Astronomie populaire (Arago)/XIV/27

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 174-180).

CHAPITRE XXVII

de l’influence des taches solaires sur les températures terrestres


L’idée que les taches solaires doivent avoir une influence sensible sur les températures terrestres, se présenta de très-bonne heure à l’esprit des physiciens. Déjà, en 1614, Batista Baliani écrivait à Galilée que, dans son opinion, le froid ne pouvait manquer de devenir plus rigoureux quand le nombre des taches augmentait (Nelli, page 337). Cette opinion ne mériterait pas même d’être examinée, si les taches étaient constamment très-petites et très-peu nombreuses ; si l’espace qu’elles occupent formait toujours une portion aliquote insignifiante de la surface totale du Soleil, ou plutôt de la surface de l’hémisphère tourné vers la Terre. Mais nous avons vu (chap. x) combien les taches sont parfois nombreuses et étendues, combien aussi elles sont rares à certaines époques. Le problème peut donc être posé sérieusement. Les anciens historiens et chroniqueurs, en citant des jours, des mois, des années, pendant lesquels le Soleil n’était pas dans son état normal, semblaient parler d’un phénomène inexplicable ; ce phénomène peut être attribué à des apparitions extraordinaires de taches, et l’opinion que ces taches exercent une influence sur les circonstances météorologiques terrestres, doit être prise en sérieuse considération.

Des idées dont il a été déjà question sur les circonstances physiques qui doivent amener un déchirement de l’atmosphère solaire, conduisirent William Herschel à supposer que les taches noires sont plutôt le signe d’une abondante émission de lumière et de chaleur que d’un affaiblissement de ces deux genres de rayonnement. Comme d’habitude, le grand astronome mit sa conjecture en présence des faits propres à l’étayer ou à la renverser. Les observations météorologiques manquant, il prit, faute de mieux, le prix du blé en Angleterre comme un indice de la grandeur des températures annuelles. J’ai dit faute de mieux, car Herschel ne se dissimulait pas que le prix du blé pouvait avoir été modifié par des causes indépendantes de la température ou qui ne s’y rattachaient que d’une manière fort indirecte. La question exigeait donc un nouvel examen.

Je suis, pour ma part, tellement éloigné de m’associer aux quolibets dont la table d’Herschel a été l’objet, que je la reproduirai ici. Les lecteurs décideront ensuite eux-mêmes, si les nombres qu’ils auront sous les yeux indiquent avec une probabilité suffisante, comme le croyait l’astronome de Slough, que les récoltes sont d’autant meilleures que le Soleil a plus de taches.

Prix moyen
de l’hectolitre
de blé.
De 1550 à 1670,
on ne voit qu’une ou deux taches 
fr.
21,50
1676 à 1684,
point de taches 
20,60
1685 à 1691,
taches 
15,90
1691 à 1694,
taches 
13,75
1695 à 1700,
point de taches 
27,06
1701 à 1709,
taches 
21,05
1710 à 1713,
deux taches seulement 
24,48
1714 à 1717,
taches 
20,19

L’opinion de William Herschel est en contradiction avec les résultats directs obtenus par le père Secchi, qui a trouvé que les taches du Soleil produisaient un refroidissement sur sa surface. Il était donc important d’examiner de nouveau avec attention les mouvements des températures terrestres.

M. Gautier de Genève a discuté les observations météorologiques faites dans un grand nombre de lieux, en vue de savoir si la température de ces lieux a varié partout dans le même sens avec l’apparition des taches solaires. Voici les résultats de cette recherche (Annales de chimie et de physique, t. xii, p. 57, 1844).

À Paris, selon M. Gautier, la température moyenne des années ayant présenté peu de taches, surpasse celle des années où l’on a observé beaucoup de taches de 0,64 ; à Genève, de 0°,33.


Fig. 163. — Image photographique du Soleil obtenue en un soixantième de seconde le 2 Avril 1845 à 9h 45m par MM. Fizeau et Foucault.

Quelques stations ont donné jusqu’à des différences de 1°,2 dans le même sens. D’autres lieux ont conduit à des différences en sens contraire.

M. Rodolphe Wolf, directeur de l’observatoire de Berne, a écrit récemment à l’Académie des sciences de Paris, qu’en consultant une ancienne chronique zurichoise qui s’étend du XIe siècle à 1800, il a reconnu que conformément aux vues d’Herschel les années où les taches solaires sont signalées comme plus nombreuses, se sont montrées aussi en général plus sèches et plus fertiles que les autres ; que les années marquées par de rares apparitions de taches paraissent avoir été plus humides et plus orageuses.

Les résultats obtenus par les divers physiciens ou astronomes sont, comme on voit, assez contradictoires pour qu’il y ait intérêt, eu égard surtout à l’importance de la question, à la soumettre à un nouvel examen. La Table des taches solaires comptées annuellement par M. Schwabe, de 1826 à 1851, présente maintenant les éléments de comparaison qui manquaient jusqu’alors ; aussi ai-je prié M. Barral de faire un résumé des observations météorologiques, recueillies en France pendant les 26 années correspondantes aux recherches de l’astronome de Dessau, et de compléter ainsi les recherches de M. Gautier de Genève, s’arrêtant 1844 et s’étendant sur un trop petit nombre d’années.

Seul parmi les astronomes après Herschel, j’ai commencé dès 1816, à examiner dans les Annales de chimie et de physique, quelles relations pouvaient exister entre les taches solaires et les divers phénomènes météorologiques qui se passent à la surface de notre globe. M. Barral a achevé de remplir les cadres que j’avais projetés, et on trouvera ce travail dans la Notice que je consacre à la météorologie dans mes Notices scientifiques. Ici il n’est possible d’indiquer que la conclusion généralé à laquelle ce travail a conduit.

En ce qui concerne le prix moyen de l’hectolitre de froment en France, l’opinion contraire à celle émise par Herschel se trouve établie par le rapprochement de la Table des taches solaires de M. Schwabe avec le tableau officiel des prix moyens annuels du blé. Ainsi, on voit par le tableau suivant que les prix minima du blé correspondent aux périodes des apparitions de taches les moins fréquentes, contrairement à ce que pensait Herschel.

Numéros
des
groupes
d’années.
Années. Nombre
de groupes
de taches
observées
dans l’année.
Prix moyen
de
l’hectolitre
de
froment.
I.
1826
 
118
       
fr.
15,85
1827
 
161
       
18,21
1828
 
225
max 
22,03
1829
 
199
       
22,59 max.
1830
 
190
       
22,39
II.
1831
 
149
       
22,10
1832
 
84
       
21,85
1833
 
33
min 
15,62
1834
 
51
       
15,25 min.
1835
 
173
       
15,25
III.
1836
 
272
       
17,32
1837
 
333
max 
18,53
1838
 
282
       
19,51
1839
 
162
       
22,14 max.
1840
 
152
       
21,84
IV.
1841
 
102
       
18,54 min.
1842
 
68
       
19,55
1843
 
34
min 
20,46 max.
1844
 
52
       
19,75 min.
1845
 
114
       
19,75

V.
1846
 
157
       
fr.
24,05
1847
 
257
       
29,01 max.
1848
 
330
max 
16,65
1849
 
238
       
15,37
1850
 
186
       
14,32
1851
 
151
       
14,48

Il y a plus, c’est que si l’on partage les 26 années où ont été faites les observations en cinq groupes distincts, comme le montre le tableau précédent, on trouve que le prix moyen correspondant aux groupes I, III, V, des nombres maxima de taches est 19 fr,69, tandis que le prix moyen du blé pour les groupes d’années II et IV, qui correspondent aux minima d’apparitions des taches est seulement de 18 fr,81.

À Paris, sur les 26 années d’observations, la température moyenne des groupes d’années où il y a eu beaucoup de taches a été inférieure de 0°.31 à celle des groupes d’années où on a compté peu de taches.

Chose remarquable, l’écart entre les maxima et les minima moyens de température a été plus grand dans les années où il y a eu beaucoup de taches que dans les années où les taches ont été moins nombreuses.

Enfin, à Paris, pendant la même période de 1826 à 1851, les groupes d’années où les taches ont été plus nombreuses, où le pain a été plus cher, où la température moyenne a été plus faible, ont été celles où il est tombé plus de pluie (592mill,13) ; il n’y a eu qu’une hauteur de pluie moyenne de 565mill,140 pendant les groupes d’années où on a compté moins de taches, où le pain a été moins cher, où la température moyenne a été plus élevée.

Mais, en ces matières, il faut se garder de généraliser avant d’avoir un très-grand nombre d’observations. En donnant les détails qui précèdent, nous avons eu surtout pour but d’appeler l’attention sur des questions importantes, en mettant en garde contre des conclusions hasardées.