Astronomie populaire (Arago)/IV/04

La bibliothèque libre.
GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 165-167).

CHAPITRE IV

les anciens ont-ils connu les effets grossissants
des verres courbes


La question que je pose dans le titre de ce chapitre peut être abordée et résolue de deux manières différentes. Nous examinerons d’abord si, parmi les produits parvenus jusqu’à nous de l’industrie et des arts des anciens peuples, il en existe qui n’aient pas pu être exécutées sans le secours de verres grossissants. Quelques passages puisés à des sources authentiques serviront à contrôler les résultats de la première investigation.

Il y a dans notre Cabinet des médailles un cachet dit de Michel-Ange, dont l’exécution remonte, dit-on, à une époque très-ancienne, et sur lequel quinze figures ont été gravées dans un espace circulaire de quatorze millimètres de diamètre. Ces figures ne sont pas toutes visibles à l’œil nu. (Dutens, 2e édition, t. II, p. 224.)

« Cicéron a mentionné une Iliade d’Homère écrite sur un parchemin (membrane), qui tenait dans une coquille de noix. » (Pline, Histoire naturelle, livre vii, ch. xxi.)

Pline rapporte que « Myrmécide (Milésien) exécuta en ivoire un quadrige qu’une mouche couvrait de ses ailes. » (Pline, Hist. nat., livre vii, ch. xxi. Voir aussi. Élien, Hist. liv. Ier, chap. xvii.)

A moins de prétendre que la vue de nos ancêtres surpassait en puissance celle des artistes modernes les plus exercés, ce qui serait démenti par bien des observations astronomiques, ces faits établissent que l’on connaissait en Grèce et à Rome, il y a près de vingt siècles, la propriété amplificative dont jouissent les loupes. Nous pouvons, au reste, faire un pas de plus et emprunter à Sénèque un passage d’où ressortira la même vérité d’une manière encore plus directe, plus décisive.

Dans le livre Ier des Questions naturelles, ch. vi, on lit : « Quelque petite et obscure que soit l’écriture, elle paraît plus grande et plus claire à travers une boule de verre remplie d’eau. »

Dutens a vu au musée de Portici des loupes anciennes qui n’avaient que 9 millimètres de foyer. Il possédait lui-même une de ces loupes, mais d’un plus long foyer, provenant des fouilles d’Herculanum. (Dutens, 2e édition, tome II, p. 224.)

Dutens aurait été plus exact en disant : J’ai vu au musée de Portici des sphérules de verre. Le mot loupe implique, en effet, des usages optiques, et les petites sphères de Pompéi, d’Herculanum, étaient uniquement destinées à remplacer les pierres précieuses dans la parure des femmes peu opulentes. La remarque et la trouvaille de Dutens n’acquièrent une valeur réelle qu’en les rapprochant du passage de Sénèque. On peut admettre que si ce philosophe a parlé seulement des effets des sphères d’eau, c’est qu’il répondait alors à des objections contre sa théorie de l’arc-en-ciel.

Dans la réunion de l’Association britannique tenue à Bedfort en 1852, sir David Brewster a montré une lame de cristal de roche, façonnée sous la forme de lentille, trouvée récemment dans les fouilles de Ninive. Sir David Brewster, si compétent en pareille matière, a soutenu que cette lentille avait été destinée à des usages optiques et qu’elle ne fut jamais un objet de parure.