. Ces pièces courtes et mélodieuses nous touchent comme des soupirs. Une extrême distinction caractérise ce talent… »

De son côté, M. François Coppée louait dans le journal La Patrie « ces fleurettes au parfum exquis, ces petits bijoux finement ciselés qui évoquent le souvenir de l’Intermezzo et d’Emaux et Camées, et qui auraient fait sourire de plaisir Henri Heine et Théophile Gautier ». Il ajoutait d’autre part : « Délicat, c’est bien l’élogieuse épithète qui convient à ces vers où les images sont d’une qualité rare, où les nuances de la pensée et du sentiment sont si fines. Oui, tout cela est « délicat » et d’une distinction morale et d’une aristocratie intellectuelle qui charment profondément. »

En 1903, M. Georges Boutelleau vint habiter Paris. Il publia, en 1905, Le Banc de pierre, qui fut couronné par l’Académie française.

Un maître éminent de l’Université a dit de ce dernier recueil : « Le Symbole et le pittoresque n’ont jamais contenu plus de vie intérieure en moins de vers étroits et parfaits. »



LE COLIBRI


J’ai vu passer aux pays froids
L’oiseau des îles merveilleuses.
Il allait frôlant les yeuses
Et les sapins mornes des bois.

Je lui dis : « Tes plages sont belles,
Ne pleures-tu pas leur soleil ? »
Il répondit : « Tout m’est vermeil.
Je porte mon ciel sur mes ailes. »


(Poèmes en miniature.)


L’ÉVENTAIL


Sur le grand éventail chinois
Qu’elle agitait quand nous nous vîmes,
J’ai mis, au vol, en tapinois,
Des dessins frêles et des rimes.

J’ai dit, en strophes, mes gros crimes,
Péchés effrontés ou sournois,
Rêves au vent, souhaits intimes,
Rires et larmes d’autrefois.

Les vers badins et les vers sombres
S’enlacent sous les fines ombres
Des bambous et des tamarins.

Mais l’enfant blonde et décevante,
D’une main pareille s’évente
Avec ma joie et mes chagrins.


(Le Vitrail.)


LE CIEL


Fleurs divines des reposoirs,
Qui mettez des blancheurs aux soirs,
O lis, éclos dans la lumière,

Vous logez les rôdeurs ailés,
Les frelons, aux vols déréglés,
Gourmands de sève printanière.

A ce petit peuple indigent,
Qui naît et meurt en voltigeant,
Vous offrez vos palais d’ivoire,
Et quand ils sont bien saturés
De pollen et de sucs dorés,
Vous les endormez dans la gloire.

Aux bohèmes, chercheurs de miel,
Aux nocturnes errants, le ciel
Ouvre aussi sa fleur pacifique ;
Et je crois, dans les nuits d’été,
Quand le ciel est blanc de clarté,
Rêver dans un lis magnifique.


(Le Vitrail.)


LES RAMIERS


Par les ciels gris ou les ciels roses,
Rasant la cime des palmiers,
Ou frôlant les buissons de roses,
Passent les sauvages ramiers.

Ils s’en vont, les ailes tendues,
Sous l’aube ou le couchant vermeil,
Attirés par les étendues
Et les infinis de soleil.

Sous les changeantes latitudes,
Ils demandent à l’horizon
On ne sait quelles altitudes
Ou quelle introuvable saison.

Traversant ainsi les années
A vols impuissants, mais hardis,
Nous cherchons, pour nos destinées,
Les impossibles paradis.


(Le Vitrail.)

LES CYGNES


Nostalgiques, tentés par de soudains mirages,
Les cygnes ont, par bonds, atteint le perron blanc
Dont la blancheur s’avive à l’aube des plumages,
Et leur col est tendu vers le ciel aveuglant.

Dans les lointains d’azur, ils voient des eaux nouvelles
Offertes, par les airs libres, à leur essor,
Et rêvent de mirer leurs émigrantes ailes
Aux étangs bleus fleuris le soir de glaïeuls d’or.

Cygnes, ils sont vêtus pour les lacs de lumière,
Mais leur élan se brise en spasmes onduleux ;
Ils glissent, impuissants, sur les marches de pierre,
Et le soleil fait luire au loin les étangs bleus.


(Le Banc de pierre.)


L’AVENUE


Les calmes, les tièdes soirées,
Quand tant de cœurs se sont aimés,
Ont gardé des douceurs sacrées
Sous les érables refermés.

Dans les feuillages de leurs voûtes,
Après les aveux dispersés,
On croit sentir se rouvrir toutes
Les lèvres des amants passés.

Elles chuchotent des mystères
Qui saisissent étrangement
Les oreilles des solitaires
Dont le rêve ancien est dormant.

Lents, ils s’éloignent des érables,
Aux rameaux encore embrasés,
Comme des aïeux vénérables
Qu’intimide un bruit de baisers.


(Le Banc de pierre.)

LE BANC


Autour du banc, où nous venions aux crépuscules,
L’épine croit sur les sauvages renoncules.
J’ai roulé de mes mains des rocs pour mieux fermer
L’entrée ; et d’autres, là, ne viendront pas s’aimer.
Le chèvrefeuille pend à la branche du frêne,
Comme pour nous ; partout pousse la folle graine.
Sur le tertre muet, à l’abandon et clos,
Le banc de pierre a l’air d’une tombe au repos.
La nuit, plus qu’autrefois, y descend solennelle,
Et je n’ose approcher, même d’un pas fidèle,
Quand, sur le passé mort et sacré du vieux banc,
La lune glisse et vient poser un bouquet blanc.


(Le Banc de pierre.)


RECUEILLEMENT


Quand je me penche sur tes yeux,
J’y vois dormir un clair de lune
Aux reflets fauves et soyeux,
Comme il en rêve sur la dune.

Tu t’enveloppes de repos
Et voiles jusqu’à ta pensée.
Sous les longs cils où tu t’enclos,
Par le jour trop aigu blessée.

Et ces yeux où la lune dort,
Sans caresses et sans bravades,
Calmes et tournés vers la mort,
Semblent chercher des cœurs malades.

Beaux yeux, couleurs des soirs d’été
Mystérieusement sublimes,
Vous êtes comme la clarté
Qui blanchit l’ombre des abîmes.


(Le Banc de pierre.)