Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Henry Murger

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 112-116).

HENRY MURGER

1822-1861


Le Conteur de la bohème en est aussi le poète. Né à Paris, Henry Murger devint clerc d’avoué, puis secrétaire d’un Russe lettré, auprès de qui il trouva la liberté d’esprit et les loisirs qui permettent d’écrire. Prosateur charmant, il fit des vers essentiellement parisiens, qui sont des variations idéales sur les joies et les misères de la vie de bohème, au temps passé du pays latin.

En parlant de Murger, Théophile Gautier dit qu’avec lui « s’en va l’originalité la plus brillante qu’ait produite le petit journal ; car cest là qu’il a fait ses premières armes et qu’ont paru d’abord les scènes de la Vie de Bohème, qui, sous forme de livre et de pièce, devaient obtenir un si vif succès.

« Murger résume en lui une époque littéraire. Il a peint, avec une verve, un esprit et un sentiment qu’on ne dépassera pas, les mœurs exceptionnelles et fantasques d’une jeunesse qui, depuis, s’est peut-être un peu trop corrigée. »

On a réuni ses poésies complètes dans un volume qui a pour titre : Les Nuits d’Hiver.

Les œuvres d’Henry Murger se trouvent chez M. Calmann Lévy.

A. L.


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LE REQUlEM D’AMOUR
FRAGMENT




Nous étions bien heureux dans la petite chambre,
Quand ruisselait la pluie et que soufflait le vent ;
Assis dans le fauteuil, près de l’âtre, en décembre,
Aux lueurs de tes yeux j’ai rêvé bien souvent.

La houille pétillait ; en chauffant sur les cendres,
La bouilloire chantait son refrain régulier
Et faisait un orchestre au bai des salamandres
            Qui voltigeaient dans le foyer.

Feuilletant un roman, paresseuse et frileuse,
Tandis que tu fermais tes yeux ensommeillés,
Moi je rajeunissais ma jeunesse amoureuse,
Mes lèvres sur tes mains et mon cœur à tes pieds.

Aussi, quand on entrait, la porte ouverte à peine,
On sentait le parfum d’amour et de gaité
Dont notre chambre était du matin au soir pleine,
Car le bonheur aimait notre hospitalité.

Puis l’hiver s’en alla ; par la fenêtre ouverte
Le printemps, un matin, vient nous donner l’éveil.
Et ce jour-là tous deux, dans la campagne verte,
Nous allâmes courir au-devant du soleil.

C’était le vendredi de la sainte semaine,
Et, contre l’ordinaire, il faisait un beau temps :
Du val à la colline et du bois à la plaine,
D’un pied leste et joyeux, nous courûmes longtemps.


Fatigués cependant par ce pèlerinage,
Dans un lieu qui formait un divan naturel,
Et d’où l’on pouvait voir au loin le paysage,
Nous nous sommes assis en regardant le ciel.

Les mains pressant les mains, épaule contre épaule,
Et, sans savoir pourquoi, l’un et l’autre oppressés,
Notre bouche s’ouvrit sans dire une parole,
            Et nous nous sommes embrassés.

Près de nous l’hyacinthe avec la violette
Mariaient leur parfum qui montait dans l’air pur ;
Et nous vîmes tous deux, en relevant la tête,
Dieu qui nous souriait à son balcon d’azur.

« Aimez-vous, disait-il ; c’est pour rendre plus douce
« La route où vous marchez que j’ai fait sous vos pas
« Dérouler en tapis le velours de la mousse.
« Embrassez-vous encor, — je ne regarde pas.

« Aimez-vous, aimez-vous : dans le vent qui murmure,
« Dans les limpides eaux, dans les bois reverdis,
« Dans l’astre, dans la fleur, dans la chanson des nids,
« C’est pour vous que j’ai fait renaître ma nature.

« Aimez-vous, aimez-vous ; et de mon soleil d’or,
« De mon printemps nouveau qui réjouit la terre,
« Si vous êtes contents, au lieu d’une prière
« Pour me remercier, — embrassez-vous encor. »


LA CHANSON DE MUSETTE




Hier, en voyant une hirondelle
Qui nous ramenait le printemps,
le me suis rappelé la belle
Qui m’aima quand elle eut le temps.
Et pendant toute la journée,
Pensif, je suis resté devant
Le vieil almanach de l’année
Où nous nous sommes aimés tant.

Non, ma jeunesse n’est pas morte,
Il n’est pas mort ton souvenir ;
Et si tu frappais à ma porte,
Mon cœur, Musette, irait t’ouvrir.
Puisqu’à ton nom toujours il tremble,
Muse de l’infidélité.
Reviens encor manger ensemble
Le pain béni de la gaîté.

Les meubles de notre chambrette,
Ces vieux amis de notre amour,
Déjà prennent un air de fête
Au seul espoir de ton retour.
Viens, tu reconnaîtras, ma chère,
Tous ceux qu’en deuil mit ton départ,
Le petit lit — et le grand verre
Où tu buvais souvent ma part.

Tu remettras la robe blanche
Dont tu te parais autrefois,
Et comme autrefois, le dimanche,
Nous irons courir dans les bois.

Assis le soir sous la tonnelle,
Nous boirons encor ce vin clair
Où ta chanson mouillait son aile
Avant de s’envoler dans l’air.

Dieu, qui ne garde pas rancune
Aux méchants tours que tu m’as faits,
Ne refusera pas la lune
À nos baisers, sous les bosquets.
Tu retrouveras la nature
Toujours aussi belle, et toujours,
Ô ma charmante créature,
Prête à sourire à nos amours.

Musette qui s’est souvenue,
Le carnaval étant fini,
Un beau matin est revenue,
Oiseau volage, à l’ancien nid ;
Mais en embrassant l’infidèle,
Mon cœur n’a plus senti d’émoi,
Et Musette, qui n’est plus elle,
Disait que je n’étais plus moi.

Adieu, va-t’en, chère adorée,
Bien morte avec l’amour dernier ;
Notre jeunesse est enterrée
Au fond du vieux calendrier.
Ce n’est plus qu’en fouillant la cendre
Des beaux jours qu’il a contenus
Qu’un souvenir pourra nous rendre
La clef des paradis perdus.