Anthologie des poètes français contemporains/Read (Henri-Charles)

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Anthologie des poètes français contemporainsCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome deuxième (p. 13-16).
HENRI-CHARLES READ




BibliographiePoésies (Alphonse Lemerre, Paris, 1876) ; — Poésies, 4e édition (Alphonse Lemerre, Paris, 1897).

Né à Paris le 24 août 1857, mort en quelques jours, à Paris, d’une fièvre cérébrale, le 2 décembre 1876, Henri-Charles Read a passé le peu d’années qui lui ont été accordées auprès de sa mère et de sa sœur, confidentes de ses moindres pensées. C’est là, dans ce milieu d’intime et tendre affection, qu’il composa les vers exquis et déjà si personnels qui, réunis plus tard en volume, faisaient dire à M. Paul Haag : « Ce qui me frappe surtout, ce n’est pas la virtuosité extraordinaire de l’enfant qui a écrit ces vers, ce n’est pas l’originalité de sentiment de certaines pièces, ce n’est pas non plus ce frisson singulier qui semble passer comme un funèbre pressentiment à travers leurs rimes juvéniles, non ! c’est l’impression de la vie, je ne sais quelle lumineuse clarté, cette qualité enfin si rare, si difficile à définir, et qui fait dire en parlant d’un tableau de maître : « Il y a de l’air dans cette toile !… » Oui ! il y a de l’air dans ces vers ; rien de terne, rien de gris, rien de conventionnel ! Un souffle vivant y circule, et leurs tristesses mêmes ont quelque chose de si jeune qu’elles font involontairement songer à des images printanières : ce sont des tristesses d’avril. — Et, comme ces timides floraisons d’avril qui nous apportent déjà le printemps tout entier dans leurs promesses, de même ces poésies de la dix-huitième année nous disent déjà ce qu’eût été l’œuvre du poète qu’elles annonçaient. »




JE CROIS QUE DIEU, QUAND JE SUIS NÉ…


Je crois que Dieu, quand je suis né,
Pour moi n’a pas fait de dépense.
Et que le cœur qu’il m’a donné
Étais bien vieux, dès mon enfance.

Par économie, il logea
Dans ma juvénile poitrine
Un cœur ayant servi déjà,
Un cœur flétri, tout en ruine.

Il a subi mille combats,
Il est couvert de meurtrissures,
Et cependant je ne sais pas
D’où lui viennent tant de blessures :

Il a les souvenirs lointains
De cent passions que j’ignore.
Flammes mortes, rêves éteints,
Soleils disparus dès l’aurore.

Il brûle de feux dévorants
Pour de superbes inconnues,
Et sent les parfums délirants
D’amours que je n’ai jamais eues !

le plus terrible tourment !
Mal sans pareil, douleur suprême,
Sort sinistre ! Aimer follement,
Et ne pas savoir ce qu’on aime.


(Poésies.)


IL SUFFIT DE FORT PEU DE CHOSE.


Il suffit de fort peu de chose
Au poète, pour être heureux :
Un mot d’amour, de tendres yeux,
Un beau jour, un bouton de rose.

De l’air, un rayon de soleil,
Un éclair qui perce l’orage.
Un doux songe dans le sommeil.
Un oiseau chantant sous l’ombrage,

Et le voilà gai comme un roi !
D’où vient à ses rayons cette ombre ?…
Puisqu’il lui faut si peu, pourquoi
Le poète est-il donc si sombre ?


(Poésies.)
LUDIBRIA VENTIS

Que de fois le battement d’ailes
D’un vol de blanches colombelles
A fait fuir mes pensers rebelles,
Qui dans l’air partaient avec elles !

Que de vers, à peine ébauchés,
Les perdreaux dans les champs cachés,
Par ma venue effarouchés,
En s’envolant m’ont arrachés !

Maintenant, toutes ces pensées
Planent, doucement balancées,
Et par les brises cadencées
Au loin mollement sont poussées !

Posés sur les feuillages verts,
Ou bien voltigeant à travers
La vague immensité des airs,
Les oiseaux gazouillent mes vers.


(Poésies.)


SONNET


De sa ceinture de glaçons
La campagne s’est dépouillée,
Et dans la plaine encor mouillée
Courent de langoureux frissons ;

La brise agite les buissons ;
L’herbe qui pousse est émaillée
Des pleurs de l’aube, et la feuillée
Retentit de mille chansons ;

La fauvette, ivre de rosée,
Sur sa branche verte posée,
Gazouille en l’honneur du printemps ;

La brume grise s’évapore,
Et monte en nuages flottants
Sur les bois que le soleil dore !


(Poésies.)