Côtes de Provence (Hugo)

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Œuvres complètes : Odes et Ballades. Essais et Poésies diverses. Les OrientalesOllendorf24 (p. 388-389).

CÔTES DE PROVENCE.

Que j’aime à contempler cette mer imposante !
Quand Phébus dans les cieux élève son essor,
Que j’aime à voir briller cette onde éblouissante.
Et ce cristal mouvant se changer en flots d’or !
Tableau majestueux ! en quel vers te décrire ?
Quels pinceaux employer ?… Tombe, impuissante lyre !
Que la seule nature embellisse mes chants.
Je vante la Provence et son heureux rivage.
Et ces sites riants, ces lieux aimés du sage
Que la mer vient baigner de ses flots écumants.
Voyez-vous sur ces bords cette agile hirondelle
Planer, raser la terre, et fuir à tire d’aile ?
Écoutez[1] : les autans commencent à siffler ;
J’entends les monts mugir, je vois l’onde s’enfler ;
La plage retentit, les échos lui répondent.
Et d’un murmure sourd les sombres forêts grondent.


Tournons les yeux ; voyons ces fertiles prairies,
Et ces champs toujours verts et ces plaines fleuries
Où bondissent en paix d’innombrables troupeaux :
Quel spectacle animé ! là, d’une main active,
Le laboureur recueille une moisson tardive ;
Ici, le pâtre, assis à l’ombre d’un ormeau,
Fait répéter aux bois le son du chalumeau ;
Plus loin, l’adroit chasseur cherche et poursuit sa proie.
Tout ressent le plaisir, tout respire la joie !

Et toi, dont j’aperçois les superbes remparts,
Toi dont les monuments étonnent mes regards,
Salut ! grande Marseille, honneur de ma patrie,
Ville du dieu des arts en tout temps si chérie[2],
Salut ! daigne écouter un poëte naissant.
Daigne entendre ces vers, ils te plairont peut-être,
Ton aspect m’inspira, ton aspect les fit naître.
Mais que dis-je, insensé ! quel effort impuissant !
Où m’entraîne l’élan d’une indiscrète audace !
Qu’un autre, plus instruit des routes du Parnasse,
Te célèbre, ô Marseille, et soit digne de toi :
La ville et ses grandeurs ont trop d’éclat pour moi.
Je rentre dans les bois, au fond des solitudes,
Où, libre de soucis, exempt d’inquiétudes.
Je retrouve, oubliant le monde et son vain bruit.
Dans le sein d’Apollon un bonheur qui nous luit.


Juin 1816
  1. Ces vers sont imités de ceux-ci des Géorgiques :

    Continuo ventis surgentibus aut freta ponti
    Incipiunt agitata tumescere et aridus altis
    Montibus audiri fragor : aut resonantia longè
    Littora misceri, et nemorum increbrescere murmur.

    (Note du manuscrit.)

  2. Ou plutôt :

    Berceau des arts, séjour de l’active industrie.