Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Victor Billaud

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 22-26).




VICTOR BILLAUD


1852




Victor Billaud, né en 1852 à Saint-Julien-de-l’Escap, près Saint-Jean-d’Angély (Charente-Inférieure), a été pendant plusieurs années compositeur-typographe. Devenu maître imprimeur à Royan, où de fort beaux livres sortent fréquemment de ses presses, il a utilisé ses loisirs en s’occupant de poésie, et il a publié en 1879 un volume ayant pour titre : Le Livre des Baisers.

Pleines de grâce et de simplicité, la plupart des pièces de vers dues a la plume de M. Victor Billaud ont été inspirées par les beautés naturelles ou les coutumes pittoresques de son pays natal, et révèlent une rare délicatesse de goût et de sentiment.

a.l.


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LA PREMIÈRE PAGE


 

Ô ma pauvre femme, ils sont dévolus
À d’autres que nous, les jours sans tristesse :
Nous avons logé la terrible Hôtesse ;
Notre enfant n’est plus ! notre enfant n’est plus !


La Mort a fauché la fleur de mon rêve,
La fleur de mon rêve éclose en ton sein :
Tout autour bruit en funèbre essaim
Le vol des douleurs tournoyant sans trêve.

Il nous vient parfois un espoir tremblant,
Mais nos pleurs sont vains, notre angoisse est vaine ;
Et mon esprit va, comme une âme en peine,
De ta robe noire à son berceau blanc.

Ah ! vois-tu, la vie est cruelle et sombre ;
Tout ce qui sourit recouvre un écueil.
Vous clouez un jour un petit cercueil :
C’est votre jeunesse à jamais qui sombre !

Vieillis avant l’âge, on sent tressaillir
Et s’éteindre en soi toutes les chimères,
Et l’on croit que Dieu fit les yeux des mères
En pensant aux pleurs qu’ils verront jaillir.

Étant notre fils avant d’être un ange,
Notre André là-haut tend les bras vers nous ;
Et je songe au temps où sur tes genoux
Ses pieds s’agitaient dans son petit lange.

J’écrirai pour lui — ce sera son lot,
À moins que le sort inclément nous leurre —
Un livre bien doux qui chante et qui pleure,
Qui soit un sourire autant qu’un sanglot.

Ses yeux et l’azur mêleront leurs ondes
Pour y scintiller d’un éclat pareil,
Et j’évoquerai sous l’or du soleil
Ses petits cheveux et leurs boucles blondes.


Les babils d’enfants sont des chants d’oiseaux
Et leurs bras couverts nous semblent des ailes :
Aussi verras-tu les passereaux frêles
Sous les frondaisons voler sur les eaux.

Les chers souvenirs y viendront encore,
Avec les espoirs à jamais éteints ;
Et j’y choisirai les riants matins
Pour joindre nos pleurs aux pleurs de l’aurore.

Ah ! si l’on gémit dans notre milieu,
S’il s’est fait un vide en notre existence,
Du moins il nous reste un amour intense,
Aussi grand qu’un monde, aussi fort qu’un dieu.

Avril et ses fleurs, décembre et son givre,
Neigeront en vain sur l’enfant qui dort :
Notre amour sera vainqueur de la mort,
L’enfant qui n’est plus vivra dans mon livre ;

Arôme ou rayon il viendra s’unir
À mes doux parfums, à mes clartés pures :
Nous demanderons le baume aux blessures
Non pas à l’oubli mais au souvenir.

Et si Dieu permet que la tombe close
Sur tant de sanglots s’ouvre à mon baiser,
Par les matins bleus tu verras jaser
Sur mon vers en deuil notre André tout rose.




EN BATEAU




Le rivage est bordé de fleurs et d’arbrisseaux,
Et le soleil tamise à travers le feuillage
Ses rayons adoucis sur le riant visage
De jeunes promeneurs oubliés sur les eaux.

N’ayant point à subir la loi de son rameur
La nacelle descend la rivière en dérive,
Mirant ses filets verts et rouges dans l’eau vive,
Sous la branche du vergne ou du saule pleureur.

Encore tout empreint des baisers de l’hymen,
Le visage incarnat de la blonde charmeuse
A l’exquise douceur de ces enfants qu’à Greuze
L’Aurore dut montrer quelque jour dans l’Éden.

Et quand vit-on jamais l’éclair d’aussi beaux yeux
Plonger dans le miroir de ces sources profondes,
Depuis les temps lointains où les nymphes des ondes
Enchaînaient à leurs bords les faunes amoureux ?

Un mirage prochain se montre aux deux époux,
Un sourire a passé sur leurs lèvres mi-closes,
Ils ont vu dans un rêve un enfant sur des roses
Et se montrent des yeux les nymphéas jaloux.

On entend leurs soupirs, et la brise des eaux,
Agitant doucement leur fine chevelure,
Y trouve des parfums qu’aussitôt la nature
Aspire pour ses fleurs à travers les roseaux.


L’amoureux se souvient du dernier songe bleu.
La lèvre sur le front de l’adorable femme,
Il étreint tendrement son âme sur son âme,
Sa poitrine se gonfle et son œil est en feu.

Tout son être s’exhale en trésors de candeur,
Il peint timidement son ivresse ingénue :
On dirait un zéphyr échappé de la nue
Et n’osant pas donner sa caresse à la fleur.

Mais bientôt, enfoui dans un flot de cheveux,
Il sent naître l’audace à l’ombre de leurs tresses,
Et les baisers enfin succèdent aux caresses...
Le ruisseau fait un coude... Adieu les amoureux !