Anthologie féminine/Mme de Motteville

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 70-73).

Mme DE MOTTEVILLE (Françoise Bertaut)

(1621-1639)


Nièce de l’évêque de Séez, fille d’un gentilhomme de la chambre du roi ; sa mère, d’origine espagnole, servant d’intermédiaire à la reine pour correspondre secrètement avec sa famille, Françoise Bertaut, dès l’âge de sept ans, fut attachée à la personne de la reine Anne d’Autriche ; mais Richelieu, craignant déjà son influence, l’éloigna. Vers sa vingtième année, sa mère, qui l’avait conduite en Normandie, la maria à M. Langlois de Motteville, qui en avait quatre-vingts. Après la mort de Richelieu, elle revint près d’Anne d’Autriche, et fut pendant vingt-deux ans plutôt une amie de la reine qu’une femme de chambre, dont elle avait le titre. Mazarin la craignait aussi, mais ne fut point aussi rigoureux que son prédécesseur. Elle n’a laissé que des Mémoires pour servir à l’histoire de la reine Anne d’Autriche, écrits dans une langue simple et spirituelle. On y rencontre quelques observations assez véridiques :

Les rois ne voient jamais leurs maux qu’au travers de mille nuages. La Vérité, que les poètes et les peintres représentent toute nue, est toujours, devant eux, habillée de mille façons, et jamais mondaine n’a si souvent changé de mode que celle-là en change quand elle va dans les palais de roi.


JOURNÉE DES BARRICADES

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Sur le soir, le coadjuteur revint trouver la reine de la part du peuple, forcé de prendre cette commission pour lui demander encore une fois leur prisonnier, résolus, à ce qu’ils disaient, si on le leur refusait, à le ravoir par la force. Comme le cœur de la reine n’était pas susceptible de faiblesse, qu’il paraissait en elle un courage qui aurait pu faire honte aux plus vaillants, et que d’ailleurs le cardinal ne trouvait pas son avantage à être toujours battu, elle se moqua de cette harangue, et le coadjuteur s’en retourna sans réponse. Un de ses amis et un peu des miens qui, peut-être, aussi bien que lui, n’était pas dans son âme au désespoir des mauvaises aventures de la cour, et qui ne l’avait pas quitté de toute la journée, me dit à l’oreille que tout était perdu ; qu’on ne s’amusât point à croire que ce n’était rien ; que tout était à craindre de l’insolence du peuple ; que déjà les rues étaient pleines de voix qui criaient contre la reine, et qu’il ne croyait pas que cela se pût apaiser aisément.

La nuit qui survint là-dessus les sépara tous, et confirma la reine dans sa créance que l’aventure du jour n’était nullement à craindre. Elle tourna la chose en raillerie, et me demanda au sortir du conseil, comme elle vint se déshabiller, si je n’avais pas eu grand’peur. Cette princesse me faisait une continuelle guerre de ma poltronnerie, si bien qu’elle me fit l’honneur de me dire gaiement qu’à midi, quand on était venu lui dire le bruit que le peuple commençait à faire, elle avait aussitôt pensé à moi et à la frayeur que j’aurais au moment que j’entendrais cette nouvelle si terrible, et ces grands mots de chaînes tendues et de barricades.

Elle avait bien deviné, car j’avais pensé mourir d’étonnement quand on me vint dire que Paris était en armes, ne croyant pas que jamais dans ce Paris, le séjour des délices et des douceurs, on pût voir la guerre ni des barricades que dans l’histoire et la vie d’Henri III. Enfin cette plaisanterie dura tout le soir ; et comme j’étais la moins vaillante de la compagnie, toute la honte de cette journée tomba sur moi. Je me moquai en moi-même, non seulement de ma frayeur, mais encore des avis que, deux heures auparavant, Laigues m’avait donnés si charitablement. Ce ne fut pas sans admirer comme les choses sont prises si diversement selon les différentes passions des hommes…