Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Claudius Popelin

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 193-195).




CLAUDIUS POPELIN


1825




Claudius Popelin, né à Paris en 1825, s’est acquis une juste célébrité par des peintures sur émail représentant, avec une remarquable exactitude historique, des portraits et des allégories. Il est l’auteur d’ouvrages spéciaux fort estimés sur l’art de l’émail et sur l’art du potier. C’est par un volume de vers, Cinq octaves de Sonnets, publié en 1875, qu’il appartient à cette Anthologie. On y trouve les qualités de précision et de style qui lui ont fait une place à part dans le monde artistique.

A. L.

CONSTANCE




Constance ! on peut briser le front des citadelles,
Que ta vaillante main tient le drapeau toujours ;
Et tu sais résister à l’indomptable cours
Du torrent déchaîné des fortunes rebelles.

Le ciel des vains appâts ne tente point tes ailes ;
Tu gardes à ta foi ton chaleureux secours.
C’est quand vient à sonner l’heure des mauvais jours
Que tu t’épanouis au fond des cœurs fidèles,


Vertu faite d’amour et de solidité,
Qui soutiens l’âme humaine et qui la rends plus fière
En maintenant debout la conscience altière !

Vertu mâle et sereine, ô noble déité,
Qui rattaches et joins dans un commun emblème
Le principe qu’on sert et la femme qu’on aime !


LES SONNETS




Quand l’oxyde aura mis sur les plombs du vantail
Sa morsure affamée, et quand le froid des givres,
Sous sa flore enroulée aux méandres des guivres,
Aura fait éclater les feuilles du vitrail,

Quand les blés jauniront les îles du corail,
Quand les émaux figés sur le galbe des cuivres
Auront été brisés par des lansquenets ivres,
Quand la lime des temps finira son travail,

Les beaux sonnets inscrits sur la stèle d’ivoire
De l’œuvre évanoui conserveront la gloire
Afin de la narrer aux hommes qui vivront ;

Et le bon ouvrier, sous le marbre des tombes,
Gardera verdoyants, au fond des catacombes,
Les lauriers que l’oubli sécherait sur son front.


LE VOYAGEUR




Lâme la plus heureuse a sa part de souffrance,
Le plus joyeux esprit a son trouble secret ;
Le souvenir fléchit sous le poids du regret
Et la crainte envahit jusques à l’espérance.

Le hasard ennemi, qui nous frappe en silence,
Tranche les nœuds bénis de son dur couperet ;
L’aveugle et sourd destin, par un aveugle arrêt,
Livre l’amant fidèle au vautour de l’absence.

Voilà qu’un vent jaloux, soufflant sur mon esquif,
M’entraîne soucieux, solitaire et pensif,
Au gré des flots mouvants, dans un lointain parage.

Ô vous qui demeurez, pensez au voyageur !
Et faites, par pitié, mentir le vieil adage
Qui dit si tristement : Loin des yeux, loin du cœur.