Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Georges Gourdon

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 27-31).




GEORGES GOURDON


1852




Georges Gourdon, né le 22 avril 1852 à Surgères (Charente-Inférieure), a publié deux recueils de poésies : Les Pervenches (1879) et Les Villageoises (1887).

On trouve dans le premier de ces livres un vif sentiment du paysage, une grande sincérité d’impression et d’accent vraiment naturel d’une fraîche émotion.

À propos des Villageoises M. Sully Prudhomme a écrit : « Une inspiration saine et familière sans vulgarité ; une gaité toujours compatible avec la tendresse ; de l’élévation et une facture aisée du vers, telles sont les qualités qui distinguent cet ouvrage . »

La poésie de M. Georges Gourdon est, en effet, naïve et primesautière, mais elle est aussi lyrique. Il prépare un troisième recueil, Le Sang de France, qui contient plusieurs odes, entre autres, Le Drapeau, que nous reproduisons plus loin, et il vient d’achever un drame en vers : Guillaume d’Orange.

Les œuvres poétiques de M. Georges Gourdon ont été éditées par Albert Savine.

a. l.


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DATE LILIA





Il est des femmes que l’on aime
Dès le premier jour qu’on les voit ;
Rien chez elles, rien qui ne soit
Élégance et grâce suprême !


À travers ce monde elles vont,
Chastes, les paupières baissées,
Et la beauté de leurs pensées
Se lit dans leur regard profond.

Leur mère les avait conçues,
Sans taches, dans un saint amour ;
Elles transmettent, à leur tour,
Les blancheurs qu’elles ont reçues.

Ô pudeur ! sublime beauté
Dont l’amour voile ses mystères !
Elles ont pu devenir mères,
Sans perdre leur virginité !

Leur âme, un soir, vers Dieu s’envole
Comme le parfum d’une fleur,
Et leur souvenir laisse au cœur
Un chagrin que rien ne console !


(Les Pervenches)


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LE NAVIRE





Au milieu des vivats, le voilà qui s’élance,
Balancé par la vague ainsi qu’un grand berceau,
Pour qu’il puisse affronter tes flots, ô mer immense,
C’est de chêne et d’airain qu’on a fait le vaisseau !

Sous l’azur éclatant, les trois couleurs de France,
Symbole glorieux, décorent son drapeau,
Et comme au bout du monde il porte l’espérance,
On attache à ses mâts les ailes de l’oiseau.


Ô navire ! qu’un vent favorable te mène !
Que tes joyeux marins et ton fier capitaine
Nous reviennent couverts de lauriers et d’honneur !

Mais si jamais tu dois sombrer dans la bataille,
Crachant comme un défi la dernière mitraille,
Redonne à l’univers l’exemple du Vengeur.


(Les Pervenches)





LE TOUCHERON




Par la sente aux talus herbeux
Qu’embaume la menthe sauvage,
Chassant devant lui ses grands bœufs,
Le toucheron rentre au village.

Voici le printemps revenu,
Tout verdit, l’hirondelle arrive :
Il ne sait quel trouble inconnu
Envahit son âme naïve.

Ce matin même, il a causé
Avec la petite Denise,
Sur son épaule elle a posé
Son front, parfumé sous la brise...

Parmi les rudes paysans,
Comme une fleur Denise est fraîche,
Et son visage de douze ans
A le velouté de la pêche.


Elle est svelte comme un bouleau,
Ses yeux sont clairs comme une source ;
Mais, pour l’avoir, ô jouvenceau !
Il te faudra de l’or en bourse !

Le toucheron, ses bœufs rentrés,
Gagne son grabat, dans l’étable,
Et, par les carreaux éclairés,
Il voit la maisonnée à table.

Lui, ce soir, il ne dîne pas ;
Mais, là-haut, couché de bonne heure,
Seul et malheureux, sous ses draps
Il cache son visage — et pleure...

Hélas ! hélas ! mon pauvre enfant,
L’amour est une grande peine
Qui passe comme un coup de vent
De force à renverser un chêne !


(Les Villageoises)





LE DRAPEAU




Les connais-tu, les trois couleurs,
Les trois couleurs de France ?
Celles qui font rêver les cœurs
        De gloire et d’espérance :
Bleu céleste, couleur du jour,
Rouge de sang, couleur d’amour,
        Blanc, franchise et vaillance !


Le drapeau, quand tonne l’airain,
        Comme un guerrier tressaille ;
Il bat, il s’enfle comme un sein
        Au vent de la bataille.
Dans la mêlée, ah ! qu’il est beau
Lorsqu’il n’est plus qu’un noir lambeau
        Étoilé de mitraille !

Jusqu’à la mort on le défend,
        Ô sublime folie !
Et quand il revient triomphant,
        Vers sa loque chérie
Les yeux vont, de larmes remplis,
Car le drapeau garde en ses plis
        L’âme de la Patrie !

Qu’il frissonne au soleil joyeux,
        Ou qu’il flotte sur l’onde ;
Lorsque la Paix rit sous les cieux
        Ou quand la guerre gronde,
France, il entraîne tous les cœurs,
Lui qui porta dans ses couleurs
        La liberté du monde !


(Le Sang de France)