Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Avertissement

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AVERTISSEMENT


ET


INTRODUCTION


DU TRADUCTEUR
AVERTISSEMENT


DU TRADUCTEUR



En offrant au public le texte et la traduction de l’Anthologie japonaise intitulée Si-ka-zen-yô, j’éprouve, au début même de ce volume, une hésitation qu’il m’est impossible de ne point avouer. Il y a une différence si manifeste entre la manière dont en Europe et dans les îles de l’extrême Orient on comprend l’art des vers, que je ne puis me dissimuler avec quelle insouciance et peut-être même avec quel dédain doit être accueilli parmi nous un recueil de poésies composées suivant des idées si éloignées des nôtres. Ma première impression, pression, à la lecture des ouvrages poétiques japonais qui font partie de ma collection, a été que la poésie faisait complètement défaut dans cette littérature, d’ailleurs si riche, et que, sous ce nom, il n’existait que des recueils de jeux de mots d’un goût plus ou moins supportable. Sachant néanmoins combien il est prétentieux, pour un étranger surtout, de condamner sans merci des œuvres nationales admirées par tout un peuple, j’ai cherché, par une nouvelle étude, à m’inspirer plus profondément du génie de ces poésies et à m’identifier en quelque sorte avec les milieux qui les ont vues paraître. Cette manière d’explorer une littérature nouvelle présente sans doute des inconvénients, dont le plus grave est de faire peser sur le jugement du critique tout le poids d’une opinion nécessairement favorable et quelque peu préconçue ; mais aussi elle évite les inconvénients de l’extrême contraire, et assure à celui qui la pratique la connaissance aussi intime que possible des éléments du problème soumis à son appréciation.

Ces nouvelles études m’ont amené à admettre qu’en général la poésie japonaise ne doit pas être assimilée à la poésie indo-européenne, dont elle diffère par les traits les plus essentiels, par la forme, par le génie et même, dans une certaine mesure, par le but ; que, dans ses manifestations supérieures, elle ne mérite point l’accusation de jeux d’esprit que j’avais portée tout d’abord à son égard ; qu’elle est apte à exprimer les grandes émotions de l’âme, et qu’elle les exprime souvent d’une façon qui, pour être laconique, n’est pas moins forte et persuasive ; qu’enfin elle met à la disposition de l’écrivain tous les charmes du pittoresque, mais à la condition seulement de ne point les épuiser, et de laisser à l’imagination le soin de découvrir des horizons que quelques traits heureux du tableau laissent entrevoir. J’ignore si cette opinion sera confirmée par les critiques compétents et si leur verdict sévère ne viendra pas me reprocher une complaisance contre laquelle j’ai cherché à me tenir en garde, sans être sûr néanmoins d’y être réellement parvenu. J’aurais pu sans doute me borner à publier, dans l’intérêt des personnes qui suivent mon cours à l’École spéciale des langues orientales, le texte de ces poésies avec des vocabulaires explicatifs, au lieu d’y joindre une traduction française ; ce qui m’eût évité le danger d’offrir au public des spécimens d’une littérature pour laquelle il n’est peut-être pas encore suffisamment préparé. Mais une publication disposée de la sorte n’eût pas répondu à l’attente de mes auditeurs, qui savent quelles difficultés à peine croyables présente l’interprétation des vers japonais. J’espère donc qu’eux du moins me sauront gré de ma détermination un peu téméraire et qu’ils en tireront quelque profit pour le succès de leurs études.

Si cette Anthologie est accueillie avec indulgence, je me propose de livrer prochainement à l’impression la dix-neuvième partie de mon Cours de langue japonaise, laquelle renfermera, sous le titre de Chrestomathie japonaise[1], des spécimens de tous les genres littéraires cultivés au Nippon, avec des traductions et des notices bibliographiques et historiques. J’avais songé un instant à composer un recueil de pièces dramatiques, qui eût donné une idée de l’art théâtral si singulier, si original des insulaires de l’extrême Orient ; mais je me suis demandé s’il n’était pas préférable de publier tout d’abord des fragments qui permissent d’apprécier le caractère général de la littérature japonaise, plutôt qu’un ouvrage étendu sur l’une de ses branches. Si le nombre des personnes en état d’entreprendre de telles traductions était plus considérable, si nous comptions autant de japonistes que de savants sinologues, il y aurait sans doute avantage à faire connaître in extenso les principaux monuments littéraires, historiques, scientifiques et religieux du Japon ; mais, dans les circonstances actuelles, un tel système, qui entraîne nécessairement des lenteurs considérables, ne me paraît pas être celui qui réponde le mieux aux besoins de l’orientalisme.

En attendant que l’avis des maîtres de la science m’ait permis de prendre une décision à cet égard, je compte poursuivre la publication des ouvrages les plus nécessaires à l’enseignement qui m’a été confié. Le Recueil de textes gradués en langue japonaise vulgaire[2], qui forme la sixième partie de mon Cours, est achevé, et le Vocabulaire français-japonais sera bientôt en état d’être livré à l’impression. Le succès avec lequel les étudiants ont accueilli le volume précédent[3] de la collection a engagé les éditeurs, MM. Maisonneuve et Cie, à hâter la publication des autres parties, et ils n’ont pas hésité à mettre à la fois deux nouveaux volumes sous presse. Si la bienveillance du public continue à nous être assurée, si les encouragements du gouvernement permettent à mes élèves les plus avancés de me prêter un concours assidu, nous arriverons, j’ose le promettre, dans un délai relativement peu considérable, à compléter le Cours de langue japonaise, qui ne formera pas moins de douze volumes en vingt parties, chacune en moyenne de plus de 200 pages in-8o. L’étude du japonais vulgaire et littéral ne sera plus alors aussi difficile et aussi rebutante, et l’Europe pourra compter autant d’orientalistes sérieux pour cette langue que pour les autres idiomes importants du monde asiatique.


Chatham, Kent, le 29 juillet 1869.


Léon de rosny.
  1. Cette Chrestomathie, d’après le plan que j’ai adopté, comprendra une suite de morceaux choisis, répartis dans les divisions suivantes :
    1re partie. — religion et philosophie.
    a. Religion nationale : Culte des génies (jap. Kami-no mitsi).
    b. Doctrine confucéiste ou des lettrés (jap. Zyou-dô).
    c. Religion bouddhique ou doctrine de Fo (jap. Hotoke-no mitsi).
    d. Législation.
    e. Style de chancellerie ; traités internationaux.
    2e partie. — sciences et arts.
    f. Sciences naturelles.
    g. Sciences mathématiques.
    h. Beaux-arts. — Archéologie. — Numismatique.
    3e partie. — littérature.
    i. Philologie ; linguistique.
    j. Poésie.
    k. Théâtre.
    l. Romans, Contes et Nouvelles.
    4e partie. — géographie.
    m. Géographie du Japon. — Les Guides des touristes.
    n. Géographie étrangère. — Voyages.
    5e partie — histoire.
    o. Histoire officielle.
    p. Histoire romanesque.
    6e partie. — variétés.
  2. Textes faciles et gradués en langue japonaise vulgaire, accompagnés d’un Vocabulaire japonais-français de tous les mots renfermés dans le recueil. Paris, 1869 ; in-8o (avec 32 pages de textes lithographiés en écritures katakana et hira-kana).
  3. Thèmes faciles et gradués, pour l’étude de la langue japonaise, accompagnés d’un Vocabulaire français-japonais de tous les mots renfermés dans le recueil. Paris, 1869 ; in-8o (avec 44 pages de textes lithographiés).