Chants et chansons politiques/Le Retour du déporté

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G. Guérin, libraire (p. 34-36).


LE RETOUR DU DÉPORTÉ

Musique de M.J.-B. de Coninck.


Ma femme me donna deux enfants frais et roses,
Ils naquirent jumeaux dans la saison des roses,

Pendant un vert printemps inondé de soleil,
Le sorcier leur prédit un bonheur sans pareil !
Charles et Frédéric ressemblaient à des anges
qu’une divine main aurait mis dans des langes.
chacun les admirait !… Dire que ces enfants
ont jeté de la boue à mes quatre-vingts ans !

Leur instruction fut toute ma pensée,
et, quand il en fut temps, je les mis au lycée.
Le latin leur déplut presqu’autant que le grec :
Frédéric fut un cancre et Charles un fruit sec.
Quand ils eurent vingt ans je ne sus plus qu’en faire :
L’un devint bureaucrate et l’autre militaire. —
sans science et sans cœur, on se donne au hasard,
on accroche sa vie au manteau de César !

Ils avaient du physique : ils menèrent la vie
le matin chez Shylock, le soir chez Octavie.
Le Jockey-Club conduit dans un certain palais,[1]
ils augmentèrent, là, le nombre des valets. —
On se fait donc à tout ? — Ah ! quand on n’a plus d’âme
on ne sait pas rougir en devenant infâme ! —
les dieux de Bonaparte ils servirent l’autel :
L’un fut nommé préfet et l’autre colonel.

Ils apprirent le crime au métier d’antichambre,
Ils étaient prêts à tout quand vint le deux décembre. —

Les honneurs et notre or payaient leur dévoûment
Des bandits n’auraient pas agi plus lâchement ! —
Quand la France râla sous le neveu du Corse,
Alors je retrouvai ma jeunesse et ma force :
Je voulus protester… Frédéric m’arrêta,
Charles me mit aux fers, et l’on me déporta.
 
Après vingt ans d’exil, je te revois, ô France !
Ma droiture n’a pas ployé sous ma souffrance.
Mes deux gredins de fils sont plus grands que jamais !
Ils n’ont pas de maisons, mais ils ont des palais.
Ils devraient être au bagne, ils sont aux Tuileries,
Se drapant fièrement dans leurs gredineries !
Enfin, je n’attends plus pour mourir de douleur
Qu’on nomme l’un ministre et l’autre sénateur.



    voies qu’il ouvrit, afin d’approprier ses travaux à l’ère de l’Empire — Sébastopol, Magenta, Solférino, Turbigo, Puebla, etc., figurent dans la nouvelle nomenclature.

  1. L’Elysée.