Chansons de route/Si je meurs ici

La bibliothèque libre.
Librairie Payot et Cie (p. 177-180).


SI JE MEURS ICI…














 


 

SI JE MEURS ICI…


Si je meurs ici pour la France,
Mes amis, ne me plaignez pas
Car jamais je n’eus l’espérance
D’un aussi glorieux trépas.

Prenez mon rosaire en ma poche
Afin d’en encercler mes poings…
Si la bombe ou l’obus du Boche
Me les ont respectés, du moins ;

Qu’à côté de moi « Rosalie »
Repose en sa jupe d’airain.
L’arme noble, et claire, et jolie
Dont j’ai l’heur d’être le parrain ;


Dites à ma douce compagne
Que je l’attends chez les Élus,
Là-haut « dans une autre Bretagne »
Où nous ne nous quitterons plus ;

Remettez-lui ma croix de Guerre ;
En la lui donnant, dites-lui :
« Hier, il ne la méritait guère
Mais il l’a gagnée aujourd’hui. »

Dans la bonne Glèbe natale
Mettez-moi… quand vous le pourrez ;
Après quoi, sur mon humble dalle
De granit gris, vous graverez :

« Dans son dernier lit-clos de chêne,
Poète et soldat tour à tour,
Ici gît un crieur de Haine
Qui n’avait rêvé que l’Amour. »

(Arras, juillet 1915.)